Full text of "Journal"
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^
JOURNAL DE JEAN DE ROYE
CONNU SOUS LE NOM DE
CHRONIQUE SCANDALEUSE
IMPRIMERIE DAUPELEY-GOUVERNEUR
A NOGENT-LE-ROTROU.
R'gvSt^S'j
JOURNAL
DE
JEAN DE ROYE
CONNU SOUS LE NOM DE
CHRONIQUE SCANDALEUSE
1460-1483
PDBLIE POUR LA SOCIETE DE L HISTOIRE DE FRANCE
BERNARD DE MANDROT
TOME PREMIER
A PARIS
LIBRAIRIE RENO
H. LADRENS, SUCCESSEUR
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LIBRAIRE DE LA SOCIETE DE L HISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, N* 6
M DCGC XCIV
270
EXTRAIT DU REGLEMENT.
Art. J4. — Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et
choisit les personnes les plus capables d'en préparer et d'en
suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire
responsable, chargé d'en surveiller l'exécution.
Le nom de l'éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société
sans l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une
déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail
lui a paru mériter d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que le tome I"
de l'édition du Journal de Jean de Roye, dit la Chronique
ScA:iDALEXiSE, préparée par M. Bernard de Mandrot, lui a paru
digne d'être publié par la Société de l'Histoire de Frange.
Fait à Paris^ le 25 novembre ^894.
Signé : A. LONGNON.
Certifié :
Le Secrétaire de la Société de l'Histoire de France,
A. DE BOISLISLE.
INTRODUCTION
I.
Le Journal anonyme vulgairement connu sous le nom
de Chronique scandaleuse* est un document dont les his-
toriens du règne de Louis XI ont fait un constant usage.
Pour l'histoire de Paris en particulier, la Chronique cons-
titue une source de premier ordre à laquelle se peut compa-
rer le précieux Journal de Jean Maupoint ; mais le récit de
Maupoint s'arrête au mois de novembre de l'année 1469,
tandis que la Chronique embrasse le règne de Louis XI
tout entier. Aussi la Chronique a-t-elle été, depuis la fin
du XV* siècle jusqu'à nos jours, maintes fois réimprimée,
et l'on trouvera plus loin la liste de ces éditions succes-
sives; mais il convient d'indiquer dès maintenant que le texte
même de cette Chronique n'a été l'objet d'aucun travail
critique, et que, jusqu'à ce jour, il a été présenté aux lec-
teurs sans l'appareil de notes indispensable pour leur per-
mettre d'en contrôler et d'en compléter les informations. Les
1. Au cours de cette notice on emploiera couramment cette
désignation, bien qu'elle soit inexacte en fait, puisque l'auteur
s'est défendu très justement d'avoir entrepris une Chronique,
c'est-à-dire une relation officielle. Ce titre de Chronique Scan-
daleuse, dont l'origine sera expliquée, est si connu qu'il a paru
inutile de rompre avec un usage consacré par le temps, mais
Journal d'un bourgeois de Paris sous Louis XI serait préférable.
I 4
ij INTRODUCTION.
recherches mêmes et les discussions des érudits qui ont tenté
de résoudre les difficultés que présente l'étude des origines
de la Chronique n'ont, il faut le dire, abouti qu'à des résul-
tats incomplets ou erronés, et c'est pourquoi il a paru qu'il
y avait quelque intérêt à reprendre cette étude et à fournir
enfin à ceux qui prennent intérêt à l'histoire du xv* siècle
un texte correct emprunté, autant que possible, au manus-
crit original, et accompagné de notes explicatives ou cri-
tiques. On trouvera à la suite la série complète des inter-
polations, souvent étendues et de grande valeur historique,
qu'un autre anonyme, serviteur de la maison de Cha-
bannes, a intercalées postérieurement dans le texte de la
Chronique, et qu'il a consignées dans le manuscrit actuel-
lement conservé à la Bibliothèque nationale sous le n° 481
du fonds Clairambault. Ce manuscrit a été l'objet d'une
lumineuse et très complète notice de Jules Quicherat, qui a
publié en même temps la plupart des interpolations * ; nous
disons la plupart, parce que le savant éditeur n'a pas tout
imprimé, et c'est ainsi qu'il a laissé de côté, entre autres,
pour une raison qui nous échappe, un fragment important
sur l'expédition du comte de Dammartin, qui aboutit à l'an-
nexion, par le pouvoir royal, des domaines de Jean V d'Ar-
magnac. De plus, Quicherat a, de propos délibéré, négligé
de reproduire les portions du même manuscrit que J.-B. Tris-
tan Lhermite de Soliers a imprimées au xvif siècle, de la
manière la plus imparfaite, dans le recueil intitulé, pour
mieux abuser le lecteur, le Cabinet du roy Louis XP.
i. Bibliothèque de l'École des chartes, 4^ série, I, 231-279, 412-
442, et II, 242-267, 556-573. L'article est intitulé : un Manuscrit
interpolé de la Chronique scandaleuse. Tirage à part chez Tross,
1857, in-So de 124 p.
2. Paris, 1661, in-12. Reproduit sous le même titre au t. II de
INTRODUCTION. iij
Enfin, il a omis également certaines interpolations publiées
par Godefroj et Lenglet-Dufresnoy dans leurs Preuves de
Commynes. Sans compter que ces ouvrages ne sont pas
dans les mains de tout le monde , ceux qui ont eu besoin
de consulter le texte des interpolations de la Chronique
savent qu'il faut perdre beaucoup de temps pour retrou-
ver les passages de la Scandaleuse auxquels ces interpo-
lations se rattachent. Il a semblé utile par conséquent, en
réimprimant les passages originaux du manuscrit interpolé
d'une manière plus complète, nous ne voulons pas dire
plus correcte, que ne l'a fait Quicherat, de faciliter la tâche
des lecteurs par l'adjonction au texte de la Chronique de
références, qui leur permettront de retrouver aisément les
interpolations correspondantes et feront mieux saisir les
nuances que la difiérence des temps et des opinions a intro-
duites entre les deux récits d'un même fait.
De l'origine de ces additions à la Scandaleuse, Quicherat
a fait une si heureuse recherche qu'il a d'un seul coup épuisé
le sujet. Il n'est pas douteux qu'un familier de la maison
de Chabannes, s'appropriant le texte de la Chronique, s'est
proposé, probablement sur l'ordre de Jean de Chabannes,
comte de Dammartin, personnage assez peu scrupuleux,
paraît-il S de transformer ce récit en une chronique domes-
l'édition des Mémoires de Commynes par Lenglet-Dufresnoy. Les
pièces et lettres données par Lhermite de Soliers comme recueil-
lies de diverses archives et « trésors » ont été simplement
copiées dans le ms. 481 de Clairambault, ainsi que l'a indiqué
Quicherat.
1. Sur certaine lettre fausse de sa belle-mère Jeanne, veuve de
l'amiral de Bourbon, qu'il aurait fait fabriquer afin de discréditer
cette fille de Louis XI auprès du roi Louis XII, voir la curieuse
déposition publiée par M. Delisle dans Littérature latine et histoire
du moyen âge, p. 106 et suiv. Paris, 1890, in-S".
iv INTRODUCTION.
tique destinée à mettre en lumière les grandes actions et les
notables aventures d'Antoine de Chabannes, comte de Dam-
martin. Cette transformation, le rédacteur de l'Interpolée
l'accomplit en ajoutant au texte de la Scandaleuse, qu'il
transcrivit presque sans modifications, des souvenirs per-
sonnels ou des documents empruntés aux archives de la
maison qu'il servait.
Quicherat a démontré que le manuscrit interpolé a dû être
composé entre l'année 1498, date du divorce de Louis XII,
et la fin de 1502, époque à laquelle Jean Lebourg, de
Valognes, en termina la copie. En relevant tous les pas-
sages où le rédacteur anonyme s'est mis en scène, le sagace
érudit est parvenu aussi à prouver que ce rédacteur n'est
autre qu'un ancien secrétaire de Louis XI, nommé Jean
Le Clerc. Attaché d'abord à la personne d'Antoine de Cha-
bannes*, Le Clerc passa, au commencement de 1466, au
service de Louis XI, dont il sut capter la faveur, et qu'il
servit avec beaucoup d'intelligence. Mais les relations qu'il
avait conservées avec son premier maître amenèrent sa dis-
grâce à l'époque où les révélations du comte de Saint-Pol et
celles du duc de Nemours compromirent le comte de Dam-
raartin dans l'esprit du plus soupçonneux des rois. C'est
ainsi que Jean Le Clerc perdit, au mois d'octobre de l'an-
née 1476, la charge de clerc des Comptes, dont Louis XI
l'avait pourvu le 2 décembre 1475. Il fut réintégré quelque
temps après dans son office de secrétaire et reconquit la con-
fiance du roi; mais ce n'est que le 16 juin 1496 qu'il put
1. Un Jean Le Clerc était en 1448 notaire et secrétaire du roi
Charles VII (Bibl. nat., Titres, n" 685, fol. 122). S'il est vrai qu'en
1461 le rédacteur du manuscrit interpolé avait vingt-six ans seu-
lement, comme il le dit lui-même (ci-après, t. II, Interpolations
et Variantes, § i), il ne pourrait s'agir de lui, mais peut-être de
son père.
INTRODUCTION. V
reprendre officiellement à la Chambre des comptes les fonc-
tions dont il avait été privé assez injustement, semble-t-il,
pour que, dès le 30 septembre 1484, un an après la mort de
Louis XI, on lui en rendît les gages. Le Clerc garda son office
jusqu'à sa mort, survenue à la fin de 1510, et c'est revêtu de
la robe rouge de clerc des Comptes qu'il figure, la plume à
la main, sur une miniature placée en tête du manuscrit
interpolé de la Chronique Scandaleuse*.
Une chose à noter, c'est que le rédacteur de ce manuscrit
n'a pas travaillé sur les manuscrits de la Chronique dont il
empruntait si lestement le récit, non plus que sur l'édition
sortie des presses de Topie ou de Neumeister, la première qui
parut de la Scandaleuse, comme on le verra tout à l'heure.
Le texte qu'il eut sous les yeux est celui qui fut imprimé
pour Antoine Vérard peu après l'an 1500, et inséré dans
le tome second de la Chronique Martiniemie. Quicherat
avait observé déjà que le récit de la bataille de Saint-Jacques,
tel que Jean Le Clerc l'a donné, est emprunté à ce recueil.
Une autre preuve assez forte est que Le Clerc a copié un
paragraphe tout entier concernant le pape Paul II, qui
n'existe ni dans les manuscrits ni dans l'édition princeps de
la Scandaleuse, mais seulement dans celle qu'en a donnée
Vérard^. Le Clerc savait-il le nom du chroniqueur ano-
nyme qu'il piUait avec tant de désinvolture? On ne peut
l'affirmer, mais il est piquant de noter qu'il connaissait le
personnage auquel nous allons tenter de restituer la pater-
nité de la Scandaleuse : ces deux hommes avaient été en
rapports fréquents. Est -il téméraire, après cela, de sup-
1. Ces renseignements sont tirés de la notice que J. Quicherat
a consacrée à Jean Le Clerc dans l'article cité de la Bibliothèque
de l'École des chartes.
2. Ci-après, Interpol, et Var., § ix.
Vj INTRODUCTION.
poser que Jean Le Clerc n'a point ignoré l'origine de la
source à laquelle il puisait*?
n.
Il est temps de revenir à la Scandaleuse. On n'en connaît
que deux manuscrits, dont il importe d'autant plus de dire
quelques mots que, sauf les éditeurs des grandes collections
de mémoires relatifs à l'histoire de France qui prétendent les
avoir consultés, sans qu'il y paraisse beaucoup, personne
ne semble les avoir jamais vus. Et pourtant tous deux font
partie, depuis longtemps, des collections de la Bibliothèque
nationale. Également exécutés sur papier au xv^ siècle, ils
portent au catalogue : l'un, le ms. fr. 2889, la désignation
1. Autre hypothèse. Au tome II de la Martinienne, la Chronique
de Louis XI est précédée de celle du règne de Charles VII, où
le texte, emprunté en partie à la Chronique de Chartier, a été
remanié de la même façon et par les mêmes procédés que celui
de la Scandaleuse dans le manuscrit interpolé. Remplie de détails
sur les actions militaires de Jacques et surtout de son frère
Antoine de Chabannes, cette Chronique de Charles VII a été
visiblement composée sur des mémoires de famille, et, comme
l'Interpolée, elle reproduit des documents empruntés aux archives
d'Antoine de Chabannes (voir le Mémoire sur la Chronique Mar-
tinienne, par l'abbé Lebeuf, dans les Méin. de i'Acad. des inscript.,
t. XX, 1745). D'autre part, la Chronique de Charles Vil n'a été
certainement rédigée qu'après la mort du premier comte de Dam-
raartin, de la maison de Chabannes {Martinienne, t. II, fol. ccciv,
col. 2), par conséquent après le 25 décembre 1488. Serait-elle
due aussi à Jean Le Clerc? Il est remarquable que la compi-
lation de Vérard ne fut livrée au public qu'après la mort du pape
Alexandre VI (f 18 août 1503). Or, Jean Lebourg dit avoir terminé
la transcription du manuscrit interpolé le 23 décembre 1502. Il
faut donc que le rédacteur de ce manuscrit ait connu le texte
de la Chronique Scandaleuse, tel que la Martinienne le donne,
avant son impression.
INTRODUCTION. vij
de Chronique Scandaleuse; l'autre, un titre plus vague,
qui lui a été attribué à une date déjà ancienne, Histoire de
France de 1461 à 1479. Ce manuscrit est classé parmi
les manuscrits français sous le n° 5062.
C'est le meilleur et le plus ancien ; aussi est-ce lui que la
présente édition reproduit intégralement jusqu'au mois de
mars de l'année 1479 (n. st.), c'est-à-dire jusqu'au terme
de l'année 1478, suivant l'ancien comput* ; c'est là qu'il s'ar-
rête et s'est toujours arrêté. L'écriture de ce manuscrit est
fort régulière, le texte en est correct, et, s'il n'est pas auto-
graphe, il est certain qu'il a appartenu à celui que nous
considérons comme l'auteur de la Chronique. La mention
par laquelle ce personnage l'a terminé, mention qu'il a
signée et que nous reproduirons tout à l'heure, ne laisse pas
de doute sur ce point, et l'emploi en plusieurs endroits du
récit de verbes au temps présent témoigne d'une rédaction
faite au cours des événements. Ce manuscrit est entré à la
Bibliothèque du roi par achat, en 1670, et on sait qu'il fai-
sait partie auparavant de la bibliothèque d'un célèbre doc-
teur-régent de la Faculté de Paris, nommé Jacques Mentel,
qui avait rassemblé une importante collection de livres et
de manuscrits^.
Là s'arrêtent nos renseignements sur le ms. fr. 5062. Ils
sont plus maigres encore quant au ms. fr. 2889. Aussi cor-
rect pour le fond que son aîné, mais d'une exécution plus
1. Exception faite pour le premieret pour l'avant-dernier feuil-
let du manuscrit, qui ont disparu.
2. Une partie de cette collection provenait de celles de Jean
Passerat et de Jean Grangier, professeurs en éloquence latine.
Né à Château-Thierry en 1597, mort à Paris en 1671, Jacques
Mentel a été l'objet d'une notice biographique signée par le
D"" Carlier dans les Annales de la Société archéologique de Château-
Thierry, année 1872, p. 126 et suiv.
VllJ
INTRODUCTION.
commune, ce manuscrit a été lacéré en plusieurs endroits
et paraît avoir perdu une cinquantaine de feuillets dont une
dizaine au commencement, car il débute au milieu du récit
de l'entrée solennelle de Louis XI à Paris, le 31 août 1461.
Après d'autres lacunes, il s'arrête brusquement à la fin du
récit de la bataille de Guinegate (7 août 1479), sans qu'il
soit possible, en son état actuel, de dire si la narration était
continuée, comme dans les éditions imprimées, jusqu'à la
mort de Louis XI. Bien que l'écriture de ce manuscrit
semble remonter à la dernière partie du xv^ siècle, le fait
que son rédacteur a employé le temps passé, en plusieurs
occasions où le verbe est au présent dans le ms. fr. 5062,
nous fait ranger le ms. fr. 2889 en seconde ligne', et nous
n'avons adopté le texte qu'il fournit que pour la période de
temps écoulée entre le mois de mars 1479, date à laquelle
s'arrête le ms. fr. 5062, et le 7 août de la même année, où
le ms. fr. 2889 fait défaut à son tour et où la reproduction
de la première édition imprimée devient indispensable jusqu'à
la fin.
L'édition qui semble bien être la plus ancienne de la
Chronique Scandaleuse n'est pas datée et ne porte ni le
nom de l'imprimeur ni celui du lieu où elle a été faites C'est
un volume petit in-folio, gothique, de 73 feuillets non chif-
1. Les passages dont la rédaction semble confirmer cette opi-
nion seront signalés dans les notes de la présente édition.
2. Il est fait un constant emploi, dans cette partie de notre pré-
face, de la notice d'Aug. Yitu intitulée : La Chronique de Louis XI,
dite Chronique Scandaleuse, faussement attribuée à Jean de Troyes,
restituée à son véritable auteur. Paris, Jouaust, 1873, in -8°.
M. Vitu, dont on verra que nous n'adoptons pas les conclusions,
n'en a pas moins jeté de la lumière sur les origines de la Scanda-
leuse. Ses renseignements bibliographiques sont tirés du Manuel
du libraire de Brunet.
INTRODUCTION. ix
frés, a deux colonnes de 45 demi- lignes chacune, sans
réclames. La place réservée aux lettres capitales en tête des
paragraphes est demeurée vide, et le titre seul débute par
un L majuscule très décoré. Ce titre est ainsi conçu : « Les
Croniques du très chrestien et très victorieux Loys de
Yaloys, feu roy de France que Dieu absolve, unziesme
de ce nom, avecques plusieurs aultres adventures
advenues tant en ce royaulme de France comme es
pays voisins, depuis Van mil quatre cens LX Jusques
en Van mil quatre cens quatre vingtz et trois inclusi-
vement. » Il est presque certain que ce titre est le fait de
l'éditeur et non celui du rédacteur du Journal anonyme, car
ce dernier a pris soin d'avertir le lecteur dans son préam-
bule qu'il n'entend pas que son œuvre soit appelée Chro-
niques, désignation réservée de son temps aux annales
officielles.
Comme ce volume a été imprimé avec les caractères dont
Michelet Topie et Jacques Herenberck se sont servis à
Lyon, en 1488, pour leur édition des Saintes et dévotes
pérégrinations en la cité de Hierusalem, de Breyden-
bach, Brunet en a conclu que les Chroniques de Louis de
Valois devaient être attribuées aux mêmes imprimeurs, et
que la date de l'impression pouvait être fixée à l'année
1491 environ. Nous nous bornerons à dire que l'édition
princeps de la Chronique semble appartenir au règne de
Charles VIII, et que cette opinion est confirmée par l'ex-
pression de feu roy de France employée dans le titre pour
désigner Louis XI *.
1. Il ne serait pas impossible que cette édition fût due à l'as-
sociation de Topie et de Neumeister, qui collaborèrent pour celle
du célèbre missel d'Uzès, imprimé à Lyon en 1495. Neumeister
fut très protégé par le cardinal Charles de Bourbon, archevêque
X INTRODUCTION.
Peu après l'année 1500, Antoine Vérard redonna le texte
de la Chronique de Louis XI, avec quelques modifications
de peu d'étendue, au tome second et à la suite de la Chro-
nique de Martin Polonus. La reproduction de la Chronique
de Louis XI commence au feuillet ccctii de cette compila-
tion, dont la composition a été étudiée par le savant abbé
Lebeuf* . Il faut dire que Vérard a comblé quelques lacunes
de la Chronique et ajouta notamment un petit nombre de
paragraphes relatifs aux papes qui ont occupé le siège pon-
tifical entre 1461 et 1483, afin de demeurer fidèle au titre
général de sa compilation : « La Cronique Martinienne
de tous les papes qui furent jamais. . . jusques au pape
Alexandre derrenier decedé^ . . . »
On retrouve la Chronique de Louis XI au troisième volume
des Chroniques d' Enguet^rand de Monstrelet, « de nou-
vel imprimé à Paris » en 1512^. Au feuillet cclxxxiv de cette
compilation est un « Prologue sur les Croniques des très chres-
tiens, magnifiques,victorieux et illustres roys de France Loys,
XI' de ce nom, et Charles VIII son filz, » où ce continua-
teur de Monstrelet a emprunté des phrases entières au préam-
bule de la Chronique Scandaleuse. Cet éditeur a certaine-
ment travaillé sur le texte original de la Chronique et non
sur celui fourni par la Martinienne, car il a, au cours du
de Lyon et protecteur aussi de l'auteur de la Scandaleuse. Après
lamort du cardinal de Bourbon (1488), Neumeister trouva un autre
Mécène, Angelo Catto, archevêque de Vienne en Dauphiné. Ce
prélat était un fervent d'histoire, et on sait que c'est à sa demande
que Ph. de Gommynes composa ses Mémoires. Sur les premiers
imprimeurs lyonnais, voir A. Claudin, Antiquités typographiques
de la France. Paris, 1880, in-8".
1. T. XX (1745) des Mém. de l'Acad. des inscript.
2. In-folio gothique à deux colonnes, sans date, fin de 1503 au
plus tôt.
3. Petit in-folio gothique à deux colonnes.
INTRODUCTION. xj
récit, reproduit des passages retranchés ou modifiés dans
l'édition de Vérard*.
La Chronique de Louis XI reparut deux années plus tard
dans le troisième volume des Chroniques de France, dites
de Saint-Denis, réimpression faite pour Guillaume Eustace,
libraire duroi^ Notons que, dans les deux éditions données
précédemment des Chroniques de France, en 1486 par
Pasquier Bonhomme, en 1493 par Vérard, la narration
s'arrête à l'année 1461, et que, dans celle de 1514, elle se
poursuit jusqu'en 1513.
En 1517 et 1518, les mêmes Chroniques étaient impri-
mées de nouveau pour Galliot du Pré dans la Mer des his-
toires^, et avec elles celle de Louis XI. Quant à l'édition
signalée dans la Bibliothèque historique de la France du
Père Lelong^, nous ne la connaissons pas plus que ne l'ont
connue Brunet et Aug. Vitu, et il est douteux qu'elle ait
jamais existé.
Ce serait en 1558 seulement (le privilège porte la date du
31 décembre 1557) que parut chez Galliot du Pré la seconde
édition de la Chronique isolée. Ce volume petit in-S" n'est
autre que la reproduction de l'édition du xv^ siècle et porte
le même titre ; mais l'éditeur nouveau a supprimé une dou-
zaine de passages dont le contenu lui semblait porter atteinte
soit à l'honneur de certaines famiUes soit à la mémoire de
1. Il est juste d'ajouter qu'en certains endroits (entrée de
Louis XI à Paris, bataille de Montlhéry), l'auteur, critiquant
Monstrelet, ou plus exactement son premier continuateur, qu'il
trouve incomplet ou partial, ajoute : « Je trouve et ay leu à la
vérité, oultre ce qu'il dict, que... » « Je trouve en ung aultre
cronique dud. roy Loys sur ce que a omis led. Monstrelet. »
2. 3 vol. in-folio gothique, 1514.
3. 4 vol. in-folio gothique.
4. Éd. Févret de Fontette. Paris, 4768-78, t. Il, 197.
xij INTRODUCTION.
Louis XI. L'édition suivante, qui parut en 1611 dans le
même format, ne porte pas la trace des mêmes scrupules,
car une adresse au lecteur, imprimée au verso du titre,
déclare que le nouvel éditeur de la Chronique (il ne se
nomme pas, non plus que l'imprimeur) la donne « en sa
pureté, tant pour le langage que pour l'instoire, après l'avoir
conféré (sic) sur divers manuscrits dignes de foy. » C'est
beaucoup dire, et rien ne confirme la sincérité de cette der-
nière assertion. Ce volume de 438 pages renferme, il est
vrai, une table alphabétique des matières et un portrait de
Louis XI, mais, s'il est exact que l'éditeur, ainsi qu'il le dit,
a pris la peine de donner la Chronique « non à moitié,
comme du Haillan* et quelques autres ont fait, mais entière
et sans altération, » il est probable qu'il s'est borné à repro-
duire l'édition princeps. Ce qui est particulier dans cette
édition, c'est le titre du volume : « Histoire de Louys
unziesme, roy de France, et des choses mémorables
advenues de son règne depuis Van 1460 jusques à 1483,
autrement dite la Chronique Scandaleuse, escrite par
un greffier de l'Hostel de Ville de Paris, imprimée
sur le vray original, MDCXI. » C'est la première fois
que cette désignation de Chronique Scandaleuse appa-
raît en tête de ce Journal anonyme; mais il n'est pas exact
qu'elle ait été inventée par les libraires pour achalander
l'édition, ainsi que le veut SoreP, puisque, dès 1584, La
Croix du Maine, en sa Bibliothèque françoise (Paris,
in-foL, article Jean de Troyes), écrivait : « Cette Chro-
nique. . . est vulgairement appelée la Chronique Scandaleuse
à cause qu'elle fait mention de tout ce qu'a fait le roi
1. Historiographe de France, auteur d'une Histoire générale des
rois de France (1576, in-fol.), souvent réimprimée.
2. Bibliothèque françoise, 1664, in-12.
INTRODUCTION. siij
Louis XI et récite des choses qui ne sont pas trop à son
advantage. » On la connaissait aussi sous le sobriquet de
la Mesdisante, et c'est le titre que Paul Petau (1568-1614)
a tracé de sa main sur l'un des deux exemplaires de l'édi-
tion princeps de la Chronique que possède la Bibliothèque
nationale*. Médisante ou scandaleuse, voilà comment les
hommes du xvf siècle qualifiaient l'innocente Chronique
de Louis XI ! Le nom est resté, mais il parait peu justifié
au lecteur moderne, nourri d'indiscrétions d'une tout autre
portée.
L'édition de 1620 est une reproduction de celle de 1611.
Le volume, de format petit in-4°, ne porte pas le nom de
l'éditeur. Le titre est le même que celui de 1611, mais à côté
du portrait de Louis XI est un second titre répété encore en
tête du texte de la Chronique, et qui n'est autre que celui de
l'édition princeps avec cette addition : « Imprimées de nou-
veau sur les vieux exemplaires sans aucun changement. »
On retrouve la Chronique de Louis de Valois à la suite
des éditions que Godefroy et l'abbé Lenglet-Dufresnor ont
données des Mémoires de Ph. de Commynes-.
Enfin, de nos jours, elle a été imprimée dans la Collec-
tion complète des Mémoires relatifs à l'histoire de
1. Réserve Lb 27. L'autre exemplaire a appartenu à d'Hozier,
et une main plus ancienne a écrit au-dessous du titre imprimé
les mots Histoire mesdisante. C'est le titre aussi que donne à la
Chronique le Père Garasse {Recherche des recherches d'Estienne
Pasquier, 1622, p. 3) ; mais il se trompe quand il prétend que
l'auteur intitula ainsi sa chronique avec l'intention de diffamer
Louis XL M. Vitu l'observe avec justesse (omit, cilé, p. 13), mais
il a tort de conclure qu'aucune édition n'ayant porté le titre de
Chronique Médisante, l'ouvrage n'a jamais été connu dans le public
sous ce nom.
2. Bruxelles, 5 vol. in-S», 1723; Paris et Londres, 1747, 4 vol.
in-4<».
xiv INTRODUCTION.
France, de Petitot (Paris, 1819-29, iii-8% t. XIII-XIV);
dans la. Nouvelle Collection des Mémoires sur l'histoire
de France, de Michaudet Poujoulat (Paris, 1836-39, in-4°,
t. IV), et par Buchon, dans son Choix de Chroniques et
Mémoires (édition du Panthéon littéraire. Paris, 1836-38,
iii-4°). Aucune de ces éditions ne marque un progrès sen-
sible sur leurs devancières, et ceux mêmes d'entre les édi-
teurs qui prétendent avoir examiné les manuscrits de la
Chronique commettent de si étranges bévues qu'il est cer-
tain au moins que leur examen n'a pas été approfondi.
ni.
La Scandaleuse constitue- 1- elle une œuvre originale,
comme le veut Yitu^ ou faut-il la considérer avec l'abbé
Lebeuf et Jules Quicherat comme l'œuvre d'un plagiaire
qui s'est emparé du texte de la Chronique officielle de
Louis XI, et s'est borné à y ajouter quelques menus faits et
quelques anecdotes parisiennes? La question vaut la peine
d'être examinée.
Et d'abord, une remarque générale. A lire la Chronique
sans avertissement ni prévention, aucun doute ne traverse-
rait l'esprit; c'est une œuvre d'origine évidemment pari-
sienne, où rien ne sent le plagiat. L'auteur anonyme a noté
les événements au jour le jour, tels qu'il les voyait se dérou-
ler sous ses yeux ou tels qu'il les entendait raconter, non
pour faire acte d'historien, mais, comme il le dit lui-même,
pour passer le temps et « esquiver oisiveté. » Aucune pré-
tention dans le style, peu de jugements, et pourtant une
appréciation assez indépendante des choses et des hommes,
voire du maître, de Louis XI lui-même. Des événements
\. Vitu a connu l'édition princeps, mais non les manuscrits.
INTRODUCTION. XV
politiques une connaissance qui ne dépasse guère la surface
et qui est bornée souvent à ce qu'on en pouvait apprendre à
Paris. Avec cela, chose singulière, des renseignements pré-
cis sur tous les mouvements du roi et, ce qui s'explique plus
aisément, sur les faits et gestes du monde de l'Hôtel de Ville,
du Palais et du Châtelet, comme sur les faits divers de la
capitale. Rien de suspect dans tout cela ni qui ressemble à
ce qu'on appellerait aujourd'hui un livre « démarqué. »
En fait, personne ne soupçonnait la Chronique de ne pas
être une œuvre de bonne foi, lorsqu'un des érudits les plus
sagaces du dernier siècle, l'abbé Lebeuf, étudiant en 1745
la compilation publiée par Vérard vers 1503 sous le titre de
Chronique Martinienne, s'avisa que le rédacteur de la
Scandaleuse n'était qu'un vulgaire plagiaire qui s'était appro-
prié le texte de la continuation des Chroniques de Saint-
Denis, en se bornant à y ajouter un préambule de sa façon
et quelques « racontars » parisiens assez dénués d'intérêt.
Donc, pour le fond, la Chronique dite Scandaleuse serait
l'œuvre de l'historiographe officiel du règne de Louis XI
et n'aurait d'autre valeur que celle que possède la copie
légèrement dénaturée d'une œuvre disparue*.
Sur l'autorité de Lebeuf, l'abbé Lenglet, qui a réim-
primé la Chronique en tête de ses Preuves de Commynes,
prit soin d'avertir le lecteur, dans la préface du tome P'' des
Mémoires, que la Chronique « à laquelle on a donné mal
à propos dans les imprimés l'épithète de Scandaleuse » n'est
pas l'ouvrage d'un seul homme, mais « un détachement de
la Chronique qui fut compilée successivement par divers
auteurs sous le titre de Chronique de Saint-Denis.
1. Après la mort du chroniqueur Jean Castel, Louis XI se fit
apporter à Gléry ce qui était rédigé de la chronique de son règne.
Qu'en fit-il ? On l'ignore.
xvj INTRODUCTION.
Un siècle plus tard, Jules Quicherat, adoptant sans
réserve l'opinion émise par l'abbé Lebeuf, excommuniait à
son tour la malheureuse Chronique, qui, suivant son expres-
sion, n'avait de scandaleux que le sans-gêne avec lequel son
rédacteur avait pillé l'œuvre d'autrui. La Chronique était
une copie de la Chronique officielle de Louis XI, non pas,
comme l'avait cru Lebeuf, de celle rédigée par Jean Castel,
abbé de Saint-Maur, car Jean Castel n'aurait laissé que des
notes, mais une simple copie de la relation composée sur ces
notes par un moine de Saint-Denis, Mathieu Lebrun, qui,
succédant à Castel en 1476, ne prit pas la peine de classer
correctement les papiers laissés par son prédécesseur, et
commit au moins une « bévue » chronologique si forte qu'elle
suffit à marquer le peu de valeur historique de l'œuvre tout
entière. Nous n'insisterions pas sur la preuve soi-disant
décisive apportée par Quicherat contre l'autorité de la Chro-
nique qu'il attribue à Lebrun et, par conséquent, contre
celle de la Scandaleuse, s'il ne s'agissait pas d'opposer à
sa thèse une opinion toute contraire, mais à l'accusateur
incombe la preuve; si cette preuve fait défaut, l'accusation
doit tomber d'elle-même, et notre Chronique, quelle que soit
son origine, ne mérite pas le dédain dont on l'a accablée.
Donc, voici ce que narre la Chronique : Le samedi matin
14 mars 1472 (v. st.), Louis XI partit du Plessis-lès-Tours,
« à privée compaignie, » pour s'en aller à Bordeaux et à
Bayonne, et, afin de ne point être suivi, il fit tenir toutes les
portes de Tours fermées jusqu'à dix heures, rompit un pont
par où il avait passé et donna ordre à M. de Gaucourt, capi-
taine des gentilshommes de sa maison, de demeurer en
arrière afin de veiller à ce que personne n'allât après lui*.
i. Ci-après, à la date.
INTRODUCTION. Xvîj
— Le fait est curieux, mais voici que M. Quicherat découvre
qu'il s'est passé, non pas au mois de mars 1473, mais au
mois de mars de l'année 1462, car 1° Ghastellain le conte à
cette dernière date, 2" le recueil des ordonnances (t. XVII)
indique que Louis XI tenait conseil à Tours le 29 mars et
qu'il passa tout le mois suivant entre Tours et Poitiers.
Sur le premier point la réponse est aisée. De ce que
Louis XI prit incognito la route du Midi en 1462, « habillé
de gros drap gris, rudement, en manière de pèlerin, une
grosse rude paternostre pendue au col*, » s'ensuit-il qu'en
1472 il ne recommença pas l'excursion en de pareilles con-
ditions? On sait de reste qu'à diverses reprises, pour échap-
per aux fâcheux ou pour mieux garder le secret d'une expé-
dition dont l'objet était politique, le roi Louis dissimula ses
allées et venues, et cela pendant plusieurs jours. L'autre
argument, tiré delà date fournie par des ordonnances incon-
testées, serait irréfutable s'il n'était notoire que l'indication,
au bas d'un document de ce genre, du lieu où il a été rédigé
indique que le Conseil et la chancellerie royale séjournaient
en cet endroit à telle date, mais n'entraîne pas forcément la
présence du roi en personne. Or, l'Itinéraire de Louis XP
nous montre ce prince en route pour le Midi dès la moitié du
mois de mars 1473. Sa présence est signalée à Bordeaux le
24 du même mois et un peu plus tard à Notre-Dame-de-
Soulac en Médoc. Et, si l'on doutait de l'exactitude de l'Iti-
néraire, qu'on ouvre le tome III de l'édition Lenglet des
Mémoires de Commynes, et l'on y trouvera la preuve que
1. Chronique de Ghastellain, édition Kervyn 4e Lettenhove.
Bruxelles, 1864, in-S», t. IV, p. 196.
2. Ce précieux travail, entrepris par M"e Dupont pour l'édition
des Lettres de Louis XI, nous a été obligeamment communiqué
par M. Vaesen, que la Société de l'histoire de France a chargé
de cette pubUcation, actuellement en cours.
I 2
xviij INTRODUCTION.
c'est la Scandaleuse qui a raison contre Quicherat. En effet,
le vendredi soir 9 avril 1473 (et non 1472, comme le veut
Lenglet, car en 1472 le 9 avril tomba un jeudi), le chan-
celier d'Oriole écrit à l'êvêque de Léon, alors à Bruxelles
pour conclure une trêve entre le roi et le duc de Bourgogne,
que Louis XI est « allé en son veage » et que sa chancelle-
rie ne l'a pas accompagnée Quelques jours plus tard, le
13 avril, c'est le comte de Saint-Pol qui écrit de Laon au
même évêque de Léon : « Vous avez sceu que le roy est tiré
à Bayonne*. » Il est inutile de pousser plus loin la démons-
tration ; aussi bien paraît-il presque certain que ni l'abbé
Lebeuf ni Quicherat n'ont consulté de la Scandaleuse ni les
manuscrits ni l'édition originale. Il y a mieux : ils ne se sont
point aperçus que les deux premières éditions des Chroniques
de Saint-Denis, celle de Pasquier Bonhomme, parue en 1486,
et celle de Vérard, imprimée en 1493^, les deux seules que
le compilateur de la Martinienne aurait pu connaître, ne
contiennent la mention d'aucun fait postérieur à la mort de
Charles VII. C'est dans l'édition de 1514'' que pour la pre-
mière fois la narration est poursuivie jusqu'en 1513. Il y a
donc bien eu emprunt, mais c'est l'éditeur de la compila-
tion pseudo-officielle qui a pillé la Scandaleuse et non pas,
comme on l'a dit, le rédacteur de cette dernière chronique
qui s'est approprié le texte de celle dite de Saint-Denis.
IV.
Si la Chronique de Louis XI est, comme tout l'indique,
1. P. 184.
2. P. 186.
3. Voir G. Brunet, la Finance liUéraire au XV^ siècle, etc., p. 4G.
h. 3 vol. in-folio gothique.
INTRODUCTION. xix
une œuvre originale S il est intéressant d'en rechercher
l'auteur 2. Ici encore, nous rencontrons M. Vitu, non plus
en allié, mais en adversaire. Recueillons d'abord les opi-
nions des anciens. La première édition, celle qui parut
avant 1500, ne porte pas de nom d'auteur. La seconde,
celle de la Martinienne^, paraît attribuer la paternité de
la Chronique à Jean Castel, qui fut, on l'a dit plus haut,
chroniqueur de France de 1461 à 1476 et eut pour suc-
cesseur, après sa mort, survenue au mois de février de cette
dernière année, frère Mathieu Lebrun. Il n'y a point à
s'arrêter à cette attribution, qui, si elle était acceptée,
équivaudrait à reconnaître dans la Scandaleuse une simple
copie de la Chronique officielle de Louis XL — En tête de
l'édition de 1558, pas de nom d'auteur, mais, dès 1583, on
voit le Trésor des Histoires , composé par l'écri vain-
libraire Gilles Corrozet (1510-1568) et édité par son fils
Galliot, attribuer sans autre explication la Chronique de
Louis XI à Jean de Troyes. L'année suivante, Jean de
Troyes, devenu un «historien français du temps de Louis XI, »
avait les honneurs d'un article dans la Bibliothèque fran-
çoise de La Croix du Maine, et dès lors sa fortune était
faite. D'autres, cependant, l'éditeur de 1611 et celui de 1620,
se bornèrent à donner pour auteur à la Chronique « un
1. A la réserve de quelques passages (voir par exemple le récit
de la bataille de Nancy), qui semblent bien être la reproduction
de certaines relations qui eurent cours à Paris à l'époque.
2. Les conclusions qui vont être présentées au lecteur ont été
formulées par nous dans la Bibliothèque de l'École des chartes,
année 1891, {""^ et 2« livr., p. 130 et suiv.
3. « Le second de la Martiniane, qui suyt selon les dactes des
temps des croniques de France selon le croniqueur Castel et ni07iseig'
Gaguin, gênerai des Mathurins de l'ordre de la Trinité, et plusieurs
autres croniqueurs. Et finissent lesdictes croniques là où ledit Gaguin
a fine de sa croniqice derreniere jusques à l'an mil cinq cens, »
XX INTRODUCTION.
greflBer de l'hostel de ville de Paris, » et le Père Lelong,
rappelant le nom de Jean de Troyes dans sa Bibliothèque
historique de la France (1719, in-fol.), ajoute : « D'autres
nomment cet auteur Denis Hesselin . »
De nos jours, et jusqu'à ce que M. Vitu se fut donné la
peine d'instruire la cause à nouveau, on peut dire que Jean
de Troyes a régné sans contestation sur la Scandaleuse, et
c'est à peine si, actuellement encore, les érudits les mieux
renseignés abandonnent ce personnage fabuleux. Dans une
notice d'allure très vive, presque belliqueuse, Aug. Vitu a
présenté au public savant un candidat différent, Denis Hes-
selin, qui, pour n'être pas de son invention, possédait sur
Jean de Troyes l'inestimable avantage d'avoir existé sous
Louis XI, d'avoir été greffier de l'hôtel de ville de Paris,
d'avoir enfin été fréquemment mis en scène par la Chronique
Scandaleuse.
Pour écarter Jean de Troyes, M. Vitu a commencé par
rechercher si les documents du xv^ siècle fournissaient un
personnage de ce nom, et il a constaté qu'à Paris, après
deux conseillers au parlement nommés Jean de Troyes qui
vivaient au xm® siècle, on retrouve un échevin de ce nom
en 1411, lequel fut capitaine de la Conciergerie et, fervent
Bourguignon, fut proscrit en 1413, déjà âgé, lors de la
rentrée des Armagnacs à Paris. Enfin, M. Vitu a découvert
deux autres Jean de Troyes, l'un bourgeois de Paris, cité
dans les registres du Parlement à la date du 15 décembre
1436, l'autre qui fut procureur au Châtelet en 1454*.
Nous avouons que, si nous n'avions d'autres raisons à
opposer, ce dernier Jean de Troyes nous eût paru digne
d'être discuté. M. Vitu n'en a pas jugé ainsi : il lui fallait
un greffier, et il s'est borné à constater que la liste de ceux
1. Vitu, ouvr. cité, p. 20-27.
INTRODUCTION. xxj
de l'hôtel de ville, telle qu'il l'a rectifiée et complétée, ne
porte le nom d'aucun De Troyes, mais bien celui de Denis
Hesselin. Elu de Paris dès 1456 au moins S prévôt des mar-
chands de 1470 à 1474, après cela clerc-grefïier de la ville
à la place de Jean Luillier, fonctions qu'il conserva jusqu'à
l'an 1500, ce « grand bourgeois » fut un serviteur très
empressé de Louis XI, dont il possédait la confiance. La
Chronique le cite souvent, lui et ceux qui avaient avec lui
des liens de parenté, toujours avec éloge; M. Vitu en a
fait la remarque, de même qu'il a observé que la Chronique
passe sous silence certains faits révélés par l'Interpolée et
qui sont moins à l'honneur d'Hesselin ; il a noté enfin que,
dès que ce personnage a quitté la prévôté des marchands, le
titulaire de cette charge n'est plus nominativement désigné
dans la Chronique.
Toutes ces raisons sont bonnes assurément, mais M. Vitu
n'eût pas été aussi certain de son fait, s'il avait pris la peine
d'examiner les manuscrits. Il en est un, le ms. fr. 2889,
qui ne lui eût rien appris quant à la personnalité du « fai-
tiste » de la Scandaleuse, mais il en va tout autrement du
ms. fr. 5062, auquel le titre peu précis qu'il porte au cata-
logue de la Bibliothèque a valu peut-être de passer plus ina-
perçu. On a vu plus haut que dans ce manuscrit la relation
s'arrête au mois de mars 1478 (v. st.), mais ce n'est point
à l'insu de celui qui a tracé de sa main au moins le dernier
feuillet du volume, car il l'a terminé par ces mots : « Expli-
cit ce présent petit volume qui parle seulement depuis l'an
de grâce M CCCC LX jusques en M CCCC LXXIX, » et il a
signé J. DE RoYE, non sans accompagner ce nom d'un parafe
notarial.
Ou nous nous trompons fort, ou voilà l'origine du trop
1. Arch. nat., Obituaire de la grande confrérie aux bourgeois.
xxij INTRODUCTION.
célèbre Jean de Troyes, né soit de quelque confusion de GiUes
ou de Galliot Corrozet, soit d'une erreur typographique d'un
prête du xvx" siècle.
Reste à éclaircir le point le plus intéressant. Ce J. de
Roye a-t-il rédigé la Scandaleuse? Voyons d'abord ce qu'il
était. Nos renseignements sont peu nombreux, sans doute,
mais ils sont suffisamment précis pour qu'il soit possible de
déterminer l'identité du personnage. En premier lieu, ce De
Roye, qui s'appelait Jean, ainsi que la Chronique elle-
même nous l'apprend, dans un passage que nous citerons
tout à l'heure et qui est le seul où il soit nommé , ce De
Roye appartenait à une famille de bourgeoisie parisienne
qui ne paraît avoir eu rien de commun avec celle des sei-
gneurs de Roye, célèbre dans les fastes militaires du moyen
âge'. Jean de Roye était pourvu, dès le commencement du
règne de Louis XI, d'une charge de notaire au Châtelet,
ainsi que l'atteste un acte dressé par lui et signé de sa main
exactement de la même façon que le ms. fr. 5062^. Cet acte,
qui porte la date du 30 mars 1462, v. st., concerne précisé-
ment deux personnages qui sont mentionnés dans la Chro-
nique, Jean Baillet, conseiller et maître des requêtes de
l'hôtel, et Pierre L'Orfèvre, écuyer, seigneur d'Ermenon-
ville, conseiller et maître des Comptes^. Un autre acte, qui
ofifre cette particularité intéressante qu'il est entièrement
1. Rien d'impossible, par contre, à ce qu'il appartînt à la famille
de Pierre de Roye, conseiller au parlement de Paris (Arch. nat.,
X<=> 19, fol. 13, à la date du 5 février 1364).
2. Ces fonctions le mirent en rapports fréquents avec bien des
familles parisiennes dont il cite les divers membres. Les Hesse-
lin, leurs parents et alliés étaient sans doute ses clients, d'où la
mention fréquente de leurs noms dans la Chronique.
3. Bibl. nat., Pièces orig., vol. 1747, dossier L'Orfèvre, n» 18;
orig. sur parch.
INTRODUCTION. xxiij
écrit et signé de la main de Jean de Roye, existe en double
exemplaire aux Archives nationales. C'est une expédition
colla tionnée d'un vidimus délivré le 9 août 1466 par le pré-
vôt de Paris, Robert d'Estouteville, un protecteur du chro-
niqueur, de certaines lettres patentes délivrées à Montargis
au mois de juillet précédent, en confirmation d'autres lettres
du mois de novembre 1465 par lesquelles Louis XI étendait
les privOèges du duc de Bourbon*.
En 1469, Jean de Roye fut commis avec un de ses col-
lègues, Henri leWast, à dresser l'inventaire des biens trou-
vés en la ville de Paris qui appartenaient au cardinal Balue
et à prendre note des dépositions des témoins que les com-
missaires désignés pour instruire le procès de l' ex-favori du
roi jugeraient à propos d'interroger. Rien d'étonnant après
cela si la chronique est si minutieusement informée de la
distribution qui fut faite des biens de Jean Balue 2.
Jean de Roye était donc l'un des soixante notaires auChâ-
telet de Paris, mais ce n'est pas le seul office qu'U détenait. Il
portait encore le titre de secrétaire du duc de Bourbon , Jean II ,
et exerçait les fonctions de concierge de l'hôtel de Bourbon à
Paris. On sait que cette somptueuse demeure, une des plus
magnifiques du vieux Paris, reconstruite et augmentée à la
fin du xrv^ siècle par le duc Louis II, occupait sur la rive
droite de la Seine l'espace compris entre la colonnade actuelle
du Louvre et le cloître Saint-Germain-l'Auxerrois. L'hôtel
servait de résidence au duc de Bourbonnais et à sa famille
lorsqu'ils séjournaient à Paris, et il est certain que la place
de concierge ou de garde de cet édifice était un poste de
1. Arch. nat., P 1371, cote 1948. Parch. jadis scellé.
2. Compte de Jean de Beaune des deniers provenant de la confisca-
tion du cardinal d'Angers. Bibl. nat., ms. fr. 4487, fol. 54; orig.,
parch.
xxiv INTRODUCTION.
grande confiance. Jean de Roye y fut installé sans doute
après la guerre du Bien public, car les sentiments décidé-
ment royalistes qu'il exprime en narrant les événements de
1465 ne permettent pas de supposer qu'il fût à cette époque
au service d'un des chefs de la rébellion. Dès 1466, au con-
traire, tout l'indique dans son récit, et les noms des divers
membres de la maison de Bourbon ne sont enregistrés qu'avec
respect, parfois avec vénération. Il y a longtemps que le
Père Lelong, frappé du fait, émettait, dans sa Bibliothèque
historique de la France, l'opinion que l'auteur de la Chro-
nique « devait être un officier de la maison de Bourbon, »
et M. Vitu lui-même n'a pu s'empêcher de signaler cette
opinion, mais en la combattant par la raison que l'ensemble
de l'œuvre ne permet pas de supposer que le chroniqueur ait
quitté Paris. Cet argument n'est pas applicable au garde de
l'hôtel de Bourbon.
C'est Jean de Roye lui-même qui a pris soin de nous dire
quelles étaient ses fonctions, à l'occasion d'une fête que le
cardinal-archevêque de Lyon, Charles de Bourbon, frère du
duc Jean II, donna à l'hôtel au mois de mars 1478, après
Quasimodo. Le galant prélat, un des serviteurs préférés de
Louis XI, et qui, bien plus souvent que son frère, résidait à
Paris, offrait un souper à la duchesse douairière d'Orléans,
Marie de Clèves, à son fils le duc Louis et à d'autres grands
personnages. Le repas, somptueusement servi, réunit la
noble compagnie dans la fameuse galerie dorée, mais
]y[me (jg Narbonne, Marie d'Orléans, « alors fort grosse, »
son mari, Jean de Foix, et six de leurs intimes soupèrent
en une chambre basse, « au logis de Jehan de Roye, secré-
taire de Mons. le duc de Bourbon et garde dudit hôtel de
Bourbon. » Cet hôtel, qui était un peu sa chose, le chroni-
queur l'a nommé encore à d'autres reprises. C'est là que fut
INTRODUCTION. XXV
célébrée, le 4 septembre 1467, la fête des noces de Nicole
Balue, frère du cardinal, avec la fille de Jean Bureau, sei-
gneur de Montglat, fête que le roi, la reine, le duc et la
duchesse de Bourbon honorèrent de leur présence. C'est là
encore que, le 12 septembre 1480, Julien de la Rovère, car-
dinal de Saint-Pierre-ès-Liens, légat du pape, dîna et soupa
avec le cardinal de Bourbon. C'est là enfin qu'au mois de
janvier 1482, pour célébrer la paix conclue entre Louis XI
et Maximilien et pour faire honneur aux ambassadeurs fla-
mands, le même Charles de Bourbon fit représenter « une
moult belle moralité, sottie et farce, où moult de gens de la
ville alerent pour les voir jouer, qui moult prisèrent ce qui y
fut fait; » et le chroniqueur d'ajouter, avec un soupir de
regret, « que les choses eussent esté plus triumphantes se
n'eust esté le temps qui moult fut pluvieux et mal advenant
pour la belle tapisserie et le grand appareil fait en la cour
dudit hostel, laquelle cour fut toute tendue de la tapisserie
de mondit seigneurie cardinal, dont il en avoit grand quan-
tité et de belle. »
Dans le cours de son récit, Jean de Roye fait une mention
fréquente des faits et gestes du duc de Bourbon et du cardi-
nal son frère. Jean II est nommé plus de quarante fois,
Charles de Bourbon à vingt reprises différentes. Comme l'a
remarqué M. Vitu, « de tous les promoteurs de la guerre
du Bien public, le duc de Bourbon est le seul que le chroni-
queur ménage. » Après cette époque, Mgr et M""* de Bourbon
sont toujours cités très respectueusement après le roi et la
reine. La mort d'Agnès de Bourgogne, veuve du duc Charles
de Bourbon, au mois de décembre 1476, est l'occasion que
saisit Jean de Roye d'énumérer fort exactement les enfants
issus de cette union et encore vivants à cette date. C'est une
marque de préférence qu'il n'a donnée à aucune autre mai-
xxvj INTRODUCTION.
son, et il dit aussi que la défunte duchesse « vesquit sainc-
tement et longuement » et que « son trespas fut fort plaint
et ploré de tous ses enfants, parens, serviteurs et amis et de
tous aultres habitans esdits pays de Bourbonnois et d'Au-
vergne. En benoist repos gise son ame ! »
Plus émue encore est la mention consacrée à celle que le
chroniqueur qualifie « sa très redoubtêe dame très noble,
puissante, saincte et des bonnes vivans l'exemplaire » Jeanne
de France, sœur du roi, épouse de Jean II, duc de Bourbon,
laquelle mourut au mois de mai 1482.
Jean de Roye, c'est lui qui nous l'apprend dans son préam-
bule, avait trente-cinq ans en 1460: il serait donc né vers
1425. A quelle époque mourut-il? quelles furent ses alliances?
laissa-t-il une postérité? On n'en sait rien. Il est probable
qu'il n'existait plus en 1495 , car à cette date un certain
Ambroise de Villiers, écuyer, seigneur dudit lieu, fut pourvu
de la garde de l'hôtel de Bourbon à Paris. Ce personnage,
qui avait été écuyer tranchant du duc Jean II, puis capitaine
de la ville et du château de Thizy (1" déc. 1488), résigna
ces fonctions à la fin de 1495 ou au commencement de 1496
pour prendre possession à Paris de la conciergerie de l'hôtel
de Bourbon. Or, il est dit que sa femme se nommait Perrette
de Roye^ Les chances ne sont-elles pas pour que cette Per-
rette fût la fille de notre chroniqueur?
On a observé que la Chronique Scandaleuse, assez indif-
férente pour la dernière année du règne de Charles VII,
1. « Provision de concierge de l'hôtel de Bourbon à Paris en
faveur de maistre Jehan de Colonges, seigneur de la Motte, con-
seiller et maître des requêtes de M™» la duchesse, pour se pouvoir
loger commodément à Paris, que souloit tenir feu Ambrois de
Villiers et Perrette de Roye, sa femme. A Montbrison, pénultième
février 1503 » {Extraits de titres de la Gliambre des comptes de Mou-
lins.Wa\. nat., ms. fr. 22299, vol. I, fol. 195. Cf. fol. 128).
INTRODUCTION. xxvij
est absolument nulle pour les années 1462 et 1463. Le
chroniqueur se borne à dire que, pendant cette période, « ne
survint riens que doye estre mis en grant mémoire, » Qui-
cherat, qui voyait dans la Scandaleuse une rédaction faite
sur les notes de Jean Castel, donne pour raison au silence
de la Chronique les pérégrinations que Castel entreprit à
cette époque à la suite de Louis XL Mais que penser d'un
historiographe officiel qui aurait omis de garder mention de
ces événements d'importance capitale, l'acquisition du Rous-
sillon et de la Cerdagne, la guerre de Catalogne et surtout le
rachat des villes de la Somme? Inexplicable est bien aussi,
il faut le dire, le silence de Jean de Roye sur des faits dont le
dernier fut l'occasion d'emprunts considérables effectués au
greffe du Parlement et dans les caisses particulières des
membres de la bourgeoisie de Paris. Comment n'a-t-il pas
conservé le souvenir de cet acte despotique, qui fit grand
bruit à l'époque? C'est un mystère que l'absence de tout
renseignement sur la vie de Jean de Roye, pendant les
années 1462 et 1463, ne permet pas d'éclaircir. Avec les
années 1464 et 1465 surtout, la Chronique devient extrême-
ment détaillée et prend les allures d'un journal tenu au jour
le jour. L'auteur fréquentait certainement l'hôtel du prévôt
de Paris, Robert d'Estouteville, où l'intelligence et les grâces
de M"*^ d'Estouteville, Ambroise de Loré, réunissaient tout ce
que Paris contenait de personnages d'importance ' ; il était
donc en mesure d'être très exactement informé de ce qui se
passait soit en Bourbonnais pendant la triomphante cam-
pagne de Louis XI, soit à Paris durant les longues et moins
brillantes journées de cette guerre de mesquines intrigues,
1. Il faut noter que le chroniqueur officiel Jean Castel était,
lui aussi, l'un des familiers de la maison d'Estouteville et qu'as-
surément des relations ont dû exister entre Jean de Roye et lui.
1
xxviij INTRODUCTION.
qui se poursuivit au dedans comme au dehors des murs de
la grande ville pendant l'automne de la néfaste année du
Bien public.
Le plus ancien manuscrit de la Scandaleuse, celui que
Jean de Roye a signé, s'arrête, on l'a déjà dit, à la date de
Pâques 1479. Ceux-là mêmes qui n'ont pas connu les
manuscrits ont observé qu'après l'année 1477, et jusqu'à la
fin, le récit du chroniqueur devient moins détaillé et prend
une allure beaucoup plus rapide*. C'est une remarque juste,
surtout si on substitue la date de 1479 à celle de 1477;
mais ce qui est également facile à constater, c'est qu'à
partir de cette année 1479 les jugements du chroniqueur
sur les actions de Louis XI et de ses agents deviennent plus
sévères. Aux éloges des précédentes années succède une
réserve dont les motifs sont aisément pénétrables pour qui
veut bien se souvenir qu'à la suite des révélations plus ou
moins sincères du duc de Nemours, Louis XI conçut de ter-
ribles soupçons contre le duc de Bourbon, et que le cardinal
son frère, jusque-là un des favoris du roi, dut quitter Paris
pour un temps, complètement disgracié, tandis que les offi-
ciers de Jean II, poursuivis devant le Parlement pour avoir
empiété sur les droits du roi, étaient emprisonnés, soumis à
de sévères interrogatoires et finalement relâchés. Il ne serait
pas surprenant que, dans ces circonstances, Jean de Roye
eût interrompu son œuvre pour ne la reprendre et la com-
pléter qu'après la mort de Louis XL Ceci expliquerait la
Voir les vers adressés par Castel à Gh. de Gaucourt, au nom du
prévôt de Paris, en mars 1465, v. st. :
« Cent mille fois, monseigneur le prevost
D'Estouteville a vous se recommande, etc. »
(Quicherat, Recherches sur Jean Castel, dans la Bibl. de l'École
des chartes, {"> série, t. II.)
\. Vitu, ouvr. cité, p. 37.
INTRODUCTION. xxix
rapidité avec laquelle la Chronique, remplie auparavant
de détails sur les événements parisiens, résume les dernières
années du règne.
Concluons donc que la Chronique Scandaleuse est l'œuvre
d'un notaire parisien nommé Jean de Roye, secrétaire du
duc de Bourbonnais Jean II et garde de l'hôtel de Bourbon
à Paris. La Scandaleuse n'est pas, comme on l'a dit, une
réédition de la Chronique officielle du règne de Louis XI,
mais une œuvre originale et personnelle, dont le contenu a
été au contraire reproduit parfois textuellement par ceux
qui ont écrit l'histoire de cette époque ' et par les compila-
teurs qui, au xvi^ siècle, travaillèrent à la continuation des
Grandes Chroniques de France.
Nous adressons, en terminant cette trop longue préface,
de sincères remerciements à ceux qui ont bien voulu nous
assister dans les recherches qu'a nécessitées l'annotation de
la Chronique. Nous sommes particulièrement reconnaissant
à nos confrères MM. Vaesen et Spont, qui ont mis à notre
service les trésors de leur érudition et nous ont libérale-
ment communiqué des renseignements sur une époque de
l'histoire nationale qu'ils possèdent mieux que personne.
1. Cf. particulièrement le Compendium supra Francorum gestis,
de Robert Gaguin, 1497, in-4o.
JOURNAL DE JEAN DE ROYE
CONNU SOUS LE NOM DE
CHRONIQUE SCANDALEUSE
1460-1483.
A l'onneur et louange de Dieu, nostre doulx saulveur
et rédempteur, et de la benoiste, glorieuse vierge et
pucelle Marie, sa mère, sans le moyen desquelz nulles
bonnes euvres ou operacions ne pevent estre con-
duictes; et pour ce aussy que plusieurs roys, princes,
contes, barons, prelatz, nobles hommes, gens d'église
et aultre populaire se sont souvent delictez et delic-
tent à ouyr et escouter des hystoires merveilleuses et
choses advenues en divers lieux, tant de ce royaulme
que d'aultres royaulmes christiens, au trente cinc-
quiesme an de mon aaige me delectay, en heu de passe
temps et d'eschever oysiveté, à escripre et faire
mémoire de plusieurs choses advenues au royaulme
de France et aultres royaulmes voisins, ainsy qu'il
m'en est peu souvenir, et mesmement depuis l'an mil
quatre cens soixante que regnoit à roy de France
Charles, septiesme de ce nom, jusques au trespas du
roy Loys, unziesme de ce nom, filz du dit roy Charles,
qui fut le penultime jour du mois d'aoust mil quatre
2 JOURNAL DE JEAN DE ROYE
cens quatre vingtz et troys, combien que je ne vueil
ne n'entens point les choses cy après escriptes estre
appellées, dictes ou nommées Groniques, pour ce que
à moy n'appartient, et que pour ce fayre n'ay pas esté
ordonné et ne m'a esté permys, mais seulement pour
donner aucun petit passe temps aux lisans, regardans
ou escoutans icelles, en leur priant humblement excu-
ser et supployer à mon ignorance et adresser ce qui
y seroyt mal mis ou escript ; car plusieurs desdictes
choses et merveilles sont advenues en tant de diver-
sitez et façons estranges que moult pénible chose
auroit esté à moy ou aultre de bien au vray et au long
escripre la vérité des choses advenues durant ledit
temps ^.
1. Interpolations et Variantes, § i. — Il est manifeste que la
rédaction de ce prologue est postérieure à la mort de Louis XI.
Donc, il n'a jamais figuré en tête du ms. fr. 5602, actuelle-
ment dépouillé d'ailleurs de ses deux premiers feuillets. A-t-il
été transcrit au commencement du ms. fr. 2889? On ne peut
le savoir, car ce manuscrit, plus maltraité encore que son
aîné, débute seulement avec l'entrée du roi Louis XI à Paris.
Le texte reproduit ici est celui fourni par l'édition gothique.
Hors un renseignement sur l'âge du chroniqueur, ce prologue ne
contient rien d'original. Les idées qu'il exprime se retrouvent
dans la plupart des préambules des mémoires ou chroniques de
l'époque, depuis le Miroir historial de Vincent de Beauvais, dont
la traduction française par Jean de Vignay (Bibl. nat., ms, fr. 50)
fut imprimée pour Vérard en 1495, jusqu'à Olivier de la Marche.
0 Pour ce que oiseuse est chose nuisant et commancement et
atrait de tous vices selon ce que sainct Jeroisme tesmoingne..., »
écrit frère Vincent; et le chroniqueur bourguignon, qui rédigeait
sa préface vers 1472 ou 1473 : « Ayant de présent en souvenance
ce que dit le saige Socrates que oysiveté est le délicieux lict et la
couche où toutes vertus s'oublient et s'endorment... je doncques...
ay emprins, etc. » Et, plus loin : « Et n'entens pas que ceste ma
petite et mal acoustrée labeur se doibve appeler ou mettre ou
nombre des cronicques. » Enfin, Olivier termine aussi par le vœu
1460] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 3
Et premièrement, touchant le fait et utilité de la
terre durant ladicte année mil quatre cens soixante,
au regart et en tant que touche le terrouer et fînaige
du royaulme de France, il y creust compettamment
de blez, qui furent bons et de garde ; et n'en fut point
vendu, au plus chier temps de ladicte année, que vingt
quatre solz parisis le septier, mais il n'y creust que
bien peu de fruict. Et, au fait des vignes, il y eut bien
peu de vin, et par especial en l'Isle de France, comme
d'ung muy de vin pour chascun arpent, mais il fut
bien bon ; et se vendit chier le vin creu es bons ter-
rouers d'entour Paris, comme de dix à unze escus
chascun muy^.
En ce temps fut faite justice et grande execucion
audit heu de Paris de plusieurs povres et indigentes
créatures, comme de larrons, sacrilèges, pipeurs et
crocheteurs. Et pour lesdis cas plusieurs en furent
batus au cul de la charette, pour leurs jeunes aages et
premier méfait, et les aultres, pour leur mauvaise
« que les lisans et oyans suppleront mes faultes, agréeront mon
bon vouloir et prendront plaisir et delect de ouyr et savoir plu-
sieurs noi)les, belles et solempnelles choses advenues de mon
temps et dont je parle par veoir, non pas par ouy dire » (éd. Beaune
et d'Arbaumont (Soc. de l'hist. de France), t. I, p. 183-187).
1. Il en fut de même dans le Nord [Mémoires de Jacques du
Clercq, éd. Reiffenberg. Bruxelles, 1823, 4 vol. in-8o, t. III,
p. 27 et 92) et en Normandie. Les Rouennais adressèrent au
Conseil du roi des représentations pour que l'exportation des blés
fùl interdite, considérant que, dès le mois d'août, il ne restait
plus rien de la récolte précédente et que les céréales avaient été
cette année rentrées dans de fâcheuses conditions. Il était à
craindre aussi que vins, cidres et poirés ne fussent peu abon-
dants, ce qui augmenterait la consommation de la bière et de la
cervoise, boissons qui se fabriquaient avec du grain (Reg. des
délibérations de l'hôtel de ville de Rouen, A^, fol. 181).
I 3
4 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1460
coutume et perseverence, furent penduz et estranglez
au gibet de Paris, nommé Montigny, nouvelle[ment]
créé et estably pour la grant vieillesse, ruyne et déca-
dence du précèdent et ancien gibet, nommé Mont-
faucon ' .
Audit temps fut fait mourir et enfoye toute vive,
audit lieu de Paris, une femme nommé Perrette Man-
ger, pour occasion de ce jque ladicte Perrette avoit
fait et commis pluseurs larrecins, et en ce faisant par
long temps continué, et aussy favourisé et recellé plu-
sieurs larrons, qui aussy faisoient et commettoient
plusieurs et divers larrecins audit lieu de Paris; les-
quelz larrecins pour lesditz larrons vendoit et distri-
buoit, et l'argent que de ce elle recepvoit, en bailloit
et delivroit ausditz larrons leur portion, et pour elle
en retenoit son butin. Pour lesquelz cas et aultres
par elle confessez fut condempnée par sentence don-
née du prevost de Paris, nommé messire Robert d'Es-
touteville, chevalier-, à souffrir mort et estre enfouye
toute vive devant le gibet, et tous ses biens acquis et
1. Le gibet neuf de Montigny, élevé vers 1457, n'était pas éloi-
gné de celui de Montfaucon, lequel datait du sin« siècle et se dres-
sait en dehors de l'enceinte de Paris, entre les portes Saint-Martin
et du Temple (voir le plan de Paris, dit de la Tapisserie, et Lon-
gnon, OEuvres de Villon. Paris, 1891, in-8*, p. xxu).
2. Robert d'Estouteville fut armé chevalier par Charles VII en
1441, après la prise de Pontoise (Beaucourt, Hist. de Charles Vil,
t. III, p. 192). Seigneur de Beynes, baron d'Ivry et de Saint-
André en la Marche, conseiller et chambellan du roi et garde
de la prévôté de Paris, il succéda dans ce poste important à son
beau-père Ambroise de Loré (1447). Robert d'Estouteville, desti-
tué par Louis XI dès son avènement au trône, fut rétabli en 1465
et exerça l'ofhce de prévôt de Paris jusqu'à sa mort, survenue
au mois de juin 1479 (voir ci-après).
1460] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 5
confisquez au roy. De laquelle sentence et jugement
elle appella formellement en la cour de Parlement;
pour révérence duquel appel fut différé à exécuter.
Et après que par ladicte court le procès d'icelle eut
esté veu et visité fut dit, par arrest d'icelle et en con-
fermant ladicte sentence, que ladicte Perrette avoit
mal appelle et l'amenderoit, et que ladicte sentence
seroit exécutée^; ce qui fut dit à icelle Perrette, laquelle
declaira lors qu'elle estoit grosse : par quoy fut dere-
chief différé de l'exécuter et fut fait visiter par ven-
trières et matrosnes qui rapportèrent à justice qu'elle
n'estoit point grosse. Et incontinent ledit raport fait,
fut envoyée exécuter aux champs devant ledit gibet
par Henry Cousin-, exécuteur de la haulte justice audit
lieu de Paris.
Merveilles advenues au royaulme d'Angleterre
en ladicte année^.
En ce temps passa la mer en Angleterre ung légat
de Romme, légat de par le pape^, qui illec prescha le
1. Arrêt du 21 novembre 1460 (Arch. nat., X^a 3i^ fol. l).
2. Il exerça ces fonctions au moins jusqu'en 1478 (voir ci-après,
à cette date, et Longnon, Villon, p. 91).
3. Ce titre est reproduit par respect pour le texte de l'édition
gothique, mais il est douteux qu'il figurât dans les manuscrits.
Le paragraphe tout entier, relatif aux affaires d'Angleterre, a été
imprimé par Deuys Godefroy et reproduit par "Vallet de Viriville
à la fin de leurs éditions de {'Histoire de Charles VII de Jean
Ghartier (Paris, 1661, in-fol., et 1858-59, 3 vol. in-16, t. m, p. 121-
124). Vallet de Viriville observe que ce chapitre, qui suit le récit
des funérailles de Charles VII, manque dans la plupart des exem-
plaires de la chronique de J. Ghartier, et il nous semble fort dou-
teux que la rédaction en appartienne à l'historiographe de
Gharles VU.
4. François Goppini, évêque de Terni, chargé par le pape Pie II
6 JOURN.VL DE JEAN DE ROYE [1460
peuple du pays et par especial en la ville de Londres,
maistresse ville dudit royaulme, là où il fist plusieurs
remonstrances aux habitans dudit lieu et autres d'en-
viron, contre et au préjudice du roy Henry d'Angle-
terre; lesquelles remonstrances le cardinal d'York'',
qui acompaignoit ledit légat, après ladicte exposition
par luy, exposa en leur langage. Et tantost après
ladicte exposition faicte, ledit peuple, qui estoit de
legiere créance, se esmeut pour faire guerre à ren-
contre dudit roy Henry de Lancastre et de la royne
sa femme, fille du roy René de Cecille et de Jherusa-
lem, et du prince de Galle, leur fîlz^. Et print le dit
populaire pour leur capitaine le comte de Warwyk^,
de travailler à la réconciliation des partis en Angleterre et de
prêcher la croisade contre le Turc, fit dès l'abord cause commune
avec la maison d'York. Le 26 jum 1460, le légat s'embarqua à
Calais avec les comtes de March, de Salisbury et de Warwick,
fugitifs depuis l'insuccès de leur précédente rébellion, et, après
leur entrée triomphale dans Londres, il continua à poursuivre
activement le succès de leur cause. Rappelé par le pape, Goppini
fut privé de l'épiscopat (Beaucourt, Charles VII, VI, 290 et 324, et
R. Brown, Calendar of stale papers, etc., existing in the Archives...
of Veiiice and other libraries of Northern Italy, in-8', t. I, p. 89
et suiv.).
1. WiUiam Booth ou Bothe, archevêque d'York dès 1452, mou-
rut en 1464 (Chronique de Jean de Wavrin, pubUée par M"« Dupont
(Soc. de l'hist. de France), t. II, p. 270).
2. Henri VI de Lancastre, fils de Henri V, roi d'Angleterre, et
de Catherine de France, né le 6 décembre 1421, roi d'Angleterre
le 1" septembre 1422, couronné à Londres le 6 novembre 1429,
épousa Marguerite d'Anjou au mois d'avril 1445 et fut mis à
mort le 21 mai 1471. Son fils Edouard, prince de Galles, fut tué
quelques jours plus tôt, après la bataille de Tewkesbury (4 mai
1471).
3. Richard Nevill, le faiseur de rois, était fils de Richard, comte
de Westmoreland et de Salisbury. Il épousa Anne Beauchamp,
1460] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 7
qui estoyt capitaine de Calais, pour et au lieu de
Richard, duc d'York, qui vouloit et pretendoit à estre
roy dudit royaulme, qui maintenoit à luy duyre et
competter ledit royaulme d'Angleterre comme prou-
chain héritier de la lignée et du cousté du roy Richard^.
Et peu de temps^ après, ledit duc d'York, qui avoit
après lui grant nombre de populaire en armes, se
mirent aux champs et vindrent en ung parc où estoit
ilecques ledit roy Henry avecques plusieurs ducs,
princes et autres seigneurs, aussi tous en armes. Et
ouquel parc y avoit huit entrées qui estoient gardées
par huit barons dudit royaume, qui tous estoient
traistres audit roy Henry. Lesquelz huit barons, quant
ilz sceurent venir ledit duc d'York devers ledit parc,
le laissèrent entrer en icellui avecques le conte de
Warwyk et autres, qui vindrent tout droit où estoit
ledit roy Henry, lequel ilz prindrent et saisirent^. Et
fille du comte de Warwick, Richard, et fut tué à Barnet le
14 avril 1471.
1. G'est-à-dire du roi Richard II, fils d'Edouard, le prince Noir,
mort eu 1376, et petit-fils d'Edouard III (1327-1377), auquel il
succéda directement. Déposé en 1399, Richard II mourut peu
après sans postérité et fut remplacé par son cousin Henri IV
(1399-1413), fils de Jean de Gand, quatrième fils d'Edouard III,
lequel avait épousé Blanche de Lancastre. Henri IV eut pour fils
Henri V (1413-1422), auquel succéda Henri VI. D'autre part,
Richard, duc d'York, descendait directement d'Edmond de Lan-
gley, cinquième fils d'Edouard IH, mais il représentait aussi les
droits au trône du troisième fils de ce roi, Lionel, duc de Clarence,
dont l'héritière, Anne Mortimer, avait épousé Richard, comte de
Cambridge, propre fils d'Edmond de Langlcy.
2. Ici débute, en son état actuel, le ms. fr, 5062, dont le texte
sera dans la suite intégralement reproduit.
3. Bataille de Northampton, 10 juillet 1460. Henri VI, à demi
8 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1460
incontinent ce fait, vindrent tuer plusieurs princes
et autres grans seigneurs de son sang qui estoient
autour de lui. Et ces choses faictes, ledit conte de
Warwyk print ledit Henry et l'amena tout droit en la
ville de Londres, et portoit l'espée nue devant ledit
Henry comme son connestable. Et quant icellui roy
Henry de Lencastre fut audit lieu de Londres, il le
mena tout droit devant la tour dudit Londres, dedens
laquelle estoient quatre barons dudit pays pour ledit
Henry, ausquelz lesdits Henry et Warwyk parlèrent
par belles paroles, les tirèrent hors d'icelle tour après
ce qu'ilz leur promisdrent qu'ilz n'aroient nul mal de
leurs personnes et qu'ilz les asseuroient; lesquelz
soubz umbre desdictes promesses, yssirent hors de la
dicte tour. Et, ainsi qu'on menoit lesdiz quatre barons
après lesdiz Henry et Warwyk, pluseurs de ladicte
ville de Londres s'esmeurent et vindrent tuer l'un des
diz quatre barons, nommé le seigneur de Scales, et
lui baillèrent plusieurs cops orbes ^; et le lendemain
ilz firent escarteler lesdiz autres barons devant ladicte
insensé, et le comte de Buckingham, furent, l'un fait prisonnier,
l'autre tué (Jean de Wavrin, t. II, p. 227).
1. C'est-à-dire portés avec des instruments contondants. — En
quittant Londres pour se porter contre les forces du roi Henri de
Lancastre, les Yorkistes avaient laissé le comte de Salisbury,
père du comte de Warwick , devant la Tour de Londres , que
tenait pour Henri VI Antoine Woodville, lord Scales. Il résista
trois semaines, mais, encombrée de réfugiés, la bastille london-
nienne capitula faute de vivres. Scales, auquel on avait promis
la vie sauve, fut mis en une barque pour être conduit à West-
minster, mais en route « do grosses paroUcs » s'élevèrent entre
lui et les mariniers, « qui le murdriront là entr'eulz, dont il y
eut grant bruit » (Jean de Wavrin, t. H, p. 230 et suiv.).
1460] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 9
tour de Londres, nonobstant lesdictes promesses
ainsi à eulx faictes. Et s'i fye qui vouldra* !
Oudit temps, advint à Paris ung grant débat entre
les gens et officiers du roy en sa Chambre des Aides
à Paris et ung des bedeaulx de l'Université d'icelle
ville, pour ung exploict fait par ledit bedeau à ren-
contre de deux conseillers de ladicte Chambre des
Aides : pour lequel exploict ledit bedeau fut cons-
titué prisonnier en la conciergerie du Palais royal,
audit lieu de Paris. Dont ceulx de ladicte Université
furent moult desplaisans, et pour le ravoir firent ces-
sacions en ladicte \ille de prescher, lire et estudier.
Et après furent appoinctez, et fut tout restably, et
demourerent contens^.
Oudit temps, advint à Paris aussi que ung nommé
Anthoine, bastard de Bourgongne, vint et entra en
1. « Et puis se fie qui voudra à de semblables prometteurs, »
dans Jeaa Chartier, éd. Yallet de Viriville, t. III, p. 124.
2. Une ordonnance de Charles Vil, datée de Salles-le-Roy, en
Berry, le 24 septembre 1460, vise le cas dont parle notre chro-
nique. Le roi y blâme sévèrement les « abus ou entreprises »
commis au mépris de ses droits « sous couleur de l'Université
et de ses privilèges. » Au « pourchas d'aucuns suppôts de l'Uni-
versité, » on a cité certains fermiers des aides, fait admonester et
excommunier les officiers élus de Paris et d'Alençon, déclaré
parjures l'évêque de Troyes, président, Guillaume Longuejoueet
Charles Rapioust, conseillers aux aides, et fait cessation de ser-
mons en la ville de Paris. Le roi enjoint à l'Université de réparer
tous ces excès avant la Toussaint et de ne pas les renouveler,
sous peine de voir effacer ses privilèges {Collection des ordonnances
royales, XIV, 197. Cf. dans Félibien, Histoire de Paris, V, 707, le
texte de la bulle du pape Pie II, datée des ides de février 1462,
et conçue en termes fort désagréables pour le recteur et pour
les suppôts de l'Université de Paris).
\0 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1460
ladicte ville de Paris en habit mescongneu, et n'y
séjourna qu'un jour et une nuit, et puis s'en retourna.
Et, quant il fut sceu qu'il estoit ainsi venu en ladicte
ville, plusieurs officiers du roy et gens de façon
d'icelle furent fort ymaginatifz comment ne pourquoy
il estoit ainsi venu que dit est. Et de ladicte venue
en furent portées les nouvelles au roy par aucuns
qui en parlèrent à la charge de ladicte ville, qui n'y
avoient aucune coulpe. Et, pour ceste cause et à grant
haste, le roy envoya audit lieu de Paris son mareschal,
seigneur de Loheac, et maistre Jehan Bureau, tréso-
rier de France, pour pourveoir et donner provision
audit donné à entendre. Et, à ce que le roy n'eust
aucune ymaginacion que ceulx de ladicte ville de
Paris eussent aucune coulpe ou charge à ladicte
venue, lui fut envoyé de par ladicte ville une amba-
xade où estoient maistre Jehan de l'Olive, docteur en
théologie et chanceUier de l'église de Paris, Nicolas de
Louviers, sire Jehan Clerebout, gênerai maistre des
monnoyes, sire Jehan Luiller, clerc de ladicte ville,
Jaques Rebours, procureur d'icelle, Jehan Volant,
marchant, et autres, tous lesquelz le roy receut très
benignement. Et, après leur propos fait servant à
leur excusacion, fut le roy très content d'eulx et leur
fîst bonne et gracieuse response, et s'en retournèrent
joieusement à Paris dont ilz estoient partis*.
1. Sur les circonstances de cette affaire, voir l'analyse que
M. de Beaucourt a donnée d'une délibération prise par le con-
seil du roi le 14 novembre 1460, et dont le proci'S-verbal se
trouve au ms. fr. 5040 de la Bibl. nat., fol. 213. André de
Laval, seigneur de Lohéac, de Kergorlay, etc., maréchal de
France, celui que Ghastellain qualifie « une perle de chevalier
1460] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. H
En ce temps messire Robert d'Estouteville, cheva-
lier, qui estoit prevost de Paris, fut mis et constitué
prisonnier en la bastide Saint-Anthoine à Paris, et
depuis au Louvre, par l'ordonnance desdiz seigneurs
de Loheac et maistre Jehan Bureau, pour aucunes
injustices ou abus qu'on lui mettoit sus qu'il faisoit
en excercant sondit office; dont de ce ne fut point
entre mille » (éd. K. de Lettenhove, IV, H4 ; cf. Vaesen, Lettres de
Louis Z/(Soc. de l'hist. deFr.),IlI, 266), reçut l'ordre de se faire
assister, pour l'information qu'il était chargé d'ouvrir, par maîtres
Pierre du Refîuge, Jean Avin et Henry de la Cloche, qui les
premiers avaient dénoncé la présence à Paris du fils bâtard de
Philippe le Bon. Ce séjour clandestin, à un moment, où les rela-
tions du roi Charles avec le duc de Bourgogne, aigries par la
présence du dauphin en Flandre, étaient extrêmement ten-
dues, avait paru suspect et fit craindre un moment qu'il n'y eût
« quelque entreprinse ou que l'on pourchassast, par delà, faire
aucune chose préjudiciable au roy. » — Jean Bureau, chevalier,
seigneur de Montglat, etc., conseiller de Charles VII dès 1437,
commis au fait de l'artillerie (1439), maître des comptes et tréso-
rier de France (1445), maire de Bordeaux (1451), capitaine de
Meaux, gouverneur de Pons(Bibl, nat., ms. fr. 20487, fol. 96), avait
épousé Germaine Hessehn (voy. Beaucourt, Charles VII, passitn,
et Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 93). Il mourut le 5 juillet 1463.
— Jean de l'Olive était chanoine de Notre-Dame et passait pour
fort éloquent [Mém. de la Soc. de l'Hist. de Paris, t. IV (1877),
p. 31). — Nicolas de Louviers, bourgeois de Paris, échevin,
puis receveur des aides, créé enfin conseiller aux comptes par
Louis XI à son avènement, prévôt des marchands en 1463, mou-
rut le 15 novembre 1483. Il avait épousé Michelle Brice (Lon-
gnon, Villon, p. 321, et Bibl. nat.. Pièces originales, vol. 1764,
doss. Louviers). — Jean Clerbout était l'un des sept maîtres des
monnaies désignés par l'ordonnance du 29 juin 1443 (Beaucourt,
Charles VII, III, 471). — Jean Luillier, bourgeois de Paris, était
clerc-gretlier et receveur tant du domaine que des aides de la
ville depuis le 19 août 1447 (Vitu, La Chronique de Louis XI dite
Chronique Scandaleuse , etc., p. 44). Il avait épousé Jeanne de
Vitry (Obituaire de la Grande Confrérie aux bourgeois, Arch. nat.,
LL 437, à la date du 5 janvier).
12 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1460-1461
attainct. Et lors, par maistre Jehan Avin, conseiller
lay en la court de Parlement, furent fais plusieurs
explois en l'ostel dudit d'Estouteville, comme de cer-
cher boistes, coffres et autres lieux pour savoir se on
y trouveroit nulles lettres ; et fist plusieurs rudesses
oudit hostel à dame Ambroize de Loré, femme dudit
d'Estouteville, qui estoit moult sage, noble et hon-
neste dame. Dieu de ses exploiz le vueille punir, car
il le a bien desservy'^ !
En ladicte année furent les rivières de Seine et
Marne moult grandes, tellement que en une nuit
ladicte rivière de Marne creut et devint si grande à
l'environ de Saint-Mor des Fossez^ comme de la haul-
teur d'un homme, et fist plusieurs grans dommages
en divers lieux. Et, entre autres dommages, ladicte
rivière vint si grande à ung village nommé Cloye^, et
en ung hostel ilec estant qui est à l'evesque de
Meaulx, qu'elle en emporta toute la massonnerie du
1. Jean Avin avait été l'un des commissaires ordonnés à faire
le procès de Jacques Cœur. Il vivait encore en 1489. Son hôtel
était situé rue Saint-Antoine (Bibl. nat., ms. fr. 11686, fol. 129).
Si la malédiction que le chroniqueur adresse à ce personnage
n'a pas été ajoutée au moment des poursuites que Jean Avin fut
chargé de diriger contre les officiers du duc de Bourbon en 1479
(voy. plus loin, à la date), il faut conclure que depuis longtemps il
était l'ennemi des « Bourbonnais. » Il suffit peut-être que, dans
l'occasion présente, il se soit acharné contre les d'Estouteville
que Jean de Roye aimait , dont il fréquentait l'hôtel , et qu'il
cite toujours avec un affectueux respect. Ambroise de Loré pas-
sait pour une des personnes les plus accomplies de son temps.
Mariée vers 1446, elle mourut en 1468. Villon lui a dédié une
ballade (éd. Longnou, p. 79 et 319).
2. Aujourd'hui dép. de la Seine, cant. de Gharenton-le-Pont.
3. Glaye, Seine-et-Marne, arrond. de Meaux, sur un petit aflluent
de la Marne.
1460-1461] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 13
devant dudit hostel, où il y avoit deux belles tours
nouvellement basties, dedens lesquelles y avoit de
belles chambres bien natées, voiriées^ garnies de litz,
tapisserie et autres choses, que tout emporta ladicte
rivière.
En ce temps, advint en Normandie que le corps
de l'église de Fescamp, par maie fortune et feu
d'aventure, qui vint de la mer de devers les marches
de Gornouaille, se bouta ou clocher d'icelle abbaye,
qui fut tout brûlé et ars. Et furent les cloches d'icelle
abbaye toutes fondues et mises en une masse, qui fut
moult grande pitié en ladicte abbaye^.
Oudit temps, fut grandes nouvelles par tout le
royaume de France et en autres lieux de une jeune
fille de l'aage de xviii ans ou environ, qui estoit en
la ville du Mans, laquelle fist plusieurs folies et
grandes merveilles, et disoit que le dyable la tour-
mentoit, et sailloit en l'air, crioit, escumoit et faisoit
moult d'autres merveilles, en abusant plusieurs per-
sonnes qui l'aloient veoir. Mais, enfin, on trouva que
ce n'estoit que tout abus et qu'elle estoit une mes-
chante foie et faisoit lesdictes folies et dyableries
par l'ennortement, conduite et moien d'aucuns des
1. C'est-à-dire dont le sol était recouvert de nattes et les
fenêtres vitrées :
« Sur mol duvet assis ung gras chanoine
Lez ung brasier, en chambre bien natée. »
(Villon, éd. Longnon, p. 83.)
2. Cette catastrophe eut lieu le l" février 1461. Suivant Du
Clercq, la foudre fondit les cloches et abattit le clocher avec la
moitié de la nef (III, 97). L'abbé Cochet signale seulement
la destruction d'une flèche en bois qui surmontait le clocher (Les
églises de l'arrondissement du Havre, 1845, in-8°, 2« part., p. 9).
14 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1460
officiers de i'evesque dudit lieu du Mans, qui la main-
tenoient et en faisoient tout ce que bon leur sembloit,
et qui ausdictes folies faire l'avoient ainsi duite^
Oudit temps, advint derechef oudit royaume d'An-
gleterre, après que la desconfiture devantdicte ot
ainsi esté faicte par ledit conte de Warwyk que le
duc de Sommerset, cousin dudit roy Henry d'Angle-
terre, acompaigné de plusieurs autres jeunes sei-
gneurs, parens et héritiers des autres princes et sei-
gneurs qui avoient esté tuez à la prinse dudit roy
Henry de Lencastre, firent de grans amas de gens
d'armes et vindrent tenir les champs à l'encontre du
dit duc de York. Et tant firent qu'ilz le vindrent
trouver en ung champ lui et sa compaignie, qui
furent ruez jus. Et oudit champ, nommé les pleines
Saint-Albons, fut tué ledit duc de York; et, après qu'il
ot esté tué, lui copperent la teste, laquelle ilz mirent
au bout d'une lance; et autour d'icelle teste lui mirent
une couronne de feurre en figure de couronne royale,
1. Cette « diablerie » fit grand bruit à l'époque, et Du Clercq
en conte tout au long les péripéties (III, 98 et suiv.). La soi-
disant possédée, Jeanne Seron, réussit à abuser complètement
l'évèque du Mans, Martin Berruyer, ainsi qu'en témoigne la lettre
qu'il adressa à la reine Marie d'Anjou le 19 décembre 1460,
lettre dont le chroniqueur d'Arras a transcrit le texte. Charles VII
envoya de Bourges au Mans, pour informer du fait, plusieurs doctes
personnages, et, entre autres, le doyen de Rouen, maître Nicole
Dubois (Reg. de l'hùtel de ville de Rouen A^, fol. 184). A la suite
de cette enquête, Jeanne Seron fut, par délibération du conseil
du roi, amenée à Tours, interrogée, trouvée « sorcière et cor-
rompue. » Convaincue de concubinage avec un jeune clerc, elle
avoua son imposture, et fut condamnée à être mitrée et préchée
publiquement au Mans, à Tours et à Laval, enfin à pleurer ses
péchés en prison à Tours pendant sept ans « en pain de douleur
et en eau de tristesse. »
1461] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 15
en desrision de ce qu'il se vouloit faire roy dudit
royaume. Et avecques lui moururent oudit champ
bien six vins barons, chevaliers, escuiers et gens de
nom dudit royaume et grant nombre d'autres gens
de guerre, que bien on estimoit de ix à x™ com-
batans ^ .
Et le mercredi, tiers jours de février oudit an
mil GGCC LX, furent leues et publiées à Rouen et
en divers autres lieux de la duchié de Normandie,
es lieux publiques et à son de trompe, les lettres
patentes du roy par lesquelles il declairoit son plaisir
estre tel que, par tout ledit pays de Normandie et les
pors de mer d'icellui, feussent laissez paisiblement des-
cendre tous Anglois et Anglesches, de quelque estât
1. La reine Marguerite, réfugiée en Ecosse, reprit les armes à
la fin de l'année 1460, entra en Angleterre et réussit à soulever
les comtés du Nord. Renforcée par les contingents qu'amenaient
Edmond Beaufort, duc de Somerset, le comte de Northumber-
land et d'autres seigneurs de la Rose-Rouge, l'armée de la reine
battit Richard, duc d'York, près de Wakefield, le 30 décembre
1460. Le duc fut tué, et son jeune fils, le comte de Rutland, fut
massacré après le combat avec nombre de partisans de la Rose-
Blanche {Chronique de Jean de Wavrin, II, 260 et suiv. Cf. la Lettre
d'Antoine délia Torre au duc de Milan, du 9 janvier 1461, dans
Rawdon Brown, Calendar of State papers, etc., t. I, p. 95). —
Le chroniqueur a confondu la bataille de Wakefield, où le duc
d'York perdit la vie le 30 décembre 1460, avec la seconde bataille
de Saint-Albans, gagnée également par Marguerite d'Anjou, le
17 février 1461. Il ne dit pas non plus que la reine, après avoir
reconquis son mari, le roi Henri VI, abandonné par les Yor-
kistes sur le champ de bataille de Saint-Albans, n'osa pousser
sur Londres, où l'opinion publique était défavorable à la cause
lancastrienne. Le nouveau duc d'York, Edouard, s'y fit procla-
mer roi le 4 mars suivant, se mit à la poursuite de ses adver-
saires et leur fit essuyer une sanglante défaite à Towton, le
29 mars 1461.
16 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1460
qu'ilz feussent et en tel habit que bon leur sem-
bleroit, tenans et advoans le parti dudit roy Henry
d'Angleterre et de la royne sa femme, sans aucun
sauf conduit avoir de lui, et de les laisser converser
par tout son royaume.
En l'an mil CCCGLXI, ou moys de juillet, advint
que ledit roy Charles fut malade ou chasteau de
Meun sur Yevre^ d'une maladie qui lui fut incu-
rable, dont et de laquelle maladie il ala de vie à
trespas audit lieu de Meun, le mercredi xxn^ jour
dudit mois de juillet, feste de la benoiste Magdaleine,
entre une et deux heures après midi dudit jour, dont
fut grant pitié et dommage. Ou royaume des cieulx
puisse estre l'ame de lui en bon repos! car, quant il
vivoit, c'estoit ung moult sage et vaillant seigneur et
qui laissa son royaume bien uny et en bonne justice
et transquihté^.
Et, incontinent après ladicte mort et qu'elle fut
manifestée, la pluspart des officiers dudit lieu de
1. Mehun-sur-Yèvre (Cher, arrond. de Bourges).
2. Dans les premiers jours de juillet, Charles VU, dont la
santé était depuis longtemps ébranlée, fut atteint d'un mal dans
la bouche, et dès lors il s'affaiblit de jour en jour. M. de Beau-
court, qui, dans le dernier volume de sa magistrale Histoire de
Charles VII, a résumé tout ce qu'on sait des derniers moments
du roi (t. VI, p. 439 et suiv.), montre à quel point furent una-
nimes les regrets provoqués par sa mort (p. 445 et suiv.). —
C'est le dimanche 19 juillet que la "nouvelle de la maladie de
Charles VII fut rendue publique à Paris, et tout aussitôt l'évêque
ordonna des processions générales. La mort fut connue dès le
\eïi.dredï2i ']\ii\let (Journal de Maupoint, édit. Fagniez, apud3/m.
de la Soc. de l'Hist. de Paris, t. IV, p. 39 et suiv.), à Rouen le
lendemain (Arch. munie, de Rouen, reg. des délibér. de la ville
A», fol. 189).
1461] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. M
Paris et plusieurs autres du royaume s'en partirent,
et alerent ou pays de Henault et de Picardie, par
devers monseigneur le daulphin, qui ilec estoit avec
monseigneur le duc de Bourgongne, lequel monsei-
gneur le daulphin par le décès de son feu père venoit
à la couronne, pour savoir de lui quel estoit son
plaisir et comment ilz se auroient à gouverner soubz
lui, et pour estre de lui confermez en leurs offices*.
Auquel lieu, après icelle mort, fist plusieurs nouveaulx
officiers en sa Chambre des Comptes à Paris et autres.
Et entre autres y fist et créa maistre Pierre L'Orfèvre,
seigneur d'Ermenonville, et Nicolas de Louviers, con-
seillers en ladicte chambre, et maistre Jehan Baillet,
maistre des requestes et raporteur en sa chancellerie.
Et y conferma à président en icelle chambre messire
Symon Charles, qui aussi se fist porter oudit pays
en une lictiere'^; et les autres officiers requerans estre
1. « Nous tirons devers le roy, de par la court de Parlement,
pour lui faire révérence et obéissance, comme raison est... » (Le
premier président Yves de Scépeaux à Jean Bourré, secrétaire de
Louis XI, de Gompiègne, le 28 juillet. Bibl. nat., ms. fr. 20486,
fol. 54, orig.). Et Ghastellain : « Loys, non dauphin maintenant,
mais roy non couronné, prestement changea lieu, et, partant de
Genappes atout charroy et ce que avoit de baghes, vint loger au
pays de Haynau, toujours dreschant son chemin vers France...
Sy vinrent gens de toutes parts à Avesnes, princes et barons,
plusieurs evesques et prélats, gens de cités et de bonnes villes,
commis de par ceux du Parlement et de l'Université, dont l'evesque
de Paris, maistre Guillaume Gharretier, fut l'un, et proposa
devant le roy » (IV, 30. Gf. Arch. nat., X2a 28; du Glercq, III,
143 ; Basin, Hist. de Cluirles VII et de Louis XI, publiées par J. Qui-
cherat, pour la Soc. de l'Hist. de France, t. Il, p. 4, 7 et 19).
Les délégués rouennais partirent le 25 juillet (Reg. de l'hôtel de
ville A8, fol. 189).
2. Conseiller et chambellan du roi, maître en la Ghambre des
18 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1461
confermez furent renvoiez à Paris, pour ilec attendre
la venue du roy^.
Et, le xxiiii^ jour de juillet, oudit an LXI, maistre
Estienne Chevalier, qui avoit esté trésorier des finances
Comptes, Pierre L'Orfèvre était fils de Pierre L'Orfèvre, châtelain
de Pont-Sainte-Maxence et seigneur d'Ermenonville « en San-
tois, » etc., et de Jeanne de Laillier. Il fit ses études au collège de
Navarre, à Paris, et à l'Université d'Orléans, et épousa Geuffrine
Baillet, avec laquelle il habitait à Paris rue de la Bretonnerie.
Pierre L'Orfèvre mourut vers 1498 (Bibl. nat., Pièces orig.,
vol. 1747, doss. VOrfèvre; cf. le dossier Laillier). — Son beau-
père, Jean Baillet, fils de Pierre Baillet et de Marie de Vitry,
seigneur de Sceaux, conseiller au Parlement de Paris et maitre
des requêtes ordinaire de l'Hôtel, vivait encore en 1477. Il avait
épousé Colette de Fresnes (Pièces orig., vol. 168, doss. Baillet).
— Simon Charles était l'un des plus anciens serviteurs de Char-
les YII. Conseiller et maître des requêtes de l'hôtel dès 1430, il
fut chargé de diverses missions à l'étranger. Au mois d'août
1442, il s'intitulait « président en la Chambre des Comptes (il
exerçait cette fonction depuis plusieurs années) et commis au
gouvernement de toutes finances es pays sur et deçà les rivières
de Seine et d'Yonne » (Beaucourt, ouvr. cité, III, 237 et passim).
— On trouvera, au Recueil des Ordonnances des rois, t. XV, p. 1
et suiv., le texte des lettres patentes de Louis XI confirmant dans
leurs fonctions les gens des Comptes et du Trésor.
1. Le l^"" août 1461, Louis XI expédiait d'Avesnes à Paris un
de ses familiers, Jacques de Villiers, seigneur de l'Isle-Adam,
pour prendre possession de la ville en son nom, recevoir le ser-
ment des bourgeois et habitants et assurer la sécurité publique
jusqu'à l'arrivée du roi (Bibl. nat., Pièces orig., vol. 3021, doss.
L'Isle-Adam, orig. sur parchemin donné sous le scel du secret en
l'absence du grand). — A Rouen, dès le 29 juillet, Jean d'Estuer,
écuyer, seigneur de la Barde, conseiller et maitre d'hôtel du roi,
vint prendre possession au nom de Louis XI des ville, château,
palais et ponts, et présenta au conseil de ville des lettres royales
datées des Roches, le 25 juillet, qui lui prescrivaient de recevoir
le serment des habitants et de remettre la garde provisoire de la
place à douze notables. Cette cérémonie eut lieu le 29 juillet
(Reg. de l'hôtel de ville A», fol. 190 v et 195).
146Î] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. \9
dudit feu roy Charles et lequel il avoit nommé eslre
ung des exécuteurs de son testament, et aussi maistre
Dreux Budé, audiencier de la chancellerie de France,
se partirent de la ville de Paris pour aler au corps
dudit defunct audit lieu de Meun ' ; mais par le seigneur
d'Aigreville, cappitaine de Montargis, par le pourchas
d'ung gentilhomme nommé Waste de Mompedon-,
furent arrestez audit lieu de Montargis lesdiz Ghe-
vaUer et Budé, et ilec furent une espace de temps et
jusques à ce que le roy les envoya faire délivrer eulx
et leurs biens, et depuis furent par lui entretenus en
leur offices de trésorier et audiencier.
1. Né vers 1410 et mort le 3 septembre 1474, Etienne Cheva-
lier occupait avant 1444 le poste de secrétaire de Charles VII.
Il remplit plusieurs missions diplomatiques, fut nommé conseiller
et maître des comptes (15 août 1449), receveur général des
finances et contrôleur de la recette générale. La disgrâce où il
tomba à l'avènement de Louis XI fut de courte durée, et, en
1463, il joua un rôle important da"ns la grosse opération finan-
cière du rachat des villes de la Somme (Mém. de Commynes, éd.
Lenglet-Dufresnoy, 1747, in-4'', Preuves, t. Il, p. 392 et 399).
Sous Louis XI, il exerça la charge de trésorier de France (Pièces
orig., vol. 742, doss. Chevalier). — Dreux Budé, qui, lui aussi,
avait commencé sa carrière en remplissant les fonctions de
secrétaire de Charles VII (1439), portait, dès la fin de 1441, le
titre d'audiencier du roi. Il y joignit celui de trésorier des chartes
(voy. Vaesen, Lettrées de Louis II, II, 219).
2. Jean de Montespedon, dit Houaste comme son père, sei-
gneur de Basoches et de Beauvoir, premier valet de chambre du
dauphin Louis et l'un de ses confidents intimes, fut chargé à
deux reprises de se rendre à la cour de Charles Vil pour négo-
cier la réconciUation du dauphin avec son père (commencement
de 1461. Beaucourt, Charles VU, VI, 312-322). Le 23 août 1461,
son procureur, Emery Vuille, prit possession pour lui du bail-
liage de Rouen (Reg. de l'hôtel de ville A^, fol. 193 v). Houaste
fut tué à la bataille de Guinegate, le 7 août 1479 (voy. ci-après,
à la date).
I 4
20 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1461
Et est assavoir que, le jeudi xxiii® jour de juillet,
oudit an LXI, qui fut le lendemain de ladicte mort,
environ ix heures de nuit, fut veue ou ciel courir
bien fort une très longue comète, qui gectoit en l'air
grant resplendisseur et grande clarté, tellement qu'il
sembloit que tout Paris feust en feu et en flambe.
Dieu l'en vueille préserver !
Et, le jeudi Yi® jour d'aoust oudit an IIIP LXP, le
corps dudit defunct arriva et fut amené reposer en
l'église de Nostre-Dame des Champs hors Paris, où il
fut amené dudit lieu de Meun. Et le lendemain fut
aie quérir audit lieu et apporté à Paris en moult
grant et belle conduicte, ordonnance et révérence
qui fut faicte audit corps, comme bien le valoit :
c'est assavoir du clergié, des nobles personnes, offi-
ciers, bourgois et populaire. Et y avoit pour lumi-
naire porté devant ledit corps ii" torches de iiii livres
de cire chascune pièce, toutes armoiées en double
aux armes de France, et est oient portées par ii" povres
personnes, tous revestus de robes et chaperons de
dueil. Et estoit ledit corps porté en une lictiere
par les henouars de Paris ^ ; laquelle Hctiere estoit
1. Lisez : le mercredi soir, 5 août. Sur les funérailles de Char-
les VII, voir Beaucourt, Chronique de Malhieu d'Escouchy (Soc.
de l'hist. de France, 1863-64), t. II, 424-444; Fclibien, Histoire
de Paris, 1725, in-fol., t. IV, Pièces justif., p. 599, et particulière-
ment le récit de l'Histoire de Charles VII de Jean Gbartier, éd.
Vallet de Viriville, in-12, t. III.
2. Les henouars, oiiiciers de gabelle au nombre de vingt-quatre,
jouissaient du privilège de porter le cercueil du roi. Dans l'occa-
sion présente, ils se conduisirent assez mal. Sous un prétexte
futile, ils menacèrent d'abandonner le corps à la Croix-aux-Fiens,
sur la route de Saint-Denis, si on ne leur comptait pas dix livres
parisis. Il fallut, pour les décider à reprendre leur funèbre far-
1461] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 21
couverte et assemillée d'un moult riche drap d'or
qui bien povoit valoir mil ou xn^ escuz d'or. Et
dessus ladicte lictiere estoit la pourtraicture faicte
dudit defunct roy Charles, revestu d'un bel habit
royal, une couronne en la teste; et en l'une de ses
mains tenoit ung ceptre, et en l'autre le baston royal*.
Et en cest estât fut porté en la grant église Nostre-
Dame de Paris. Et tout devant aloient tous les crieurs
de corps de ladicte ville pareillement vestuz de dueil
et armoiez devant et derrière desdictes armes de
France. Et après eulx estoient portées devant icelle
lictiere lesdictes ii*^ torches ainsy armoiées en double
que dit est. Et après icelle lictiere aloient faisans le
dueil Messeigneurs les duc d'Orléans et conte d'An-
golesme, frères, les contes d'Eu et de Dunois, messire
Jehan Jouvenel des Ursins, chevalier, chancelier de
France, et le grand escuier, tous revestus de dueil et
montez à cheval-. Et puis, après icelle lictiere, aloient
deau, l'intervention de Tanneguy du Ghâtel, qui, au reste, paya
de sa poche les frais des funérailles de son maître.
1. « Estoit lad. figure faite de cuir, revestue d'une tunique et
d'un manteau de velour blanc à fleurs de lys fourré d'hermines,
tenant en une de ses mains la main de justice et en l'autre main
un grand sceptre ayant une couronne sur la teste et un oreiller
de veloux dessous et un manteau d'or dessus » (J. Chartier, éd.
Vallet, l. c).
2. Charles, duc d'Orléans, né le 26 mai 1391, mort le 4 jan-
vier 1465, avait épousé en troisièmes noces Marie de Clèves,
qui lui survécut. Son frère Jean, comte d'Angoulême, né en 1404,
mourut en 1467. — Charles d'Artois, comte d'Eu, succéda tout
enfant à Philippe, son père, en 1397. Il mourut le 25 juillet 1472.
— Jean, comte de Dunois, fils bâtard du duc d'Orléans Louis,
naquit vers 1403 et mourut le 24 novembre 1468. — Le chan-
celier de France, en 1461, se nommait Guillaume Jouvenel des
Ursins, seigneur de Traînel, et non pas Jean; celui-ci était
22 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1461
à pié, deux et deux, tous les officiers de l'ostel dudit
defunct, aussi tous vestus de dueil angoisseux,
lesquelz il faisoit moult piteux veoir ; et, de la grant
tristesse et courroux qu'on leur veoit porter pour la
mort de leurdit maistre, furent grans pleurs et
lamentacions faictes parmy toute ladicte ville. Et aussi
y avoit au joignant de ladicte lictiere six des pages
dudit defunct, housez et esperonnez, sur six cour-
siers tous vestus et couvers de veloux noir, et lesdiz
pages oudit habit de dueil. Et Dieu scet le doloreux
et piteux dueil qu'ilz faisoient pour leurdit maistre !
Et disoit on lors que l'un desdiz pages avoit esté par
quatre jour entiers sans boire et sans menger pour la
grant passion qu'il portoit de ladicte mort.
Et le lendemain, qui fut vendredi vn® jour d'aoust
oudit an LXJ, ledit corps d'icellui defunct fut tiré
hors de ladicte église Nostre-Dame de Paris, environ
trois heures après midi, et mené et acompaigné,
comme devant est dit, en l'église Saint-Denis en
France, et là il fut inhumé et y gist ' . Nostre Sauveur
Dieu ait mercy de son ame !
archevêque de Reims. Guillaume et Jean Jouvenel étaient frères,
d'ailleurs, et tous deux fils de Jean Jouvenel, mort en 1431, pré-
sident au Parlement de Poitiers. Guillaume Jouvenel, né le
15 mars 1400, mort le 23 juin 1472, exerçait les fonctions de
chancelier depuis le 16 juin 1445. On verra plus loin qu'il fut
destitué par Louis XI à son avènement, puis rétahli en 1465. —
La charge de grand écuyer était exercée depuis le 20 mai 1454
par Tanneguy du Chàtel. Il avait épousé Jeanne de Raguenel,
vicomtesse de la Bellière, et fut tué devant Bouchain en 1477.
1. Le cortège atteignit l'église de Saint-Denis le vendredi à
huit heures du soir, et l'inhumation eut lieu le lendemain matin,
après une messe dite, comme l'avait été celle de Notre-Dame do
Paris, par Louis de Harcourt, patriarche de Jérusalem (J. Char-
tier, éd. Vallet, /. c).
146ÎJ OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 23
Et, vers la fin dudit mois d'aoust^, nostre souve-
rain seigneur et roy de France Loys, lors estant daul-
phin de Viennoys et ainsné filz dudit defunct, succéda
à ladicte couronne, fut sacré roy à Reims, par l'arce-
vesque Jouvenel ~ ; auquel lieu il fut moult noblement
acompaigné par la pluspart des seigneurs de nom de
son royaume, en moult grant et notable nombre.
Et, le derrenier jour dudit moys d'aoust, il party
d'un hostel, estant aux faulxbourgs de la porte Saint-
Honoré, nommé les Porcherons, appartenant à mes-
sire Jehan Bureau, qui fut fait chevalier audit sacre à
Reims, pour venir faire son entrée en sa bonne ville
et cité de Paris ^. Au devant de laquelle entrée yssi-
1. Le samedi 15 août. On trouvera des détails sur le sacre de
Louis XI dans Maupoint, p. 42; Th. Basin, II, p. 8 et suiv.; du
Glercq, III, p. 151 et suiv., et particulièrement dans Ghastellain,
IV, p. 54 et suiv. Cf. Bibi. nat., ms. fr. 5739, fol. 234 et suiv.,
pap., xv« s.
2. Jean Jouvenel des Ursins occupa le siège archiépiscopal
de Reims du 13 mai 1449 au 14 juillet 1473.
3. Interpolations et variantes, § II. — Le nouveau roi, accom-
pagné d'une suite nombreuse, se rendit de l'abbaye de Saint-
Thierry, près Reims, à Paris, en passant par Meaux, oii le
duc de Bourgogne, Philippe le Bon, parti de Reims après lui, le
rejoignit le 21 août. Louis XI séjourna à Meaux et arriva à Saint-
Denis le 25, puis, le 29, il vint s'installer en « une petite placette
nommée les Porcherons, » pour attendre que les Parisiens eussent
terminé leurs préparatifs (Ghastellain, IV, 75). Dès le 14 août, le
prévôt des marchands et les échevins prenaient leurs disposi-
tions pour loger chez l'habitant les gentilshommes qui faisaient
cortège au roi, le nombre des hôtelleries ayant beaucoup dimi-
nué depuis que le feu roi et la cour avaient cessé de fréquenter
Paris. Le 18, on vit arriver au bureau de la Ville les maréchaux
des logis du roi et des princes du sang en (juète de gîtes pour leurs
maitres, et les quarteniers les conduisirent chez les habitants qui
avaient offert des lits, les bourgeois de Paris ne pouvant être
24 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1461
rent hors de ladicte ville tous les estas d'icelle et par
bel ordre pour illec trouver le roy et lui faire la révé-
rence et bienveignant. En laquelle assemblée estoient
l'evesque de Paris, nommé Ghartier^, l'Université-,
la court de Parlement, le prevost de Paris, la Chambre
des Comptes et tous officiers, le prevost des marchans
et eschevins, tous vestus de robes de drap de damas
fourrées de belles martres. Etlesquelz prevost des mar-
chans et eschevins vindrent aux champs rencontrer
et faire la révérence au roy. Et proposa devant lui
pour ladicte ville ledit prevost des marchans nommé
maistre Henry de Livres^, qui lui bailla et présenta
les clefz de la porte Saint -Denis, par où il fist
sadicte entrée. Et, ce fait, chascun se tira à part;
et ou mesme lieu le roy fist ce jour grant nombre de
chevaliers. Et, en venant par le roy vers ladicte porte
Saint-Denis, il trouva près de l'église de Saint-Ladre*
contraints par fourriers à loger les olïiciers du roi, gens^de guerre
ni autres (Ordonn. des rois, t. XV, p. 10 et suiv.).
1. Guillaume Ghartier occupa l'évêché de Paris du 4 décembre
1447 au 1" mars 1472.
2. Le 25 juillet, l'Université fut assemblée pour discuter la
question de savoir si elle se porterait au-devant du nouveau roi,
et c'est seulement le 25 août qu'il fut décidé de ne rien changer
aux habitudes anciennes et d'attendre Louis XI avec le clergé
au parvis Notre-Dame (Du Boulay, Hist. de l'Université de Paris,
1670, in-fol., t. V, p. 651). Cette résolution déplut au roi, qui
accueillit assez mal la harangue des universitaires (Voy. Relation
de l'entrée du roi Louis XI à Paris, p. p. M. de La Fons-Melicoq
dans le Messager des sciences de Gand, année 1401, p. 115).
3. Henry de Livres est qualifié, au mois d'août 1468, couseiller
du roi au Parlement es requestes du Palais (Bibl. nat., ms. fr.
2921, fol. 53).
4. L'église Saint-Lazare était en dehors des murs et très près
de la p(trt(^ Saint-Denis.
146iJ OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 25
ung herault monté à cheval, revestu des armes
de ladicte ville, qui estoit nommé Loyal Cuer, qui
de par ladicte ville luy présenta cinq dames riche-
ment aournées, lesquelles estoient montées sur cinq
chevaulx de pris, et estoit chascun cheval couvert
et habillé de riches couvertures, toutes aux armes
d'icelle ville ; lesquelles dames et chascune par ordre
avoient personnages tous compilez à la significacion
des cinq lettres faisans PARIS, qui toutes parlèrent
au roy, ainsi que ordonné leur estoit*.
Et, en icelle entrée faisant, le roy estoit moult
noblement acompaigné de tous les grans princes et
nobles seigneurs de son royaume, comme de messei-
gneurs les ducs d'Orléans^, de Bourgongne, de Bour-
bon et de Gleves, le conte de Gharrolois, filz dudit
duc de Bourgongne, les contes d'Eu, d'Angoulesme,
i. « ... Y avoit V femmes, toutes vestues de drap d'or à manière
de royne, ayans sur leur bras leurs nons selonc les v lettres de
Paris. La première portoit P, qui segnefie Paix, la seconde A,
par quoy est entendu Amour; la tierche portoit R, par quoy est
entendu Ray son; la quarte portoit I, par quoy est entendu Joye,
et la chinquieme portoit S, par quoy est entendu Seureté. Et
estoient toutes v richement montées à cheval, vestues de drap
d'or jusques aux pies, et devant elles ung heraus ayans cote d'armes
semée du blason de Paris » [Messager de Gand, cité, p. 115). —
Sur l'entrée de Louis XI, cf. la description si colorée de Ghas-
tellain, IV, 75 et suiv.; du Glercq, III, 158 et suiv.; Basin, II,
15 et suiv., et Maupoint, p. 45.
2. Suivant Du Glercq, le vieux duc d'Orléans, alors septuagé-
naire, se borna à regarder passer le cortège assis à une fenêtre
(III, 167). Et Chastellain : « En cest assemblement ne comparu
pas le duc d'Orléans. » Le même chroniqueur note l'absence du
roi de Sicile, René, de François II, duc de Bretagne, et du comte
de Foix, « qui ne veoient point l'heure propre pour eux y estre
en personne » (IV, 88, 91).
?6 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1461
de Saint-Pol* et de Dunois, et autres plusieurs contes,
barons, chevaliers, cappitaines et autres gentilz-
hommes de grant façon, qui, pour honneur lui faire
à ladicte entrée, avoient de moult belles et riches
housseures dont leurs chevaulx estoient tous couvers.
Lesquelles housseures estoient de diverses sortes et
façons, et estoient les unes d'icelles de fin drap
d'or fourrées de martres sebelines, les autres de
veloux, de pennes d'ermines, de drap de damas,
d'orfaverie, et chargées de grosses campanes d'ar-
gent blanches et dorées^, qui avoient cousté moult
grant finance. Et si y avoit sur lesdiz chevaulx
et couvertures de beaux jeunes enfans pages, bien
richement vestus, et sur leurs espaules avoit de
belles escharpes branlans sur les cr[o]upes desdiz
chevaulx, qui faisoient moult bel et plaisant veoir.
1. Philippe le Bon, duc de Bourgogne, avait épousé en troi-
sièmes noces Isabelle de Portugal ; de cette union était né, le
10 novembre 1433, Charles, comte de Charolais. — Jean II, duc
de Bourbonnais et d'Auvergne, avait épousé, le 26 décembre 1446,
Jeanne de France, sœur de Louis XL — Jean I«r, duc de Glèves,
né le 16 janvier 1419, mort le 5 septembre 1481, était fils du duc
Adolphe et de Marie de Bourgogne. — Louis de Luxembourg,
comte de Saint-Pol, connétable de France (5 octobre 1466), fut
décapité le 19 décembre 1475 (voy. ci-après).
2. C'était une mode extrêmement répandue au xv^ siècle que
celle de charger de clochettes, voire de cloches, les housses des
chevaux. La Relation de Ventrée de Louis XI à Paris, imprimée
dans le Messager de Gand, dit qu'un des chevaux du comte do
Charolais portait sur le dos une cloche « à manière de timbre
pendant à nu piliers. » De même, le comte do Saint-Pol avait
un cheval housse d'orfèvrerie « à grosses clocques sounaut
à batel, » et le seigneur de Croy trois coursiers harnachés do
chaînes d'or « à grant multitude de cloches pendans autour des
chevaux. >
1461] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 27
Et, à l'entrée^ que fist le roy en ladicte ville de Paris par
ladicte porte Sainct-Denis, il trouva une moult belle
nef en figure d'argent, portée par hault contre la
maçonnerie de ladicte porte dessus le pont levis, en
signifiance des armes de ladicte ville ; dedens laquelle
nef estoient les trois estas. Et, aux chasteaulx de
devant et derrière d'icelle nef, estoient Justice et
Equité, qui avoient personnages pour ce à eulx ordon-
nez ; et, à la hune du mast de ladicte nef, qui estoit
en façon d'un liz, yssoit ung roy en habit royal que
deux anges conduisoient. Et, ung peu avant dedens
ladicte ville, estoient à la fontaine du Ponceau- hommes
et femmes sauvages, qui se combatoient et faisoient
plusieurs contenances. Et si y avoit encores trois bien
belles filles, faisans personnages de seraines toutes
nues, et leur veoit on le beau tetin droit, séparé,
rond et dur, qui estoit chose bien plaisant, et disoient
de petiz motetz et bergeretes^ ; et près d'eulx jouoient
1. C'est ici que débute le ms. fr. 2889 de la Bibl. nat. —
Louis XI était monté « sur ung cheval et deseure luy ung ciel
que vi hommes de la loy de Paris vestu de violet (portoient), et
le roy vestus de drap de damas blancq à gros boutons d'or (dans)
lesquelz estoient envaisselez gros baliais » {Messager de Gand,
cité).
1. Rue Saint-Denis, à une petite distance de la porte, près des
Filles-Dieu. Cette fontaine est encore indiquée au plan des fon-
taines de Paris par l'abbé Delagrave, dans le tome IV du Traité
de la police de Delamare (1735).
3. Par motet il faut entendre une composition harmonique à
deux, trois ou quatre parties. La bergerette était un rondeau dont
le second couplet n'avait pas de refrain et qui différait du pre-
mier par les rimes et parfois par le rythme (Rondeaux et autres
poésies du XV^ siècle, p. p. Gaston Raynaud, Introd., p. li et suiv.
(Soc. des Ane. textes), 1889).
28 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1461
plusieurs bas instrumens qui rendoient de grandes
mélodies. Et, pour bien rafreschir les entrans en
ladicte ville, y avoit divers conduis en ladicte fon-
taine gectans lait, vin et ypocras, dont chascun buvoit
qui vouloit. Et, ung peu au dessoubz dudict ponceau,
à l'endroit de la Trinité^, y avoit une Passion par per-
sonnages et sans parler. Dieu estendu en la croix et
les deux larrons à destre et à senestre. Et plus avant,
à la porte aux Paintres^, avoit autres personnages
moult richement habillez. Et, à la fontaine Saint-Inno-
cent^, y avoit aussi personnages de chasseurs qui
acueillirent une biche ilec estant, qui faisoient moult
grant bruit de chiens et trompes de chaces. Et, à la
Boucherie de Paris ^, y avoit eschafaulx figurez à la
bastide de Dieppe. Et, quant le roy passa, il se livra
ilec merveilleux assault des gens du roy à l'encontre
des Anglois estans dedens ladicte bastide, qui furent
prins et gaignez et orent tous les gorges coppées^. Et,
contre la porte de Chastellet, y avoit de moult beaulx
1. Rue Saint-Denis, près la rue Greneta.
2. Rue Saint-Denis, près la rue aux Oues.
3. Toujours dans la rue Saint-Denis, au coin de la rue aux
Fers.
4. La Grande-Boucherie de Paris, installée derrière le Chàte-
let, fut démolie en 1416 et reconstruite deux ans après. Les pro-
priétaires en étaient dès cette époque les Thibert, les Saintyon,
les d'Auvergne et les Ladehors (Lespinasse, Les Métiers de Paris,
in-4% I, 261).
5. La représentation de la prise de la bastille de Dieppe était une
délicate llatterie à l'adresse du nouveau roi. Au mois de novembre
1442, le fameux capitaine anglais Talbot vint assiéger Dieppe et
édifia devant les murs une forte bastille. Après neuf mois, en
août 1443, une armée française, conduite par le dauphin Louis,
contraignit les Anglais à lever le siège.
1461J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 29
personnages. Et, oultre ledit Chastellet, sur le pont
aux Changes'', y avoit autres personnages et estoit
tout tendu par dessus. Et, à l'eure que le roy passa,
on laissa voler parmy ledit pont plus de GC douzaines
d'oiseaulx de diverses sortes et façons que les oise-
leurs de Paris laissèrent aler, comme ilz sont tenus
de ce faire, pour ce qu'ilz ont sur ledit pont lieu et
place à jour de feste pour vendre lesdicts oiseaulx.
Et, par tous les lieux en ladicte ville par où le roy
passa celle journée, estoit tendu au long des rues
bien notablement. Et ainsi s'en ala faire son oroison
en l'église Nostre-Dame de Paris, et puis s'en retourna
souper en son Palais royal à Paris, en la grant sale
d'icellui- : lequel souper fut moult bel et plantureux,
et coucha celle nuit oudit palais.
1. Ce pont, couvert de boutiques de changeurs, reliait directe-
ment la rue Saint-Denis à la Cité. On l'appelait aussi le Pont-
aux-Oiseaux, à cause des oiseleurs qui l'habitaient. Il était en
bois et fut incendié en 1639.
2. Louis XI arriva à Notre-Dame vers six heures du soir, et fut
reçu par l'évêque, entouré de tout son clergé, et par les maîtres
de l'Université. Après les harangues obligées, qu'il abrégea assez
vivement, il jura, suivant la coutume des nouveaux rois, le main-
tien des privilèges du Chapitre de Paris et visita l'éghse et les
rehques. Voir, dans le Journal de Maupoint cité, p. 45, note 2,
le procès- verbal du greffier du Chapitre ; cf. Basin, II, 15 et suiv.;
Du Clercq, III, 171, et surtout Chastellain, IV, 84. Ce dernier dit
également qu'en quittant la cathédrale Louis XI remonta à che-
val et s'en alla descendre au palais, « là où estoit appresté le
souper pour luy et pour les princes ses pairs et barons, qui tous
y eurent chambres et logis pour celle nuyl, voire les hauts et
grands princes. » Le banquet fut servi sur la fameuse table de
marbre, au bout de cette admirable grand'salle que Philippe le
Bel avait agrandie et appropriée. Elle fut détruite par l'incendie
de 1618, mais l'étage inférieur existe encore. Il n'y avait pas été
30 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1461
Et le lendemain, premier jour de septembre oudit
an LXI, il se desloga dudit palais et s'en ala loger en
son hostel des Tournelles près de la bastide Saint-
Anthoine, où il fut et séjourna depuis par aucun
temps. Et là il fist et ordonna plusieurs choses tou-
chant les af aires de son royaume. Et ilec fist plusieurs
ordonnances et desappoincta les plus grans et princi-
paulx officiers de sondit royaume, comme le chance-
lier Juvenel, le mareschal, l'amiral, le premier prési-
dent de Parlements le prevost de Paris et plusieurs
autres, et en leurs lieux y en mist d'autres tous neufz.
Pareillement aussi desapointa plusieurs maistres des
requestes, secrétaires, conseillers et clers des comptes,
de la court de parlement, des generaulx des aides, de
la chambre du trésor, des generaulx des monnoyes et
autres, et en leurs lieux y en mist de tous nouveaulx^.
donné de fête depuis la réception, à Paris, en 1378, de l'empereur
d'Allemagne Charles IV, car c'est en des occasions fort rares que
le Palais était enlevé au Parlement pour reprendre momentané-
ment sa destination primitive de palais royal. — Le i" sep-
tembre, Louis XI dîna encore au Palais, et le soir « se retrahy
en l'hostel des Tournelles, où il avoit choisi sa demeure..., et y
tint son estât, mais non gaire grand » (Chastellain, IV, 93).
1. Yves de Scepeaux fut remplacé par Hélie de Torrettes,
« homme de grant efficace, juste autant aux povres comme aux
riches, » qui par ses remontrances réussit à empêcher les boule-
versements que Louis XI paraissait sur le point d'introduire dans
le personnel de la cour souveraine pour plaire à son oncle de
Bourgogne, qui avait à se plaindre du Parlement (Fragment de la
Chronique officielle des rois de France, conservé au ms. de la reine
Christine 753, fol. 93 (communication de M. Vaesen). Cf. Jour-
nal de Maupoint, et Chastellain, IV, 100). La nomination d'Hélio
de Torrettes est du 3 septembre 1461. Il prêta serment le 11 du
même mois [Ordonnances, XV, p. 12, note; cf. ci-après).
2. C'est le mercredi 2 septembre que Louis XI réunit, « eu
1461] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 31
Et, le tiers jour de septembre mil IIIP LXI, le roy
avecques les seigneurs et aucuns gentilzhommes de
sa maison soupperent en l'ostel de maistre Guillaume
de Corbye, lors conseiller en sa court de Parlement,
et celle nuit le roy [le] fist et créa premier président
du Daulphiné^ Et là y furent plusieurs damoiselles et
l'hostel neuf construit par Charles V à côté de celui des Tour-
nelles, les ducs et une grant partie des contes et chevaliers et
aultres sages, » afin de pourvoir aux offices du royaume. Ce con-
seil siégea trois semaines, mais le roi suivit peu ses avis. Mau-
point, qui fournit ce renseignement, ajoute que « plusieurs chefs
de guerre... furent desapointez et aultres moins nobles et de
moindres ostelz furent mis en leurs estas et offices. » Les muta-
tions portèrent sur nombre d'officiers de tout ordre, « dont et
pourquoy plusieurs personnes furent dolens et desplaisans et se
donnoient grant merveille de telle et si soudaine muance en tant
et en si grant nombre d'estas et offices parmi ce royaulme. Et
nota que lors on disoit que en ce royaulme avoit soixante et
quatre mille offices à gages » {Journal, p. 47). — C'est Pierre
de Morvilliers qui remplaça le chancelier Jouvenel. — Le
maréchal de Lohéac dut céder son commandement au bâtard
d'Armagnac, Jean de Lescun. Jean de Montauban fut amiral à
la place de Jean de Bueil avec 2,000 1. t. de gages et 20,000 1. t.
de pension (Bibl. nat., ms. fr. 20499, fol. 106), et Jacques de
risle-Adam prévôt de Paris à la place de Robert d'Estouteville. ^
On verra qu'après le Bien Public plusieurs des anciens titulaires
furent réintégrés en leurs charges (voy. Ghastellain, IV, 100,
les Mémorandums de Bourré, Bibl. nat., ms. fr. 20489, fol. 95, et
Ordonnances des rois, t. XV, p. 11 et suiv.).
1. Guillaume de Corbie était fils de Phihppe, bâtard légitimé
du chancelier Arnault de Corbie et de Jeanne de Chanteprime.
Chevalier, seigneur de Mareuii, etc., et conseiller au parlement
de Paris dès 1436, il y devint président en 1463. Il avait épousé
Jeanne de Longueil et mourut le 21 mars 1490. Par lettres
royales, en date du 13 septembre 1461, Guillaume de Corbie fut
autorisé à cumuler l'office de conseiller au parlement de Paris
avec celui de président au parlement de Dauphiné (Ordonnances
des rois, XV, 17).
32 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1461
honnestes bourgoises dudit lieu de Paris. Et, ce jour
aussi, fut fait et créé secrétaire Jehan Prévost, clerc
de maistre Jehan de Valengelier, greffier des requestes
de rOstel du roy^, au moien de ce qu'il espousa une
jeune femme nommée Mariete, qui avoit servy mon-
seigneur le bastard d'Armignac, conte de Gomminge ;
à cause de quoy ledit Prévost a eu de grans biens,
et y print le bien qu'il a^. JEt, en ce temps, le roy
estant audit lieu de Paris, fist de grandes honnestes
et bonnes chères en divers lieux et hostelz de Paris ^ .
1. Jean de Valengelier servait Charles Vil dès 1434 en qualité
de clerc-notaire et secrétaire (Bibl, nat., Pièces orig., vol. 2915,
doss. Valengelier).
2. Ce Jean Le Prévost, que notre auteur paraît avoir tenu en
médiocre estime, fut un des serviteurs les plus employés de
Louis XL Dès la fin de septembre 1461, on le voit contresigner
des lettres du roi (Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 14). En 1468,
c'est lui qui rédigea le procès-verbal des états généraux tenus à
Tours du 6 au 14 avril (Musée des Arch. nat., n» 483). En 1473-
1474, il avait probablement la garde des livres du roi (Delisle,
Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale, I, 75, 77, et
II, 343). En 1466, 1469 et 1472, il exerça le contrôle des finances
« deçà Seine et Yonne » (Bibl. nat.. Pièces orig., vol. 2378, doss.
Prévost), et plus tard, en 1484-1485, la recette ordinaire du bail-
liage de Touraine (Bibl. nat., ms. fr. 20499, fol. 80). Il habitait à
Paris, sur la paroisse de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois, dont
il était marguillier en 1482-1483 (Arch. nat., LL 729, fol. 149). —
Sa femme, Marie Sohier, toucha, le 4 novembre 1465, 100 écus
d'or pour partie de ses gages de lingère et lavandière du roi (Bibl.
nat., ms. fr. 26090, n^ 438, parch.). Par patentes datées de Mon-
tils-lès-ïours, le 26 mars 1466 (v. st.), Louis XI lui fit don de
tous les droits qu'il possédait sur la prévôté de Triel en récom-
pense des 20 écus d'or qu'elle recevait pour ses gages et pension,
avantage que Le Prévost échangea plus tard contre la prévôté
de Gonesse (Patentes datées du Pont-de-Samois, 4 octobre 1474.
Voy. Sauvai, Hist. des Antiquités de Paris, 1724, t. III, p. 424).
3. A en croire Chastellain, les passe-temps de Louis XI n'étaient
1461-1462] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 33
Et si advint en ce temps audit lieu de Paris que
une belle jeune femme nommée Jehanne du Bois,
femme d'un notaire du Chastellet dudit lieu de Paris,
se party et absenta hors de la maison de sondit mary
et s'en ala où bon lui sembla, et depuis par long
temps fut perdue. Et après, sondit mary, bien con-
seillé de ses principaulx amis, la reprint, et se contint
de là en avant avecques sondit mary bien et honnes-
tement^.
En l'année mil GCGG soixante et deux ensuivant,
ne survindrent gueres de nouvelletez qui feussent de
pas tous d'un ordre relevé. Escorté par Guillaume Bische, le
favori du comte de Gharolais, et « un des singuliers du monde, »
il s'en allait « bras à bras par nuyt... parmy la ville de Paris
visiter dames et damoiselles » (IV, 116, 486). — Tout le passage
concernant Jean Le Prévost, qui existe dans les deux manus-
crits, a été supprimé dans l'édition gothique, probablement parce
que ce personnage vivait encore à l'époque où pour la première
fois la Scandaleuse fut imprimée.
1. Les mots « et despuis par long temps fut perdue » qui
figurent dans les deux manuscrits de la Chronique ont été
omis dans les éditions anciennes. Je ne sais si ce notaire
au Ghàtelet est le même personnage qu'Etienne du Bois, con-
seiller au Parlement, qui fut suspendu de son office pour avoir,
en 1476-77, opiné pour que le duc de Nemours « ne fust pugny
du crime de lèze majesté. » Ge Du Bois avait épousé Jeanne
de Fumechon, fille d'un conseiller au Parlement. Arrêté et
emprisonné, il languit quatorze mois « tout enferré, les jambes
nues, et de jour enchesné d'une chesne de fer. » Transporté
ensuite de Tours à Arras, malade, e sur ung petit cheval en
une charrette, par manière de dérision, en grande esclande de sa
personne, » il fut entin élargi, mais le roi lui fit interdire sous
peine de confiscation de rentrer à Paris ni d'approcher de dix
lieues de sa résidence. La femme d'Etienne du Bois partagea sa
misère et en mourut (Bibliothèque nationale, Pièces originales,
vol. 389, dossier du Bois).
34 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [U63-1464
grant mémoire : pourquoy n'en est icy faicte aucune
mencion.
Et, au regard de l'année ensuivant mil IIIP LXIII,
pareillement que dit est, ne survint riens qui doye
estre mis en grant mémoire, mais l'y ver fut court
sans estre froit, et fut l'esté long. Il crut en ladicte
année assez de vin et assez bon. Et, au regard des
autres biens de terre, n'en fut pas grant habondance,
mais la mer fut fort fructueuse ^
En l'an mil GCGG LXIIII, à ung jour de mardi,
XV* jour de may, le roy vint et arriva en sa ville de
Paris, qui venoit de Nogent le Roy, où ilec la royne
s'estoit délivrée d'une belle fîlle^. Et ce jour il soupa
en l'ostel de maistre Charles d'Orgemont, seigneur de
1. Interpolations et variantes, § III. — Les éditions anciennes
ont supprimé le dernier membre de la phrase. Ainsi qu'on l'a
remarqué dans l'Introduction, il est au moins singulier que le
chroniqueur ait omis de noter les événements des années 1462
et 1463.
2. Interpolations et variantes, § IV. — La « belle fille » dont il
s'agit (l'Interpolateur, en copiant cette phrase, a supprimé l'épi-
thète) est Jeanne de France, cette pauvre créature contrefaite
que Louis XI imposa au jeune duc Louis d'Orléans dans l'es-
poir peut-être que leur union, vouée à la stérilité, serait la fin
d'une maison rivale. Répudiée en 1498 par le duc d'Orléans,
devenu le roi Louis XII , Jeanne reçut en compensation le
duché de Berry (26 décembre 1498) et mourut en odeur de
sainteté (voy. R. de Maulde, Jeanne de France, duchesse d'Or-
léans et de Berry, in- 8». Paris, 1883). Venu en pèlerin à
Chartres, Louis XI partageait son temps entre cette ville et
Nogent-le-Roi, qui, depuis 1444, appartenait au grand sénéchal
de Normandie, Pierre de Brézé. En 1460, Brézé avait rasé l'an-
cien château et construit un château neuf qui fut terminé en
1463 (Docu^yi. histor. sur les communes du canton de Nogent-le-
Roi..., p. p. Ed. Lefèvre, 2 vol. in-12. Chartres, 1865).
1464] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 35
Mery*. Et puis s'en parti oudit moys de may de
ladicte ville de Paris, pour aler es marches de Picar-
die, cuidant ilec trouver les ambasseurs du roy
Edouart d'Angleterre, qu'on lui avoit dit qui y dévoient
venir pardevers lui, qui n'y vindrent point; et à
ceste cause s'en parti dudit pays de Picardie et s'en
ala à Rouen et autres lieux de Normandie^.
Et, lui estant oudit pays de Normandie, advint
que ung balenier fut prins sur mer es marches de
Holande, dedens lequel estoit avecques autres ung
nommé le bastard de Rubempré, lequel balenier et
ceulx qui dedens estoient furent prins tous prisonniers
par les navires de Flandres. Et, après ladicte prinse
faicte, plusieurs Picars et Flamens disoient et pu-
blioient que dedens icellui le roy les avoit envolez pour
prendre prisonnier monseigneur de Gharolois : dont
il n'estoit riens ^.
1. Charles d'Orgemont, écuyer, seigneur de Méry et de Champs-
sur-Marne, conseiller et maître des comptes, trésorier de France
(12 novembre 1465), était fils de Philippe d'Orgemont et de Marie
Boucher. Il épousa Jeanne Dauvet (Bibl. nat., Pièces orig.,
vol. 2149, doss. Orgemont ; ms. fr. 2921, fol. 44 v". Cf. G. Jacque-
ton, Documents relatifs à l'administration financière en France de
Charles VU à François /". Paris, 1891, in-8°, p. 289).
2. Interpolations et variantes, § V. — Louis XI quitta Paris à
la un de mai, « et de là, visitant les marches à l'entour, et
tousjours approchant Picardie, fit son arrest en diverses places,
chassant et soy esbattant pour venir au temps que la journée
estoit prise de la convention des Anglois, le xv« de juillet »
(Chastellain, IV, 493). Il arriva à Rouen le 23 juillet, y demeura
quelques jours et fit un séjour assez prolongé chez le grand
sénéchal de Normandie, à Mauny, « près d'une forest, là où
avoit assise une maison plaitte, qui bien sembloit de haut repaire »
(Chastellain, V, 25; cf. VII, 37 et suiv.).
3. Il semble impossible, en eiïet, que Louis XI ait commis la
I 5
36 JOURN.VL DE JEAN DE ROYE [1464-1465
En ce temps, le roy, qui estoit en Normendie, s'en
parti pour retourner audit lieu de Nogent. Et puis de
là s'en ala à Tours, à Ghinon, et de là à Poictiers^.
Auquel lieu de Poictiers ala et fut pardevers lui une
ambaxade de Paris lui requérir aucunes franchises
pour ladicte ville, dont riens ou que peu ne leur
accorda, sinon que l'imposicion foraine n'auroit plus
de cours en ladicte ville, qui n'estoit pas grant chose ^.
Mais ilz n'en joyrent point, nonobstant leurdit don,
pour ce que les gens des Comptes, à qui leurs lettres
s'adressoient, ne leur vouldrent bailler d'icelles leur
expedicion.
Et aussi furent devers le roy audit lieu de Poictiers
les ambasseurs du duc de Bretaigne, qui par lui
furent oyz sur aucuns articles qu'ilz lui exposèrent tou-
chant le fait du roy et dudit duc. Lesquelz articles ou
folie de confier au bâtard de Rubempré la mission d'enlever le
comte de Gharolais à Gorcum, c'est-à-dire à plus de 100 kilo-
mètres d'Araemuyden, où le bâtard avait laissé son navire. On
trouvera la version française de cet incident dans le discours du
chancelier de France à Philippe le Bon (6 nov. 1464. Gommynes,
éd. Lenglet, II, 417; cf. éd. Dupont, UI, 208). Le bourguignon
Ghastellain s'abstient de formuler une opinion, tout en déclarant
la venue du bâtard « souspeconneuse » (V, 83). Le fragment de la
Chronique de la Haye citée par M. de Lettenhove (ibid., p. 85)
incrimine formellement le roi. Du Glercq dit simplement qu'on
ne put rien savoir au vrai de la confession que le bâtard fut
censé avoir faite, « car le conte [de Gharolais] ne volt pas que on
le sceust » (IV, G6).
1. Louis XI était à Rouen le 8 novembre. Le 13, on le retrouve
à Nogent-le-Roi. Il passa les mois de décembre et de janvier en
Touraine et arriva le 18 février à Poitiers, où il resta jusqu'au
milieu de mars {Itin. cité).
2. On entendait par imposition foraine les droits que devaient
acquitter les marchandises à l'entrée ou à la sortie du royaume
(Jacquelon, ouvr. cité, Introd., p. vm).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 37
la pluspart d'iceulx furent par le roy accordez. Et,
en iceulx articles accordant, lesdiz ambasseurs pro-
misdrent de faire venir ledit duc de Bretaigne audit
lieu de Poictiers ou ailleurs au bon plaisir du roy,
pour confermer iceulx articles acordez. Et à tant se
partirent dudit lieu de Poictiers lesdiz ambasseurs,
feignans eulx en retourner audit pais de Bretaigne;
mais ilz firent tout le contraire, comme cy après sera
dit, car ilz partirent dudit Poictiers à ung jour de
samedi ^ Et ce jour ne firent que quatre lieues, et ilec
demourerent jusques au lundi ensuivant que monsei-
gneur le duc de Berry, frère du roy^, s'en party aussi
dudit lieu de Poictiers, et vint jusques aux dessusdiz
ambasseurs, qui le recueillirent et l'en amenèrent
oudit pays de Bretaigne à bien grant haste et dili-
gence, pour paour que le roy n'en eust nouvelles et
qu'ilz feussent suivis^. Et desjà estoit oudit pays aie,
pardevers icellui duc, monseigneur le conte de Du-
noys'*. Et, si s'en alerent audit pays de Bretaigne,
4. Les ambassadeurs bretons étaient Odet d'Aydie, seigneur de
Lescun, et le chancelier Guillaume Ghau-vin. « Ilz m'avoient dit, »
écrit Louis XI au duc de Bourgogne, après le 6 mars, « qu'il (le
duc de Bretagne) viendroit à Tours et que je envoyasse le conte
de Gomminge et l'admirai devers lui pour l'acompaigner à y venir,
ce que j'avoye fait; et partirent lundi derrenier d'icy pour y aller,
et je m'en parti aussi ce jour pour aller en mon pelerinaige à
N.-D.-du-Pont, et lesdiz gens du duc estoient partiz le jour
devant » (Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 234). Les Bretons quit-
tèrent donc Poitiers le dimanche 3 et non le samedi 2 mars.
2. Gharles de France, second fils de Charles Vil et de Marie
d'Anjou, né le 28 décembre 1446, mort le 25 mai 1472. Louis XI
lui avait donné, en 1461, le duché de Berry en apanage.
3. Cf. Vaesen, Lettres de Louis II, II, 234 et suiv. — Interpo-
lations et variantes, § VI.
4. Basin est revenu par deux fois sur la défection du bâtard
38 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
après ledit parlement, aucuns particuliers pardevers
mondit seigneur de Berry^.
Et, tantost après ledit parlement ainsi fait que dit
est, monseigneur le duc de Bourbon porta guerre au
roy et à ses pays, et print toutes les finances qui
esloienl au roy, eslans es pays de mondit seigneur le
duc^. Et si y fist prendre et arrester le seigneur de
Crussol, qui bien estoil fort familier du roy, et lequel
seigneur de Crussol passoit lors par les pays de mon-
seigneur le duc de Bourbon, menant avecques soy sa
d'Orléans, dont la cause véritable paraît avoir été sa rivalité avec
le comte du Maine, que Louis XI favorisait à ses dépens. Chargé
par le roi d'une mission en Bretagne, il embarqua sur la Loire la
meilleure partie de ses meubles et s'en fut, « sans idée de retour, b
Basin, naturellement, excuse cette trahison. Dunois, dit-il, redou-
tait la colère du roi, lorsque celui-ci apprendrait le résultat néga-
tif des sommations qu'il l'avait chargé d'adresser aux Bretons,
et, d'autre part, le comte percevait clairement qu'il n'y avait à
espérer aucune réforme dans le gouvernement du royaume (II,
99, 103). Le bâtard d'Orléans fut la véritable tête des coalisés de
l'Ouest.
1. Interpolations et variantes, § VII.
2. C'est à Lille, au mois d'octobre 1464, que le duc de Bourbon
persuada son oncle le duc de Bourgogne de faire cause commune
avec les seigneurs français contre Louis XI; encore, ajoute Com-
mynes, t le neu de ceste matière ne luy fut jamais descouvert,
ne il ne s'attendoit point que les choses vinssent jusques à la
voye du faict » (éd. Duiwnt, I, 14). — Les griefs des princes coa-
lisés sont exposés dans la lettre que Bourbon écrivit au roi pour
lui faire connaître son refus d'obéir à ses ordres (Bourges,
24 mars, dans Gommynes, éd. Lenglet, II, 443 et suiv. — Cf. Ghas-
tellain, IV, 117, 119, et Doc. inédits, l""* série; Mélanges histo-
riques, p. p. Quicherat, t. Il, p. l'J6 et suiv.). — Dès le 5 avril,
Louis XI mandait au seigneur de la Fayette qu'il était averti
« des prinses et destrousses faictes par les gens du duc de Bour-
bon sur ses olliciers et subgetz » et l'invitait à user de représailles
(Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 25'i).
1465J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 39
femme et plusieurs de ses biens, tous lesquelz furent
en arrest en la ville de Cosne en Bourbonnoys^ Et,
après les choses dessusdictes, furent aussi arrestez
prisonniers en la ville de Molins le seigneur de Tray-
nel, par avant chancelier de France, et maistre Pierre
d'Oriole, gênerai des finances du roy, lesquelz furent
longuement détenus en arrest en ladicte ville de Mo-
lins. Et puis après par mondit seigneur le duc furent
délivrez, et s'en retournèrent pardevers le roy^.
Et, le dimenche xii^ jour de mars^, oudit an
IIIP LXIIII, après ledit partement de monseigneur de
Berry dudit lieu de Poictiers, Anthoine de Chabanes,
1. Louis, seigneur de Crussol et de Beaudiner, conseiller et
chambellan du roi, grand panetier de PVance, sénéchal de Poitou,
gouverneur de Dauphiné, etc., avait épousé Jeanne de Lévis,
dame de Florensac. Il mourut au mois d'août 1473.
2. Interpolations et variantes, § VIII. — Pierre d'Oriole, qui, à
l'avènement de Louis XI, avait été remplacé comme général des
finances par Jean de Bar et comme maître des comptes par Jean
Bourré, n'était pas tombé dans une disgrâce complète. Il avait
été chargé par le roi, avec l'ex-chanceher Jouvenel, au mois de
juin 1464, de chercher un accommodement entre les ducs de
Savoie et de Bourbon. C'est au cours de cette mission qu'ils
furent tous deux arrêtés à Moulins par ordre de Jean II. Après
son élargissement, P. d'Oriole rejoignit le roi, mais, comme on le
verra, passa aux rebelles au mois de septembre 1465. Sur les
arrestations arbitraires dont parle notre texte, voir les plaintes
du roi dans Commynes, éd. Lenglet, II, 448. Louis XI protesta
aussi contre les déprédations dont s'étaient rendus coupables
Louis du Breuil, Jean du Mas et autres qui, venus en armes
jusqu'à la Loire, avaient saisi et dépouillé près de Blois, le 27 mars,
le sénéchal de Beaucaire, rentrant d'une ambassade auprès du
duc de Bourgogne, et d'autres sujets du roi, t qui n'est pas grand
commencement de mettre bon ordre et provision au fait de ce
royaume. »
3. Interpolations et variantes, § IX. — Il faut lire J« jour de
mars. — Cf. Maupoint, Journal, p. 51.
40 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
conte de Dampmartin, qui estoit constitué prisonnier
en la bastide Saint-Anthoine , s'en party et eschapa
hors dudit lieu, et s'en ala en Berry et en Bourbon-
noys, où ilec il fut bien recueilly par les gens de mes-
diz seigneurs de Bourbon et Berry. Et, pour occasion
dudit eschapement, en furent plusieurs constituez pri-
sonniers.
Et, le mercredi ensuivant, xv^ jour^ dudit moys,
messire Charles de Meleun, lieutenant du roy, maistre
Jehan Balue, esleu evesque d'Evreux-, et maistre Jehan
Le Prévost, notaire et secrétaire du roy, vindrent et
arrivèrent à Paris en l'ostel de la ville, où illec fut
fait lecture d'aucuns articles, dont le roy leur avoit
baillé charge. Et, après ladicte lecture ainsi faicte,
furent faictes en l'ostel de ladicte ville plusieurs belles
ordonnances pour la tuicion, garde et seureté d'icelle
1. Lisez J///e jour.
2. Charles de Melun, chevalier, conseiller et chambellan du
roi, seigneur de Nantouillet, baron des Landes, etc., bailli de
Sens, capitaine de Melun et du bois de Vincennes, grand maître
de France, était fils de Philippe, seigneur de la Borde- le- Vicomte
et de Jeanne de Nantouillet. Il épousa : \° 21 janvier 1453, Anne-
Philippe de la Rochefoucauld ; 2° 23 mars 1466, Philippe de
Montmorency. Il périt sur l'échafaud le 22 août 1468, comme on
le verra plus loin (Positions des thèses soutenues à l'École des
chartes en 1892, Essai sur Charles I^^ de Melun, par C. Anchier).
— Jean Balue, né vers 1421, gagna la faveur de Louis XI par
la protection de ce même Charles de Melun dont il devint un des
pires ennemis. Élu évêque d'Évreux le 5 février 1462, il fut sacré
le 4 août 1465. Évêque d'Angers (5 juin 1467), cardinal (18 sept.
même année), il fut arrêté après l'aventure de Péronne, le 23 avril
1469, sortit de prison le 25 décembre 1480, s'en fut à Rome,
revint en France comme légat du pape (8 oct. 1483-5 févr. 1485)
et mourut en Italie le 5 octobre 1491 (Positions de thèses citées.
Vie de Jean Balue, par H. Forgeot).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 41
ville, comme de faire guet et de garder les portes
d'icelle et les autres fermer et murer et mettre les
chaynes de fer des rues de ladicte ville en estât, pour
servir quant mestier en seroit, et plusieurs autres
choses, qui longues seroient à escripre, que je passe
cy pour cause de briefté.
En ce temps, furent prins par inventaire et mis
en la main du roy tous et chascuns les biens de Pierre
Morin, trouvez et estans à Paris, pour ce que ledit
Morin, qui estoit trésorier de mondit seigneur de
Berry, tenoit pour ledit seigneur contre le roy la
ville et tour de Bourges*. Et, à ceste cause, le roy
donna l'office de huissier du Trésor, qui estoit audit
Morin, à ung nommé Jaques Testeclere.
Et, après le parlement dudit Dampmartin, il trouva
moien et façon de prendre et avoir sur Geoffroy
Guer, filz de feu Jaques Cuer, les places de Saint-For-
geau et Saint-Morisse, où il print ledit Geoffroy à son
prisonnier, et avecques aussi prinst tous les biens
qu'il avoit esdiz lieux ^.
Et, après ces choses, le roy s'en tira devers Angers
et le Pont de Sée, pour savoir le vouloir de ceulx qui
ainsi s'estoient de lui départis et alez oudit pays de
1. Pierre Morin exerça la charge de trésorier des guerres de
Normandie (M. déc. 1465) pendant les quelques semaines que
Charles de France passa à Rouen. Trésorier de Guyenne, quand
son maître reçut ce duché en apanage, il passa au service du roi
après la mort du duc Charles et continua à exercer en Guyenne
des fonctions d'ordre financier. En 1498, on le retrouve maître
de la Chambre aux deniers d'Anne de Bretagne, veuve du roi
Charles VIII [Louis XI, Jean d^ Armagnac et le drame de Ledoure.
Extrait de la Revue historique. Paris, 1888, p. 31).
2. Voy. le récit de cette expédition aux Interpolations et va-
riantes, % IX.
42 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Bretaigne^ Et avoit le roy avecques lui pour le acom-
paigner le roy de Secile et monseigneur du Mayne ;
et si le suivirent plusieurs gens de guerre de son
royaume et en grant nombre, qu'on estimoit estre de
XX à xxx"* combatans. Et, après que le roy ot ainsi
esté ilec une espace de temps, voiant qu'il n'y faisoit
gueres, s'en ala et tira ou pays de Berry, vers Ysso-
dun, Vierron, le Bourg de Dieux et autres places envi-
ron 2, et mena avecques lui grant quantité de ses
gens de guerre et de son artillerie, et laissa lesdiz roy
de Cécile et seigneur du Maine, bien acompaignez de
gens de guerre, pour garder et défendre que lesdiz
de Bretaigne n'entrassent en Normandie ne en autres
lieux de ce royaume pour le dommager.
Et, quant le roy fut ainsi venu oudit pays de Berry
que dit est, il séjourna ilec ung peu de temps et
puis s'en parti pour aler au pays de Bourbonnoys, et
laissa la ville de Bourges sans y aler, pour ce qu'il
y avoit grant garnison dedens ladicte ville, dont estoit
conducteur et cappitaine monseigneur le bastard de
1. Il n'est pas certain que Louis XI ait poussé jusqu'à Angers,
Le roi ne paraît pas avoir quitté Saumur du 28 mars au 16 avril.
Le lendemain de ce jour, l'Itinéraire signale sa présence à Lan-
geais et le 19 à Tours. — Pendant le séjour de Louis XI à Sau-
mur, son oncle, le roi René de Sicile, eut aux Ponts-de-Gé (auj.
dép, de Maine-et-Loire) une conférence sans résultat avec les
ducs de Berry et de Bretagne et le comte de Dunois (Voy.
Gommynes, éd. Lenglet, II, 445 et suiv., et Quicherat, Mélanges
hisloriques, II, 240).
2. En quittant Amhoise, le roi prit sa route par Montrichard,
Saiut-Aignan (28 avril), Menetou et Vierzon, et demeura à Issou-
duu du 2 au 8 mai (Itinéraire cité). Le bourg de Déols est sur la
rive droite de l'Indre, en face de Chàteauroux. Si Louis XI passa
à cet endroit, ce serait entre le moment où il quitta Issoudun et
celui où il parvint à Lignières,
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 43
Bourbon pour mondit seigneur de Berry*. Et vint
entrer oudit pays de Bourbonnoys, où ilec, environ
le jour d'Ascension Nostre Seigneur, la ville et chastel
de Saint-Amant l'Ailler fut prinse d'assault. Et, peu
de temps après, lui fut rendue la ville et chastel de
Molusson par composition, dedens laquelle estoient
Jaques de Bourbon et xxxy lances, qui s'en alerent
eulx et leurs biens saufz et jurèrent que jamais ne
s'armeroient contre le roy^.
1. C'est de Saint-Amand-Mont-Rond que Louis, bâtard de
Bourbon, le futur amiral de France, fut brusquement appelé et
introduit dans Bourges par les partisans du duc de Berry, au
moment où ceux du roi allaient ouvrir leurs portes. Le l" mai,
Balue écrivait de Paris au chancelier Morvilliers , alors en
Picardie : « Le roi est ou sera demain dans Bourges, car il y a
appointement avec ceulx de la ville » (Mélanges historiques, II,
238, 229 et 256. Cf. Yaesen, Lettres de Louis II, U, 286 et suiv.).
Louis XI eut la sagesse de ne pas assiéger Bourges et poursuivit
sa marche vers le Bourbonnais. Cette habileté assura le succès
de la campagne.
2. Saint-Amand (aujourd'hui Saint-Amand-Mont-Rond) et
Montluçon sont des chefs-lieux d'arrondissement du département
du Cher. Averti que Geoffroy de Chabannes, seigneur de Char-
lus, était resté pour garder Saint-Amand avec une vingtaine
d'hommes d'armes, Louis XI envoya Charles de Melun, Houaste
et les gens du sénéchal de Poitou saisir cette place. Charlus laissa
à Saint-Amand une poignée de soldats et se jeta avec une dizaine
d'hommes de pied dans le château de Montrond, la plus forte
place du Bourbonnais et le boulevard de Bourges, mais dès le
lendemain il capitulait (Louis XI au comte de Nevers, Vaesen,
Lettres de Louis XI, II, 287). Après avoir pourvu à la défense de
toutes les places du Berry, l'armée royale assiégea, le 12 mai,
Montluçon, « qui est la seconde ville principalle du Bourbonnois. »
Jacques de Bourbon, un frère cadet du duc Jean, commandait là
quelque 30 ou 40 hommes d'armes et 120 piétons, qui se rendirent
dès le lendemain ou le jour suivant {Ibid., 294). — Comme l'As-
cension tomba le 23 mai en 1465, notre chroniqueur a commis
44 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et, la veille dudit jour d'Ascension Nostre Seigneur
[%% mai], arrivèrent à Paris monseigneur le chance-
lier de Traynel, maistre Estienne Chevalier, Nicolas de
Louviers, maistre Jehan des Molins^ par lesquelz le
roy escripvoit à ses bons bourgois, manans et habi-
tans de Paris, en les merciant de leurs bons vouloirs
et loyautez, en les priant et exhortant de bien en
mieulx continuer. Et par eulx leur mandoit qu'il leur
envoieroit la royne pour acoucher à Paris, comme à
ville du monde que plus il aymoit.
Et, le jeudi xxx® et penultime jour de may l'an
mil CGGGLXV, advint que à ung mouHn, qui est
pardelà Moret en Gastinoys^, nommé le moulin Basset,
en une hostellerie ilec estant, se vindrent loger ung
nommé Jehan Lahure, marchant de la ville de Sens,
ung sien nepveu et autres en sa compaignie. Et, en
ladicte hostellerie, environ mynuit, vindrent de xxx
à XL hommes de cheval, tous en armes, qui estoient
venus desditz heux de Saint-Morisse et Saint-Forgeau,
qui en amenèrent prisonniers esdits lieux lesdits La-
hure et ceulx de ladicte compaignie, ensemble tous
leurs biens et bagues. Et, oudit temps, le roy ordonna
une erreur de date, mais il est probable que les événements
qu'il raconte ne furent connus à Paris que vers l'Ascension.
1. L'eaî-chancelier et Etienne Chevalier, qu'on a vus arrêtés un
moment à Moulins par ordre du duc de Bourbonnais, avaient
rejoint l'armée royale sans s'être laissé gagner à la cause des
princes. — Jean de Moulins, notaire et secrétaire du roi, que
Louis XI maria à sa filleule Louise Jamin, fut élu l'un des cent
conseillers, puis, en 1464, maire de Poitiers, sur l'ordre du roi
(Vaesen, LeUres de Louis XI, II, 181 et 188).
2. Aujourd'hui Moret-sur-Loing, dép. de Seine-et-Marne, arr.
de Fontainebleau.
1465J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 45
de rompre et abatre les ponts de Chamois, de Beau-
mont sur Oize et autres^.
Et, le jeudi vi* jour de juing, oudit an mil III^ LXV,
advint à Paris, en la rue Saint-Denis, devant la Barbe
d'Or, que ung ancien homme, bonnetier, nommé Jehan
Marceau se pendit et estrangla en sa maison, et fut
le corps trouvé mort; si fut despendu et apporté ou
Chastellet de Paris pour estre ilec visité, et, après
ladicte visitacion faicte, fut envoie et porté pendre
ledit corps au gibet de Paris. Et, en ce mesmes
jour, y ot ung laboureur demourant à Glignencourt^,
nommé Jehan Petit, qui coppa la gorge à sa femme.
En ce temps, le bastard de Bourgongne et le
mareschal de Bourgongne^, acompaignez de grant
quantité de gens de guerre de la compaignie dudit
monseigneur de Charrolois, commencèrent à courir
sus aux villes et subgetz du roy par port d'armes, et
vindrent prendre sur le roy Roye et Montdidier^. Et
1. Samois, sur la Seine, est aujourd'hui dans le dép. de Seine-
et-Marne, cant. de Fontainebleau. Le pont de Beaumont (aujour-
d'hui dép. de Seine-et-Oise, cant. de l'Isle-Adam) commandait
la route d'Amiens et de Beauvais à Paris.
2. Clignancourt, ancien village situé au nord de la butte Mont-
martre, est aujourd'hui compris dans le XVIII^ arrondissement
de Paris.
3. Thibaut IX, seigneur de Neufchàtel-sur-Moselle et de Bla-
mont, maréchal de Bourgogne, était fils de Thibaut VIII et
d'Agnès de Montbéliard. Il mourut vers 1469, Le 21 mai 1465,
le maréchal de Bourgogne était encore à Chàtel-sur-MoselIe,
d'où il faisait sommer les gens d'Épinal {Mélanges historiques,
t. II, p. 273).
4. Le 15 mars, le duc de Berry adressait de Nantes au duc
Philippe le Bon la prière de faire entrer ses troupes en France
(Du Glercq, IV, 114). Le 15 avril, le duc de Bourgogne se récon-
ciUa avec son fils Charles, et, le 24 du même mois, les États,
46 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
lors monseigneur le conte de Nevers et Joachin
Rouault, mareschal de France, et estans pour le roy
dedens la ville de Peronne à tout bien mi'^ combatans,
se retrahirent à Noiom et Gompiengne et laissèrent
audit lieu de Peronne, pour la garde d'icelle, des
nobles de France et «inq cens frans archers^.
Et, le dimenche xi® ^ jour dudit moys de juing, fut
faicte à Paris une moult belle et notable procession géné-
rale, où furent portées moult de sainctes reliques; et,
entre autres sainctes choses, furent portées les chasses
de madame Saincte Geneviefve et Saint Marcel. Et, par
belle ordonnance vindrent en la grant église de Paris,
où ilec fut chantée une haulte messe de Nostre Dame.
convoqués à Bruxelles, accordaient au duc les sommes néces-
saires pour mettre sus une armée dont le commandement devait
appartenir au comte de Gharolais. La mise en marche fut fixée
au 7 mai, mais, le 8, l'armée commençait seulement à se réunir
{Mélanges historiques, II, 251). Roye se rendit aux Bourguignons
vers le 6 juin et Montdidier ouvrit ses portes le 8 au sire de
Hautbourdin (Gommynes, éd. Dupont, III, 218 et suiv.).
1. Joachim Rouault et Colart de Mouy, bailli de Vermandois,
arrivèrent à Amiens le 12 mai au soir et le 15 à Peronne, que
le comte de Saint-Pol menaçait de fort près. « Et vous asseure, »
écrit le lendemain le maréchal au chancelier, « qu'il estoit besoing
que y vensissions, car à ce matin ilz feussent entrez dedans »
(Mélanges historiques, II, 258, 263, 266). Jean de Bourgogne,
comte de Nevers, avait reçu du roi la mission d'assurer la
défense de la frontière du nord contre son cousin Gharolais.
Quand celui-ci fut enfin sur le point de passer la Somme (le
6 juin, à Bray, Gommynes, éd. Lenglet, II, 181), Nevers, Rouault
et Mouy, craignant d'être enfermés dans Peronne, abandonnèrent
cette place dans la nuit du 5 au 0 juin avec 1,400 chevaux (Gha-
rolais aux magistrats de Maliues, de Lihons-en-Sangterre, le
7 juin, dans Gommynes, éd. Dupont, III, 218. Gf. la lettre adres-
sée le 2 juin (et non le 9) par Rouault à Morvilliers, Mélanges
historiques, II, 289).
i. Lisez IX^.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 47
Et ilec prescha au peuple maistre Jehan de l'Olive,
docteur en théologie^ qui declaira que ladicte assem-
blée et congregacion se faisoit pour la santé et bonne
prospérité du roy, et aussi de la royne et du fruit qui
estoit autour d'elle^, et pour la paix et bonne union
estre mise entre le roy et les princes et pour les biens
de terre.
Oudit temps, le roy, estant en Bourbonnois, s'en tira
à Saint-Poursain, ouquel lieu madame la duchesse de
Bourbonnois et d'Auvergne, sa seur, s'en ala pour
parler à lui, comme desplaisant du discord qu'elle
veoit estre entre le roy son frère et monseigneur de
Bourbon, son mary, et pour y cuider trouver aucun
bon moien, ce qui ne se peut faire lors. Et cependant
ledit monseigneur le duc wida hors dudit lieu de Mohns
et s'en ala à Riom^.
1. Et chancelier de l'église de Paris.
2. La reine était ou croyait être alors enceinte, comme on l'a
vu plus haut.
3. C'est à Saint-Pourçain (AlUer), où il séjourna une douzaine
de jours à la fin de mai et au commencement du mois suivant,
que Louis XI reçut, non sans répugnance, la -visite de la duchesse
de Bourbon sa sœur, et celle de M™« de Bourbon l'aînée, Agnès
de Bourgogne (Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 312 et suiv.).
Ajouta-t-il plus de foi à la sincérité des ouvertures que son
ancien favori, Jacques d'Armagnac, et Pierre d'Amboise, sei-
gneur de Ghaumont, lui apportèrent de la part du duc Jean?
Oui, sans doute, car il ne leur pardonna pas de l'avoir trompé.
Le 29 mai, il croyait encore que Bourbon viendrait en personne
à Varennes-sur- Allier apporter sa soumission (Vaesen, Lettres de
Louis II, n, 3111; mais la trêve consentie par Louis XI, « en
espérance de bon appointement » et à la condition expresse que
l'accès du Bourbonnais serait interdit aux Bourguignons, fut
aussitôt violée par Jean II, qui hâta la marche du contingent
envoyé par le maréchal de Bourgogne et fit ouvrir à ses alliés
les portes de Moulins. Dès qu'il fut assuré de leur arrivée, il
48 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Oudit temps, fut ordonné en l'ostel de la ville de
Paris que les portes de Saint-Martin, Montmartre, le
Temple, Saint-Germain des Prez, Saint-Victor et Saint-
Michel seroient toutes murées et qu'on feroit guet de
nuit dessus les murs d'icelle ville.
Oudit temps, fut envoyé mettre le siège devant Saint-
Morisse, tenu et ocupé par l'adveu dudit conte de
Dampmartin^ A tenir lequel siège y estoit le bailly de
Sens, nommé messire Charles de Meleun et plusieurs
communes^ avecques lui. Et encores y fut de rechef
envoyé Anthoine, bailly de Meleun^, qui y mena
avecques lui aucuns archers et arbalestriers dudit lieu
de Paris. Et, tantost après que ledit de Meleun et iceulx
archers et arbalestriers furent ainsi arrivez devant
ladicte place, ceulx dudit Saint-Morisse se rendirent
par composition et baillèrent ladicte place.
Oudit temps aussi, advint que ung nommé maistre
Loys de Tilleres, notaire et secrétaire du roy, et tréso-
rier de Garcassonne et grenetier de Selles en Berry, qui
estoit serviteur de messire Anthoine de Ghasteauneuf,
seigneur du Lau^, fut tué, par maie fortune, d'un archer
quitta en hâte Varennes et courut à Moulins, qu'il abandonna
peu de jours après pour se porter au sud à la rencontre du comte
d'Armagnac (Ibid., 317 et suiv.).
1. Voy. Interpolations et variantes, § IX. — Saint-Maurice-sur-
Tholon, aujourd'hui dép. de l'Yonne.
2. C'est-à-dire des milices fournies par les communes, des
francs-archers,
3. Antoine, frère cadet de Charles de Melun, chevaher, sei-
gneur de la Borde-le-Vicomte après la mort de son père Philippe
de Melun.
4. Antoine de Castelnau, chevalier, seigneur du Lau, etc.,
conseiller et chambellan du roi, grand bouteiller de France,
grand sénéchal de Guyenne (1466), fut l'un des principaux favo-
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 49
qui essaioit ung arc, duquel il tiroit une flesche contre
ung huis qui estoit devant lui, à l'eure que ledit maistre
Loys ouvroit, et lui vint passer la flèche tout au travers
du corps. Et incontinent s'en ala getter dessus une
couchete estant en la chambre, dessus laquelle il ren-
dit l'ame à Dieu incontinent après.
Et, le jour Saint Jehan Baptiste, xxnn® jour de juing,
aucuns qui se baignoient à leurs plaisances en la
rivière de Seine, par maie fortune, se noierent. Et,
pour cause de ce, fut crié par les carrefours de Paris
que de là en avant nul ne feust si hardi de soy aler
plus baigner en ladicte rivière, et que chascun tenist
de jour devant son huis ung seau d'eaue, sur peine
de prison et de lx sous parisis d'amende^.
Et, le lendemain, xxv® jour dudit moys de juing,
fut ordonné en ladicte ville de Paris que toutes les
chaynes des rues de ladicte ville seroient abatues et
laissées gésir sur terre es lieux où elles sont ordonnées,
pour estre toutes prestes, et regardé là où il y avoit
faulte, pour les amender et y pourveoir à les trouver
toutes prestes, quant besoing en seroit : ce qui fut
fait. Et si fut aussi ordonné et enjoinct à ung chacun
de ladicte ville qu'ilz se armassent et eussent provi-
ns de Louis XI avant le Bieu-Public. Disgracié pour le rôle
louche qu'il joua à cette époque, et arrêté ainsi qu'on le verra
plus loin, il réussit à s'échapper. Il rentra en grâce, exerça les
fonctions de sénéchal de Beaucaire et de î^îmes et mourut entre
le 19 août et le 7 octobre 1484 (Voy. Vaesen, Catalogue du fonds
Bourré, p. 167, note).
1. On trouve au Livre rouge vieil du Chàtelet (Arch. nàt., Y^,
fol. IX" vm v°) le texte d'un semblable « cry de non baigner en
la rivière de Saine et de mettre de l'eaue à l'uys, pour la chaleur
du temps » (Premières années du xv« siècle).
50 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [t465
sion d'armeures, chacun selon son estât, pour la
garde de ladicte ville et pour estre tous prestz quant
mestier en seroit, et ce par cedules envoiées de par
ladicte ville à ung chacun particulier.
Oudit temps, tous Bourguignons, Picars et autres
nacions, de l'obéissance et soubz la conduite dudit
monseigneur de Charrolois, marchèrent tant en France
(ju'ilz vindrent et arrivèrent jusques à Pons Saincte-
Maixence, qu'ilz trouvèrent moien d'avoir, et que ung
nommé Madré, qui en estoit capitaine pour maistre
Pierre L'Orfèvre, seigneur d'Ermenonville, leur bailla
par composicion et argent qu'il en print dudit seigneur
de Charrolois^. Et, à ceste cause, vindrent et passè-
rent parmy l'isle de France, qui par les dessusdiz fut
fort dommagée, non obstant qu'ilz disoient partout
où ilz passoient qu'ilz venoient pour affranchir le pays
de France et pour le bien publique.
Et, incontinent après ledit passage fait audit Pont
Saincte-Maixence, lesdiz Bourguignons orent la place
de Beaulieu, qui longuement avoit tenu contre iceulx
Bourguignons par aucuns de la charge et compaignie
de Joachin Rouault, qui s'en alerent par composition,
eulx et leurs biens saufz^.
1. Gharolais, laissant sur sa gauche Noyon occupé par Rouault,
parvint le 28 juin, par Ressons, Saint-Remy et Fresnoy, à Pont-
Sainte-Maxence, où le sire de Hautbourdin s'était introduit trois
jours avant, « ains que ceulx de la ville en sceuissent riens » (Du
Glercq, IV, 152).
2. C'est par erreur que le comte de Gharolais annonçait le
7 juin aux magistrats de Malines la prise de Beaulieu, « à deux
lieues de Nosles, une belle et forte place » (Gommynes, éd. Dupont,
III, 219). Beaulieu se rendit le 24, quand le comte lui-même y
eut tenu le siège pendant quatre jours (Gommynes, éd. Lenglet, II,
183). La place appartenait au seigneur de Nesles, A l'approche
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 51
Et lesdiz Bourguignons, ainsi venus en ladicte Isle
de France, s'espandirent en divers lieux en icelle et y
prindrent Dampmartin, NantouUet, Villemonble et
autres menues places ^ et puis alerent à Laigny sur
Marne, où ilz firent plusieurs explois comme de ardre
et brûler tous les papiers qu'ilz trouvèrent sur le fait
des aides, et ordonnèrent en ladicte ville que tout y
seroit franc. Et si ordonnèrent que le sel qui estoit
ou grenier dudit lieu pour le roy feust baillé et dis-
tribué à tous ceulx qui en vouldroient avoir, en paiant
le droit du marchant seulement^.
Et, le dimenche, derrenier jour dudit moys de juing,
oudit an LXV, Joachin Rouault, mareschal de France,
à tout cent et dix lances, vindrent et arrivèrent en la
ville de Paris pour la garde d'icelle, combien qu'il
n'en estoit gueres de mestier, car les habitans d'icelle,
qui tous estoient bien unis et loyaulx au roy, estoient
assez souffisans pour ladicte garde d'icelle ville ^.
des Bourguignons, les défenseurs du château mirent le feu aux
maisons d'alentour « et ardirent le plus beau et le meilleur de la
"Ville. » Ils ne se rendirent, vies et bagues sauves, qu'après une
forte canonnade (Du Glercq, IV, 152).
1. Interpolations et variantes, § X. — Dammartin-en-Goële et
Nantouillet sont auj. dans le dép. de Seine-et-Marne, arr. de
Meaux; Villemomble est dans le dép. de la Seine, cant. de Vin-
cannes.
2. A en croire Maupoint {Journal, p. 54), ce serait le 30 juin
que Lagny fut livré aux Bourguignons, mais le sire d'Hennin,
qui faisait partie de leur avant-garde, dit qu'il quitta cette ville
le 25 de ce mois (Barante, Histoire des ducs de Bourgogne, éd.
Reiffenberg, t. VI, p. 423). Un nommé Jean Guignon, procureur
du roi à Lagny, fut accusé plus tard d'y avoir introduit l'en-
nemi, mais réussit à établir son innocence (Bibl. nat., ms. fr.
2921, fol. 96).
3. Le maréchal n'avait pu, « parce qu'il avoit peu de gens, »
I 6
52 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Oudit temps, le roy, qui estoit oudit pays de Bour-
bonnoys, mist le siège devant Riom en Auvergne,
dedens laquelle y estoient mondit seigneur le duc de
Bourbon, le duc de Nemoux, le conte d'Armignac\ le
seigneur d'Albret et autres. Et avoit le roy devant
ladicte ville la plus belle et noble armée qui onques
fut gueres veue, car il y avoit de bonnes gens de
guerre et de grant façon xxim™ hommes et mieulx^.
Et, après que ledit siège ot esté ainsi mis devant
ladicte ville de Riom, et voiant à Paris que lesdits
arrêter la marche du comte de Gharolais sur Paris (Gommynes,
éd. Dupont, I, 21). Maupoint dit qu'il fit entrer dans la capitale
400 hommes d'armes « bien montés et de grant courage » (Jour-
nal, p. 93).
1. Jacques d'Armagnac, comte de la Marche et de Castres, duc
de Nemours, fils de Bernard, comte de la Marche, et d'Éléonore
de Bourbon, naquit vers 1433 et mourut sur l'échafaud le 4 août
1477. Il avait épousé, par contrat du 12 juin 1462, Louise d'An-
jou, fille de Charles, comte du Maine (Voy. Jacques d'Armagnac,
duc de Nemours..., etc., dans la Revue historique, 1890). — Jean V,
comte d'Armagnac, succéda à Jean IV, son père, le 5 septembre
1450 et périt à Lectoure le 6 mars 1473 (Voy. Jean V d'Armagnac,
etc., article cité de la Re\)ue historique, 1888). — Charles II, sei-
gneur d'Albret, fils de Charles I" et de Marie de Sully, mourut
en 1471.
2. Le 21 juin, les ducs de Bourbon et de Nemours, le comte
d'Armagnac et le sire d'Albret avaient tenté d'arrêter la marche
de l'armée royale en faisant présenter à Louis XI des proposi-
tions d'accommodement qu'il ne jugea pas acceptables. Effrayé
par la réponse du roi, Bourbon se déroba encore une fois et
s'enfuit de Riom à Thiers et à Moulins. Il n'était donc plus à
Riom quand Louis XI concentra ses forces aux environs de cette
ville (22 juin). L'effectif attribué ici à l'armée royale doit être
exact, car Maupoint (Journal, p. 53) l'estime à 2,000 lances et
18,000 francs archers au début de la campagne, soit une tren-
taine de mille hommes, dont il faut défalquer les garnisons que
Louis XI avait semées dans les nombreuses places qu'il avait
occupées chemin faisant.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 53
Bourguignons approuchoient de ladicte ville, fut
ordonné et establi en icelle ville de Paris ung grant
guet de cheval, qui aloit toutes les nuiz sur les murs
et en ladicte ville, depuis l'eure de mienuit jusques au
jour apparant, pour la conduite duquel guet y avoit
cappitaines ordonnez par icelle par chacune nuit de
gens de façon d'icelle. Ouquel guet estoient ordinai-
rement de vm^^ à n<^ chevaulx, aucunes foiz plus et
à l'autre foiz moins.
Et, le lundi second^ jour de juillet, oudit an,
maistre Jehan Balue, evesque d'Evreux, fist le guet
de nuit parmy ladicte ville, et mena avecques lui
la compaignie dudit Joachin Rouault, avecques cle-
rons, trompetes et autres instrumens sonnans, par
les rues et sur les murs, qui n'estoit pas acoustumé
de faire à gens faisans guet.
Et, le mercredi iiii^^ jour dudit moys de juillet,
oudit an LXV, le roy, estant devant ledit heu de
Riom, escripvy à messire Charles de Meleun, son
lieutenant audit heu de Paris^, audit Joachin, et ausdiz
habitans de Paris, par sire Jehan de Harlay, son che-
valier du guet audit lieu de Paris ^ : par lesquelles
1 . Lisez premier.
2. Lisez IIP.
3. Louis XI établit Charles de Melun, par lettres du 8 mars
1465 (n. st.), son gouverneur et lieutenant général à Paris, « pour
ce que nous ne pouvons encore bonnement y faire nostre rési-
dence » (Félibien, Histoire de Paris, V, 274). Commynes, qui,
pas plus que Jean de Roye, n'a admis les accusations de trahison
portées contre Melun par ses ennemis, dit qu'en 1465 il servit
Louis XI i aussi bien que jamais subject servit le roy en France
en son besoing » (éd. Dupont, I, 22). A Paris, en particuher, la
tâche était malaisée, car un parti influent travaillait pour les
princes rebelles (ibid., p. 65).
4. Jean de Harlay, écuyer, qui commandait les 40 sergents
54 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
lettres le roy mercioit moult fort sesdiz habitans de
Paris de leurs bonnes loyaultez, en les priant et ex-
hortant de tousjours y continuer et persévérer, et que,
dedans xv jours ensuivans, lui et toute son armée
seroit à Paris. Et si leur mandoit de bouche par ledit
de Harlay certain accord qu'il avoit fait avecques lesdiz
ducs de Bourbon et Nemours et les sires d'Armai-
gnac et d'Albret, et comment, en faisant ledit accord,
chacun d'eulx avoit promis au roy de bien et loyau-
ment le servir et de vivre et mourir pour luy. Et,
par lesdiz appoinctemens, iceulx seigneurs de Bour-
bon et autres dessus nommez promettoient de faire
tout devoir, de faire faire la paix au roy par les autres
seigneurs avecques eulx aliez contre lui, et que pour
ce faire seroient envoiez de par lesdiz quatre sei-
gneurs certains ambasseurs devers le roy à Paris,
dedens le jour feste de myaoust ensuivant, pour traic-
ter de ladicte paix, et que, où lesdiz autres seigneurs
ne vouldroient entendre à icelle paix, ilz promirent
et jurèrent que dorénavant à jamais ilz ne s'arme-
roient contre le roy et qu'ilz vivroient et mourroient
pour lui et son royaume. Et fut tout ce que dit
est ainsi promis par lesdiz quatre seigneurs au lieu
de Moissac, près dudit Riom. Et, pour plus ample
chargés de veiller à la sûreté intérieure de Paris, était fils de
Nicolas de Harlay, écuyer, et de Gaillarde Le Clerc. Le 3 août
1461, par lettres datées d'Avesnes, Louis XI le pourvut de l'otiice
de chevalier du guet de nuit. En 1464, il fut élu premier échevin
de la ville de Paris (Voy. Anselme, Histoire généalogique, VIU,
797; Longnon, Villon, p. 293; Bibl. nat., Pièces orig., vol. 1484,
doss. Harlay). Jean de Harlay survécut à sa femme, Louise
Luiliier, et mourut vers 1500 (Arch. nat., LL 437, à la date du
23 décembre).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 55
promesse, ilz s'en obligèrent es mains de deux no-
taires apostoliques, voulans et accordans estre incon-
tinent excommeniez, se par eulx ou l'un de eulx estoit
fait le contraire*.
Et, pour les nouvelles dessusdictes, fut ordonné et
délibéré que, le vendredi ensuivant [o juillet], en
seroient faictes processions générales en l'église de
Saincte-Katherine du Val des Escoliers, à Paris, laquelle
y fut faicte bien honneste et solennelle, et y prescha
ledit jour maistre Jehan Painetchair, docteur en
théologie^.
1 . Le texte de cette convention est rapporté par Lenglet (Com-
mynes, II, 474 et suiv.) avec la date du 23 juin 1465. D'autres
clauses stipulaient une trêve jusqu'au 15 août pour les gens de
Bourges, la délivrance des sénéchaux de Poitou et de Beaucaire
détenus par le duc de Bourbon, celle de tous les prisonniers faits de
part et d'autre, enfin l'évacuation par les royalistes des domaines
du duc Jean II. Louis XI poussa la condescendance — ou la
méfiance de ses propres forces — jusqu'à promettre aux Bour-
bonnais de ne point entrer, avant le 15 août, dans le duché ou la
comté de Bourgogne, dans le Gharolais, la seigneurie de Château-
Ghinon et autres terres enclavées dans les pays de Bourgogne
voisins de ceux du duc de Bourbon.
2. Ce docteur, dont le nom parait d'origine étrangère, est men-
tionné à plusieurs reprises dans les extraits du Livre des procu-
reurs de la nation d'Allemagne, ad annum 1465 (Jourdain, Index
chronol. chartarum pertinentium ad histor. Universitatis Parisien-
sis. Paris, 1862, in-fol., p. 291 et suiv. Cf. du Boulay, Histoire de
l'Université de Paris, in-fol., t. V, p. 676). — Après la bataille de
Montlhéry, quand Louis XI fut arrivé à Paris, c'est maître Jean
Painetcher ou Panetchair, appelé ailleurs Penschier, qui fut élu
pour le haranguer au nom de l'Université (28 juillet 1465). Les
mss. et les éditions imprimées de la Chronique Scandaleuse ont
découpé le nom de ce docteur en trois mots, Pain-et-Chair, ce
qui lui donne l'apparence d'un sobriquet. — L'église de Sainte-
Catherine-du-Val-des-Écoliers était sise rue Saint- Antoine, en
face la rue Saint-Paul.
56 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et, le mercredi ensuivant ' , fut publié et fait savoir
par les carrefours de Paris que, en chacun hostel
de celle ville, y eust une lanterne et une chandelle
ardante dedens durant la nuit, et que chacun mes-
nage qui auroit chien l'enfermast en sa maison et sur
peine de la hart.
Et, le venredi ensuivant [5 juillet], la compaignie
ou la pluspart desdiz Bourguignons vindrent et arri-
vèrent à Saint-Denis en France eulx loger ilec. Et, ce
jour, venoit à Paris xxx chevaulx de marée, dont
lesdiz Bourguignons en prindrent les xxii. Les autres
huit chevaulx se saulverent et vindrent à Paris. Et,
bientost après que lesdiz Bourguignons orent esté
ainsi arrivez audit heu de Saint-Denis, partie d'eulx
s'en alerent devant le pont de Saint -Cloud pour le
cuider avoir, ce qu'ilz n'eurent point pour ceste foiz,
et à tant s'en retournèrent^.
Et, le dimenche vu® jour de juillet, oudit an LXV,
1. Le mot ensuivant n'a pas de sens. Il s'agit ici du mercredi
3 juillet.
2. Gharolais demeura à Saint-Denis jusqu'au 10, attendant les
ducs de Berry et de Bretagne, mais ils ne s'y trouvèrent pas,
« pour l'armée du roy de Franche qui les cottoyoit de touts lez »
(Du Clercq, IV, 154). L'Itinéraire de Charles de Bourgogne, dans
Commynes, éd. Lenglet, II, 183, et Hennin, dans Barante, éd.
ReilTenberg, VI, 424, fixent au 5 juillet l'arrivée du comte à
Saint-Denis, mais une lettre de Rouault au chancelier, datée du
7 juillet, fournit, comme notre auteur, la date du 4 (Mélanges histo-
riques, II, 346). — Ce même jour, suivant Hennin, le seigneur de
Fiennes obtint de Gharolais l'autorisation de « courir l'aventure. »
Il se mit en route avec cinquante lances et suivit quelque temps
la Seine, mais, sur le conseil du siro de Geulis, rentra de bonne
heure à Saint-Denis (Barante, éd. citée, p. 424). Il est possible
que cette o course » ait mené les partisans bourguignons jusqu'à
Saint-Gloud.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 57
lesdiz Bourguignons vindrent voulster devant Paris
et n'y gagnèrent riens, sinon qu'il y en eut aucuns
d'eulx tuez de l'artillerie estant dessus les murs d'icelle
ville; et puis s'en retournèrent audit lieu de Saint-
Denis''.
Et, le lundi ensuivant, vm® jour dudit moys de
juillet, lesdiz Bourguignons vindrent derechef devant
Paris, et deslogerent tous dudit Saint-Denis, et en
amenèrent avecques eulx toute leur artillerie. Et, par
grande cautelle et subtilité envoierent, avant qu'ilz se
monstrassent, quatre de leurs heraulx aux portiers de
la porte Saint-Denis, de laquelle estoient commissaires
et cappitaines pour le jour maistre Pierre L'Orfèvre,
seigneur d'Ermenonville, et maistre Jehan de Pou-
paincourt, seigneur de Cercelles*. Et vindrent lesdiz
quatre heraulx demander des vivres pour leur ost
et aussi qu'on leur donnast passage parmy ladicte
ville, et dirent que, où on ne leur bailleroit ledit pas-
sage et lesdiz vivres, qu'ilz entreroient dedens ladicte
\. Maupoint est plus détaillé. Il dit que, ce dimanche-là, Cha-
rolais fit par deux fois donner l'assaut à la ville de Paris, le pre-
mier au point du jour et le second à cinq heures après midi; mais
les bourgeois, conduits par Charles de Melun et par Rouault,
« qui sceureut bien entretenir le peuple de Paris en amour du
roi, » contraignirent l'ennemi à se retirer [Journal, p. 54 et suiv.).
L'attaque ne fut dirigée que contre les ouvrages extérieurs (Com-
mynes, éd. Dupont, I, 22). Hennin, qui place cette première
démonstration des Bourguignons le 6 juillet, témoigne de leur
surprise quand les Parisiens refusèrent d'ouvrir les portes de la
ville (Barante, éd. citée, p. 42).
2. Jean de Popincourt, seigneur de Sarcelles et de Liancourt,
quatrième président en la Chambre des comptes, puis troisième
président au parlement de Paris, avait épousé Catherine Le
Bègue. Il mourut le 21 mai 1480 (Vaesen, Lettres de Louis XI,
m, 92, note).
58 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
ville au deshonneur et grande confusion d'ieelle ville
et de ceulx de dedens. Et, ainsi qu'on escoutoit
lesdiz quatre heraulx sur les choses dessusdictes, et
avant qu'on eust peu avoir loisir de leur rendre au-
cune response, lesdiz Bourguignons, cuidans prendre
à despourveu les habitans de ladicte ville et mes-
mement ceulx qui gardoient ladicte porte de Saint-De-
nis, vindrent à grande fureur, grosse compaignie et
armée, passer jusques à Saint-Ladre et plus avant,
cuidans gaigner les barrières qui aux faulxbours de
ladicte ville devant ladicte porte Saint-Denis avoient
esté faictes, et venir jusques à ladicte porte et
dedens ladicte ville, en gettant par eulx canons, ser-
pentines et autres traiz : à quoy leur fut moult aspre-
ment et vaillamment résisté par les bourgois de Paris
et autres estans ilec de par ladicte ville, et aussi par
les gens dudit Joachin et de luy mesmes qui s'y
vindrent trouver. Et y ot lors desdiz Bourguignons
tuez et navrez, et puis s'en retournèrent aux champs
sans autre chose faire, et se mirent en bataille devant
ladicte ville. Et lors y ot beau hurtebillis de canons,
vulglaires, serpentines, coulevrines et autre traict qui
leur fut envoie de ladicte ville, dont il en ot aucuns
tuez et navrez^. Et, durant ladicte escarmouche, y ot
1. Du Clercq confirme ce récit (IV, 155). Rouault, sorti de
Paris pour reconnaître les forces bourguignonnes, faillit se faire
prendre et se retira prestement. Gharolais alors « feit ruer sur la
cauchée deux ou trois serpentines qui effrayèrent ceulx de la
ville, combien qu'ils ne blessèrent personne qu'on sceuist. » Lui-
même se porta avec toute sa bataille jusqu'à un moulin situé près
des portes et demeura là une partie de la journée. Il se retira
ensuite jusqu'au Lendit, et, comme les baraques de la foire
•'laient encore en place, il s'y établit en faisant, suivant sa cou-
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 59
ung paillart sergent à verge du Chastellet de Paris,
nommé Casin Cholet, qui, en courant fort eschaufé
par plusieurs des rues de Paris, crioit à haulte voix
telz motz : « Boutez vous tous en voz maisons et
fermez voz huis, car les Bourguignons sont entrez
dedens Paris. » Et, à cause de l'effroy qu'ilz fist, y ot
plusieurs femmes grosses qui en acoucherent avant
terme, et d'autres en moururent et perdirent leur
entendement^.
Le mardi ensuivant [9 juillet], ne fut riens fait
devant Paris, sinon que le conte de Saint-Pol, qui
estoit audit lieu de Saint-Denis avecques ledit seigneur
de Charrolois, se parti dudit lieu de Saint-Denis avec-
ques aucuns Picars et Bourguignons estans audit Saint-
Denis, pour s'en aler à Saint-Gloud et pour le prendre
et avoir, ce qu'il ne pot avoir ce jour.
tume, enclore le camp par son charroi, — D'après Maupoint,
cette démonstration du 8 juillet menaça les portes Montmartre,
Saint-Honoré, Saint-Denis et Saint-Martin, mais Rouault, avec
60 lances et environ 80 hommes de trait, empêcha l'ennemi
d'avancer. A Paris, on estima que Charolais avait aligné de 8 à
9,000 hommes et une nombreuse artillerie et que ses pertes durent
se monter à 400 hommes. Les officiers, bourgeois et habitants do
Paris, au nombre de 32,000, se tinrent sur les murailles « et, par
puissance de trait, canons, vuglaires et coulevrines, intimidèrent
les Bourguignons » (Journal, p. 55). « Et a Mgr (de Charolais)
trouvé ceulx de Paris tout aultres que l'en ne cuidoit, dont il
n'est pas bien content sur eulx, car il n'a peu finer ne avoir d'eulx
pour ung denier de vivres » (Lettre de G. de la Roche, officier du
comte, dans Mélanges historiques, II, 30).
1. Sur ce Casin Cholet, personnage mal famé, tonnelier de son
état avant d'être sergent au Chàtelet, voy. Longnon, Villon,
p. 294, et Pièces justif., p. lxvi. — Commynes dit aussi, à
propos de cette escarmouche : « Il y eut du menu peuple... fort
espoventé ce jour, jusques à cryer : « Hz sont dedans...; » mais
c'estoit sans propos » (éd. Dupont, I, 22).
60 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et, le mercredi ensuivant [10 juillet], fut menée
audit de Saint-Pol certaine quantité d'artillerie dudit
seigneur de Gharrolois comme de l à lx chariotz.
Et, ce mesmes jour, aucuns de la compaignie de
messire Pierre de Breszé^ yssirent dehors Paris,
pour aler à leur aventure dessur lesdiz Bourguignons
qui ainsi aloient audit Saint-Cloud. Desquelz Bour-
guignons en fut par eulx tué deux, et en fut prins
cinq, dont l'un d'iceulx fut fort navré, et tellement
que tout le devant de son visaige lui fut abatu d'un
cop d'espée, et lui pendoit le visaige à sa peau sur
sa pettrine. Et par iceulx Bourguignons fut prins
ung archer, serviteur de messire Jehan Mohier^, che-
vaher de la compaignie dudit de Breszé. Et, ledit
jour de mercredi, environ six heures de nuit, lesdiz
Bourguignons baillèrent une escarmouche terrible et
merveilleuse au boulevert dudit Saint-Gloud, qui fort
espoventa ceulx de dedens qui le tenoient pour le
roy, tellement qu'ilz prindrent composition de rendre
ledit pont à heure présente, ce qu'ilz firent, et
s'en revindrent à Paris eulx et leurs biens saufz. Et
si promirent de délivrer et bailler lesdiz cinq Bour-
1. Pierre de Brézé, seigneur de la Varenne et comte de Mau-
levrier, grand sénéchal de Normandie, fut l'un des grands servi-
teurs de Charles VII auxquels Louis XI témoigna le plus de ran-
cune. Enfermé quelque temps à Loches, le séduisant Brézé ne
tarda pas à vaincre l'antipathie de son nouveau maître, au point
que ce dernier, on l'a vu, fit plusieurs séjours chez lui, à Mauny
et à Nogent. Ghastellain a laissé de ce protecteur des lettres un
magnifique éloge. Pierre de Brézé avait épousé Jeanne Grespin et
se tit tuer à Montlhéry (voy. ci-après et Anselme, VIII, 271).
2. Jean Morhier, seigneur de Villiers-le-Morhier, etc., avait
épousé Jeanne, fille naturelle de François I«"", duc de Bretagne
(Anselme, I, i58).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 61
guignons prins ledit jour. Et, pour ce faire, demou-
rerent pour hostages Jaques Le Maire, bourgois de
Paris, qui estoit cappitaine dudit Saint-Cloud, et ung
homme d'armes de la compaignie dudit de Breszé,
estant aussi audit pont de Saint-Cloud''.
Et, le vendredi ensuivant [12 juillet], fut tenu en
l'ostel de ladicte ville de Paris ung grant conseil,
pour délibérer et savoir quelle response seroit rendue
ausdiz Bourguignons, sur ce qu'ilz avoient requis
que de ladicte ville feussent envoiez aucuns déléguez
par icelle pardevers ledit seigneur de Gharrolois et
ceulx de sadicte compaignie, pour leur estre dit
par eulx de bouche et en secret les causes pour
1. Au camp bourguignon, la résistance inattendue des Pari-
siens, le 8 juillet, donna à réfléchir aux gens prudents, qui firent
valoir en faveur d'une retraite immédiate le soulèvement des Lié-
geois, le manque de vivres et d'argent, enfin et surtout l'absence
des ducs de Berry et de Bretagne, qui avaient failli au rendez-
v(jus et dont on commençait à suspecter la loyauté. Le comte
de Gharolais, encouragé par Rouville, vice-chancelier de Bre-
tagne, qui affirmait la prochaine arrivée de son maître, refusa
d'écouter ces conseils, jurant qu'au besoin il passerait la Seine
tout seul avec un page (Hennin, dans Barante, éd. citée, p. 426).
— Le 9 juillet, Saint-Pol et ses fils, les comtes de Marie et de
Brienne, le seigneur de Fiennes et ceux de l'avant-garde sai-
sirent un grand chaland chargé de foin qui remontait à Paris, le
vidèrent et passèrent l'eau du côté d'Argenteuil. De là, ils cou-
rurent sur la rive gauche jusqu'à Saint-Cloud, dont ils ne réus-
sirent point à effrayer les défenseurs. Le lendemain, 10 juillet,
Gharolais longea la rive droite et vint prendre à revers le pont
de Saint-Cloud, dont la possession lui était indispensable, le pas-
sage à travers Paris lui étant refusé, pour assurer ses communi-
cations avec le Sud. Assaillie des deux côtés, la garnison se
rendit, après quelques coups de serpentine, « à la persuasion de
Mgr Jacques de Luxembourg, seigneur de Richebourg » (Hennin,
témoin oculaire, l. c). — Jacquet Le Maire, qui commandait au
pont de Saint-Cloud, était un marchand épicier de Paris.
62 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
lesquelles ilz estoient ainsi venus en armes oudit
pays de France. A quoy fut conclud que on feroit
savoir audit de Charrolois qu'il envoyast bon sauf-
conduit, à Paris, pour ceulxqui seroient ordonnez estre
envoiez pardevers lui, et, ce fait, que on y envoie-
roit gens pour les oyr et escouter tout ce qu'ilz voul-
droient dire, pour au surplus le faire asavoir au roy,
qui estoitprès d'Orléans, ou a son conseil estant audit
lieu de Paris, pour leur faire telle response qu'il seroit
advisé de faire.
Et, ce mesmes jour, vindrent à la porte Saint-
Honnoré, environ cinq heures au soir, deux heraulx
de par ledit seigneur de Charrolois, pour avoir la res-
ponse de ce que dit est ; ausquelz fut dit, comme
devant est dit, et que ledit de Charrolois approuchast
en aucun lieu près Paris et envoyast ledit saufconduit
et qu'on yroit à lui pour l'escouter; et autre chose
n'eurent. Et, après ces choses, ilz requirent avoir
pour argent du papier et parchemin avecques de
l'encre, dont il leur fut baillé. Et si demandèrent à
avoir du sucre et autres drogueries, pour aucuns
gentilzhommes qui estoient malades en leur ost, dont
on leur fist refus, qui s'en tindrent à bien mal contens
de ceulx de ladicte ville. Et à tant s'en retournèrent
iceulx deux heraulx.
Et, le dimenche ensuivant, xiiii° jour dudit mois de
juillet, oudit an LXV, arrivèrent à Paris bien matin
monseigneur de la Borde et messire Guillaume Cou-
sinot^, qui apportèrent lettres de par le roy aux bour-
1. Philippe de Melun, chevalier, conseiller et chambellan du
roi, seigneur de la Borde-le-Vicomle, etc., maître des eaux et
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 63
gois, manans et habitans de ladicte ville, par la teneur
desquelles le roy les mercioit comme devant de leurs
bons vouloirs qu'ilz avoient envers lui et de la bonne
et grande resistence qu'ilz avoient faiete à l'encontre
desdiz Bourguignons, et qu'ilz voulsissent adjouster
foy ausdiz de la Borde et Gousinot de tout ce qu'ilz leur
diroient de par lui. Laquelle credence estoit en affect
que le roy les mercioit moult de foiz de leurs grandes
loyaultez, et si les prioit oultre de tousjours de bien
en mieulx continuer, et que dedens le mardi ensui-
vant il seroit à Paris*, comme au lieu du monde que
plus il desiroit estre, pour donner remède et provi-
sion partout, et qu'il aymeroit mieulx avoir perdu
la moitié de son royaume que mal ne inconvénient
aucun venist en ladicte ville, ou possible lui seroit de
y pourveoir. Aussi dist et pria ledit Gousinot, de par
le roy, que ceulx de Paris pourveussent au logis des
gens d'armes et de trait que le roy avoit et amenoit
avecques lui, et aussi de mettre pris raisonnable sur
les vivres. A quoy lui fut respondu par maistre Henry
de Livre, prevost des marchans, que aussi feroit on.
forêts de France (1434), mourut en 1471. Il avait, comme Guil-
laume Gousinot, seigneur de Montreuil (1400-vers 1484), joué un
rôle important pendant la campagne de Louis XI en Bourbon-
nais. — Sur Gousinot, voy. la notice de M. Vaesen, Lettres de
Louis XI, II, 215. Ce personnage servit aussi fidèlement Louis XI
que Charles VU et joua encore un rôle aux états généraux de
1484, mais il était alors « un fort ancien homme. »
1. G'est ce jour-là (16 juillet) que fut livrée la bataille de Mont-
Ihéry. Il faut conclure des termes du message adressé aux Pari-
siens que Louis XI ne prévoyait pas, au moment où il en chargea
les seigneurs de la Borde et de Montreuil, que les « Gharolais »
lui barreraient la route de Paris (cf. Du Glercq, IV, 162 et suiv.,
et Commynes, éd. Dupont, I, 28, 30 et suiv.).
64 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [H65
Et, le lundi ensuivant [15 juillet], lesdiz Bourgui-
gnons, qui estoient deslogez dudit Saint-Gloud, s'en
alerent loger à Montlehery eulx et toute leur artillerie,
cuidans aler eulx joindre avecques les compaignies des
ducs de Berry et de Bretaigne, le conte de Dunois, et
autres qui s'en venoient audit de Gharrolois*. Et de ce
en furent portées les nouvelles au roy , qui estoit par deçà
Orléans pour s'en venir à Paris ; lequel et à toute dili-
gence vint et arriva le mardi matin, xvi® jour dudit
moys de juillet, à Chastes soubz ledit Montlehery^. Et
d'ilecques, sans soy rafreschir ou que bien peu, et
sans attendre toute sa compaignie, qui estoit pour
gens à cheval la plus belle et mieulx en point que
1. Le 14 juillet, Gharolais écrivit de Saint-Gloud à Philippe le
Bon qu'il était pressé par le duc de Berry, alors près de Chartres,
de se porter au-devant des Bretons, afin d'unir ses forces aux
leurs pour attaquer le roi avant qu'il pût mettre en hgne tout
son monde. Charles de Bourgogne annonçait son départ dans
la direction d'Étampes pour le lendemain. Le 15 au matin, G. de
la Roche annonce que le comte « s'en vat au Montlhery et de
là à Etampes, » pour rallier les Bretons, et il ajoute : « L'en dit
que le roi approuche très fort et que ses gens viennent après file
à file. » La duchesse d'Orléans avait en eflet informé le comte
de Gharolais que, le jeudi précédent (11 juillet), le roi avait ouï
la messe à Notre-Dame de Cléry (Mélanges historiques, II, 350.
Cf. Gommynes, éd. Dupont, I, 24, et l'Itinéraire de Charles de
Bourgogne, dans Lenglet, II, 183). C'est sans doute par son avant-
garde, logée dès le 13 à Issy, au sud de Paris, que le comte eut
avis de l'approche des Français et des Bretons (Hennin, dans
Barante, éd. citée, p. 426). — La garde du pont de Saint-Gloud,
son seul trait d'union avec le Nord, fut confiée par Gharolais à
un gentilhomme hennuyer, Oste de la Mote (Ibid., p. 427).
2. Le roi était à Orléans le 13 juillet, le 14 à Éiampes, et le 15
au soir il venait coucher à Étrechy, à plus de 70 kilomètres d'Or-
léans. On trouvera en appendice, à la fin de la présente édition,
une note étendue sur la bataille de Montlhery.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 65
onques avoit esté veue par avant pour autant de gens
qu'il y avoit, se vint fraper et bouter dedens l'armée
desdiz Bourguignons. Et ilec à l'aborder y ot fait des
plus beaulx faiz d'armes qui jamais furent veuz pour
ung peu de gens, car aussi c'estoient tous nobles
hommes vaillans et de grant eslite, qui tellement
besongnerent que le roy gaigna et mist en fuite toute
l'avangarde desdiz Bourguignons. Et y ot d'iceulx
Bourguignons à ladicte rencontre grant quantité de
mors et de prins. Et, d'icelle desconfiture en vint
incontinent le bruit à Paris ; de laquelle ville en yssit
aux champs plus de xxx™ personnes, partie desquelz
s'en alerent à cheval à l'escart et trouvèrent moult
desdiz Bourguignons qui furent prins et desconfiz par
eulx, et aussi par ceulx des villages d'autour d'icelle
ville, comme de Vanves, Yssy, Sevré, Saint Gloud,
Suresnes et autres lieux. Et, en ce faisant, fut gaigné
bien grant butin sur lesdiz Bourguignons, tant en
chariotz, bahus, maies, boistes que autrement, et tant
y perdirent lesdiz Bourguignons que on disoit lors
que leur perte en toutes choses montoit à plus de
11*^ mil escuz d'or.
Et, après que ladicte avangarde ot esté ainsi des-
confite, le roy, non content de ce, mais cuidant tous-
jours persévérer et avoir le bout d'iceulx Bourgui-
gnons, et sans soy rafreschir ne prendre aucun repos
ne lui ne ses gens, se rebouta, lui sa garde, et envi-
ron iiii'^ lances de sa compaignie, dedens lesdiz Bour-
guignons, qui s'estoient fort rahez par le moien dudit
conte de Saint-Pol, qui moult bien servy ledit de Char-
rolois celle journée. Lesquelz Bourguignons recueilli-
rent vigoreusement le roy et sadicte compaignie, car
66 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
ilz s'estoient serrez en bataille et par ordre et leur
artillerie aprestée, de laquelle ilz grevèrent fort les
gens du roy et en tuèrent plusieurs gens de bien et
aussi de ceulx de la garde du roy, qui moult vail-
lamment s'i portèrent et servirent bien le roy, qui ot
ilec beaucop à faire et [fut] en grant danger par
diverses foiz de sa personne, car il n'avoit q'un peu
de gens et sans artillerie ; et tellement y fut oppressé
le roy, qui tousjours estoit des premiers dedens,
qu'il ne savoit que faire. Et, posé ores qu'il n'avoit
que peu de gens, si maintenoient plusieurs que s'il
eust eu davantage cinq cens frans archers à pié pour
expédier les Bourguignons qui ilec furent gettez par
terre, qui après se relevoient, qu'il eust mis en telle
subjection iceulx Bourguignons que jamais n'eust esté
mémoire d'eux en armes. Ledit seigneur de Ghar-
rolois y perdit toute sa garde, et aussi fist le roy
beaucop de la sienne. Et fut tellement suivy ledit de
Gharrolois que par deux foiz fut prins par Geoffroy
de Saint Belin et Gilbert de Grassay^ et puis fut res-
coux. Et, durant ladicte journée, y ot grande occi-
sion de hommes et de chevaulx, dont plusieurs en
furent tuez par les ribaulx piétons du costé dudit de
Bourgongne, qui, de piques et autres ferremens les
tuoient. Et y mourut de gens de nobles maisons de
costé et d'autre. Et, après que tout fut fait, on trouva
que oudit champ y estoient mors m"" vi'= hommes;
Dieu en ait les âmes !
Et, vers la nuit, les Escossois de la garde du roy,
1. Geoffroy de Saint-Belin, chevalier, conseiller et chambellan
du roi, baron de Saxefontaine, bailli de Ghaumont. — Gilbert de
Grassay, conseiller et chambellan du roi, seigneur de Gbampéroux.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. B7
voians et considerans le grant danger où le roy
estoit et la grant perte de leurs gens, aussi que
lesdiz Bourguignons poursuivoient fort et asprement,
prindrent le roy, qui moult estoit las et afflict, et qui
n'avoit cessé de combatre et faire grans armes toute
la journée sans boire et sans menger, et le menè-
rent dedens le chastel dudit Montlehery. Et, pour ce
que plusieurs gens de l'armée du roy n'avoient point
veu qu'il eust ainsi esté mené audit Montlehery et ne
le savoient où trouver, cuidoient qu'il feust mort ou
prins, et à ceste cause la pluspart d'iceulx se mirent
en fuite. Et lors monseigneur du Maine, monseigneur
l'admirai de xMontauban, le seigneur de la Barde ^ et
autres cappitaines qui bien avoient de vn à vm*^ lances,
se retrahirent et s'en alerent et habandonnerent ainsi
le roy, et, à ladicte journée, nul des dessusdiz n'y
frapa un seul cop ; et , à ces moiens , le champ
demoura ausdiz Bourguignons-.
En icelle rencontre et ou nombre des mors y furent
trouvez de gens de façon et bonnes maisons, c'est
assavoir : messire Pierre de Breszé, chevalier, senes-
chal de Normandie; Geoffroy de Saint -Belin, dit
La Hire, bailli de Ghaumont; Floquet, bailly d'Evreux,
et plusieurs autres chevaliers et escuiers de nom de
la compaignie du roy^. Et aussi, de la compaignie
1. Jean de Stuer ou d'Estuer, chevalier, seigneur de la Barde,
de Montélimart, etc., vicomte de Ribérac et d'Espeluche, était
fils de Jean de Stuer et de Jeanne de Pons. Il épousa Catherine
Brachet (Moréri).
2. Le comte de Gharolais, dit Olivier de la Marche (éd. Beaune
et d'Arbaumont, t. III, p. 16), « garda ce jour le champ de la
bataille que l'on nommoit anciennement le champ de Plours. »
3. Le lendemain de la bataille, Olivier de la Marche, envoyé
I 7
68 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
desdiz Bourguignons, y en ot beaucop de mors et
de prins plus que de ceulx du roy^.
Et, après que le roy ot esté ung peu rafreschi
oudit chasteau de Montlehery, fut mené et conduit
d'ilec jusques en la ville de Corbueil, où il séjourna
jusques au jeudi ensuivant, xvni® jour dudit moys de
juillet, qu'il arriva sur le tart en sa ville de Paris ^.
Et souppa ce jour en l'ostel de son lieutenant gênerai,
au village de Montlhéry pour faire le logis du comte de Charolais,
trouva sur de la paille les cadavres du grand sénéchal de Nor-
mandie et de « plusieurs autres nobles et bons personnaiges fran-
çois. » Brézé, La Hire et Floquet tombèrent victimes de leur
impétuosité, qui les entraîna « sy avant en la bataille qu'ils ne
peurent retourner » (Du Clercq, IV, 170). Gommynes veut que
La Hire se soit fait tuer en revenant à la nuit de « chasser » les
fuyards bourguignons (éd. Dupont, I, 46). Basin prétend que
Brézé fut occis dès le commencement de l'action par les gens
mêmes du roi. Et, bien, ajoute-t-il, que ce forfait eût été accom-
pli sans que Louis XI en ait rien su, la veuve du grand sénéchal
et nombre d'autres le soupçonnèrent d'avoir ordonné le crime
(II, 126). C'est cette rumeur, habilement exploitée par les rebelles,
qui fut cause plus tard de la trahison de Jeanne Grespin à Rouen
(voy. plus loin).
1. Les morts ayant été dépouillés aussitôt, il fut impossible
de savoir lequel des deux partis avait subi les plus grosses
pertes.
2. Louis XI arriva à Corbeil le 17, vers dix heures du matin
(Du Clercq, IV, 172; Hennin, dans ouvr. cité, p. 436). Le jeudi 18,
il ût son entrée à Paris à cinq heures du soir et fut reçu « à grant
joie » par les gens d'Église et par les bourgeois. Une partie de
son monde l'avait rallié; l'autre t demeura es villages environ
Paris pour soy rafreschir » (Maupoint, Journal, p. 58). Louis XI
devait exagérer quelque peu lorsqu'il écrivait, le 27 juillet,
aux habitants de Poitiers qu'il avait encore avec lui 1,500 à
1,600 lances de la grande ordonnance, sans les corps d'armée des
comtes de Nevers et d'Eu et les contingents d'autres seigneurs
qui étaient venus le joindre avec 300 lances (Vaesen, Lettres de
Louis XI, II, 339).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 69
messire Charles de Meleun^ Et avecques lui y sou-
perent aussi plusieurs seigneurs, damoiselles et bour-
goises. Auquel lieu il recita toute son adventure ainsi
advenue audit Montlehery, et, en ce faisant, dist et
declaira de moult beaulx mots et piteux, de quoy
tous et toutes pleurèrent bien largement. Et si dist
plus que, au plaisir de Dieu, le lundi ensuivant, il
retourneroit derechef à l'encontre de sesdiz ennemis
et qu'il mourroit en la poursuite ou que brief en aroit
le bout : dont il ne se fist riens, pour ce qu'il fut con-
seillé pour le mieulx du contraire, avecques ce qu'il
fut laschement servy de ses gens de guerre^; et ne
tint point à lui, car il est^ assez et trop vaillant.
Et, le vendredi ensuivant, xix^ jour dudit moys de
juillet oudit an LXV, ung gentilhomme, nommé Lau-
rens de Mory, seigneur dudit lieu de Mory, près de
Mitry en France^, qui avoit esté constitué prisonnier
en la bastide Saint - Anthoine , pour occasion de ce
1. Interpolations et variantes, § XI.
2. La défection du comte du Maine et de l'amiral de Montau-
ban et les sentiments douteux d'une partie de la population pari-
sienne furent la cause de cette abstention. — « Vous, et les autres
qui ont charge de gens de guerre, avez dict en aucuns conseilz où
estoie présent que vous n'estiez pas seur de voz gens, car plu-
sieurs en y avoient qui vous avoieut fait la poulie à Montlhery »
(Apostrophe de Jacques Rebours, procureur de la ville de Paris,
au bâtard du Maine, relatée dans sa déposition du 28 juillet 1468,
au procès de Charles de Melun. Bibl. nat.,ms. fr. 2921. Cf. Basin,
II, 123 et suiv.).
3. Telle est la leçon du ms. fr. 5062, fol. 20. Le ms. fr. 2889,
fol. 21, porte il estait.
4. Ces- deux localités forment aujourd'hui une seule commune
sous le nom de Mitry-Mory (Seine-et-Marne, cant. de Glaye).
70 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
qu'il avoit favorisé lesdiz Bourguignons et les avoit
induiz et menez, en divers lieux, en plusieurs maisons
assises en divers villages d'autour Paris, appartenans
à aucuns bourgois dudit lieu de Paris, pour icelles
maisons piller et prendre les biens desdiz bourgois
de Paris, et que, en ce faisant, avoit fait plusieurs
larrecins, fut fait son procès sur lesdiz cas, audit lieu
de la Bastide, par aucuns commissaires à ce faire
ordonnez. Par lesquelz fut dit et declairé audit de
Mory qu'il estoit crimineulx de crime de leze majesté,
et comme tel le condampnerent à estre escartelé es
haies de Paris, et ses biens et héritages acquis et
confisquez au roy. Dont et de quoy il appella en la
court de Parlement; pour révérence duquel appel fut
différé d'estre exécuté pour ledit jour. Et, le samedi
ensuivant [20 juillet], par la court de Parlement fut
widé ledit appel, et, en corrigant icellui, fut dit par
arrest de ladicte court que ledit Laurens de Mory
seroit pendu et estranglé au gibet de Paris, et fut
exécuté cedit jour.
Et, cedit jour de samedi, l'evesque de Paris, nommé
maistre Guillaume Ghartier, et autres conseillers et
gens d'église de ladicte ville furent devers le roy en
son hostel des Tournelles, et là fut proposé devant
lui par ledit evesque et dictes de moult belles paroles,
qui toutes tendoient à fin que le roy conduisist de là
en avant toutes ses affaires par bon conseil, ce que le
roy acorda. Et fut lors ordonne que de là en avant
yroient au conseil du roy, avecques le conseil ordi-
naire, c'est assavoir six conseillers bourgois de ladicte
ville, six autres conseillers de la court de Parlement,
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 71
et six clers prins en l'Université de Paris^. Et aussi,
pour ce que le roy vit qu'il avoit moult d'ennemis en
son royaume, mist en délibération de trouver des
gens de guerre avecques ceulx que desja il avoit, et
aussi combien on en trouveroit à Paris. Et à ceste
cause fut ordonné que tous ceulx de Paris seroient
prins par escript et par dixaines, pour en prendre de
chacune dixaine dix hommes; mais il ne s'en fist rien.
Et, au moien de la venue du roy à Paris, il convint
que plusieurs gens de guerre qui le suivoient feussent
logez es villages d'autour Paris et de Brie et autres
lieux voisins ; lesquelz gasterent et destruisirent tous
lesdiz villages et prindrent de fait et sans riens paier
tous vivres qu'ilz y trouvèrent et autres choses qui
appartenoient tant aux habitans desdiz villages que
d'autres demourans à Paris. Et aussi, quant le roy se
trouva à Paris, il se trouva fort chargié de gens de
guerre, pour lesquelz paier de leursdiz gaiges et soul-
dées lui convint finer de grant somme de deniers, car
il ne recevoit riens d'aucunes villes sur lesquelles les-
diz gaiges estoient assignez, qui estoient tenues et
usurpées par aucuns princes, qui ne vouloient riens
souffrir estre cueilly dudit paiement en leurs pays, fut
contraint de faire emprunt d'argent sur plusieurs offi-
1. Ainsi qu'on le verra plus loin, Louis XI ne pardonna jamais
à l'évêque Guillaume Ghartier le rôle qu'il joua pendant le Bien-
Public (voy. à la date du 15 mai 1472). — Un passage d'une lettre
adressée à Louis XI par Gharles de Melun quelque temps aupa-
ravant, pendant le procès du comte de Dammartin, témoigne de
la méliance que le prélat inspirait déjà à l'entourage du roi :
« Pleust à Dieu, écrit Melun, que le pape eust translaté l'evesque
de Paris en l'evesché de Jérusalem! » (Bibl. nat., ms. fr. 20855,
fol. 103, orig.).
72 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
ciers et autres de la ville de Paris, ausquelz de par
lui fut demandé argent à prester ; de quoy ilz furent
refusans, au moins de si grant somme comme on
leur demandoit. Et, pour leur refus, à aucuns d'eulx
fut dit et declairé de par le roy que de lui ilz estoient
privez de toutes offices royaulx, comme à maistre
Jehan Cheneteau, greffier du Parlement \ maistre
Martin Picart, conseiller des Comptes, et autres.
Et, le mercredi ensuivant, xxiiii® jour de juillet,
audit an LXV, le roy fist bailler commission au prevost
forain de Senlis pour aler abatre les arches de Pons
Saincte-Maixence, pour ce qu'il estoit grant bruit que
le seigneur de Saveuzes- avec grant nombre de gens
de guerre venoient audit lieu pour le prendre sur
ceulx qui le tenoient pour le roy. Et, ce mesme jour,
le roy en avoit donné la cappitainerie à Jehan L'Or-
fèvre, chastelain dudit lieu, et lui donna charge d'aler
garder ladicte place, et lui defendi bien fort que riens
ne feust rompu dudit pont.
Et, le vendredi ensuivant [26 juillet], le roy ordonna
qu'il demourroit deux cens lances à Paris, soubz la
charge et conduicte dudit bastard d'Armaignac, comte
de Gomminge, de messire Giles de Saint-Symon, bailli
i. C'est-à-dire greffier civil du Parlement. Le Parlement et la
cour des Comptes étaient généralement mal disposés à l'égard du
roi (voy. Mélanges historiques, II, p. 371 et suiv.).
2. Pont-Sainte-Maxence avait été repris par les royalistes. Phi-
lippe de Saveuses, seigneur de Flesselles et de Howair, avait
alors soixante-douze ans; mais, presque seul en Picardie, il ne
se laissa pas décourager par le bruit de la défaite du conito do
Gharolais, qui fut répandu par les fuyards de l'armée bourgui-
gnonne. Il leva des troupes à ses frais, se mit en campagne et,
par son énergie, conserva au duc de Bourgogne plusieurs places
déjà abandonnées par leurs défenseurs.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 73
de Senlis', le sire de la Barde, de Charles des Marés^
et dudit messire Charles de Meleun, que le roy conti-
nua lieutenant pour lui en ladicte ville, à la relacion
et requeste d'aucunes gens d'Eglise et des prevost des
marchans et eschevins de ladicte ville ^.
Et, le samedi ensuivant, xxvn^ jour dudit moys de
juillet, oudit an LXV, ung nommé Jehan de Bourges,
qui avoit esté clerc et serviteur de maistre Jehan
Berard, conseiller du roy nostre sire en sa cour de
Parlement, et qui avoit esté mis et constitué prison-
nier avecques Gacien Meriaudeau et François Meriau-
1. Gilles de Rouvroy, chevalier, seigneur de Saint-Simon, fut
pourvu vers 1438 de la charge de bailli de Senlis, et mourut dans
cette ville le 18 décembre 1477. Il avait épousé Jeanne de
Flocques, et c'est de cette union qu'est descendu en ligne directe
l'illustre auteur des Mémoires (voy. la notice de M. de Boislisle,
Mémoires de Saint-Simon. Paris, Hachette, t. I, appendice I,
p. 422 et suiv.).
2. Charles des Marets, écuyer, l'un des héros de la lutte contre
les Anglais en Normandie, capitaine de Dieppe dès 1420, reçut
de Louis XI, en 1462, un don de 2,000 écus d'or en récompense
de certaine dépense qu'il avait faite à Dieppe pour entretenir des
gens de guerre l'année où les Anglais mirent le siège devant
cette ville (1442-1443) (Bibl. nat., ms. fr. 26088, n° 106. Reçu sur
parch. Cf. Vallet de Viriville, Histoire de Cliarles VII, II, 339 et
suiv. et 449, et III, 392 et suiv.).
3. Ce ne fut pas sans une vive opposition de la part de certains
membres du Parlement et de la Chambre des comptes. Au mépris
d'une délibération prise le matin même à l'hôtel de ville, le pré-
vôt des marchands Henry de Livres et les échevins Jean de Har-
lay, Audry d'Azy et Denis Gibert, tous ardents royalistes, « pour
le bien de la ville et parce que Charles de Melun avoit obtenu du
roi d'abattre partie des aides, » supplièrent Louis XI, alors sur
le point de quitter Paris, de laisser la lieutenance à Charles de
Melun (voy., dans Mélanges historiques cités, H, 371, la déposi-
tion de Jean Clerbout, général des monnaies, au cours d'une
enquête ouverte vers 1467 sur ces événements).
74 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
deau, son frère*, pour occasion de ce qu'ilz et autres
s'estoient tirez de Paris en Bretaigne pardevers mondit
seigneur de Berry, en conspirant contre le roy, fut
icellui Jehan de Bourges tiré hors de ladicte Bastide
et ledit François Meriaudeau, et, par la sentence du
prevost des mareschaulx, furent noiez en la rivière de
Seine par le bourreau de Paris devant la tour de
Billy^. Et, le mardy ensuivant, xxix®^ jour d'icellui
moys, ledit Gacien, qui estoit notaire du roy ou Chas-
tellet de Paris, aussi prisonnier audit lieu de Paris et
pour ledit cas, fut pareillement tiré dudit lieu de la
Bastide, comme les autres dessus nommez, et noie ou
lieu dessusdit. Et pareillement y fut aussi noyé ung
povre aide à maçon, qui avoit esté envoie de Paris à
Estampes, de par la femme d'un nommé maistre Odo
de Bussy*, pour porter lettres à sondit mary, qui lors
estoit advocat ou Ghastellet de Paris, et qui estoit
audit lieu d'Estampes avecques le frère dudit seigneur
de Saint-PoP, dont il estoit serviteur, estant audit
Estampes avecques les autres princes et seigneurs
estans contre le roy, comme dit est ; et lequel aide à
1. A la date du 3 août 1456 et à celle du premier février 1460,
V. st., on trouve un Gacien Meriaudeau qualifié de clerc notaire
juré du roi et de par lui établi au Ghâtelet de Paris (Arch. nat.,
LL 729, fol. 162 v° et suiv.). — Son frère François fut remplacé
par Henri Perdriel, le 17 juillet 1465, dans les fonctions de clerc
civil du greffe du Cliàtelet (Sauvai, ouvr. cité, III, 386).
2. La tour de Billy, qui flanquait la porte Barbeel, terminait
l'enceinte de Paris au bord de la Seine, sur la rive droite.
3. Lisez lA'A».
4. Voy. plus loin, à l'année 1477, la fin tragique de ce person-
nage.
5. Il s'agit ici de Jacques de Luxembourg, seigneur de Riche-
bourg, mort le 20 août 1487.
i465j OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 75
maçon rapporta response desdictes lettres à ladicte
femme dudit maistre Odo, qui avoit gaigné par cha-
cun jour qu'il avoit vacqué à aler audit lieu d'Estampes
et retourner à Paris ii sous parisis par chacun jour.
Pour lequel cas, ledit aide à maçon fut aussi condempné
à mourir, et fut noyé au devantdit lieu après les autres
dessus nommez. Et, le lendemain, fut fait commande-
ment à icelle femme dudit maistre Odo de wider hors
de la ville de Paris, ce qu'elle fîst, et s'en ala à Saint-
Anthoine des Champs hors Paris \ où tousjours depuis
s'est tenue jusques à ce que l'appoinctement fut fait
entre le roy et les princes et seigneurs, qui depuis
vindrent à Saint-Mor, Gonflans^ et devant Paris.
Et, après que ladicte rencontre ot ainsi esté faicte
audit lieu de Montlehery, lesdiz princes tous ensemble
ainsi estans contre le roy, que dit est, furent et demeu-
rèrent ensemble, se mirent audit lieu d'Estampes et s'i
tindrent par l'espace de quinze jours ^. Et après se des-
1. Fondée vers la fin du xir siècle, cette célèbre abbaye était
située au delà de la porte Saint-Antoine.
2. Auj. Gonflans-l'Archevêque, dép. de la Seine, comm. de
Gharenton, au confluent de la Marne et de la Seine.
3. loe 17 juillet, lendemain de la bataille, le comte de Charolais
demeura à Montlhéry, où ses gens affamés trouvèrent encore
quelques vivres. « Croyez, dit Hennin, que plusieurs d'eulx n'at-
tendoyent point la moustarde! » Les chevaux n'avaient pas été
débridés depuis quarante-huit heures! — Le 18, le comte coucha
à Châtres (Arpajon) et le lendemain à Étampes, où il reçut des
nouvelles des Bretons. Robinet du Ru, écuyer, qui avait la garde
de la tour d'Étampes, la rendit à la première sommation, et avec
elle une partie des bijoux de Louis XI, qui avaient été déposés là
avant la bataille (Hennin, dans ouvr. cité, p. 436, et Mélanges his-
toriques, II, 353). Le 21, les ducs de Berry et de Bretagne appa-
rurent enfin, non sans provoquer les railleries des « Charolais »,
qui ne se gênaient pas pour dire que leurs alliés eussent
76 JOURiNAL DE JEAN DE ROYE [1465
logèrent et prindrent le chemin par devers Saint-Mathe-
lin de l'Archant, xMoret en Gastinois*, Provins et le pays
d'environ. Et, quant le roy en ot oy les nouvelles, il
envoya à Meleun, Monstereau et à Sens et autres villes
d'environ des gens de guerre et de l'artillerie pour
garder lesdiz lieux et pour faire des saillies sur les
dessusdiz quant ilz verroient leur avantage^.
Et le samedi, tiers jour d'aoust, oudit an LXV, le
roy, aiant singulier désir de faire des biens à sa ville
de Paris et aux habitans d'icelle, remist le im® du vin
vendu à détail en ladicte ville au \aii®, et voult que
tous privilégiez peussent joyr de leurs privilèges tout
ainsi qu'ilz avoient fait durant la vie dudit defunct roy
Charles. Et, en oultre, ordonna toutes les impositions
qui avoient cours en ladicte ville estre abatues, fors et
excepté les denrées de six fermes vendues en gros en
icelle ville, c'est assavoir les fermes de la busche, du
pié fourché, 'le drap vendu en gros, le vin en gros, le
poisson de mer et ^. Et, cemesmesjour, ces choses
mieux fait de ne pas venir du tout que d'arriver après la
bataille (Hennin, ouvr. cité. Cf. Lenglet, II, 484 et 487). Le 24,
François II, duc de Bretagne, confirma et renouvela son alliance
avec le comte de Gharolais contre le roi (voy. le texte dans Len-
glet, II, 490, et les considérants audacieusement menteurs qui
l'accompagnent). Après quinze jours perdus à Étampes (« quae
repausatio... non parum damnosa atque incommoda exstitit, »
dit Basin, II, 122), les alliés se remirent en route le 31 juillet
(Commynes, éd. Lenglet, II, 183; éd. Dupont, I, 58 et suiv.).
1. Saint-Mathurin-de-Larchant est auj. Larchant (Seine-et-
Marne, arr. de Fontainebleau). — Moret-sur-Loing (même arr.).
2. Et surtout pour défendre le cours de la Seine, sur lequel ces
trois villes sont situées.
3. « Les aides comprenaient essentiellement deux taxes, l'une
d'un huitième ou d'un quart sur le prix de vente des vins et autres
boissons et l'autre d'un vingtième sur le prix de vente de certains
|l465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 77
furent publiées à son de trompe par les carrefours de
Paris, en la présence de sire Denis Hesselin, esleu sur
le fait des aides à Paris. Et, incontinent après ledit
cry, tout le populaire, oyant icellui, crioient de joye
et de bon vouloir Noël. Et en furent faiz les feux
parmy les rues^.
Et, le dimenche ensuivant, quart jour d'aoust, Reve-
objets de consommation (bétail à pied fourché, draps, poissons,
bois) » (Jacqueton, Documents relatifs à l'administration financière
cités, p. vin). L'ordonnance du 3 août 1465, dont le texte est
reproduit au tome XVI de la collection des Ordonnances, p. 341
et suiv., détaille encore nombre d'autres denrées sur lesquelles
un impôt était perçu au grand déplaisir des Parisiens. — Le blanc
laissé par notre auteur est ditiicile à remplir; il faut sans doute
n'en pas tenir compte et lire plus haut cinq fermes au lieu de six.
— Le 30 juillet, Louis XI avait, suivant Maupoint [Journal,
p. 58), restitué aux gens d'Église, Université, nobles et officiers
royaux à Paris une franchise qu'il leur avait enlevée en 1461,
celle de pouvoir vendre du vin au détail sans payer le quatrième.
1. Maupoint témoigne de la satisfaction avec laquelle on accueil-
lit cette ordonnance, car, dit-il, auparavant il n'y avait pas à
Paris moins de soixante-six fermes, dont les habitants de la ville
et des faubourgs étaient fort travaillés {Journal cité, p. 60). —
Sur la biographie de Denis Hesselin, né vers 1425, mort après
1506, élu sur le fait des aides dès le 3 août 1456 (Arch. nat.,
LL 729, fol. 163), panetier du roi, puis prévôt des marchands
(1470-1474), clerc et receveur de la ville de Paris (1474-1500), il y
a peu de chose à ajouter à ce qu'a dit M. Vitu, qui a considéré,
à tort selon nous, ce personnage comme l'auteur de la Chronique
Scandaleuse (La Chronique de Louis XI, etc., citée. Cf. l'Introduc-
tion à la présente édition). Denis Hesselin paraît avoir épousé
Jeanne de Torrettes. Une minute de Bourré (Bibl. nat., ms,
fr. 20494, fol. 50) nous apprend qu'à une date qui n'est pas pré-
cisée, Hesselin rendit à Louis XI « ung balay (rubis) cabochon
sur le quarre, à une belle face plate et une grosse fosse d'un des
costez, pesant vi^^xui karaz et demy, » que Charles V avait remis
jadis à feu Jacques de Lallier, Germain Vivien et autres, pour
gage d'un prêt de 5,001 1. Il s. 8 d. t.
78 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
rend Père en Dieu maistre Jehan Balue fut sacré à
evesque d'Evreux en l'église Notre-Dame de Paris. Et,
ce mesmes jour, le roy souppa en l'ostel de son tré-
sorier des finances, maistre Estienne Chevalier.
Et, le mardi ensuivant [6 août], fut exécuté es haies
de Paris ung jeune compaignon nommé Pierre Gue-
roult, natif de Lesignen, et ilec escartelé par la sen-
tence du prevost des mareschaulx, pour occasion de
ce qu'il avoit confessé estre venu de Bretaigne à Paris,
et ilec envoie de l'ordonnance du duc de Bretaigne
pour dire et advertir le roy que plusieurs cappitaines
et chefz de guerre de son ordonnance et retenue
estoient à lui contraires, pour et afin de mettre dis-
sencion entre le roy et lesdits gens de guerre, et aussi
pour accuser aucunes notables personnes de Paris de
non estre à lui feaulx; et avecques ce pour espier et
regarder quelz gens de guerre et puissance le roy
avoit, pour tout ce que dit est le rapporter ausdiz
princes et seigneurs au roy contraires, pour mieulx et
plus aisieement exécuter contre lui leur dampnée entre-
prinse. Et, pour ledit cas, fut ainsi exécuté que dit
est, ses biens et heritaiges au roy acquis et confisquez.
Oudit temps, lesdiz Bretons et Bourguignons passè-
rent les rivières de Seine et Yonne par bateaulx qu'ilz
trouvèrent à Moret en Gastinois et ailleurs. Et, audit
passage faisant se y trouva Salezart et aucuns de la
compaignie de Joachin Rouault pour cuider empescher
ledit passage, mais ilz n'estoient que peu de gens et
sans artillerie, et les ennemis du roy en avoient large-
ment, par quoy les convint reculer et retraire. Et,
audit passage, fut tiré par lesdiz Bretons contre lesdiz
gens du roy une serpentine, qui d'un cop emporta le
1465] OU CHROMQUE SCANDALEUSE. 79
bras d'un page, et après vint fraper un gentilhomme
nommé Painabel, parent dudit Joachin Rouault, tout
parmy le petit ventre, et en après en tua trois autres
hommes de guerre'^.
Et, le jeudi ensuivant, vm® jour d'aoust, monsei-
gneur de Pressigny, conseiller du roy notre sire et
président en sa chambre des Comptes à Paris % et
Ghristofle Paillart, aussi conseiller dudit seigneur en
sadicte chambre, que le roy a voit envolez pardevers le
duc de Calabre, qu'ilz trouvèrent ou pays de l'Auxer-
rois, pour lui porter lettres de par le roy, s'en retour-
nèrent à Paris pardevers le roy, à toute la response
qu'ilz avoient eu dudit de Calabre ^.
1. Suivant Maupoint (Journal, p. 59), les princes tentèrent
de traverser la Seine, le 1" août, au pont de Samois, mais les
Français avaient rompu le pont et s'opposèrent au passage. C'est
le dimanche 4 août que les alliés réussirent à franchir la rivière
à Moret (voy. le récit de Gommynes, éd. Dupont, I, 58 et suiv.).
L'objectif des princes était de tendre la main au duc de
Calabre, qui arrivait de l'est par l'Auxerrois et rejoignit ses
alliés le 8 août. Ils demeurèrent à Saint-Mammès, en Brie, jus-
qu'au samedi 10 (Maupoint, Journal, p. 60).
2. Bertrand de Beauvau, chevalier, seigneur de Précigny,
reçut des lettres de provision pour l'office de premier président
aux Comptes en date de Chinon, le 6 juin 1462, avec le titre de
garde et grand conservateur du domaine royal (Ordonnances,
t. XV, p. 492 et suiv.). Il mourut en 1474.
3. Ils avaient apporté aussi à Jean d'Anjou, duc de Calabre et
de Lorraine, une lettre que le roi René, son père, lui écrivait
pour le détourner de combattre Louis XI (Commynes, édit. Len-
glet, U, 423). Maupoint attribue l'aniraosité dont le duc de
Calabre ût preuve à l'égard du roi de France au fait que ce der-
nier avait, au début de son règne, contracté alliance avec le roi
Don Juan, compétiteur de Jean d'Anjou au trône d'Aragon (Jour-
nal cité, p. 51). Le prétexte paraît léger, étant donné que Louis XI
80 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et, le samedi ensuivant, x® jour dudit moys, le roy
s'en party de Paris pour aler à Rouen, Evreux et
autres lieux en Normandie, et ala ce jour à Pontoise.
Et, à son parlement de Paris, ordonna plusieurs frans
archers qui estoient venus dudit pays de Normandie,
et environ iiif lances des compaignies de feu Floquet,
du conte de Boulongne, de feu Geoffroy de Saint-Belin,
du seigneur de Graon* et du seigneur de la Barde estre
et demourer à Paris pour la tuicion et garde de ladicte
villes
Et, ledit jour du parlement du roy, se tint et assem-
bla ung grant conseil en l'Ostel de ladicte ville de
Paris. Et, en icellui tenant, vint et arriva audit conseil
ung gentilhomme de par le roy, nommé le seigneur
de Buisset, qui vint dire à tout le conseil ainsi assem-
blé que le roy leur mandoit de par lui qu'il avoit
changié propos, et que le mardi ensuivant il seroit de
son retour audit lieu de Paris^.
Et, au regard desdiz frans archers de Normendie,
avait promis à son cousin, pour son fils Nicolas, marquis de Pont,
la main d'Anne de France, sa fille, et que le duc avait touché déjà,
en tout ou en partie, la dot de 100,000 écus d'or que le roi don-
nait à sa fille (Bibl. nat., ms. fr. 26088, n* 181. Quittance sur par-
chemin signée Jehan).
1. Georges de la Trémoille, seigneur de Graon, de Jonvelle, etc.,
comte de Liguy, chevalier de l'Ordre, mort en 1481, était fils
de Georges de la Trémoille et de Catherine de l'Isle-Bouchard et
avait épousé Marie de Montauban. — Bertrand VI de la Tour,
comte de Boulogne, avait servi vaillamment Charles VU. Il mou-
rut le 26 septembre 1494.
2. Interpolations et variantes, § XII.
3. Averti de l'état de l'opinion à Paris, Louis XI jugea pru-
dent de ne pas rester plus longtemps éloigné.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 81
qui estoient des bailliages de Caen et Alançon, ils
furent logez par distribucion : c'est assavoir ceuix de
Caen, qui avoient jaquetes où estoit escript dessus de
broderie Caen, furent mis et logez tous dedens l'ostel
et pourpris du Temple, et les autres dudit bailliage
d'Alençon, qui avoient jaquetes où estoit dessus escript
aussi de broderie Audi partent, furent logez ou quar-
tier dudit Temple, partout où ilz peurent estre logez,
oultre l'ancienne porte dudit Temple ^
En ce temps, maistre Jehan Berard, conseiller du
roy en sa court de Parlement, s'en party et ala oudit
pays de Bretaigne, pardevers mondit seigneur de
Berry^, pour ce qu'il disoit qu'on avoit arrestée pri-
sonnière sa femme à Paris et fait wider hors ladicte
ville, pour ce qu'on la chargoit d'avoir favorisé mon-
dit seigneur de Berry et autres ses serviteurs contre
le roy.
Oudit temps fut pubhé et crié par les carrefours de
Paris que tous ceulx de ladicte ville qui avoient ma-
retz^ aux champs d'icelle ville feissent copper et
abatre tous les saulx et autres arbres estans en iceulx,
et tout ce dedens deux jours, ou autrement tous iceulx
saulx et autres arbres estoient habandonnez à tous
ceulx qui les vouldroient abatre.
Et, ce mesmes jour, vint et arriva à Paris monsei-
gneur le conte d'Eu comme lieutenant du roy, et
1. Maupoint dit aussi que les capitaines qui commandaient pour
le roi à Paris avaient sous leurs ordres 500 lances et "2,300 francs
archers de Caen et d'Alençon (Journal, p. 61. Cf. Mélanges histo-
riques, II, 377).
2. Le duc de Berry n'était plus en Bretagne, mais en Brie,
avec ses alliés du Bien-Public.
3. C'est-à-dire des jardins maraîchers.
82 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
comme tel y fut receu ledit jour, qui estoit le xui® jour
d'aoustlIIPLXV^
Et, le mardi ensuivant, xiin® jour^ dudit moys
d'aoust, ledit Gasin Cholet, dont devant est parlé ^,
pour le cas dessusdit d'avoir crié en courant par les
rues de Paris : « Boutez vous en vos maisons et fer-
mez voz huis, car les Bourguignons sont dedens
Paris ! » et qui a cause de ce avoit depuis esté cons-
titué prisonnier par sentence du prevost de Paris, fut
condampné à estre batu par les carrefours de ladicte
ville et privé de toutes offices royaulx, et à estre ung
mois encores en prison au pain et à l'eaue. Et fut
ainsi mené que dit est batre par lesdiz carrefours
dedens ung ort, vilain et paillart tumbereau dont on
venoit de porter la boe en la voierie. Et, en le bâtant
par lesdiz carrefours, comme dit est, le monde* crioit
à haulte voix au bourreau : a Bâtez fort et n'espar-
gnez point ce paillart, car il a bien pis desservy! »
Et, ce mesmes jour, arriva à Paris ce archers, tous
à cheval, dont estoit cappitaine Mignon^; tous lesquelz
1. C'est à Pontoise, le 12 août 1465, que Louis XI signa cette
nomination, considérant qu'il lui était nécessaire de se rendre à
Rouen, « pour recouvrer gens d'armes, » et qu'en son absence la
garde de Paris et des pays de France, Brie, Vimeu, bailliage de
Senlis et duché de Normandie devait être confiée à un seigneur
du sang (Félibien, Histoire de Paris, V, 275).
2. Lisez xiij^ jour ou mercredi xiv« jour d'août.
3. Voy. ci-dessus, p. 59.
4. Et non le roy, comme portent les anciennes éditions.
5. Jean Mignon avait fait, à la tête des francs archers de Niver-
nais, de Gien et d'Orléans, la campagne de Bourbonnais (mandats
de paiement adressés par le roi à Antoine Raguier et datés d'Is-
soudun, 3 mai, et de Montluçon, 19 mai [1465], dans ms. fr. 20496,
fol. 19 et 29, orig.).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. S3
estoient assez bien en point, ou nombre desquelz y
avoit plusieurs crennequiniers, vougiers et couleuvri-
niers à main^. Et, tout derrière icelle compaignie,
aloient aussi à cheval huit ribauldes et ung moyne
noir, leur confesseur^.
En ce temps, messire Charles de Meleun, qui avoit
esté lieutenant pour le roy audit lieu de Paris durant le
temps dessusdit, fut desappoincté de sa charge^, et
fut baillée audit monseigneur d'Eu. Et, ou lieu dudit
estât de lieutenant, le roy le fîst son grant maistre
d'ostel, et si lui bailla le bailliage et la cappitainerie
d'Evreux et la cappitainerie de Honnefleu.
En ce temps, aucuns desdiz Bourguignons et Bre-
tons, qui s'estoient rafreschis en la ville de Provins,
s'en retournèrent à Laigny sur Marne le jour feste de
my-aoust. Et, le vendredi ensuivant, vindrent loger à
Gretueil, Maisons sur Seine, Gheele Saincte-Bapteur et
autres lieux ilec environ^. Et, pour ce qu'on doubtoit
fort lesdiz Bourguignons et Bretons retourner devant
Paris, et qu'il fut raporté que maistre Girault, canon-
1. Le cranequin était une sorte d'arbalète à pied; le vouge, une
pique à fer long et assez large, aigu et tranchant; la couleuvrine,
tantôt une arme à feu portative, tantôt un canon long et mince.
2. Interpolations et variantes, § XIII.
3. Interpolations et variantes, § XIV. — C'est pour donner satis-
faction aux adversaires de Charles de Melun que Louis XI lui
enleva la lieutenance de Paris.
4. Créteil et Maisons-Alfort (Seine, cant. de Charenton-le-Pont).
— Chelles (Seine-et-Marne, cant. de Lagny) tirait son nom de
Chelles- Sainte -Bapteur ou Bauteur, d'une célèbre abbaye de
filles fondée en 662 par la reine Bathilde, femme de Clovis II.
— Le 11 août, les alliés occupèrent Nogent-sur-Seine, Bray et
Provins. Le 15, le seigneur de Hautbourdin rentra dans Lagny
(Maupoint, Journal cité, p. 60 et suiv.).
I 8
84 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
nier, s'estoit vanté de asseoir et assortir de son artil-
lerie à la voierie devant la porte Saint-Denis et celle
de Saint-A.nthoine, pour fouldroier aucuns lieux de
ladicte ville et au long des murs, fut ordonné ce jour
en ladicte ville que chacune personne alast le lende-
main en ladicte voierie, garnis de piques et pelles,
pour ruer et espandre icelle voierie ou ce qu'on en
pourroit faire, et ainsi fut fait; mais on n'y fist que
peu ou néant, et fut tout laissé. Et, à ceste cause,
furent faiz dessus lesdiz murs plusieurs tauldis, boule-
vers et trenchées au long desdiz murs pour la seureté
et défense de ladicte ville et des habitans d icelle, et
aussi de ceulx qui se emploieroient à la garde et
défense d'icelle^.
Et, le samedi ensuivant [1 7 août], plusieurs notables
personnes et de divers estas de ladicte ville furent
pardevers mondit seigneur le conte d'Eu, lieutenant
pour le roy en ladicte ville, auquel ilz firent de moult
belles remonstrances, qui concluoient qu'il lui pleust,
pour le bien, prouffit et utilité du roy, de ladicte ville
1. Les monceaux d'immondices qui, au moyen âge, garnissaient
les abords des portes des villes et s'entassaient parfois plus haut
que la muraille elle-même, constituaient, en cas de siège, un
véritable péril et favorisaient les surprises (voy. dans le Jouvencel
la prise d'Escallon, éd. Favre et Lecestre (Soc. de l'hist. de
France), 1. 1, p. 115 et suiv.). — Par une ordonnance datée d'Or-
léans, le 2 novembre 1466 {Collection des ordonnances, XVI, 521),
Louis XI, pour avoir « vu et cognu à l'œil que les mottes qui
sont près et joignans des fossez de la ville de Paris, mesmemeut
à l'endroit des portes de Saint-Antoine, Saint-Denis et Saint-
Honoré, » nuisaient à la sécurité des habitants, manda au prévôt
de Paris et aux gens des Comptes d'interdire aux bourgeois de
continuer « à porter gravois, immondices et mottes alentour des-
dits fossés. »
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 85
et des subgez d'icelle et du royaume, de adviser façon
et moien pardevers lesdiz seigneurs de Berry, Bour-
gongne, Bretaigne et autres devant nommez, d'avoir
avecques eulx aucune bonne pacificacion de paix ou
accord à l'onneur du roy et au soulagement et bien
dudit royaume^. A tous lesquelz ledit monseigneur
d'Eu fist response telle que le roy l'avoit mis et laissé
à Paris pour y estre son lieutenant, et, en son absence,
pour donner de tout son povoir provision à tout ce
qui seroit neccessaire tant au roy que au fait dudit
royaume, et que à ce faire estoit bien tenu et obligié,
et que à tout ce que possible lui seroit il mettroit toute
possibilité de pourchasser ledit accord et bonne union
avecques les seigneurs dessusdiz, et que, se mestier
estoit, lui mesmes se offroit de y aler en personne. Et
plusieurs autres choses leur fut dit de par mondit sei-
gneur d'Eu et maistre Jehan de Poupaincourt, son
conseiller.
Et, le lundi ensuivant [19 août], lesdiz Bretons et
Bourguignons et autres de leurdicte compaignie vin-
drent devant le pont de Charenton, ouquel lieu ilz
assirent plusieurs pièces d'artillerie, et d'icelle tirèrent
aucuns cops contre la tour dudit pont. Et, incontinent
ce fait, ceulx qui avoient la garde dudit pont l'aban-
donnèrent et s'en vindrent à Paris ; par quoy, et qu'ilz
n'orent nulle resistence, passèrent incontinent par
dessus ledit pont avecques leurdicte artillerie.
1. « Le peuple se veit espoventé, et d'aucuns aultres estatz
eussent voulu les Bourguignons et les aultres seigneurs estre
dedans Paris, jugeans, à leur advis, ceste entreprinse bonne et
proutïitable pour le royaulme » (Commynes, éd. Dupont, I, 65;
cf. p. 71).
86 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et, ce mesmes jour, environ vespres, iceulx Bretons
et Bourguignons vindrent vouster pardevant Paris, et
là y ot deux des frans archers de Gaen qui y furent
tuez. Et aussi y ot aucuns desdiz Bretons et Bourgui-
gnons prins et amenez à Paris. Et, celle nuit, aucuns
des dessusdiz Bretons et Bourguignons s'alerent loger
dedens le parc du bois de Vinciennes, environ de trois
à mi'" hommes^.
Et, le mardi ensuivant [%0 août], mondit seigneur
d'Eu envoya devers lesdiz seigneurs ung nommé le
seigneur de Rambures^ pour savoir de leur intencion
et qu'ilz vouloient dire. Et, le lendemain, ledit sei-
gneur de Rambures retourna à Paris ; mais de ce qu'il
fist pardevers lesdiz seigneurs en fut peu de bruit. Et,
ce jour, vindrent voulster devant Paris. Et aussi yssi
aux champs des gens de guerre de Paris, mais il n'y
ot riens fait, sinon qu'il y ot ung franc archer d'Alen-
çon qui fut tué par lesdiz Bourguignons.
Et, le jeudi ensuivant, xxii^ jour dudit moys d'aoust,
lesdiz Bretons et Bourguignons vindrent escarmou-
1. C'est Hautbourdin qui, venant de Lagny, gagna la tour et
le pont de Charenton. Les trois jours suivants, les Bourgui-
gnons lirent plusieurs courses devant Paris et perdirent quelques
hommes (Maupoint, Journal, p. 61). — On trouve, dans le Viaggo
a Parigi degli ambasiatori Fiorentini nel Ikôl, p. p. G. Milanesi,
dans VArchivio storico italiano, 3* série, vol. I (1864), p. 34 et suiv.,
une description de la forteresse de Vincennes. Le parc attenant
au château était entouré de murs qui avaient quatre railles de
développement et renfermait un bel étang et de hautes futaies
remplies de bêtes sauvages. Le tout formait un ensemble « che
tutta Francia non a simile. » Charles de Melun était capitaine du
bois de Vincennes.
2. Jacques, seigneur de Rambures, etc., chevalier, conseiller
et chambellan du roi, né vers 1428, mort après 1488, avait épousé
Marie de lierghes (Vaeseu, Lellres de Louis XI, t. II, p. 224).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 87
cher, et yssi de Paris plusieurs gens de guerre aux
champs*, et là y ot ung Breton, archer du corps de
monseigneur de Berry, qui estoit habillé d'unes bri-
gandines couvertes de veloux noir à doux dorez, et en
sa teste ung bicoquet garny de boulions d'argent doré^,
qui vint fraper ung cheval sur quoy estoit monté ung
homme d'armes de l'ordonnance du roy par les flans
et la cuisse, tellement que ledit homme d'armes, en
s'en retournant à Paris, ledit cheval cheut soubz lui
tout mort dessoubz les galeries des Tournelles. Et,
incontinent que ledit Breton ot ainsi navré ledit che-
val, vint à lui ung archer de la compaignie de mondit
seigneur d'Eu, qui le traversa tout oultre le corps
d'une demie lance, et incontinent cheut à terre tout
mort, et fut son cheval amené et habillement apporté
à Paris et le corps laissié mort en chemise. Et, bientost
après, vint ung herault à la porte Saint-Anthoine, qui
requist avoir ledit corps mort, ce qui lui fut octroyé,
et le fist porter à Saint-Anthoine des Champs hors
Paris, où ilec fut inhumé et son service fait.
Et, cedit jour, mondit seigneur de Berry, qui estoit
logié à Beauté^ avecques plusieurs desdiz seigneurs de
son sang, envoya ses heraulx à Paris, qui apportèrent
de par lui quatre lettres, les unes aux bourgois, ma-
nans et habitans d'icelle ville, unes à l'Université, les
autres aux gens d'EgHse et les autres à la court de
1. Interpolations et variantes, § XV. — Cf. Maupoint, Journal,
p. 62.
2. Le bicoquet était une sorte de calotte, garnie dans le présent
cas d'ornements ciselés en argent doré; la briyandine, un pour-
point couvert de plaquettes de métal.
3. Beautc-sur-Marne, maison royale attenante au bois de Vin-
cennes.
88 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Parlement, qui contenoient en efFect que lui et ceulx
de son sang avecques lui tout assemblez estoient ilec
venus pour tout le bien universel du royaume de
France, et que par ladicte ville lui feussent envolez
cinq ou six hommes notables pour oyr les causes pour-
quoy lui et ceulx de sondit sang estoient ainsi venus
que dit est*. En obtempérant ausquelles lectres, et
pour icelles oyr et escouter, furent esleuz et déléguez
pour ladicte ville maistre Jehan Choart, lieutenant
civil ou Ghastellet de Paris, maistre François Halle,
advocat en Parlement, et Arnault Luiller, changeur de
Paris; pour l'église de Paris, maistre Thomas de Cour-
celles, doien de Paris, maistre Jehan de l'Olive, doc-
teur en théologie, et maistre Eustace Luiller, aussi
advocat en ladicte court de Parlement ; et, pour ladicte
court de Parlement, maistre Jehan le Boulenger,
maistre Jehan le Seellier, archidiacre de Brie, et
maistre Jaques Fournier ; et, pour l'Université, maistre
Jaques Juing, lisant pour la Faculté des Ars, maistre
Jehan Luiller, pour Théologie, maistre Jehan de Mon-
tigny, pour Décret, et maistre Enguerran de Parenti,
pour Medicine. Tous iceulx nommez dessus estoient
nommez et conduiz par Révérend Père en Dieu le
devant nommé Guillaume, evesque de Paris, qui ot la
charge de présenter, mener et conduire tous iceulx
nommez^.
1. Maupoint fournit de curieux détails sur cet épisode (Journal,
p. 61-67). Ces hérauts, qui furent reçus et festoyés par les repré-
sentants du comte d'Eu et de la ville de Paris, apportaient des
lettres closes adressées au lieutenant général, à l'évèque, au Par-
lement, à l'Université, au doyen et au chapitre de Paris, au
prévôt des marchands et aux bourgeois.
2. Jean Choart, licencié en décret et en loi, lieutenant civil de
1465] OU CHRONIQUE SCAND.iLLEUSE. 89
Cedit jour y ot ung archer du seigneur de la Barde,
monté à cheval, armé et délibéré d'aler à son adven-
la prévôté de Paris (11 sept. 1461), seigneur d'Epinay-sur-Seine,
épousa Jeanne Le Clerc et mourut en 1483 (Arch. nat., X*» 1490,
fol. 333 ; Bibl. nat., Pièces orig., vol. 75-5, doss. Choart, et Sauvai,
III, 362). — François Halle, aussi licencié en décret et en loi,
avocat au Parlement, grand archidiacre de Paris, puis arche-
vêque de Narbonne (1484), chanceUer de l'ordre du roi, prési-
dent de l'Échiquier de Normandie, fut l'un des serviteurs les
plus actifs de Louis XI, surtout à la fin du règne. Le roi fai-
sait alors grand cas de ses services (voy. Arch. nat., Xi» 1490,
fol. 223 v°). — Arnaud Luillier, bourgeois de Paris, conseiller
du roi, changeur (c'est-à-dire receveur des revenus) de la ville,
trésorier et receveur ordinaire de la sénéchaussée de Carcassonne
et de Béziers (1465), était seigneur de Vez en Valois et de Saint-
Mesmin près Troyes. Il épousa Catherine Phelippes et vivait
encore en janvier 1486, n. st. (Moréri et Bibl. nat., Pièces orig.,
vol. 1772 et 1964, doss. Luillier et Milglos). — Eustache Luillier,
frère d'Arnaud, chanoine de Saint-Germain-I'Auxerrois, habitait
près de la rue « par oii l'on va du pont Saint-Michel aux Augus-
tins » (Arch. nat., LL 729, fol. 35 v°). — Jean Le Boulanger, con-
seiller au Parlement de Paris (1454), président (1456), premier
président (1471), mourut le 24 février 1481 (voy. Blanchard, Les
Présidents à mortier au Parlement de Paris. Paris, 1749, in-foL).
Il était seigneur d'Isles-sur-Marne (Arch. nat., JJ 200, u® 198).
— Jean Le Sellier, chanoine de Paris, conseiller au Parlement
et président aux enquêtes, fut chargé par Louis XI de composer
avec Jean Henry un traité touchant la Pragmatique sanction
(Bibl. nat., ms. fr. 3887, fol. 55 et suiv., pap., xv^ s. Cf. Pièces
orig., vol. 2679, doss. Le Sellier, et Arch. nat., X*» 1490, fol. 97 v°).
— Jacques Fournier était conseiller au Parlement (voy. Pièces
orig., vol. 1226, doss. Fournier, et Arch. nat., LL 437). — Jacques
Juing, docteur en décret, curé de Saint-Jean-en-Grève, conseil-
ler au Parlement, président des enquêtes (déc. 1478. Arch. nat.,
Xia 1488, fol. 150 vo), disputa l'évôché d'Auxerre à Jean Baillet
et reçut la provision de l'évéché de Sens [Gallia christiana, XII,
c. 331). — Jean Luillier, docteur en théologie, était chanoine de
Paris; Jean de Montigny, docteur en décret, chanoine de Sens et
conseiller au Parlement de Paris; Enguerrand de Parenti, maître
es arts, docteur en médecine et chanoine de Paris. — Le vendredi
90 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
ture, [qui] vint à la porte Saint-Anthoine. Auquel
archer le bastard du Maine ^ quigardoit ladicte porte
Saint-Anthoine, dist et défendit qu'il n'y alast point.
Lequel archer lui respondi que si feroit, et qu'il n'es-
toit point à lui ne soubz lui, mais estoit audit de
la Barde, son maistre et cappitaine. Et lors, pour son
refuz, ledit bastard du Maine tira son espée pour fraper
icellui archer, et ledit archer tira aussi la sienne pour
se revencher, et alors ledit bastard du Maine cria à ses
gens et autres estans à ladicte porte : « Prenez ce
ribault et le tuez ! » Et incontinent fut couru sus audit
archer, et ilec le tuèrent tout mort.
Ce jour aussi vint nouvelles que maistre Pierre
d'Oriole, gênerai des finances du roy, l'avoit délaissé
matin, 23 août, l'évêque de Paris célébra solennellement une
messe du Saint-Esprit à Sainte-Catherine-du-Val-des-Ecoliers,
en face des Tournelles. Puis, accompagné des délégués susnom-
més, il partit pour Beauté. C'est Dunois qui prit la parole au
nom des princes assemblés. Il protesta contre l'alliance conclue
par le roi avec le duc de Milan, dont les bandes venaient de
pénétrer en Bourbonnais, « pour destruire toutes les nobles mai-
sons de France, » contre les mariages que le roi faisait contrac-
ter entre « personnes de non pareil estât, » contre son refus d'as-
sembler les états. Il revendiqua pour les princes le gouvernement
de toutes les finances du royaume, la distribution des offices, la
direction de l'armée ; il osa réclamer la remise en leurs mains de
la personne royale, enfin Paris, pour en faire « à leur voulenté, »
et termina en annonçant aux délégués un assaut général pour le
lundi suivant, si, le dimanche soir, les Parisiens n'ouvraient pas
leurs portes. Tout ce qu'il fut possible d'obtenir fut une trêve de
trois jours (Maupoint, Journal, p. 63).
1. Louis d'Anjou, chevalier, seigneur et baron de Mézièrcs-en-
Brenue, sént-chal et gouverneur du Muiue, conseiller et cham-
bellan du roi, était fils naturel de Charles I*"", comte du Maine.
Il épousa Anne de la Trémoille et mourut en 1489. Il avait été
légitimé en 1468 (Anselme, I, 235).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 91
et s'en estoit aie rendre à monseigneur de Berry.
Gedit jour aussi, les ambasseurs de Paris, qui
ainsi estoient alez à Beauté pardevers les seigneurs
devantditz, s'en retournèrent à Paris et vindrent arri-
ver en l'ostel des Tournelles, où ilz trouvèrent mondit
seigneur d'Eu, auquel ilz dirent ce qui leur avoit esté
dit et proposé.
Et, le samedi ensuivant [24 août], furent tous les
dessus nommez ambasseurs en l'ostel de ladicte ville,
où y estoient assemblez plusieurs notables personnes
pour oyr ce qui leur avoit esté dit par les dessusdiz
princes et seigneurs. A quoy ne fut riens conclud
pour la matinée, mais fut ordonné que ledit jour après
disner seroient assemblez en ladicte ville l'Université,
l'Eglise, la court de Parlement et autres officiers et le
corps de ladicte ville, tous lesquelz s'i trouvèrent, et
conclurent que, au regard des trois estas que reque-
roient estre tenus lesdiz princes et seigneurs, dirent
que la requeste estoit juste, et en oultre que passage
leur seroit baillé à Paris et des vivres en les paiant,
et aussi en baillant par eulx bonne caucion que nul
mal ou esclande ne seroit fait par eulx ou leurs gens
en ladicte ville ne aux habitans d'icelle, sauf sur tout
le bon plaisir du roy. Et à tant iceulx ambasseurs
retournèrent pardevers lesdiz princes leur dire leur
deliberacion. Et est assavoir que, durant que ledit
conseil fut en ladicte ville à ladicte heure d'après dis-
ner, furent tous les archers et arbalestriers de Paris
en armes devant ledit hostel pour garder d'oppresser
les opinans audit conseil ^ .
1 . En réalité, le sang-frgid et l'adresse du prévôt des marchands,
92 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et, ledit jour de samedi, les gens d'armes et de trait
de l'ordonnance du roy, estans en icelle ville, firent
leurs monstres au long de ladicte ville, et tous mar-
chans les ungs après les autres par ordre, ce qui fai-
soit bien bon veoir. Et, premièrement, aloient les
archers à pie dudit Normandie et puis les archers à
cheval, et en après les hommes d'armes des compai-
gnies de mondit seigneur d'Eu, de monseigneur de
Graon, du seigneur de la Barde et dudit bastard du
Maine, et povoient bien estre en tout de quatre à cinq
cens lances bien en point sans ceulx de pié, qui bien
estoient xv<^ hommes et mieulx*.
Et, ce mesme jour, le roy escripvy lettres à ceulx
de Paris, par lesquelles leur mandoit qu'il estoit à
Chartres avecques son oncle monseigneur du Maine,
à tout bien grant nombre de gens de guerre, et que
dedens le mardi ensuivant il seroit à Paris. Et, ce
Henri de Livres, empêchèrent seuls les partisans des princes de
faire voter l'admission dans Paris du duc de Berry. Excité par
les gens du roi, le peuple de Paris se souleva « tout esmeu de
tuer les ambassadeurs et autres bourgeois » qu'il accusait de tra-
hison. Enfin, le dimanche 25 août, vers une heure après midi,
l'évèque et les autres ambassadeurs retournèrent à Beauté avec
l'assentiment du comte d'Eu, mais « en grans pleurs et en grant
fraieur. » Ils étaient chargés de déclarer que « les gens du roi »
refusaient de répondre aux sommations des princes avant d'avoir
consulté le roi. On conçoit quelle irritation cette fin de non-rece-
voir excita au camp du Bien- Public. Dunois s'écria que, puisqu'il
en était ainsi, les seigneurs livreraient dès le lendemain l'assaut
« le plus fort et le plus criminel dont ilz se pourroient adviser et
que il cousteroit les vies de 100,000 hommes et de cliascun prince
la chevance... avant qu'ilz ne obtinsent à leur intention » (Mau-
point, Journal, p. 65-69),
1. Maupoint estime qu'il y avait à ce moment dans F^aris, en
outre de la milice bourgeoise, 1,200 lances et 3,000 francs-archers.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 93
mesme jour, vint et arriva à Paris l'admirai de Mon-
tauban et grant quantité de gens de guerre avec-
ques lui.
Ce jour, se desloga de Beauté mondit seigneur de
Berry pour aler à Saint-Denis, et depuis s'en retourna
audit lieu de Beauté, pour ce qu'on lui dist qu'il seroit
plus seurement audit Beauté, où près d'ilec estoient
logez lesdiz ennemis, que d'estre seul audit Saint-
Denis, et aussi cju'on lui ala dire que le roy venoit et
retournoit audit lieu de Paris.
Et, le mercredi ensuivant [28 août], le roy retourna
à Paris et amena avecques lui son oncle du Mayne,
monseigneur de Penthievre^ et autres. Et ramena son
artillerie qu'il avoit menée aveccjues lui et grant
nombre de pionniers prins ou pays de Normandie,
qui tous furent logez en l'ostel du roy à Saint-Pol. Et,
de ladicte venue que fist le roy en sadicte ville de
Paris, fut le populaire d'icelle moult fort resjouy, en
criant à haulte voix partout où il passoit par ladicte
ville Noel^.
1. Jean II de Brosse, chevalier, seigneur de Sévère, de Bous-
sac, etc., comte de Penthièvre par sa femme Nicole de Blois, qu'il
avait épousée le 18 juin 1437.
2. Louis XI, étant à Rouen, reçut de ses gens à Paris l'avis
que, s'il ne venait promptement à leur secours, ils se trouveraient
en grand péril (Du Clercq, IV, 184). Le roi, dit Commynes, arriva
à Paris t en Testât qu'on doit venir pour reconforter le peuple »
(éd. Dupont, I, 72). Il amenait avec lui 12,000 bons combattants
de Normandie, 60 chariots d'artillerie et 700 muids de farine. Au
reste, les vivres abondaient à Paris, et le bois seul se vendait un
peu cher (Maupoint, Journal, p. 70). « Et ainsi fut ceste praticque
rompue et tout ce peuple bien mué; depuis ne se fust trouvé
homme de ceulx qui paravant avoient esté devers nous qui plus
eust osé parler de la marchandise » (Commynes, éd. Dupont,
I, 73).
94 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et, le lendemain bien matin, lesdiz Bourguignons
et Bretons vindrent bailler une raverdie^ devant le
bolevert de la tour de Billy ; et avoient avecques eulx
clerons, trompetes, haulx menestrelz et autres instru-
mens dont ilz faisoient grant bruit. Et ilec, et devant
la bastide Saint-Anthoine^, vindrent faire ung grant
bruit et cry, en criant à l'assault et à l'arme, dont
chacun fut fort espoventé, et s'en ala chacun sur les
murs et en sa garde. Et, ledit jour aussi, vindrent les-
diz Bretons et Bourguignons voulster devant Paris,
dessus lesquelz yssirent grant nombre de gens de
guerre de l'ordonnance du roy, et, tant par port
d'armes que de grosses serpentines du roy, qui fort
tirèrent, y ot ce jour plusieurs desdiz Bretons et Bour-
guignons tuez.
Et, le vendredi ensuivant [30 août], vindrent et
arrivèrent à Paris des farines et autres vitailles du pays
de Normandie. Et, entre les autres choses, y fut amené
de la ville de Mante deux chevaulx chargez de pastez
d'anguilles de gort'^, qui furent vendus devant le Chas-
tellet de Paris, en la place à la Volaille^.
1. Une aubade.
2. La grande forteresse parisienne qui flanquait la porte Saint-
Antoine formait un parallélqgramme ceint de larges fossés et de
huit tours, dont quatre du coté de Paris et quatre sur la campagne.
— En dépit des menaces de Dunois, les alliés s'étaient bornés le
lundi précédent à planter leurs tentes au-dessus du val de Fécamp,
à Bercy et vers la Grange-aux-Merciers. Il se livra là quelques
escarmouches sans importance (Maupoint, Journal, p. 69 et suiv.).
3. La pêche de l'anguille au gord, c'est-à-dire en plantant dans
le lit du fleuve deux rangs de perches qui forment un angle dont
le sommet est fermé par une nasse, est encore usitée en Seine.
4. Ce vendredi, Louis XI alla entendre la messe à Sainte-Calhe-
rine-du-Val-des-Écoliers, et, après la messe, Jean Jouffroy, car-
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 95
Et ce mesme jour, après disner, yssirent dehors
Paris Ponset de Rivière^ et ceulx de sa compaignie,
qui bien povoient estre de trois à quatre cens che-
vaulx, cuidans trouver lesdiz Bretons et Bourguignons ;
mais point ne s'i trouvèrent, et ne fut lors riens fait
qui soit digne de mémoire. Et, la nuit, les Bourgui-
gnons, qui estoient logez à la Granche aux Merciers-,
dinal d'Albi, abbé de Saint-Denis, lui remit l'oriflamme avec le
cérémonial accoutumé. Le roi, la bannière en main, fit son orai-
son devant l'autel Mauloué, puis, remettant l'oriflamme à son
chapelain, il le fit porter derrière lui jusqu'à son hôtel (Maupoint,
Journal, p. 73).
1, Sur Poncet de Rivière, chevalier, conseiller et chambellan
du roi, capitaine de gens d'armes et de trait, bailli de Montferrand
etd'Usson (1465), voy. la notice de M. Vaesen, Lettres de Louis XI,
II, 306. Ghastellain le qualifie (1461) de « gentil escuier et homme
de grand bruit,... issu d'un tronc dont la famé avoit esté claire »
(IV, 53), et le biographe de Gaston IV, comte de Foix, Guillaume
Leseur : « Bon chief de guerre, bel et adroit gendarme, grant
homme et puissant, et de sa personne couraigeux et vaillant »
(Bibl. nat., ms. fr. 4992, fol. 117 et suiv.). Sur sa disgrâce méri-
tée par ses intrigues avec les rebelles pendant le Bien-Public,
son voyage au mont Sinaï, ses séjours en Bourgogne, puis en
Bretagne, voy. Vaesen, loc. cit. Pardonné non sans efforts, Pon-
cet fut impliqué encore dans le complot tramé par Jean Hardy
contre la vie de Louis XI (voy. plus loin, à la date de janvier
1474), mais obtint des lettres de rémission (31 oct. 1477. Arch.
nat., K 72, n^ 102) et rentra définitivement en grâce auprès du
roi. Au mois de mars 1478, bien qu'encore en Bretagne, il
fut autorisé à reconstruire la place de Ghàteau-Larcher (dép. de
la Vienne), dont il possédait la seigneurie et que Louis XI avait
fait raser. Il figura dans le conseil de Charles VIII dès le 27 no-
vembre 1483 (Valois, Bibl. de l'École des chartes, t. XLIII, p. 10)
et mourut après le 12 juin 1487 (Vaesen, loc. cit.).
2. A Bercy. Maupoint dit que les Bourguignons abattirent les
bergeries et les étables de la Grange-aux-Merciers et plusieurs
bonnes maisons au pont de Gharenton, à Maisons et aux envi-
rons, et en employèrent les matériaux à la construction d'un
96 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
s'en desiogerent, pour ce que l'artillerie du roy por-
toit de Paris jusques en ladicte Granche, et au deslo-
ger abatirent toute la couverture dudit lieu, et en
emportèrent toutes les poultres, solives, huys, portes,
fenestres et tout le portatif, pour eulx taudir et pour
ardoir.
Et, ce jour, le roy fist dire à cinq des devant nom-
mez, qui avoient esté à Beauté devers lesdiz princes,
après la deliberacion ainsi faicte que dit est devant
oudit hostel de la ville, qu'ilz s'en alassent et widas-
sent hors de ladicte ville. Desquelles cinq personnes
les noms s'ensuivent : c'est assavoir maistre Jehan
Luiller, curé de Saint-Germain l'Auxerrois; maistre
Eustace Luiller et Arnault Luiller, ses frères ; maistre
Jehan Ghoart et maistre François Halé, aussi advocat
en Parlementa
Et, le samedi ensuivant, derrenier jour d'aoust, y
ot moult belles saillyes faictes par les portes de Saint-
Anthoine et Saint-Denis. Et, du costé de ladicte porte
Saint-Denis, y ot ung archer de l'ostel du roy tué. Et,
du costé desdiz Bretons et Bourguignons, y en ot aussi
de tuez et navrez. Et si advint que ung gentilhomme,
nommé le seigneur de Saint-Quentin^, fut en ladicte
fort boulevard sur la rive droite de la Seine, en face du Port-à-
l'Anglais {Journal, p. 72).
1. Cf. Maupoint, Journal, p. 71. — Les Luillier furent exilés à
Orléans pour avoir opiné en faveur de l'admission à Paris du
duc de Berry. C'est à cette exécution que se rapporte le passage
de Commynes : « Aux aucuns en print mal. Toutesfois le roy ne
usa de nulle cruaulté en ceste maliore, mais aucuns perdirent
leurs ollices, les aultres envoya demourer ailleurs » (Éd. Dupont,
I, 73).
2. Peut-être le Dauphinois Claude de Beaumont.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 97
saillie ou escarmouche abatu de dessus ung bon cour-
sier dessur lequel il estoit monté, et après fut rescoux,
mais il perdi sondit coursier et deux autres bons che-
vaulx. Mais, du costé de ladicte porte Saint-Anthoine,
n'y fut riens fait. Et, ce jour, le roy saillit aux champs
du costé de son boulevert de la tour de Billy. Et ilec
fist passer au travers de Seine, de l'autre costé, de
trois à niic piétons pionniers, qui estoient venus du
pays de Normandie, pour aler pionner à l'endroit du
Port à l'Englois et devant Conflans, tout devant le
siège desdiz Bourguignons, à l'endroit de la rivière,
car on disoit que lesdiz Bourguignons avoient inten-
cion de faire ung pont pour passer ladicte rivière. Et
oudit lieu le roy ordonna certain nombre de gens de
guerre pour garder et défendre de faire ledit pont et
passer ladicte rivière. Et, après lesdiz pionniers ainsi
passez que dit est, le roy aussi passa après eulx ladicte
rivière, tout à cheval dedens ung bac, sans descendre
de dessus ledit cheval.
Et, le dimenche ensuivant, premier jour de sep-
tembre, lesdiz Bourguignons mirent et assirent ung
pont pour passer ladicte rivière audit Port à l'Anglois.
Et advint que, à l'eure qu'ilz avoient délibéré de passer
par dessus ledit pont, arriva audit Port à l'Anglois
certain grant nombre de frans archers et autres gens
de guerre pour le roy, qui vindrent asseoir engins au
bout dudit pont, dont ilz tirèrent a l'encontre desdiz
Bourguignons et en tuèrent et navrèrent, et les con-
vint reculer. Et, de l'autre costé de la rivière, du costé
desdits Bourguignons, passa à nage ung Normant, qui
ala copper les chables ordonnez à porter ledit pont,
et, partant, ledit pont s'en ala aval l'eaue. Ce jour
98 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
aussi fiit tiré grant quantité d'artillerie dedans l'ost
desdiz Bourguignons, pour quoy les convint reculer
plus arrière^. Ce jour aussi, lesdiz Bourguignons tirè-
rent de leur artillerie aux gens du roy estant audit
Port à l'Anglois, et y ot ung gentilhomme de Nor-
mendie qui ot la teste emportée d'un cop de serpen-
tine. Aussi vindrent et arrivèrent à Paris pardevers
le roy deux ambassades, l'une pour le duc de Nemoux
et l'autre pour le conte d'Armaignac^. Ledit jour aussi
fut faicte belle saillie aux champs par messire Charles
de Meleun et Maleortie^ et ceulx de leur compaignie.
1. Cf. Gommynes, éd. Dupont, I, 76 et suiv. — Cette canonnade
du Port-à-l'Anglais, village situé sur la rive gauche de la Seine, un
peu en amont de Gharenton, fut une des affaires les plus sérieuses
de cette guerre d'escarmouches et d'intrigues. Les pionniers nor-
mands établirent probablement leur retranchement entre Port-
à-l'Anglais et Carrières, village construit en face de Conflans.
Charolais logeait à Conflans, et par deux fois le canon des roya-
listes porta jusque dans la chambre où il dinait. « Je n'ay jamais,
dit Commynes, tant veu tirer pour si peu de jours > (Éd. Dupont,
I, 78).
2. Les routiers de Jacques et de Jean d'Armagnac et ceux du
sire d'Albret, mal payés, mal nourris, se tenaient à Nogent, à
Bray-sur-Seine, à Provins et aux environs, coupant les vignes
et les arbres fruitiers et ravageant les campagnes jusqu'aux
portes de Troyes, de Chàlons et de Reims (Maupoint, Journal,
p. 73; cf. Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 362). « Ils estoient bien
six mil hommes de cheval qui faisoient merveilleusement de
raaulx » (Gommynes, éd. Dupont, I, 76). Nemours et son cousin
Armagnac venaient de rallier l'armée du Bien- Public devant
Paris et tentaient de reprendre le rôle de conciliation peu sincère
qu'ils avaient essayé de jouer à Riom et à Aigueperse. — On trou-
vera la réponse de Louis XI à leurs ambassadeurs dans Jacques
d'Armagnac... (Extrait de la Revue historique, cité, p. 41.)
3. Robert de Malortie, comte de Couches et de la Baulme, sei-
gneur de la Tour du Pin (16 mai 1468. Bibl. nat., ms. fr. 26091,
n° 705, parch. signé).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 99
Et ledit jour aussi arriva à Paris les voulgiers et cren-
nequiniers du pays d'Anjou, qui bien povoient estre
un" hommes, qui aussi ledit jour furent aux champs
pour escarmoucher lesdiz Bretons et Bourguignons,
et y ot à ceste foiz deux archers de l'ordonnance du
roy tuez et ung prins, et les gens du roy prindrent
sept Bourguignons et en tuèrent deux.
Ledit jour encores fut à Paris à seureté pardevers
le roy le conte de Sommerset, anglois, qui estoit en
l'ost desdiz Bourguignons, et parla au roy, qui estoit
à la bastide Samt-Anthoine, assez longuement^. Et
puis lui fut donné à boire et print congié du roy, qui,
au partir, pour ce qu'il plouvoit, lui donna sa cappe,
qui estoit de veloux noir.
Et, le lundi ensuivant, second jour de septembre,
oudit an LXV, monseigneur du iMaine, qui estoit logé
à Paris devant l'ostel du roy, envoya à monseigneur
le duc de Berry deux muys de vin vermeil, quatre
demies queues de vin clairet de Beaune et ung cheval
chargé de pommes de chou et de raves.
Et, le mardi ensuivant [3 septembre], furent nom-
mez et esleuz ambaxeurs pour le roy et lesdiz sei-
gneurs pour communiquer sur leurs differens; c'est
assavoir, pour le roy, furent esleuz mondit seigneur
du Maine, le seigneur de Pressigny, président des
Comptes, et maistre Jehan Dauvet, président du Par-
lement de Thoulouze-; et, du costé desdiz princes et
1. Edmond Beaufort, comte de Somerset, était parent du comte
de Charolais. En 1461, il avait été, par une circonstance for-
tuite, quelque temps prisonnier de Louis XI. Invité à « venir
devers luy à Tours, il fut très privé et familier depuis avecques
le roy » (Chastellain, IV, 69).
2. Conseiller et procureur général de Charles VII, Jean Dauvet
I 9
100 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
seigneurs contraires, furent nommez le duc de Calabre,
le conte de Saint-Pol et le conte de Dunoys^.
Et, ce jour aussi, par cas de fortune, fut mis et bouté
le feu dedens la pouldre à canon qui estoit à la porte
du Temple, qui en emporta le comble de ladicte porte
et fîst descharger huit pièces d'artillerie estans en
ladicte porte, qui à ladicte heure estoient toutes
chargées^.
Et, incontinent que lesdiz seigneurs ambasseurs
furent ainsi esleuz et nommez, pourparlerent ensemble
sur l'accord et pacificacion d'entreulx, et fu fait trêve
jusques au jeudi ensuivant [5 septembre]. Pendant
laquelle tresve ne fut faicte aucune guerre de costé ne
d'autre; mais, durant icelle, chacun mist peine de sa
part de soy fortifier^. Et, durant icelle trefve, y ot
fut commis par Louis XI à l'oiïice de premier président au Par-
lement de Toulouse (23 septembre 1461); il prêta serment le
16 octobre suivant (vidimus sur parch. à la Bibl. nat. Pièces orig.,
vol. 981, doss. Dauvet). En novembre 1465, il fut reçu président
au Parlement de Paris. Il avait épousé Jeanne Boudrac et mourut
le 23 novembre 1471 (voy. Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 114).
1. Interpolations et variantes, § XVI.
2. Interpolations et variantes, § XVII.
3. Le roi fit élever un boulevard entre la tour de Billy et la
Seine et fermer les barrières qui ouvraient sur la campagne entre
la chaussée de Saint-Antoine et la rivière. Sur la rive gauche,
on construisit un retranchement et ou creusa de profondes tran-
chées vers Ivry et le Port-à-l'Anglais, en face des redoutes
bourguignonnes (Maupoint, Journal, p. 73 et suiv.). De son côté,
l'ennemi fortiha i'Isle-Saint-Denis et employa les loisirs de la
trêve à piller les églises de Gonesse, de Louvres, de Sarcelles, de
Saint-Brice, de Pierrelitte, causant mille maux aux paysans
de l'Ile-de-France. — A Paris, du 4 septembre au 31 octobre, les
marchands, autorisés par le roi, vendirent aux alliés des vivres,
des vùLements et jusqu'à des harnais de guerre en grande quan-
tité. La misère était si grande, au camp du Bien-Public, « que
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 101
plusieurs alées et venues falotes de costé et d'autre et
jusques audit jour de jeudi que ladicte trefve devoit
faillir, que mondit seigneur du Maine, en retournant
de l'ost desdiz Bourguignons, dist aux portiers de
ladicte porte Saint-Anthoine qu'ilz feissent tous bonnes
chères, et que, au plaisir de Dieu, avant qu'il feust
huit jours lors à avenir, tous auroient cause de joye
et de crier « Noël. » Et, cedit jour, ladicte trefve fut
continuée jusques au mercredi ensuivant ^ .
Et, le vendredi [6 septembre] après, furent tous
iceulx seigneurs consulter ensemble en la Granche aux
Merciers, dessoubz ung paveillon pour ceste cause ilec
ordonné^. Et, cependant, lesdiz Bretons et Bourgui-
gnons en grant nombre, comme deux mil ou environ
et des plus honnestes, venoient en grant pompe eulx
monstrer devant Paris jusques au fossé de derrière
Saint-Anthoine des Champs. Et aussi yssy hors de Paris
plusieurs personnes pour les aler veoir et parler à
eulx, nonobstant que le roy l'eust défendu, et en fut
bien mal content; et, voiant ces choses, fut meu de
leur faire gecter plusieurs canons et serpentines qui
estoient chargées en la tour de Billy et près d'ilec. Et,
quant lesdiz de Paris retournèrent en la ville, il en fist
prendre les noms de plusieurs par escript^.
ilz ne en povoient plus endurer sens mort ou sens eulz enfouir »
{Ibid., p. 93 et suiv.).
1. 11 septembre.
2. Cf. Bibl. nat., ms. fr. 2921 cité, fol. 51.
3. Le 13 septembre 1466, une main inconnue déposa sur la
douve d'un fossé, qui courait du monastère aux dames de Saint-
Antoine-des-Ghamps jusqu'à la Seine, près d'une planche qui
servait à traverser l'eau pour se rendre de Paris à Saint-Maur,
une pierre avec l'inscription suivante : « L'an 1465, ou mois de
102 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et, le dimenche ensuivant, viii® jour de septembre,
feste de Nostre-Dame, le roy parti de son hostel des
Tournelles pour aler en la grant église Notre-Dame,
et, en y alant, passa par l'église de la Magdaleine, où
ilec il se fist frère et compaignon de la grant confrarie
aux bourgois de Paris, et avecques lui s'i mirent mon-
seigneur l'evesque d'Evreux et autres'.
Et, le lundi ensuivant, ix® jour dudit moys de sep-
tembre, lesdiz Bretons et Bourguignons furent es ter-
rouers de Clignencourt, Montmartre, la Gourtille- et
autres vignobles d'autour Paris, prendre et vendenger
toute la vendenge qui y estoit, ja soit ce qu'elle n'es-
toit point meure, et en firent du vin tel quel pour
leur boire. Et à ceste cause furent ceulx de Paris con-
trains de vendenger les autres vignes partout autour
septembre, fut cy tenu le lendit des traïsons, et fut par une trêve
que on print. Mauldit soit il qui en fut cause! » (Maupoint,
Journal, p. 102). L'allusion au comte du Maine est transparente.
C'est lui qui conseillait Louis XI à cette époque, et le roi le qua-
lifiait devant Charles de Melun « d'homme d'estrange condition et
fort à entretenir » (Procès de Melun, dans ms. fr. 2921, fol. 75).
C'est lui aussi qui, en sous-main, poussait les princes à deman-
der « et leur pourchassa à avoir lesd. treuves, lesquelles leur
furent à grant secours » (Maupoint, Journal, p. 94). Du côté des
rebelles, c'est Saint-Pol qui conduisit l'intrigue (Commynes, éd.
Dupont, I, 81 et suiv.).
1. L'église de la Madeleine en la Cité était entre le pont Notre-
Dame et le Petit-Pont, à l'angle de la Juiverie et de la rue des
Marmousets (plan dit de la Tapisserie). — La confrérie de Notre-
Dame, ou Grande -Confrérie aux bourgeois de Paris, comptait
dans ses rangs les membres des familles de la haute bourgeoisie.
L'initiative prise par Louis XI en celte occasion fut un coup de
politique fort habile.
2. Les villages suburbains de Montmartre et de Clignancourt
étaient situés au delà de la porte Montmartre; la Courtille en
dehors de la porte du Temple.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 103
de Paris, qui n'estoient pas à demy meures, et aussi
le temps leur fut fort contraire. Et fut ladicte année
la plus meschante et povre vinée qui longtemps fut
sceue en France, et l'appelloit on le vin de l'année
des Bourguignons ^
En ce temps vindrent aussi à Paris plusieurs des
nobles de Normandie pour servir le roy en ses guerres,
tous lesquelz furent logez aux faulxbourgs de Saint-
Marcel lez Paris^, entre lesquelz y en avoit aucuns par-
ticuliers qui firent moult de maulx et larrecins, et de
ce en furent aucuns d'eulx reprins par aucuns des
bourgois de ladicte ville, et qui, contre leur gré et
voulenté, y vouloient entrer. Et, pour le refus qui leur
en fut fait par lesdiz bourgois, leur dirent iceulx de
Normandie plusieurs injures et mauvaises paroles en
eulx rebellant à l'encontre d'eulx, et en les appellant
traistres Bourguignons, et qu'ilz les mettroient bien
en point, et qu'ilz n'estoient venus dudit pays de Nor-
mandie à Paris que pour les tuer et piller. Desquelles
choses informacion fut faicte à la plaincte de ceulx
dudit Paris, qui desdictes paroles se sentirent fort
injuriez^. Et, veue icelle, le principal malfaicteur et
prononceur desdictes paroles fut condempné à faire
amende honnorable, devant l'ostel de ladicte ville, au
procureur d'icelle pour toute ladicte ville, nue teste,
desseint, une torche ou poing, en disant par lui que
1. Cf. Du Glercq, IV, 299.
2. Au sud-est de la ville et aujourd'hui compris dans le
X1II« arr.
3. Sur cet incident, on lira dans la déposition du procureur
Jacques Rebours, au procès de Charles de Melun, des détails
précis confirmant les dispositions douteuses d'une partie de la
garnison de Paris (Bibl. nat., ms. fr. 2921, fol. 28 v» et suiv.).
104 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
faulsement et mauvaisement il avoit menty en disant
lesdictes paroles, en priant et requérant icelles lui
estre remises et pardonnées. Et après ot la langue per-
cée dont il avoit proféré lesdictes paroles, et ce fait,
fut banni.
Et, le lundi ensuivant [9 septembre], les Bourgui-
gnons se vindrent monstrer devant Paris, entre les-
quelz y estoit monseigneur de, Saint-Pol, pour parler
auquel le roy yssy dehors Paris, et parlèrent ensemble
bien deux heures^. Et, pour s'en retourner seure-
ment, le roy bailla pour lui en hostage monseigneur
le conte du Maine, qui demoura en l'ost desdiz Bour-
guignons jusques au retour dudit monseigneur de
Saint-Pol. Et, ce mesmes jour, le roy, en retournant
des champs, dist à plusieurs de Paris estans à ladicte
porte Saint-Anthoine que lesdiz Bourguignons ne leur
donn[er]oient plus tant de peine qu'ilz avoient fait et
qu'il les en gardoit bien. Et lors ung procureur de
Chastellet, nommé Pierre Beron, lui respondi : « Voire!
sire, mais ilz vendengent noz vignes et menguent noz
roisins sans y savoir remédier ! » Et le roy leur répliqua
qu'il valoit mieulx qu'ilz vendengassent lesdictes vignes
et mengassent lesdiz roisins que ce qu'ilz vensissent
dedens Paris prendre leurs tasses et vaillant qu'ilz
avoient mis et mussez dedens leurs caves et celiers.
Et, le venredi ensuivant [13 septembre], vint et
arriva es halles de Paris deux cens chevaulx tous char-
gez de marée et de toutes manières et sortes. Et y vint
1. Au delà des fossés et eu dehors de la porte Sainl-Autoine.
Le roi et Saint-Pol « se départirent l'ung de l'autre, faisant
bonne chère, pourquoi on osperoit que paix seroit faictc w (Mau*
point, Journal, p. 7i).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 105
aussi plusieurs saumons, esturgons et du herenc frès,
en despit et maulgré de tous lesdiz Bourguignons,
Bretons et autres ainsi estans devant Paris, qui avoient
menacié ceulx de ladicte ville de leur faire menger
leurs chas et leurs ras par famine.
Et depuis fut ladicte trefve continuée par deux ou
trois foiz jusques au xvm® jour de septembre, pendant
laquelle lesdiz Bretons et Bourguignons se avitaillerent
fort en leur ost, à la grant charge et foule du pays et
du peuple. Et n'est point à doubter que, quant le roy
eust voulu dire Avant, et qu'il eust esté bien servy des
gens de guerre prenans ses gaiges et souldées, aveo
ques les nobles et peuple de Paris qui bonne devocion
avoient au saint, il eust subjugué et mis tous sesdiz
ennemis en tel estât que jamais ne feussent retournez
dont ilz estoient partis pour venir devant ladicte ville.
Et, ledit jour de mercredi, xviii^ jour dudit mois
de septembre, nonobstant le pourparlé desdiz ambas-
seurs de costé et d'autre, fut tout rompu et perdu le
bon espoir qu'on avoit eu auparavant^.
Et, cedit jour, fut desemparé le siège que le roy
avoit fait audit Port à l'Engloys, ouquel siège avoient
esté faictes de belles trenchées et bolevers, tentes et
paveillons. Et, après ledit desemparement, tous les
gens de guerre estans oudit siège s'en vindrent retraire
1. La trêve conclue le 4 septembre devait expirer le vendredi 6,
soleil levant. Elle fut d'abord étendue jusqu'au mercredi M, -soleil
couchant, puis jusqu'au 14, enfin jusqu'au 18 septembre. Après
plusieurs réunions « des états » consultés par Louis XI, les pré-
tentions des rebelles furent définitivement repoussées. « Ilsdeman-
doient trop grans choses, et trop à la charge et au deshonneur
du roy et du royaulme et à la diminucion de sa preeminance et
de son demmaine » (Maupoint, Journal, p. 72-76).
106 JOUR]V:\L DE JEAN DE ROYE [1465
et loger aux Chartreux près Paris^ dedens lequel lieu
des Chartreux furent logez yi^ hommes de guerre et
leurs chevaulx, et tellement en fut remply ledit lieu
que les sains hommes religieux de leans furent dechas-
sez et boutez hors de leurs celles et lieux de devocion.
Et le lendemain, jour de jeudi [19 septembre], les-
diz Bretons et Bourguignons passèrent ladicte rivière
audit Port à l'Anglois et vindrent au point dudit jour
escarmoucher lesdictes gens de guerre du roy ainsi
logez à Saint-Marcel, les Chartreux et Saint-Victor, et
y en ot de costé et d'autre de mors, navrez et de
prins^.
Et ce mesmes jour se fîst ung grant conseil et assem-
blée en la Chambre des Comptes^, ouquel furent
assemblez avecques autres les seize quarteniers d'icelle,
les cinquanteniers, et de chascun desdiz quartiers six
hommes notables, avecques aucuns conseillers de la
court de Parlement, officiers et autres. Et ilec mons.
le chancellier Morviller'* dist et exposa de parle roy
1. A Vauvert, au sud de Paris.
2. Ce jour-là, « la guerre fut criée et publiée ouverte à plain
estandart, » et aux 50,000 combattants de Paris fut commandé,
de la part du roi, « que chacun alast à son guet et à sa garde sur
painne de la mort. » Le même jour, Louis XI rer.ut « les linances »
do Languedoc, « dont gens de guerre furent joieux. » On se battit
en dehors de la porte Saint-Antoine, entre Reuilly, Bercy et la
Grange-aux-Merciers, et aussi du côté de la porte Saint-Jacques,
vers Gentilly, Vitry et Ivry, « en tirant vers le Port-à-l'Anglois. »
Les Bourguignons eurent « du pis » et les prisonniers qu'ils per-
dirent furent noyés (Maupoint, Journal, p. 77).
3. La Chambre des Comptes occupait au Palais l'emplacement
où se trouve actuellement la Préfecture de Police.
4. Chastellain le dit « homme fort partial et tout propre au roy
et à ses mœurs. » Époux de Jeanne Boucher, il était ainsi allié
à plusieurs faniillcs de la haute bourgeoisie parisienne.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 107
comment il s'estoit grandement mis en son devoir
d'avoir offert aux princes et seigneurs, qui estoient
devant Paris, aux demandes qu'ilz lui faisoient pour
l'ampanage de mons. le duc de Berry, pour lequel
ilz demandoient avoir la duchié de Guienne, Poitou et
le pays de Xanctonge ou la duchié de Normandie^. A
quoy leur fut dit et respondu par ledit conseil ainsi
assemblé que le roy ne leur povoit pas bailler ne des-
membrer de la couronne. Et depuis, le roy leur offrit
bailler le pays de Champaigne et Brye, réservé à lui
Meaulx, Monstereau et Meleun, pour ledit ampanage.
Et ausdiz de Gharrolois et autres seigneurs fîst de grans
offres pour leurs defraiemens, ce qu'ilz ne dévoient
point refuser; ce qu'ilz ne vouldrent accepter^. Et
demoura tout jusques au vendredi matin ensuivant,
auquel jour le jeune seneschal de Normandie^ yssit
dehors Paris à tout bien six cens chevaulx, pour
escarmoucher et soy monstrer devant les dessusdiz.
Et pareillement se monstrerent de l'autre costé de la
rivière grant quantité de gens de guerre devant lesdiz
Bourguignons, qui fort tirèrent engins celle journée,
1. Peut-être faut-il lire et le duché de Normandie. (Voy. les
Remontrances du chancelier des offres faites par le roi, analysées
par Lenglet (II, 510) d'après les registres du Parlement, à la
date du 19 septembre 1465.) Pour refuser la Normandie à son
frère, Louis XI invoqua l'ordonnance de novembre 1361, par
laquelle le roi Jean, réunissant ce duché au domaine de la cou-
ronne, en interdit à jamais l'aliénation.
2. Au Bourguignon les villes de la Somme, le comté de Bou-
logne et 200,000 livres payables en quatre annuités.
3. Jacques de Brézé, comte de Maulévrier, fils de Pierre, tué
à Montlhéry, et de Jeanne Grespin, avait épousé en 1462 Char-
lotte, fille naturelle du roi Charles VII et d'Agnès Sorel. Il mou-
rut le 14 août 1494.
108 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
dont ilz tuèrent ung gentilhomme de Poictou de la
compaignie de mons. de Penthievre qui se nommoit
Jehan Chaureau, seigneur de Pampehe^. Et dedens les
vignes près Saint-Anthoine des Champs furent prins
bien xx ou xxiiii povres paillars Galabriens - et Bour-
guignons tous nuz et mal en point, qui furent venduz
au butin, et en donnoit on quatre pour ung escu, qui
est audit pris vi sous vi deniers parisis la pièce.
Et le samedi ensuivant [21 septembre], au point du
jour, ung nommé Loys Sorbier ^ qui estoit à Pontoise
lieutenant de Joachin Rouault, mareschal de France,
par faulse et mauvaise trahison qu'il fist et conspira
contre le roy son souverain seigneur, bouta dedens
ladicte ville les Bretons et autres ennemis du roy. Et,
en faisant par lui ladicte trahison, mist en son appoinc-
tement que ceulx qui estoient audit lieu de Pontoise,
de la compaignie dudit Joachin, qui ne vouldroient
demourer, s'en yroient franchement eulx et leurs biens
saufz. Et incontinent qu'il ot ainsi baillée ladicte ville
de Pontoise, il s'en parti lui et aucuns de sadicte com-
paignie, et alerent devant Meulenc^ porter et mons-
1. Pamplie (Deux-Sèvres, cant. de Ghampdeniers).
2. G'est-à-dire appartenant à l'armée du duc de Galabre, qui
avait amené des aventuriers allemands et suisses.
3. Louis Sorbier, seigneur de Paray, était originaire du Berry
et comme tel bien disposé à l'égard de Charles de France. Quand
Louis XI donna le duché de Guyenne à son frère, Louis Sorbier
fut créé grand écuyer, conseiller et chambellan du nouveau duc
et capitaine des 50 lances de sa garde. Après la mort de Gharles
de France, il prêta serment de lidélité à Louis XI sur le chef de
saint Eutrope (29 mai 1472. Bibl. nat., ms. l'r. 20491, loi. 50) et
fut créé conseiller et chambellan du roi et son sénéchal en l*éri-
Rord (Bibl. nat.. Pièces orig., vol. 2715, doss. Sorhiet').
4. Meulan (Seine-et-Oiso, arr. de Versailles).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 109
trer l'enseigne dudit Joachin, afin que ceulx estans
oudil lieu les boutassent dedens sans en faire difficulté,
en cuidant par lui qu'ilz n'eussent point encores esté
advertis de sadicte trahison ; mais avant qu'il vint, ceulx
dudit Meulenc estoient bien advertis d'icelle trahison.
Et incontinent qu'il fut apperceu par lesdiz de Meu-
lenc, qui desjà estoient en armes dessus les murs^
d'icelle ville, crièrent à haulte voix audit Sorbier :
« Alez, faulx et mauvais traistres! » et leur gecterent
des engins dudit lieu, et partant fut contraint de soy
en retourner audit lieu de Pontoise à toute sa honte.
Et, cedit jour, ledit Sorbier escripvit unes lettres audit
Joachin, par lesquelles lui escripvoit qu'il avoit mis
et bouté lesdiz Bretons et autres audit Pontoise, et qu'il
avoit esté conseillé de ainsi le faire pour le mieulx, et
que de la faulte qu'il avoit faicte lui et le roy le lui
pardonnassent. Et sur la superscripcion desdictes
lettres estoit escript : a A vous et au roy^. »
Et, ce jour, fut faicte saillie de Paris sur lesdiz Bre-
tons et Bourguignons, et y en ot de prins, navrez et
tuez de costé et d'autre. Et si ot ung cheval de pris
qui estoit tout bardé de cuir bouilly, qui fut tué d'un
cop de coulevrine que lui baillèrent lesdiz Bourgui-
gnons^.
1. Interpolations et variantes, § XVIII.
2. Interpolations et variantes, § XIX. — Basiu (II, 126) dit que
Louis XI fut extrêmement affecté de la perte de Pontoise : c eo
quod adversariis suis transitus apertus foret per quem, transmissa
Isara, Normanniam aggredi possent. » C'est ce qu'ils ne tardèrent
point à faire, en effet.
3. Ce vendredi 20 septembre, on escarmoucha assez chaude-
ment, mais sans autre résultat que la mort d'une trentaine
d'hommes. Le lendemain, Charles do Louviers, échanson du roi
110 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et le dimenche ensuivant [22 septembre] , au point
du jour, les dessusdiz ennemis vindrent faire ung res-
veii devant ladicte ville, du costé de ladicte porte
Saint-Anthoine, et vindrent bien grant nombre jusques
audit Saint-Anthoine des Champs. Et, pour les faire
desplacer, leur furent gectez d'iceile ville plusieurs
traiz de canons, serpentines et autre artillerie d'iceile
porte Saint-Anthoine et de ladicte Bastide, et autre
chose n'y fut fait.
Et, le lundi ensuivant [23 septembre], de nuit, appa-
rut à ceulx qui faisoient le guet et arrière guet en
ladicte ville une comète, qui vint des parties dudit host
cheoir dedens les fossez d'iceile ville à l'environ de
l'ostel d'Ardoise, dont plusieurs furent espoventez, non
sachans que c'estoit, mais cuidans que ce eust esté une
fusée ardant ilec gectée et envolée par lesdiz Bour-
guignons. Si en furent portées les nouvelles au roy en
son hostel des Tournelles, qui incontinent monta à
cheval et s'en ala dessur les murs au droit dudit hos-
tel d'Ardoise, et y demoura grande espace de temps,
et fist assembler tous les quartiers de Paris pour aler
chacun en sa garde dessus lesdiz murs. Et à ceste
heure, courut bruit que lesdiz ennemis, ainsi estans
devant Paris, s'en aloient et deslogoient, et que à leur-
dit partement mettoient peine de brusler et endom-
mager ladicte ville partout où possible leur seroit. Et
fut trouvé que de tout ce il n'estoit rien^.
et plus tard l'un de ses cent gentilshommes (Bibl. nat., ms.
fr. 21448, ad. ann. 1471), fils de sire Nicolas de Louviers, mar-
chand et bourgeois de Paris, combattit la lance au poing et tua,
à son grand honneur, messire .îosse de Lalaing, un chevalier
renommé du Hainaut (Maupoint, Journal, p. 77 et suiv.).
1. Le dimanche et le lundi, il n'y eut pas d'engagements aux
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. IM
Oudit temps, lesdiz ennemis, ainsi logez devant
Paris, firent plusieurs balades, rondeaux, libelles dif-
famatoires et autres cboses, pour diffamer aucuns bons
serviteurs estans autour du roy, afin que à ceste cause
le roy les prinst en sa malvueillance et les deschassast
de son service.
En ce temps, les gens de guerre de l'ordonnance du
roy estans logez à Paris y firent de grandes chères, et
en lieu de passetemps y séduisirent plusieurs femmes
et filles, qui par leur moien en laissèrent et déguer-
pirent leurs mesnages et enfans, et les autres jeunes
filles servans leurs maistres et services, pour suivre
iceulx gens de guerre. Et entre autres, y ot une jeune
fille, qui estoit fille d'un procureur du Chastellet de
Paris, nommé Eustace Fernicle, qui avoit prins habit
de damoiselle et grant estât, pour ce qu'elle avoit
fiancé ung nommé Le Chien, natif de Carenten en Nor-
mandie, et serviteur d'un nommé le seigneur de Saincte-
Marie* ; laquelle, pour ce que ledit Chien mettoit trop
à l'espouser, s'acointa d'un archer qui avecques lui
l'en amena, et accordèrent leurs vyeles ensemble. Mais
les père et mère de ladicte fille, non contens de ce
champs, parce que le comte du Maine, Rouault, Montauban,
Jouvenel des Ursins, Gousinot, Jean Dauvet et autres c gens
sages » poursuivaient avec les fédérés des pourparlers de paix
qui furent continués jusqu'au jeudi suivant (Maupoint, Journal,
p. 78).
1. Le Chien est bien un nom du Cotentin. Un Durant Le Chien
figure, à la date du 14 juillet 1475, parmi les 100 hommes d'armes
de la grande ordonnance commandés par Jean d'Estouteville,
seigneur de Briquebec. Un autre Le Chien, Jean, est nommé
parmi les archers (Bibl. nat., Titres, Montres, vol. 1414, fol. 63 y°
et suiv.). La seigneurie de Sainte-Marie-du-Mont (auj. dép. de la
Manche, cant. de Sainte-Mère-l'ÉgUse) appartint au xv* siècle à
la famille des Espaules, puis aux Blosset.
112 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
que dit est, s'en alerent plaintifz pardevers le roy,
mais ilz n'en eurent autre chose.
Et cedit jour, au soir, environ deux heures de nuit,
mons. l'evesque d'Evreux, Balue, fut guetté et acueilly
par aucuns ses ennemis en la rue de la Barre du Bec S
à l'environ de la porte de derrière de feu maistre
Bureau Boucher-, lesquelz chargèrent sur lui et de
première arrivée vindrent oster et souftler deux
torches qu'on portoit devant lui. Et après vindrent
audit Balue, qui estoit monté dessus une bonne mule
qui le saulva et gaigna au fouir, car tous ses gens à
l'effroy l'abandonnèrent pour paour des horions. Et
en emporta ladicte mule sondit maistre Balue jusques
au cloistre Notre-Dame, en son hostel dont elle estoit
partie ; et, avant ladicte fuite, il ot deux cops d'espée,
l'un au plus hault de ses biens et ou milieu de sa cou-
ronne^, et l'autre en l'un de ses dois. Et sesdittes gens,
qui ainsi s'en aloient courans aval la rue, crioient
A Vanne! et Au murdre! afin que le peuple saillist pour
donner secours à leur maistre. Et dudit cas le roy en
fut courroucié et ordonna que l'en en feist informa-
cion et que la chose feust sceue, mais tout en demoura
ainsi sans en savoir autre chose, combien que aucuns
disoient depuis que ce avoit fait faire mons. de Villers
le Boscage, pour l'amour de ladicte Jehanne du Bois,
dont il estoit amoureux^.
1. C'est aujourd'hui la partie de la rue du Temple comprise
entre la rue de la Verrerie et la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie .
2. Bureau Bouclier, seigneur de Piscop et d'Orsay, était mort
en 1461. 11 avait épousé Gilette Raguier (Bibl. nat., Pièces orig.,
vol. 433, doss. Boucher).
3. C'est-à-dire au milieu de sa tonsure cléricale.
4. On verra aux Inlerpolalions ci variantes, § XX, et l'interro-
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. ii3
Celle nuit, aucuns Bretons et Bourguignons furent à
Sevré*, où ilz trouvèrent aucuns Escossois de la com-
paignie Robert de Gonyhan, lesquelz ilz tuèrent et leur
copperent à tous les gorges.
En ce temps, ung nommé Alixandre Lorget, natif
de Paris, qui estoit homme d'armes de l'ordonnance
du roy notre sire soubz la charge et compaignie du
seigneur de la Barde, s'en ala et absenta de Paris pour
soy aler rendre à Saint-Denis à mons. de Berry, qui
ilec estoit, et si en ala à lui cinquième, et avecques lui
en emporta toutes ses bagues et sa male^.
Et, le jeudi ensuivant [26 septembre], vindrent en
l'ostel de ladicte ville plusieurs grandes plaintes par
gatoire de Charles de Melun confirme ce dire (Bibl. nat., ms.
fr. 2921 cité), que l'ex-lieutenant général du roi à Paris fut for-
mellement accusé d'avoir commandé cette « bapture > de l'évêque
d'Évreux, dont il était le rival auprès « d'une jeune femme de
Paris que le cardinal aymoit bien et veoit voluntiers. » Melun
nia cet attentat et prétendit, au contraire, qu'un jour, pour con-
vaincre Balue que cette jeune femme ne l'aimait pas, il lui avait
présenté un petit rubis « en façon de cueur en annel » et plu-
sieurs lettres qu'il tenait d'elle. Le prêtre devint a blanc comme
ungdrappeau » et de ce jour fut son ennemi mortel. Sur Jeanne
du Bois, voy. ci-dessus, p. 33.
1. Maupoint dit « à Suresnes » et ajoute que 30 Ecossais de
l'ordonnance y furent massacrés {Journal, p. 78). — Robert
Guningham, déjà capitaine des archers écossais de Charles VU,
fut mêlé à une conspiration ourdie contre le roi. Condamné au
bannissement en 1455, il fut réintégré dans son emploi par
Louis XI (voy. Beaucourt, Charles VII, t. VI, p. 27 et suiv.).
2. Alexandre Lorget, écuyer, grènetier du grenier à sel de
Ponioise dès 1457, avait été, à la date du 17 janvier 1465 (n. st.),
par un acte de faveur, tenu quitte, jusqu'à concurrence de
700 livres parisis, de tout ce qu'il pouvait devoir au trésor
royal. En octobre 1471, on le retrouve écuyer d'écurie du duc
de Guyenne (Bibl. nat., Pièces orig., vol. 1747, doss. Lorget).
114 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
aucuns des bourgois de ladicte ville de plusieurs mau-
vaises paroles malsonnans que disoient et publioient
plusieurs gens de guerre estans en ladicte ville contre
lesdiz bourgois, manans et habitans d'icelle, pour y
donner provision. Et estoient lesdictes paroles telles,
proférées et dictes par iceulx gens de guerre : « Je
regny Dieu, les biens qui sont à Paris ne aussi la ville
ne sont point ne appartiennent à ceulx qui y sont
demourans ne residens, mais à nous gens de guerre
qui y sommes, et voulons bien que vous sachez que,
malgré voz visaiges , nous porterons les clefz de voz
maisons et vous en bouterons dehors, vous et les
vostres, et, se vous en caquetez, nous sommes assez
pour estre maistres de vous*. » Et ce mesme jour y ot
ung fol Normant qui dist à la porte Saint-Denis que
ceulx de Paris estoient bien folz de penser que leurs
chaynes de fer, tendues au travers de leurs rues, leur
peust valoir à l'encontre de eulx. Pour lesquelles paroles
ainsi malsonnans que dit est fut soudainement ordonné
par aucuns estans en l'ostel de ladicte ville, à qui les-
dictes paroles furent ainsi dictes et rapportées, (jue
ceste nuit chacun quartenier de Paris feroit faire beaulx
et grans feux par toutes les dixaines de son quartier,
et que ung chacun seroit en armes et sur sa garde
durant lesdiz feux^. Et si furent ordonnées toutes les
chaynes des rues foraines estre tendues, ce qui fut fait,
et veilla chacun jusques au point du jour. Et, celle
1. Cf. la déposition de Jacques Rebours, procureur de la ville
de Paris, au Procès de Ch. de Melun, ms. fr. 2921, fol. 29 v».
2. Même déposition, fol. 31 v. C'est sur l'initiative de Jacques
Rebours qu'en l'absence du prévôt des marchands les échevins
André d'Azy et Denis Gibert expédièrent aux quarieniers l'ordre
d'allumer les feux.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 115
mesmes nuit, fut grant bruit que la bastide Saint-
Anthoine fut laissée ouverte pour laisser entrer dedens
Paris ceulx qui estoient devant*. Et si trouva l'en
ceste nuit aucuns canons, près dudit lieu, dont les
chambres estoient enclouées, à ce qu'ilz ne peussent
servir quant mestier en seroit. Et desdiz feux et du
grant guet qui fut fait et ainsi ordonné que dit est,
furent lesdiz capitaines qui estoient à Paris moult esba-
his, et dont aucuns s'en alerent en la chambre du roy
en son hostel des Tournelles savoir à lui se c'estoit de
son ordonnance et commandement que lesdiz feux et
guet estoient ainsi fais et ordonnez, ou de par qui :
lequel dist et respondi que non. Et tout incontinent il
manda venir à lui sire Jehan Luiller, clerc de ladicte
ville, qui y vint et lui certiffia que lesdiz feuz et guet
estoient faiz à bonne fin, et de ce asseura le roy et
lesdiz cappitaines. Et ce nonobstant ordonna à messire
Charles de Meleun qu'il alast en l'ostel de la ville et
par tous les quartiers d'icelle dire que on laissast les-
diz feux et que chacun s' alast coucher 2, dont riens ne
vouldrent faire, mais demeurèrent ainsi armez jusques
au jour. Et maintenoient plusieurs depuis que ce fut
grâce de Dieu, et que, s'ilz s'en feussent alez et dépar-
tis, ladicte ville estoit perdue et destruicte et que les-
diz de devant Paris y feussent entrez par ladicte Bas-
1. Interpolations et variantes, § XXI. — Sur cette affaire, qui
ne fut jamais bien éclaircie, on trouvera de curieux détails dans
la déposition de Jacques Rebours (fol. 34). Melun, accusé de cette
trahison, la nia énergiquement. Il expliqua que, cette nuit-là, le
roi l'avait envoyé porter un message au comte de Charolais et
qu'il était effectivement rentré à Paris par la Bastille {Procès
cité, fol. 69; cf. fol. 40 v* et suiv. et Maupoint, Journal, p. 79).
2. Interpolations et variantes, § XXII.
I 10
116 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
tide, et par ce demourée ladicte ville destruicte et du
tout désolée*.
Et le vendredi ensuivant [27 septembre] vindrent à
Paris deux poursuivans, l'un de Gisors, qui vint dire
au roy qu'il envoiast secours en ladicte ville et que
devant y avoit bien cinq ou six cens lances, et que
dedens icelle n'y avoit nulles gens de guerre de par le
roy, et si n'avoient aussi artiljerie, pouldres ne autre
défense. Et l'autre poursuivant estoit aussi envoyé au
roy de par Hue de Vignes, escuier, homme d'armes
de l'ordonnance dudit seigneur, soubz la charge et
compaignie du seigneur de la Barde, lequel Hue estoit
lors à Meulenc. Par lequel poursuivant estoit mandé
au roy que ledit de Vignes avoit sceu par gens dignes
de foy que les Bretons et autres avoient entreprinse
d'entrer dedens Rouen, tout ainsi qu'ilz avoient fait à
Pon toise, et par dedens le chastel ou palais de ladicte
ville, afin qu'il y pourveust^.
Et, cedit jour de vendredi, lesdiz ambasseurs ordon-
nez de chacun costé disnerent à Saint-Anthoine des
Champs dehors Paris. Et là leur fut envoyé de par le
roy pain, vin, poisson et tout ce que mestier leur estoit
pour ledit disner. Et fut aussi ilec porté en une char-
rete plusieurs des comptes jadis rendus en la Chambre
des Comptes à Paris des pays et villes de Champaigne
et Brye^.
1. Du mardi 23 au jeudi 25 septembre, Gentiliy, Vitry et Ivry
furent pillés par les Bourguignons et par les Bretons, tandis que
les royalistes saccageaient Créteil, Boissy et Malnoue (Maupoint,
Journal, p. 78 et suiv.).
2. Interpolations et variantes, § XXIII. — Le château de Rouen
ou Vieux Palais était construit sur la rive droite de la Seine, en
aval de la ville.
3. Cf. Mélanges historiques cités, II, 387, et Mémoires d'Olivier
U65] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. HT
Et, le samedi ensuivant [218 septembre] , lesdiz ambas-
sadeurs de costé et d'autre furent derechef assemblez
en deux parties, c'est assavoir monseigneur du May ne et
ceulx de sa compaignie pour la partie du roy avecques
les autres princes et seigneurs estans dehors, tous en
la Granche aux Merciers. Et, pour le roy, oudit Saint-
Anthoine des Champs y estoient ordonnez maistre
Estienne Chevalier, trésorier de France, maistre Arnoul
Boucher^ et Ghristofle Paillart, conseillers des comptes ;
et les commissaires de l'autre partie estoient Guillaume
de Biche ^, maistre Pierre d'Oriole, maistre Jehan
Berart, maistre Jehan Compain^, ung autre licencié
de la Marche, éd. de la Société de l'histoire de France, III, 28. —
Les gens du roi firent apporter les comptes des revenus de la
Champagne et de la Brie, afin de renseigner le duc de Berry sur
la valeur de ces pays que son frère offrait de lui remettre en
apanage. Maupoint, qui place cet épisode le samedi, rapporte
que, le même jour, le comte de Gomminges, Charles de Melun,
le bâtard du Maine et le prévôt des marchands réunirent les
quarteniers et les centeniers à l'hôtel de ville et leur firent prêter
serment de conserver Paris au roi {Journal, p. 79 et suiv.).
1. Arnoul Boucher, seigneur du Vivier, de Charenton, etc.,
avocat au Parlement dès 1455, conseiller et maître des comptes
(1461), était fils de Bureau Boucher, déjà nommé. Il épousa
Catherine Hardouin et mourut vers 1492 (Bibl. nat., Pièces orig.,
vol. 433, doss. Boucher).
2. Bische était né à Moulins-Engilbert vers 1426 (Gommynes,
éd. Dupont, I, 94). Favori du comte de Gharolais, fort apprécié
du roi, il fut, quoique bourguignon, nommé par Louis XI bailli
de Saint-Pierre-le-Moutier. Il était seigneur de Clairy, près
Péronne (voy. Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 117. Cf. Ghastellain,
IV, 115 et suiv.).
3. Le 29 août 1465, Louis XI avait destitué Jean Compaing de
l'office de général conseiller sur le fait de la justice des aides,
pour avoir fait plusieurs visites non autorisées et s'être enfin défi-
nitivement retiré au camp des rebelles [Ordonnances, XVI, 345 et
H8 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
escumant latin ^ et maistre Ythier Marchant^. Et ce jour
ne firent que peu de chose ^.
Cedit jour, le roy receut lettres de la vefve messire
Pierre de Breszé, par lesquelles lui mandoit qu'elle
avoit fait prendre le seigneur de Broquemont, cappi-
taine du palais de Rouen, pour ce qu'elle se souspe-
connoit dudit cas, et qu'il n'eust aucune doubte de
ladicte ville de Rouen, du chastel du bout du pont, du
suiv.). — A la date du l^"" juin 1478, on le retrouve notaire et
secrétaire du roi et commis à la recette et au paiement des gages
des présidents et conseillers au parlement de Languedoc (Bibl.
nat., Pièces orig., vol. 830, doss. Compaing).
1. On dirait familièrement aujourd'hui, dans le même sens,
« écorchant le latin. »
2. Cet Ythier Marchant, deux fois mentionné par Villon (éd.
Longnon, p. 7 et 61, et Index, p. 323), servait le duc de Berry et
devint maître de sa chambre aux deniers en Guyenne. Après la
mort de son frère, Louis XI fit tout pour attirer ce personnage et
lui promit 1,000 livres de pension et un otfice de maître des
comptes ^(10 mai 1471. Bibl. nat., ms. fr. 6964, fol. 32, orig.). On
verra plus loin qu'il fut impliqué dans l'attentat de Jean Hardy
contre la vie du roi.
3. Dimanche 29 septembre, grande réunion en l'hôtel du roi,
à Paris, de « plusieurs nobles et de grans sages hommes de tous
estas. » Les gens du roi leur firent part des demandes auxquelles
s'étaient « restrains » Charles de France et ses alUés, ainsi que
des bases de l'accord proposé. La condition capitale était la ces-
sion au frère de Louis XI des comtés de Champagne et de Brie.
Après discussion, l'assemblée conseilla au roi, « afïin de ovier
plus grant mal et de avoir paix, » de souscrire à ces conclusions.
Il y consentit, et ainsi « fut accordé et pariait le traité de la
paix, » que les seigneurs du Bien-Public allaient s'empresser de
rejeter, à la nouvelle de la prise de Rouen. Ce même jour, Berry
et Charolais se logèrent, avec l'autorisation du roi, au château
du bois de Vincennes pour « s'y reposer et raffreschir » jusqu'au
samedi suivant, dernier jour de la trêve qui avait été conclue le
vendredi précédent (Maupoint, Journal, p. 80).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 119
palais ne des habitans d'icelle, et que tous ilz se trou-
veroient bons et loyaulx envers lui^.
Et, le dimenche ensuivant [29 septembre], au point
du jour, se vindrent rendre au boulevert de la tour de
Billy sept hommes, qui estoient eschappez prisonniers
de l'ost desdiz Bourguignons, dont il en y avoit quatre
facteurs de marchans d'Orléans, deux autres facteurs
de marchans de Paris, et ung Flamenc, qui tous avoient
esté condempnez à estre pendus par lesdiz Bourgui-
gnons, pour ce que depuis leur prinse n avoit eu per-
sonne qui les eust pourchassez. Et rapportèrent que le
mercredi précèdent fut tirée une serpentine de la tour
de Billy dedens l'ost desdiz Bourguignons, laquelle,
d'un seul cop, tua sept Bourguignons et bleça plu-
sieurs.
Ce jour, après disner, vindrent nouvelles au roy
que Rouen estoit prins par monseigneur le duc de
Bourbon, qui y entra par le chastel de Rouen, du costé
des champs, le vendredi au soir précèdent, par le
moien de ladicte vefve messire Pierre de Breszé, à qui
le roy avoit fait moult de biens et où il avoit grant
fiance; et conduisoit le fait d'icelle vefve l'evesque de
Bayeux, et ledit maistre Jehan Hébert^ et autres. Et,
1. Le Normand Bracquet de Braquemont, écuyer, est qualifié
homme d'armes de la garde du corps du duc de Guyenne en 1471.
Un autre Guillaume de Braquemont, aussi écuyer, servait le
même prince en avril 1472 comme maître d'hôtel (Bibl. nat.,
Pièces orig., vol. 494, doss. Braquemont). On peut se demander
s'il ne se joua pas à Rouen une comédie destinée à calmer les
soupçons que le roi avait pu concevoir sur la fidélité de la grande
sénéchale de Normandie.
2. Jean Hébert ou Herbert, seigneur d'Orsonville, conseiller
du roi et général des finances dès 1458, naquit vers 1415. Il était
120 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
au moien de ladicte prinse, quant les seigneurs de
dehors Paris sceurent icelle, ils donnèrent response
au roy que monseigneur Charles, frère du roy, qui
auparavant se feust contenté de Ghampaigne et Brye^
n'aroit point autre ampanaige que de la duchié de
Normendie. Laquelle chose le roy, par force et con-
trainte et pour ce qu'il n'y povoit remédier, bailla à
mondit seigneur Charles pour sondit appanage ladicte
duchié de Normendie et reprint à lui la duchié de
fils de Jacques Hébert et épousa Jeanne Guérin. Envoyé à Rouen
par le roi, il passa au parti du Bien-Public, mais réussit plus
tard à rentrer en grâce et reprit ses fonctions de général des
finances de Languedoc (Vaesen, Lettres de Louis XI, UI, 101 et
175, note. Cf. Sauvai, Antiquités de Paris, III, 342, et Bibl. nat.,
Pièces orig., vol. 1513, doss. Herbert]. — ■ C'est bien dans la nuit
du 27 au 28 septembre 1465 que Louis de Harcourt, évêque de
Bayeux et patriarche de Jérusalem, et Jean Hébert, de concert
avec la grande sénéchale, ouvrirent au duc de Bourbon le château
de Rouen, « auquel estoient lors les clefs des portes de lad. ville,
qui y avoient esté portées le soir de devant, ainsi que chacun
jour on avoit acoustumé de les porter pardevers le capitaine du
chastel » (Rémission pour la comtesse de Maulévrier, Jeanne
Crespin, donnée à Pont-de-l'Arche au mois de janvier 1466, n. st.,
dans Lenglet, Preuves de Commynes, H, 556). Le château ouvrait
à la fois sur la campagne et sur la ville (Basin, H, 128).
Rouen, dit Commynes, t tost se consentit à ceste mutation,
comme trop désirant d'avoir prince qui demourast au pays de
Normandie » (éd. Dupont, I, 97). L'exemple de la capitale du
duché ne tarda pas à être suivi par les villes de Dieppe, de
Fécamp, de Caudebec et de Harfleur. Honileur, Lisieux, Caen,
Bayeux et presque toutes les places de Basse-Normandie se sou-
mirent sans résistance aux lieutenants de Bourbon; « qui pro-
mitlendi uberes plurimum et copiosi erant, quemadmodum ipsc
etiam erat, » dit Basin, qui joua à Lisieux un rùle que Louis XI
ne lui pardonna jamais (vuy. Chéruel, Le dernier duché de Nor-
mandie, dans la Revue de Rouen et de Normandie, 1847, l^r sem.).
1. Interpolations et variantes, § XXIV.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 121
Berry*. Et, après que le roy et baillé ladicte duchié de
Normendie audit monseigneur Charles, il fut après
contraint de recompenser tous lesdiz princes et sei-
gneurs de leurs armées et interestz qu'ilz avoient fais
contre lui, qui tous le butinèrent, ainsi qu'il s'ensuit :
c'est assavoir, monseigneur de Gharrolois ot pour son
butin les villes de Peronne, Roye et Mondidier, pour
estre siennes et demourer en perpétuel héritage. Et
si lui laissa aussi le roy, durant le cours de la vie
d'icellui Gharrolois, les villes et terres qu'il avoit
nouvellement degaigées de CCGCXXV'" escuz d'or de
mons. de Bourgongne son père. Et oultre lui bailla
et laissa les contez de Guynes et Boulongne sur la mer,
aussi en perpétuel héritage. Et après fut baillée au
duc de Calabre certaine grant somme de deniers et des
gens de guerre du roy souldoiez à ses despens, pour
les exploicter à son plaisir. Et à mons. de Bourbon
fut baillé et laissé sa pension telle qu'il avoit du temps
1. « Valde consternatus est, » dit Basin de Louis XI (II, 126
et suiv.), « principes vero exhilarati et spei melioris effecti » (cf.
Gommynes, éd. Dupont, I, 99). La reddition de Pontoise et surtout
la chute de Rouen furent de véritables coups de théâtre qui, du jour
au lendemain, renversèrent les situations respectives des partis.
C'est ce que Louis XI exprimera, par la bouche des ambassadeurs
qu'il envoya en 1466 au comte de Charolais pour légitimer la
reprise du duché de Normandie. Tout était conclu, diront-ils, à des
termes raisonnables avec les conseillers de Mgr Charles, frère du
roi, quand la trahison de la comtesse de Maulevrier détermina
brusquement ce prince à rompre tout arrangement et, « sans qu'il
eust tiltre, bail ne transport du roy, de son auctorité se intitula
duc de Normandie. » Il n'en voulut plus démordre, et le roi dut
céder, ayant été informé que son porte-parole, le comte du Maine,
avait tout accordé et que, s'il refusait de ratifier cette concession,
il courait « grant dangier de sa personne et de la perdicion do
son royaume » (Mélanges historiques, II, 437 et suiv.).
122 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
du roy trespassé et les gens de guerre qu'il tenoit
oudit temps, et assigné du paiement à lui deu pour la
reste de son mariage, et autre chose ne eut du roy ;
et au conte de Dunoys tout rendu ce qui lui avoit esté
osté durant la division, et retenu à grant pension. Et au
conte de Dampmartin fut fait de beaulx dons de par le
roy et restitué en toutes ses terres qu'il avoit perdues
et confisquées par arrest de Parlement. Et, au regard
des autres seigneurs, chacun en emporta sa pièce ^.
Et, le mardi premier jour d'octobre ensuivant, fut
criée et publiée la trêve à tousjours entre le roy et les-
diz princes^. Et, le lendemain, monseigneur de Saint-
Pol vint à Paris et disna ce jour avecques le roy, et
ala en la sale dudit palais, et là, à la table de marbre,
fut créé connestable de France^ et fist le serement en
tel cas acoustumé de faire '^. Et, cedit jour, fut crié à
1. Les morceaux furent très inégaux. Gomme le dit iinement
Gommynes, « il n'y eut jamais de si bonnes nopces qu'il u"y en
eust de mal disnez. Les ungs feirent ce qu'ilz voulurent et les
aultres n'eurent riens » (éd. Dupont, I, 105).
2. C'est Tristan l'Ermite, prévôt des maréchaux de France,
qui fit publier la trêve conclue « à tousjours, sauf trois jours de
desdit » (Maupoint, Journal, p. 81).
3. Interpolations et variantes, § XXV.
4. Les lettres royales délivrées en faveur du comte de Saint-
Pol sont imprimées dans les Mélanges historiques, II, 393;
elles sont datées du 5 octobre et furent enregistrées au Parle-
ment le 13. Il y est dit que le nouveau connétable avait déjà
prêté serment. Le témoignage de Maupoint (Journal, p. 82)
semble infirmer la date du mercredi 2 octobre, fournie par notre
chroniqueur pour cette cérémonie. Ce serait le 12, à 11 heures
du matin, que Saint-Pol reçut l'épée de France de la main du
roi, qu'il baisa sur la bouche en signe d'hommage. Le connétable
prêta serment ensuite dans la Grand'Chambre, où sit'gcait la cour
de l*arlomont. Ses gages furent fixés à 24,000 1. 1., tant pour son
office que pour les autres charges qu'il tenait du roi, « gouverne-
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 123
Paris de par îe roy que chacun portast des vivres et
autres choses pour avitailler et revestir iesdiz Bour-
guignons et Bretons, laquelle chose fut faicte. Et incon-
tinent que ledit cry fut fait, plusieurs marchans de
Paris y portèrent grant foison de vivres aux champs
devant Saint-Anthoine, lesquelz vivres furent inconti-
nent moult bien recueillis par Iesdiz de l'ost qui y
vindrent de toutes pars et achetoient iceulx vivres ce
qu'on leur faisoit, par especial pain et vin, car Iesdiz
de l'ost estoient tant affamez, les joes velues et si
pendans de maleureté qu'ilz avoient longuement enduré
que plus n'en povoient, et la pluspart estoient sans
chausses et soulers, pleins de poux et d'ordure^. Et
entre autres vindrent et arrivèrent ausdiz vivres plu-
ment des pais de Champaigne, Brye, l'Isle de France, Ghartrain
et tous les païs de deçà la rivière de Loire. » — On sait que la
fameuse table de marbre était placée à l'extrémité septentrionale
de la grand'salle du Palais.
1. Les marchands de Paris portèrent à Saint-Antoine-des-
Champs, « cuidant gangnier, j non seulement du pain et du vin,
mais des draps, des chausses et des souliers, dont Bretons et
Bourguignons « avoient très grant nécessité. Les aulcuns desdiz
marchans gangnierent et les aultres perdirent de leurs denrées,
lesquelles leur furent emblées » (Maupoint, Journal, p. 81). Com-
mynes insiste sur la misère qui désolait le camp des princes.
L' « ost estoit en très grant nécessité de vivres et principallement
d'argent, et', quant cecy (le traité) n'eust esté, tout autant qu'il y
avoit là de seigneurs s'en fussent tous allez honteusement j (éd.
Dupont, I, 100). Au reste, le pillage était à l'ordre du jour. De
dépit de n'avoir pu mettre Paris à sac, les aventuriers du Bien-
Public coururent les environs du 2 au 5 octobre, pillant le blé en
granges, emportant tout ce qu'ils pouvaient prendre, emmenant
avec eux hommes, femmes et chevaux, dépouillant les églises et
ravageant les vignobles sur les deux rives de la Seine (Maupoint,
Journal, p. 81).
124 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
sieurs liffreloffres* Galabriens et Suisses, qui avoient
telle rage de fain aux dens qu'ilz prenoient frommages
sans peler et mordoient à mesmes, et puis buvoient
de grans et merveilleux traiz en beaux pos de terre ;
et Dieu scet en quelz nopees ilz estoient, mais ilz ne
leur estoient pas franches, pour ce qu'ilz paioient bien
leur escot. Et plusieurs autres choses ot faictes ce
jour qui sont cy passées pour, cause de briefté; mais
chacun doit savoir que c'est chose incompréhensible
et inestimable que de la puissance de Paris, car lesdiz
Bourguignons , Bretons , Galabriens , Bourbonnois,
Picars et autres ainsi estans devant Paris que dit est,
que on estimoit à bien C^ chevaulx, après l'appoincte-
ment fait, et ceulx de Paris, qui estoient trois foiz
plus, furent tous fournis et nourris des biens de ladicte
ville par moult grant espace de temps et sans riens
enchérir, et après leur partement y fut encores beau-
cop meilleur marchié que devant n'avoit esté^.
Et le jeudi ensuivant [3 octobre] ne fut riens fait,
sinon que tousjours on avitailloit lesdiz de l'ost. Et
aussi , ce mcsme jour, le roy à privée mesgnée ala
jusques au joignant de Conflans parler à mondit sei-
gneur de Charrolois, laquelle chose sembla à toutes
personnes voulans son bien estre bien simplement fait
à lui. Et de ce se farsoient et moquoient les Picars et
autres de leur party, qui en disoient telz motz : « Et
1. Ce mot doit tirer son origine du haut-allemand làufer, cou-
ramment usité alors en Suisse pour désigner les aventuriers qui
s'engageaient à l'étranger à titre mercenaire.
2. Cf. Gommynes, éd. Dupont, t. I, p. 74. — 11 est douteux
que le nombre total des forces qui assiégeaient Paris dépassât
51,000 hommes, chitïre fourni par Maupoint.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 125
rewoitiez vo roy qui parle à no seigneur de Gharrolois,
et a passé à deux heures qu'ilz y sont. Et par foy, se
voulions, il est bien en no commandement* ! »
Et le vendredi ensuivant, quart jour dudit moys, le
roy ordonna aux portiers de laditte porte Saint-
Anthoine qu'on laissast entrer desdiz Bourguignons en
icelle ville, dont plusieurs y vindrent à ceste cause et
en grant nombre, qui y firent plusieurs excès et mais-
trises, ce qui ne leur eust pas esté souffert qui bien
eust sceu que le roy ne s'en feust point courroucié-.
Et, à cause de la permission d'icelle entrée, y ot ung
bourguignon entre autres qui voult entrer en icelle
ville par ladicte porte Saint-Anthoine contre le gré des
portiers ilec estans, et mesmement d'un archer de la
compaignie dudit bastard du Maine qui gardoit le gui-
chet de ladicte porte Saint-Anthoine. Et, pour le refus
que fist ledit archer audit Bourguignon d'entrer dedans
ladicte porte et en icelle ville, ledit bourguignon bailla
à icellui archer, en entrebaillant ledit guichet, d'une
dague dedens le ventre. Et incontinent ledit bourgui-
gnon fut prins et merveilleusement batu et navré, et
le voulurent plusieurs tuer, ce qui leur fut défendu.
Mais on fist asavoir ces choses au roy, qui ordonna que
on le menast audit seigneur de Gharrolois pour en
faire justice; lequel y fut incontinent mené et, tout
aussitost qu'il fut vers lui arrivé, le fist pendre et
estrangler à la Justice estant près du pont de Gha-
renton.
Ce jour aussi, le roy ordonna que en chacun quar-
1. Cf. Gommynes, éd. Dupont, I, 99, et Mélanges historiques
cités, U, 391.
2. Cf. Maupoint, Journal, p. 84.
126 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
tier de Paris feust fait des feux et ceulx dudit quartier
estre ilec en armes, et que en chacun desdiz carrefours
y eust ung notable homme esleu pour parler aux pas-
sans parmy les rues et savoir qui ilz estoient et où ilz
aloient. Et ce jour fut éclipse de lune.
Et, le dimenche ensuivant [6 octobre], plusieurs des
seigneurs de l'ost vindrent souper à Paris avecques le
roy, en l'ostel de sire Jehan Luiller, clerc de ladicte
ville, et là s'y trouvèrent plusieurs dames, damoi-
selles, bourgoises et autres notables femmes d'icelle
ville ^
Et, cedit jour, Salezart, cappitaine^, et vingt hom-
mes d'armes de sa compagnie furent aux champs
dehors Paris et yssirent par la bastide Saint-Anthoine,
pour ce que la porte estoit gardée, et défendu de par
le roy que homme n'yssist hors d'icelle ville ; mais, à
les bouter dedens, on n'y en mettoit que dix à une
foiz, que on levoit le pont levis devers ladicte place,
et les menoit on aux champs, et puis revenoit on
quérir les autres dix pour aussi faire passer aux
champs. Tous lesquelz vint hommes d'armes estoient
vestus et habillez de hoquetons de camelot^ violet à
1. Il est piquant de constater que l'édition gothique a supprimé
le mot bourgeoises et changé notables en nobles. Signe des temps
et qui fait apprécier la différence qui a existé entre les mœurs de
Louis XI et celles de ses successeurs.
2. Le biscayen Jean de Salazar, chevalier, conseiller et cham-
bellan du roi, seigneur de Saint-Just, etc., et capitaine de cent
lances, s'était distingué à la guerre sous Charles VII. Il avait
épousé Marie, bâtarde de la Trémoille, et mourut, le 12 no-
vembre IWJ (Vaesen, LelLres de Louis XI, II, G3). Sa femme, la
seconde peut-être, est désignée sous le nom de Marie Braque
dans le registre X^» 1490 des Arch. nat., fol. 338 v».
3. Étoffe mélangée de soie et de laine.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 127
grans croix blanches, et avoient belles chaynes d'or
autour du col, et en leurs testes cramignolles^ de
veloux noir à grosses houppes de fil d'or de Ghippre
dessus, et tous leurs chevaulx estoient couvers de
grosses campanes d'argent. Et, au regard dudit Sal-
lezart, pour différence de ses gens, il estoit monté
dessus ung beau coursier à une moult belle housseure
toute couverte de trenchouers^ d'argent, dessur cha-
cun desquelz y avoit une grosse campane d'argent
dorée. Et tout devant ladicte compaignie aloit la trom-
peté dudit Salezart monté dessus ung cheval grison,
lequel, en courant au long des fossez d'entre ladicte
porte Saint-Anthoine et le bolevert de la tour de Bill y,
ledit cheval cheut dessoubz ladicte trompeté si très
lourdement que icelle trompeté se rompy le col.
Et, le lundi ensuivant [7 octobre], vint nouvelles à
Paris que le seigneur de Halbourdin et le seigneur de
Saveuzes avoient prins Peronne et le conte de Nevers
qui estoit dedens^. Et, cedit jour, eschapperent trois
prisonniers des prisons de Thiron *, dont l'un avoit
esté cause avecques Loys Sorbier de bouter les Bre-
tons et autres dedens Pomtoise, et estoit de la com-
paignie de Joachin Rouault. Ce jour aussi se print le
1. Sorte de toques (Quicherat, Histoire du costume en France,
p. 298).
2. Plaques rondes ou carrées, de forme semblable aux tran-
choirs sur lesquels on découpait les viandes.
3. Jean de Bourgogne, comte de Nevers, fut soupçonné d'avoir
livré Péronne à l'ennemi, mais, pour sauver les apparences, il
se fit prendre dans son lit (voy. Mélanges historiques, II, 379, 395,
et du Glercq, IV, 213 et suiv.).
4. L'hôtel appartenant à l'abbaye de Tiron en Beauce était
situé dans la rue Tiron, près de l'hôtel de ville.
128 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
feu à Paris en une maison en Champ Gaillart', dont le
roy ot ung peu de paour, et ordonna pour ceste cause
que on feist faire des feux par tous les quartiers de
Paris et les habitans armez devant iceulx, et que le
guet feust renforcié ; ce qui fut fait.
Oudit moys d'octobre furent aucunes gens de guerre
du parti dudit de Bourgongne devant la ville de Beau-
vais, pour sommer les prélat et populaire d'icelle de
eulx rendre et mettre es mains dudit seigneur de
Bourgongne, et ladicte place aussi. Lesquelz prélat et
habitans prindrent ladicte sommacion par escript et
l'envoierent au roy, qui incontinent l'envoya audit
seigneur de Gharrolois-, avecques lequel il avoit fait
1. Le Ghamp-Gaillart était dans Paris, contre l'enceinte, entre
les portes Saint- Victor et Bordelle (Plan de tapisserie).
2. Le traité dit de Conflans n'est connu que par les patentes
royales du 5 octobre, datées de Paris, que Lenglet, après Gode-
froy, a imprimées aux Preuves de son édition de Gommynes (II,
500-505). Ces lettres portent donation au comte de Gharolais des
villes de la Somme, des comtés de Ponthieu, de Boulogne et de
Guines, de Péronne, de Montdidier et de Roye. L'enregistrement
en eut lieu au Parlement le 12 octobre, sur l'ordre exprès du roi et
malgré la protestation formelle de ses gens contre cette aliénation
d'une fraction du domaine (Lenglet, II, 511 et suiv.). Cette pro-
testation visa également le transport consenti par Louis XI, au
même prince, des prévôtés de Vimeu, de Beauvaisis et de FouUoy.
Quoi qu'en ait dit M. Fagniez (Maupoint, Journal, p. 86, note 5),
il ne faut pas considérer ce que Lenglet a imprimé (II, 499)
d'après Legrand, sous le titre de : « Copies et appointements faits
par le roy aux princes », avec la date du 2 octobre, comme un acte
otiiciel. C'est seulement le rapport d'un personnage, plus ou moins
bien informé, sur les conditions de l'accord telles qu'elles avaient
été discutées le 29 septembre dans la grande assemblée tenue en
l'hôtel du roi (Maupoint, p. 80). 11 est même certain que plu-
sieurs des clauses relatées dans ce rapport — celles notamment
en faveur des ducs de Bretagne et do Nemours — ne furent pas
confirmées.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 129
paix ou trefve. Lequel Charrolois rendi response que
ce n'estoit point de par lui qu'on faisoit lesdictes som-
macions, en disant que le dyable peust emporter ceulx
qui faisoient telz choses, et qu'ilz faisoient plus qu'on
ne leur commandoit. Et dist le roy audit seigneur de
Charrolois que, puisque appoinctement avoit esté fait
entre eulx, qu'il ne faloit plus user de telles voyes, et
si lui dist plus le roy qu'il lui donroit ladicte ville de
Beauvais s'il vouloit.
Et, le mercredi ensuivant, ix^ jour dudit moys, fut
ordonné, de par les prevost des marchans et eschevins
de ladicte ville, que chacun quartenier et dizinierd'icelle
ville feissent faire des feux es lieux acoustumez de les
faire, et que toutes les chaynes des rues foraines
feussent tendues, et que chacune personne feust veil-
lant devant lesdiz feux, laquelle chose fut faicte.
Et, le jeudi ensuivant [10 octobre], vint ledit sei-
gneur de Saveuzes et arriva en l'ost desdiz Bourgui-
gnons, à tout grant puissance de gens qui amenoient
certaine grant somme d'or et argent pour faire le paie-
ment des gens de guerre dudit seigneur de Charro-
lois''. — Et, ce jour aussi, le duc de Bretaigne ot son
appoinctement avecques le roy de ses vacacions, fraiz
et mises de lui et son armée, pour estre venu contre
lui et son royaume devant Paris avecques les autres
princes et seigneurs devant nommez. Et, en faisant ledit
appoinctement, lui fut rebaillée sa conté de Montfort^
et autres choses avecques grant somme de deniers.
1. Mélanges historiques, II, 396. Saveuses amenait avec lui
120 hommes d'armes et 1,500 archers avec 120,000 écus (Gom-
myaes, éd. Dupont, I, 100).
2. Le comté de Monlfort-l'Amaury.
130 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et, le venredi ensuivant [11 octobre], vint en l'os-
tel de ladicte ville maistre Jehan le Boulenger, prési-
dent en Parlement, dire ilec de par le roy qu'on feist
assavoir aux quarteniers et dixeniers de ladicte ville
et de main en main au populaire d'icelie qu'on ne
s'esbahist point se on veoit la puissance des Bourgui-
gnons venir ce jour devant Paris, et que ce seroit pour
ilec faire leurs monstres ; et nonobstant ce n'y vin-
drent point ce jour, mais les firent depuis le pont de
Charenton jusques au bois de Vinciennes, et se mons-
trerent grant puissance ' . Et là le roy se trouva pour
veoir icelles monstres bien simplement, comme de
lui quatriesme seulement, c'est assavoir le roy, le duc
de Galabre, le seigneur de Gharrolois et monseigneur
de Saint -Pol. Et, quant lesdictes monstres furent
faictes, le roy s'en retourna à Paris par eaue. Et,
avant son parlement et en sa présence, ledit seigneur
de Gharrolois dist à tous sesdictes gens de guerre ces
motz : « Messeigneurs, vous tous et moy sommes au
roy mon souverain seigneur, qui cy est présent, pour
le servir toutes les foiz que mestier en aura-. »
Et, le samedi ensuivant, xif jour dudit moys d'oc-
tobre IIIPLXV, vint nouvelle que la ville d'Evreux
avoit esté baillée et hvrée aux Bretons par ung nommé
messire Jehan le Beuf, chevalier, qui les bouta en
ladicte ville le mercredi précèdent, jour de Saint-
Denis, ainsi que les bourgois et habitans de ladicte
\. Interpolations et variantes, § XXVI.
2. Le 11 octobre, le comte de Charolais fit passer à ses gens
d'armes la Seine et la Marne. Le roi vint les voir rangés en
bataille devant leur artillerie et les « prisa moult » (Mélanges
histor., II, 396).
1465J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 131
ville aloient en une procession hors d'icelle ville. Et
ainsi qu'ilz yssoient par l'une des portes d'icelle, en
alant à ladicte procession, lesdiz Bretons entroient en
ladicte ville par une autre porte*.
Et, le x\f jour d'icellui moys d'octobre, advint
qu'on advertit le roy qu'il y avoit entreprise faicte sur
sa personne par aucuns ses ennemis de le prendre ou
tuer dedens ladicte ville; et, pour soy en garder et
dormir seurement, ordonna expressément qu'on feist
grant guet et garde en ladicte ville, tant sur la mu-
raille que dedens, et que par chacun quartier et rue
feussent faiz les feux ; ce qui fut fait 2. — Et vint aussi
nouvelles que la ville de Caen et autres de Normendie
s'estoient remises et reduictes en l'obéissance de mon-
dit seigneur de Berry^. Et, depuis ce, le roy envoya
en la ville de Mante grant quantité de gens de guerre
et de frans archers.
En ce temps, le roy fist aler la royne à Orléans,
qui lors estoit à Amboise^. Et, le jeudi ensuivant,
xvui^ jour dudit moys°, le roy souppa en l'ostel du
1. D'après Maupoint (Journal, p. 83 et suiv.), Louis XI apprit
le lundi 14 octobre seulement que le bâtard de Bourbon était
entré à Évreux, « tant par tradicion que par force. »
2. Le lundi 14, Bretons et Bourguignons avaient commencé à
circuler dans Paris. Ils ne commirent aucune déprédation, les
bourgeois faisant bon guet au nombre de 30,000 bommes bien
armés (Maupoint, Journal, p. 84 et suiv.).
3. Voy. ci-dessus et Basin, II, 130. Cf. l'Instruction donnée au
seigneur de Chaumont, pour Mgr Charles de France, par le duc de
Bourbon et datée du château de Rouen, lî octobre 1465 (Bibl.
nat., ms. fr. 6963, fol. 59 et suiv.; orig.).
4. Elle demeura à Amboise pendant la campagne, confiée par
le roi à la garde des bourgeois de cette ville (Et. Cartier, Essai
historique sur Amboise. Poitiers, 1842, in-8°, p. 23 et suiv.).
5. Lisez : xvij^ jour dud. mois.
I 11
132 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
seigneur d'Ermenonville, où il fist grant chère, et y
mena avecques lui le conte du Perche, Guillaume de
Biche \ Guiot d'Urie, Jaques de Crevecuer, mons. de
Craon, messire Yves du Fau, messire Gastonnet du
Léon, Waste de Monpedon, Guillaume le Ceinte et
maistre Regnault des Dormans^. Et, pour femmes, y
estoient madamoiselle d'Ermenonville, la Longuejoe,
la Duchesse et de Longueil^ et, pour bourgoises,
Estiennette de Paris, Perrette de Chaalon et Jehanne
Baillette^
1. Interpolations et variantes, § XXVII,
2. René, comte du Perche, fils de Jean, duc d'Alençon, et de
Marie d'Armagnac, succéda au duché en 1476 et mourut en 1492.
Il épousa en 1488 Marguerite de Lorraine. — Guiot d'Urie, ou
mieux d'Urre en Dauphiné, seigneur de Molans et de Baumettes,
écuyer d'écurie de Louis XI, l'avait accompagné en Flandres. Il
épousa Jeanne d'Alauson (Moréri). — Jacques de Grèvecœur
étant mort dès 1441, il doit s'agir ici de l'un de ses fils, Antoine
et Philippe, qui avaient combattu à Montlhéry (Anselme, t. VII,
p. 107). — Yves du Fou, chevalier, conseiller et chambellan du
roi, seigneur de laRamenteresse, sénéchal de Poitou, grand veneur
de France, gouverneur d'Angoumois, capitaine de 100 lances, etc.,
épousa Anne Mourant et mourut vers 1489 (Bibl. nat.. Pièces
orig., vol. 1208, doss. Du Fou; cf. ms. fr. 20432, fol. 5). — Gas-
ton du Lyon, chevalier, conseiller et chambellan du roi et son
premier valet tranchant, seigneur de Bezaudun, etc., fut sénéchal
de Saintonge (14G5), puis de Toulouse et d'Albi. — Guillaume
Le Comte, écuyer, était grèneticr du grenier à sel de Paris (Bibl.
nat., Pièces orig., vol. 832, doss. Le Comte, et vol. 830, doss. Corn-
pains; cf. ms. fr. 6963, fol. 69). — Regnault de Dormans, sei-
gneur de Nozay, Saint-Remy, etc., remplissait les fonctions de
maître des requêtes ordinaires de l'hùtel et appartenait à une
famille parisienne bien connue.
3. Geofrine, fille de Jean Baillet, seigneur de Sceaux, avait
épousé Pierre L'Orfèvre, seigneur d'Ermenonville, et sa sœur,
Geneviève, était récemment mariée à Jean Longuejoue, le jeune,
seigneur d'Iverny, conseiller au parlement de Paris. — Le nom
ia Duchesse, désignant ici la femme de Guillaume Le Duc, con-
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 133
Et, le mardi xxn® jour dudit moys, le roy ala par-
deverslesdiz princes, à privée mesgnée, sans sa garde,
jusques à la Granche aux Merciers, sauf que mons. de
Berry n'y estoit point.
Et, le jeudi ensuivant [214 octobre], mons. Je duc
de Bourbon vint parler au roy en la place devant Paris,
pardeça le fossé de la Granche de Rully. Et estoit le
roy ce jour le plus honnestement habillé qu'on l'avoit
point veu devant, car il estoit vestu d'une robe de
pourpre desceinte et toute fourrée d'ermines, qui lui
seoit beaucop mieulx que ne faisoient les cours habis
qu'il avoit portez par avants
Et, le samedi ensuivant [216 octobre], mondit sei-
gneur de Gharrolois se départi de son ost et fîst crier
par tout icellui, sur peine de la hart, que tous ceulx de
seiller au Parlement, a donné lieu à de singulières bévues de la
part des divers éditeurs de la Chronique Scandaleuse ; ils ont pris ce
nom de famille pour un titre et ont imprimé la duchesse de Longueil,
et même de Longueville. — Marie de Marie, fille d'Arnault de Marie,
président au Parlement, avait épousé Jean de Longueil, le jeune,
conseiller au Parlement, seigneur de Maisons, de Rancher et
de la Rivière (Pièces orig., vol. 1741, doss. Longueil). — Étien-
nette de Paris était la femme de Henri de Paris, marchand, bour-
geois de Paris, échevin en 1461 ; elle était fille de Guillaume de
Besançon, procureur au Parlement (Pièces orig., vol. 2198, doss.
Paris, et vol. 321, doss. Besançon). — Perrette de Chaalon, qua-
lifiée plus loin bourgeoise de Paris, passe à tort ou à raison pour
avoir joui de la faveur de Louis XI. Enfin, Jeanne Le Viste avait
épousé Thibaud Baillet, chevalier, conseiller puis président au
parlement de Paris (Pièces orig., vol. 168, doss. Baillet).
1. Interpolations et variantes, § XXVIII. — Louis XI portait
habituellement un pourpoint fort court, des chausses et des bot-
tines (voy. la représentation qui servit de modèle pour son tom-
beau à Cléry, dans l'éd. de Commynes de M"« Dupont, III, 340).
— La grange de Reuilly était située à l'est de Paris, en dehors
de l'enceinte.
134 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
son armée et compaignie feussent incontinent prestz
pour l'aler servir à l'encontre des Liegois, qui gas-
toient et mettoient à feu et à l'espée tout ce qu'ilz
trouvoient es pays dudit seigneur de Gharrolois^.
Et, les dimenche, lundi et mardi ensuivants [27-219 oc-
tobre], monseigneur de Berry, qui estoit logié à Saint-
Mor des Fossez, fut ung peu malade d'une fièvre qui
le tint durant lesdiz trois jours, et puis fut guery. Et,
pareillement que devant, le roy fist faire, ledit jour
de lundi, les feux et le guet parmy ladicte ville et
tendre les chaynes de toutes les rues foraines.
Et, le mercredi ensuivant, xxx® et penultime jour
d'octobre, oudit an, furent leues et publiées les lettres
de la paix ou trêve faicte entre le roy et lesdiz princes
en la court de Parlement, où ilec elle fut enregistrée^.
Et, ce mesme jour, le roy parti de Paris pour aler au
bois de Vincennes pardevers lesdiz princes, et là mon-
1. La nouvelle de la défaite du comte de Gharolais, semée à
Liège par les agents de Louis XI, après Montlhéry, avait mis les
armes aux mains des gens de Liège et de Dinant, dont les meneurs
étaient soudoyés par l'or français. Avant de quitter Conflans,
Gharolais expédia de tous côtés des lettres par lesquelles il enjoi-
gnit aux vassaux du duc de Bourgogne d'être en armes le 15 no-
vembre à Mézières (Ardennes), pour entrer au pays de Liège (Du
Glercq, IV, 239).
2. Interpolations et variantes, § XXIX. — Les articles de l'ac-
cord passé entre Louis XI d'une part et le duc de Berry et ses
adhérents de l'autre, Gharolais excepté, sont reproduits par Len-
glet(II, 512 et suiv.), sous forme de patentes portant approbation
desdits articles, avec la date de Paris, 27 octobre 1465. Outre cer-
taines clauses générales et l'institution des trente-six réforma-
teurs du Bien-Public, sont ratifiées diverses dispositions en faveur
des comtes de Dunois, du Maine et de Dammartin. C'est cet
ensemble d'articles que les princes approuvèrent à leur tour à la
date du 29 octobre, à Saint-Maur-des-Fossés.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 135
dit seigneur de Berry lui fîst hommage de la duchié
de Normendie, qui baillée lui avoit esté pour sondit
appanage*. Et, cedit jour, fut ladicte ville de Paris
fort gardée; et fîst on armer tous les archers et les
arbalestriers d'icelle et autres, pour garder les portes
de ladicte ville, jusques à ce que le roy feust retourné
en icelle de devers lesdiz princes où il s'en estoit ainsi
simplement aie. Et délibéra le roy, ce mesme jour,
de coucher la nuit audit lieu du boys, et envoya qué-
rir son lit à Paris ^. Mais le prevost des marchans et
eschevins de ladicte ville lui envolèrent message exprès
lui humblement prier et requérir qu'il n'y couchast
point pour moult de causes, ce qu'il leur accorda, et
s'en retourna au giste audit lieu de Paris ^.
Et, le jeudi ensuivant [31 octobre], monseigneur
1. Les lettres d'hommage, datées de Vincennes, le 30 octobre
1465, sont imprimées dans Lenglet, II, 532,
2. Interpolations et variantes, § XXX.
3. Craignant pour la sécurité du roi, Henri de Livres, prévôt
des marchands, et les quatre échevins firent secrètement armer
les archers, arbalétriers, canonniers, coulevriniers, bourgeois et
gens de métier, jusqu'au nombre de 22,000 hommes. Louis XI
quitta Paris à dix heures du matin avec plusieurs gentilshommes,
suivi de sa garde, composée de 200 lances et de 300 archers, et
de 12,000 hommes, l'élite des troupes parisiennes. Le reste demeura
pour garder les murailles de Paris. Le roi pénétra au château de
Vincennes avec les seigneurs de son hôtel, tandis que son escorte
occupait Montreuil, Gharonne, Bagnolet et Nogent-sur-Marne.
Les Parisiens s'étabUrent autour du parc de Vincennes. Ce
déploiement de forces fit craindre un moment aux princes que
le roi ne voulût leur faire « quelque déplaisir; » mais la journée
se passa tranquillement. Vers onze heures du matin, Charles de
France fit hommage à son frère pour le duché de Normandie
(cf. Mélanges historiques, U, 437 et suiv.). Le roi soupa à Vin-
cennes et rentra à Paris vers dix heures du soir (Maupoint, /owr-
nal, p. 88 et suiv.).
136 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
de Berry, monseigneur de Gharrolois et autres se
départirent de devant Paris et s'en alerent en divers
lieux : c'est assavoir mondit seigneur Charles s'en ala
en Normendie, et le convoia le roy bien loing sur le
chemin de Pontoise, et puis s'en tira lui et ledit de
Gharrolois vers Villers le Bel, où ilz furent deux ou
trois jours^. Et puis s'en ala ledit de Gharrolois ou
pays de Picardie, et de là s'en ala faire guerre aux
Liegois.
Et, le jeudi- ensuivant, messire Robert d'Estou-
teville, chevalier, seigneur de Beyne, qui avoit esté
prevost de Paris du temps du feu roy Gliarles, et
à qui le roy l'avoit ostée et baillée à Jaques de Vil-
lers, seigneur de l'Isle Adam, fut remis et restitué
oudit office de prevost de Paris^. Et, ce mesmes jour,
fut en l'ostel de ladicte ville pour les affaires du roy,
et là lui fut baillé le nom de la nuit comme à prevost
de Paris.
Et, le mardi ensuivant [5 novembre], le roy souppa
en l'ostel d'icelle ville, où il y ot moult beau service
de char et poisson. Et y soupperent avecques lui plu-
sieurs gens de grant façon, invitez et mandez avec-
ques leurs femmes*. Et, avant ledit soupper, le roy
1. Jeudi 31 octobre, à huit heures du matin, Louis XI s'en fut
à Carrières sous Gharenton, et Charolais vint à sa rencontre
« en grant révérence. » Les deux princes se mirent aussitôt
en route « très joyeulx » et s'en furent au gîte à Villiers-le-Bel,
où ils passèrent ensemble la Toussaint. Le roi rentra à Paris le
3 novembre (>raupoint, Journal, p. 90. Cf. Lenglet, II, 185; du
Glercq, IV, 237, et Commyncs, éd. Dupont, I, 105).
2. Lisez lundi (4 novembre).
3. « A plus grans gages et prollid que il u'avoit onques esté »
(Maupoint, Journal, p. 95).
4. Interpolations et variantes, § XXXI.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 137
proposa à aucuns quarteniers et dixeniers pour ce
aussi mandez, disant qu'il les mercioit tous en gênerai
et particulier de la grant feaulté et loyauté qu'il avoit
trouvée en eulx, et que, pour eulx, il estoit du tout
disposé de faire tout ce que possible lui seroit, et que,
pour ce que durant la guerre et division qui avoit
esté devant ladicte ville, il avoit donnez et conférez à
icelle aucuns privilèges, et que aucuns pourroient
avoir ymaginacion qu'il auroit ce fait pour la nécessité
où il s'estoit trouvé d'avoir d'eulx secours, et que,
après ladicte paix ou accord, les leur pourroit oster,
il leur declaira pour ceste cause dès lors pour main-
tenant, et dès maintenant pour lors à tousjours, il les
leur avoit donnez et laissez, sans jamais avoir espé-
rance de les rappeller ne venir contre, et que, se
mieulx vouloient avoir de lui, qu'ilz le demandassent,
et il le leur octroieroif. Et leur dist encores qu'il
laissoit en ladicte ville le seigneur de Beyne comme
prevost de Paris, auquel il vouloit qu'ilz obéissent
comme à lui, et leur dist qu'il l'avoit moult bien
servy à la journée de Montlehery, et pour autres causes
qu'il declaira ausdiz prevost des marchans et esche-
vins de Paris, en les priant de tousjours estre bons et
loyaulx envers lui et à la couronne de France, sans ce
que aucune parcialité soit trouvée en ladicte ville. —
1. A la date du 9 noveml)re 1465, Louis XI confirma aux Pari-
siens l'exemption de ban et d'arrière-ban, à la condition de se
tenir en état de participer à la défense de leur ville [Ordonnances,
XVI, 434 et suiv.). Quelques jours plus tôt, il leur confirmait une
franchise dont ils avaient joui de temps immémorial, mais qui,
vu les circonstances, avait été peu respectée dans les derniers
temps, celle de l'exemption du logement des gens d'armes (Ibid.,
XVI, 425).
138 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et ilec ce jour fut fiancée la fille naturelle du roy* à
mons. le bastard de Bourbon; et, après souper, y
furent faictes plusieurs joyeusetez, dances et autres
plaisances, et là mondit seigneur le bastard y dança
et y fist grande et bonne chère 2.
Et, le jeudi ensuivant, viP jour de novembre, oudit
an IIIPLXV, ledit messire Robert d'Estouteville fut
amené ou Ghastellet de Paris par messire Charles de
Meleun et maistre Jehan Dauvet, premier président
du parlement de Thoulouze. Auquel président le roy
mandoit qu'il avoit receu le serement dudit d'Estou-
teville à prevost de Paris ou lieu de Jaques de Villers,
seigneur de l'Isle Adam, auquel il avoit donné ladicte
prevosté à son joyeulx advenement, et qu'il le mist et
instituast en possession et saisine dudit office de pre-
vost de Paris. Et, après que les lectres de don dudit
office furent leues au grant parc de Ghastellet, icellui
d'Estouteville fut mis et institué en possession dudit
office, sans préjudice de la cause d'appel dudit de
Villers.
Et, tantost après ces choses ainsi faictes, le roy
manda venir à lui les presidens de sa court de Parle-
ment, ausquelz il dist telles ou semblables paroles :
« Il est vray que, après que je vins à mon joyeux
4. Interpolations et variantes, § XXXII.
2. Louis, fils bâtard de Charles I^'^, duc de Bourbon, et de
Jeanne de Bournon, comte de Roussillon, etc., avait été légitimé
par patentes royales datées de Pontoise, au mois de septembre
1463 (Ordonnances, XVI, 80). Son contrat de mariage avec Jeanne,
fille naturelle du roi, porte la date du jeudi 7 novembre 1465; il
est imprimé dans Lenglol, II, 54 i. Cette union scella la réconci-
liation entre le roi et la maison de Bourbon (La Mure, llist. des
ducs de Bourbon, etc., éd. Chantelauze, t. II, p. 224, n. 2).
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 139
advenement à la couronne, je fis le premier président
en ma court de Parlement messire Helye de Thoretes^
qui tantost après ala de vie à trespas. Et, à l'eure que
je le fis, j'avoye mon affection singulière de y mettre
en son lieu maistre Jehan Dauvet, nostre premier pré-
sident à Thoulouse, qui cy est présent; mais, tant par
importunité de requerans que aussi à la prière et
requeste de messire Jehan Bureau, nous y meismes
le président de Nanterre^, qui depuis y a esté jusques
à la venue devant nostre ville de Paris d'aucuns sei-
gneurs de nostre sang, qui nous firent dire et remons-
trer que en nostre royaume avoient esté faictes plu-
sieurs grans injustices et mesmement en nostre court
de Parlement. Pour quoy et autres causes qui nous
meuvent, declairons que ledit de Nanterre ne sera plus
nostre premier président en nostredicte court de Par-
lement, et que pour et en son lieu y avons mis et
créons ledit maistre Jehan Dauvet pour y estre et
demourer. »
Et, le samedi ensuivant, ix® jour dudit moys de
novembre, messire Pierre de Morviller, chevalier, qui
1. Élie deTorrettes ou de Tourrettes, conseiller du roi et lieu-
tenant du sénéchal de Saintonge, fut l'un des commissaires char-
gés d'instruire et de juger le procès de Jacques Cœur (1451). Plus
tard, en 1458, on le voit siéger, en qualité de président au Par-
lement de Paris, parmi les juges du duc d'Alençon. Il prêta ser-
ment le 11 septembre 1461, en qualité de premier président,
ollice auquel il avait été nommé le 3 du même mois (Ordonnances,
XV, p. 12, note).
2. Mathieu de Nanterre, fils de Simon, aussi président au Par-
lement de Paris, fut transféré à Toulouse, puis rappelé à Paris,
où il tint la place de second président. Il mourut en 1487 (voy.
Blanchard, Éloges des premiers présidents du Parlement de Paris,
1647, in-fol.). Il avait épousé Guillemette Le Clerc.
140 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
avoit esté chancellier de France, fut desappoincté
dudit office, et y fut mis en son lieu messire Jetian*
Juvenel des Ursins, qui aussi avoit esté chancelier de
France, et qui encores l'estoit au jour du trespas dudit
feu roy Charles'. — En ce temps aussi, le roy desap-
poincta messire Pierre Puy de l'office de maistre des
requestes ordinaire de son hostel , et donna ledit
office à maistre Regnault des Dormans.
Après ces choses, le roy se parti de Paris pour aler
à Orléans et en amena avecques lui Arnault Luiller,
changeur et bourgeois de Paris, auquel il charga très
expressément de le suivre et estre tousjours près de
lui. Et si y mena aussi maistre Jehan Longuejoe le
jeune, nouvellement marié à demoiselle Geneviefve,
fille de maistre Jehan Baillet, pour estre de son grant
conseil^. Et, à l'eure dudit partement, il créa trésorier
1. Lisez Guillaume.
2. Les lettres royales portant réintégration de Guillaume Jou-
venel en l'office de chancelier, avec 4,000 livres de gages, sont
datées du 9 novembre et imprimées aux Mélanges historiques. II,
403. Maupoint, en notant le fait dans son Journal, ajoute que ce
fut à la grande joie des gens de bien (p. 95). Morvilliers fut accusé
d'avoir à plusieurs reprises renseigné le patriarche de Jérusalem
sur ce qui se passait à Paris et même d'avoir, étant à Rouen
avec Louis XI, engagé les Rouennais « à parler roidement au roi
pour appoincter. » Interrogé par le premier président Dauvet, à
Paris, le 13 mars 1466, n. st., il nia tout et ne parait pas avoir
été inquiété bien sérieusement {Mélanges historiques, II, 445 et
suiv. Cf. Vaesen, Lettres de Louis XI, III, 127).
3. Le dimanche 10 novembre, Louis XI, accompagné des ducs
de Bourbon et de Nemours et du comte d'Armagnac, se rendit en
pompe à Notre-Dame, où il entendit deux grand'mcsses et trois
basses. Les deux jours suivants, il ht grande chère avec les
nobles qui l'avaient servi et les hauts bourgeois de Paris. Eulin,
le mercredi 13 novembre, le roi partit t en grant noblesce et tira
à Meleun, » où il demeura deux ou trois jours, et de là à Orléans
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 141
de France maistre Charles d'Orgemont, seigneur de
Mery ' , et fîst ledit Arnault Luiller trésorier de Gar-
cassonne, et maistre Pierre FreteP, mary de Tréteau,
maistre des requestes de son hosteP, sans gaiges et
in herbis.
Et, le lundi ensuivant, xviii® jour dudit moys,
advint à Paris, à dix heures de matin, que une comète
y chey en resplendisseur de feu qui dura longuement,
et estoit telle qu'il sembloit que toute ladicte ville
feust en feu et en flambe. Et, de ceste espoventable
et merveilleuse chose, ung homme, en la place de
Grève, qui à ladicte heure aloit oyr messe au Saint-
Esperit^, fut de ce si très espoventé qu'il en devint
fol et perdi son sens et entendement.
Et, après toutes ces choses, mondit seigneur Charles,
qui ainsi estoit party de Paris pour aler en Normendie,
s'en ala jusques à Saincte- Katherine du Mont de
Rouen , où il séjourna ilec par diverses journées,
attendant que ceulx de Rouen eussent préparé ce
qu'ilz avoient en intencion de faire pour son entrée^.
et à Gléry, pour accomplir un vœu qu'il avait fait le jour de
Montlhéry. Le duc de Bourbon accompagnait le roi (Maupoint,
Journal, p. 96).
1. Charles d'Orgemont, écuyer, seigneur de Méry-sur-Oise et
de Champs-sur-Marne, fils de Philippe d'Orgemont, chevalier, et
de Marie Boucher, conseiller et maître des comptes, avait épousé
Jeanne Dauvet (Bibl. nat., Pièces orig., vol. 2149, doss. Orge-
mont).
2. Il est dit avocat au Parlement et seigneur de Mareuil en la
comté de Montfort, à la date du 22 janvier 1468 (v. st.) (Arch.
nat., X2a 35).
3. Interpolations et variantes, § XXXIII.
4. Derrière l'Hôtel de Ville.
5. Charles de France et le duc de Bretagne avec leurs gens
ai JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Mais, cependant, se meut noise entre mondit seigneur
Charles, le duc de Bretaigne et le conte de Damp-
martin, dont fut dit audit mons. Charles que ledit duc
de Bretaigne et conte de Dampmartin avoient entre-
prins de le prendre et remener en Bretaigne*. Pour
laquelle cause Jehan Monseigneur de Lorraine 2, qui
de ce fut adverti, ala incontinent dire ces nouvelles en
l'ostel de ladicte ville de Rouen, qui incontinent y
pourveurent et firent armer tous ceulx de ladicte
ville ^. Et, à grant port d'armes, ledit monseigneur
Jehan de Lorraine, à l'aide desdiz de Rouen, ala en la
place dudit lieu de Saincte-Katherine , où on ne le
vouloit laisser entrer, et ilec, maulgré ledit duc de
passèrent par Pontoise, Vernon et Pont-de-l'Arche, commettant
de grandes pilleries (Maupoint, Journal, p. 96, et Basin, II, 143).
1. Basin, témoin oculaire, dit que le bruit se répandit à Rouen
que les Bretons prétendaient livrer le duc de Normandie au roi
de France. « Indubitanter creditum est quod, nisi ea die urbem
introiisset, Britones, adveniente nocte, eum ad Pontem Archae
et inde ad regem, aut alias quo voluissent, abduxissent » (II,
145 et suiv.). La vérité paraît être que les d'Harcourt et les sei-
gneurs normands, soutenus par Bueil, Ghaumont, Daillon et
d'autres Français peu sympathiques aux Bretons, craignirent de
se voir évincés du gouvernement du duché et réussirent à éveil-
ler la méfiance de Charles de France contre ses alliés de la veille
(Ganel, la Normandie sous Louis XI, art. de la Revue de Rouen,
octobre 1838, p. 120). Louis XI soufflait le feu, « car il estoit
maistre en ceste science » (Gommynes, éd. Dupont, I, 108).
2. Jean, comte d'Harcourt, second fils d'Antoine de Lorraine,
comte de Vaudemont, et de Marie, comtesse d'Harcourt et d'Au-
male, maréchal héréditaire de Normandie, mourut sans alliance
au commencement de l'année 1473. Sur ce personnage, qui avait
joué un rôle brillant à l'époque du recouvrement de la Nor-
mandie par Gharlcs VII, voyez une notice du comte de Pange
dans la Bibl. de l'École des chartes, t. LI (1890), p. 569 et suiv.
3. Interpolations et variantes, § XXXIV.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 143
Bretaigne et conte de Dampmartin , sans solertnité
garder, fîst monter mondit seigneur Charles sur ung
cheval garny de selle et harnoys simplement, sans
aucune housseure, et avoit vestu à ceste heure une
robe de veloux noir. Et en cest estât le menèrent en
ladicte ville de Rouen tout droit en l'église Notre-
Dame, où chanté fut Te Deum laudamus, et de là au
chasteau dudit lieu*.
En ce temps, le roy, estant à Orléans, fîst plusieurs
ordonnances et establissemens et desappointa plu-
sieurs cappitaines de guerre, et entre les autres il
osta les cent lances dont Poncet de Rivière avoit la
charge^ et le fîst bailly de Montferrant, et à d'autres
1, Lundi 25 novembre 1465, au soir (voy. de Beaurepaire,
Notes sur six voyages de Louis XI à Rouen, dans le Précis analy-
tique des travaux de l'Académie des sciences de Rouen, 1856-57,
page 324). — Ce jour même, Louis XI recevait à Gléry une
lettre que Charles de France lui avait fait remettre par Pierre
Pavyot, son maître d'hôtel. Après l'avoir lue, le roi la tendit au
duc de Bourbon en disant : « Je croy qu'il me faulra reprenre
ma duché de Normandie. Il me fault aler secourir mon frère »
(Maupoint, Journal, p. 96). Plus tard, Louis XI soutiendra que
la substance du message apporté par P. Pavyot était que le duc
de Normandie, reconnaissant avoir assumé un fardeau trop lourd
pour ses épaules, se déclarait prêt à abandonner le duché si son
frère consentait à lui fournir un autre apanage. Cette interpréta-
tion fut d'ailleurs contestée par Charles de France (Instruction
donnée par Louis XI à ses ambassadeurs en Bourgogne (1466),
dans Mélanges historiques, II, 423 et suiv.). — La nuit même où
le duc de Normandie faisait son entrée à Rouen, le duc de Bre-
tagne, qui avait refusé de l'accompagner, s'en fut à Pont-de-
l'Arche et de dépit envoya des ambassadeurs (iniquissiinos vii^os)
au roi, accusant les Rouennais d'avoir voulu l'attirer dans un
piège pour le tuer et demandant à Louis XI de se réconcilier
avec lui (voy. Basin indigné, II, 148 et suiv.).
2. A cause de ses intrigues avec les rebelles pendant le Bien-
Public.
144 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
osta aussi les charges et mit d'autres en leurs lieux.
Et, quant ledit Poncet de Rivière se vit ainsi desap-
poincté de sadicte charge, il s'en ala oultre mer ou
saint voyage de Jherusalem, et de là à Saincte-
Ratherine du Mont de Synay. Et si remist et fist le
roy le seigneur de Loheac mareschal de France, comme
autrefoiz l'avoit esté\ et fut mis pu lieu du conte de
Comminge, bastard d'Armaignac^.
Et, après ces choses ainsi faictes, le roy se parti
d'Orléans et s'en ala en Normendie à toute son armée,
frans archers et son artillerie grosse et menue, et s'en
tira vers Argenten, Exmes, Falaise, Caen et autres
places dudit pays pour les prendre, saisir et mettre
en ses mains. Et là il trouva le duc de Bretaigne, qui
furent ensemble une espace de temps ^
Et, d'autre part, oudit pays de Normendie y estoit
pour le roy mons. de Bourbon, qui ala devant Evreux
pour l'avoir, qui n'y obéirent point de première venue,
mais depuis traicterent avecques lui et le boutèrent
dedens ladicte ville, lui et ses gens. Et après, d'ilec se
1. « Lequel le roy avoit débouté par son plaisir, qui toutesvoies
estoit une perle de chevalier entre mille » (Ghastellain, IV, 114).
— Interpolations et variantes, § XXXV.
2. Jean, fils naturel (légitimé le 26 mai 1463) d'Arnaud-Guilhem
de Lescun et d'Anne d'Armagnac, dite de Termes, et l'un des
compagnons d'exil de Louis XI, fut gouverneur de Dauphiné et
mourut en 1473. Il avait épousé Marguerite de Saluées.
3. Louis XI quitta Orléans le 11 décembre et prit sa route par
la Beauce. Le 13, il était à Chartres, le 17 à Argentan, le 20 à
Caen. Aucune résistance ne lui fut opposée dans la Basse-Nor-
mandie, dont toutes les places étaient aux mains des Bretons.
Le 23 décembre 1465, un traité d'amitié intervenait entre le roi
de France et le duc de Bretagne [Ordonnances, XVI, 448). —
Exmes est auj. dans le dép. de l'Orne, arr. d'Argentan.
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 145
party et s'en vint devant Vernon sur Seine, où sem-
blablement lui fut fait refus de première venue, et
puis le mirent dedens^. Et, d'une autre part, estoit
messire Charles de Melun, grant maistre d'ostel du
roy, qui aussi prenoit et saisissoit villes et places,
comme Gisors, Gournay^ et autres. Et si rua jus envi-
ron VII''* Escossois, qui s'en aloient au seigneur de
Bueil pour ledit duc de Normendie, et fut la rencontre
faicte desdiz Escossois à ung village du bailliage de
Caux nommé Gailli^.
En ce temps, le seigneur d'Esternay, qui estoit
gênerai de Normendie*^, qui s'en estoit party hors de
la ville de Rouen pour la double et fureur du roy et
à ce qu'il ne feust prins, fut rencontré en habit de
cordelier de l'Observance par aucunes gens de guerre
\. Des patentes royales, datées d'Orléans, 2 décembre 1465,
commirent Jean, duc de Bourbon, à se transporter en Norman-
die avec de pleins pouvoirs pour paciûer toute querelle entre le
roi et son frère, promettre, bailler et donner terres, seigneuries,
argent ou « autres choses » (Arch. nat., P 1359^, c. 702, orig.
parch.). D'autres lettres, en date de Courville, 15 décembre,
ordonnèrent le duc de Bourbon pour délivrer des lettres de rémis-
sion aux nobles, gens de guerre, etc., qui s'engageraient pour
l'avenir à servir le roi, comme aussi pour faire cesser les pilleries
des gens de guerre en Normandie (Arch. nat., P 1359', c. 792,
orig. parch.). — Évreux et Vernon furent occupés par stratagème
(Basin, II, 153 et suiv.).
2. Gisors, sur l'Epte, est auj. dans le dép. de l'Eure; Gournay-
en-Bray, dans la Seine-Inférieure, arr. de Neufchàtel.
3. Gailly, auj. Seine-Inférieure, cant. de Glères.
4. Jean Le Boursier, chevalier, seigneur d'Esternay, était fils
d'Alexandre, receveur général des aides, et de Colette La Por-
tière. Élu sur le fait des aides en Saintonge (1426), général des
finances de Normandie (1450), il fut remplacé, à l'avènement de
Louis XI, par Jean Arnoulfln. Charles de France lui avait confié
les fonctions de général de ses finances.
146 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
de la compaignie dudit grant maistre au Pont Saint-
Pierre, qui est à quatre lieues de Rouen \ et avoit
avecques lui ung Augustin. Lesquelz, après qu'ilz
orent esté saisiz, furent cerchez par lesdiz gens de
guerre, et trouvèrent sur eulx plusieurs bagues et or
monnoyé content qu'ilz prindrent et saisirent.
Et après, mondit seigneur Charles, qui s'en estoit
aie de Rouen à Louviers, cuidant y trouver mondit
seigneur de Bourbon, qu'il n'y trouva point, s'en
retourna audit lieu de Rouen ^. Et, après son retour
audit lieu de Rouen, ceulx de ladicte ville le receurent
et le menèrent en l'ostel de leurdicte ville, où ilec
l'espouserent à leur duc, et en ce faisant lui baillèrent
ung anneau qu'ilz lui mirent ou doy, que à ce faire
estoit ordonné ; lequel depuis mondit seigneur Charles
porta, et promist lors ausdiz de Rouen de les entre-
tenir et garder en leurs franchises et libériez, et leur
donna à ceste heure la moitié de tous les aides que
par avant sa recepcion ilz avoient paiez^. Et, ces
1. Auj. dans le dép. de l'Eure, cant. de Fleury-sur-Andelle.
2. Le duc de Bourbon avait envoyé de Dreux à Rouen un mes-
sage au duc de Normandie pour l'aviser de la mission qu'il avait
reçue d'aplanir amiablement toutes les dillicultés qui pouvaient
exister entre le roi et son frère, comme entre les ducs de Nor-
mandie et de Bretagne. En réponse, Charles de France fixa
au duc de Bourbon un rendez-vous à Louviers; il attendit là
vainement pendant deux jours son ancien allié, puis rentra à
Rouen (Basin, II, 152 et suiv.). '
3. C'est le l*"" décembre au matin que fut célébré à la cathé-
drale de Rouen le mystère de l'institution du duc de Normandie
(Beaurepaire, Notes sur six voyages de Louis XI à Roueti citées,
p. 324). La messe fut dite par Louis de Harcourt, patriarche de
Jérusalem. Après l'épitre, le duc fit le serment accoutumé ; puis
Thomas Basin, évêque de Lisieux, lui mit au doigt l'anneau
et l'épousa au nom du duché. Le comte de Tancarville, con-
1465] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 147
choses faictes, lui fut dit et remonstré par les gens
d'église, les nobles, bourgois et populaire d'icelle ville,
qu'ilz se rendoient et demouroient du tout ses vrais
et loiaulx subgetz, tous bien délibérez de vivre et
mourir pour lui et jusques au derrenier homme. Et
puis lui firent lire ung article contenu en une cronique,
qui estoit en l'ostel d'icelle ville publiquement devant
tous, qui contenoit en effect que jadis y ot ung roy de
France qui mourut, et après son trespas demoura
deux filz, dont l'un par ainsnéesse succéda à la cou-
ronne et à l'autre fut baillé pour son appanage la
duchié de Normendie, que depuis ledit roy de France
volt ravoir, et en print guerre contre son frère et
ceulx de ladicte duchié, qui la tindrent bonne, et oultre
pour leurdit duc guerrierent tellement ledit roy de
France que par leur puissance d'armes ilz mirent en
exil ledit roy de France et firent leurdit duc roy. Et,
après ladicte lecture, lui dirent qu'il ne se soussiast de
riens et que, de là en avant, ceulx de ladicte ville le
fourniroient dedens icelle et dessus leurs murs d'en-
gins et autres choses defensables et de tout ce que
neccessité leur seroit d'avoir, tellement que aucun
dommage ou esclandre ne leur en viendroit * .
nétable héréditaire, lui ceignit l'épée, et le comte de Harcourt,
maréchal, présenta la bannière. — En 1469, lorsque la question
de l'apanage de Charles de France fut réglée par l'abandon que
Louis XI lui fit du duché de Guyenne, le comte de Saint- Pol fut
envoyé à Rouen par le roi avec l'anneau ducal que Charles avait
conservé jusque-là. Cet anneau fut solennellement brisé, et les
fragments en furent rendus à l'émissaire du roi (Ganel, art. cité,
p. 33).
1. L' « article » dont il s'agit ne fut pas, semble-t-il, lu « pubU-
quement devant tous, » mais le manuscrit de la chronique remis
I 12
148 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1465
Et le lundi, penultime jour de décembre, oudit an,
le roy, en retournant dudit bas pays de Normendie,
vint au Pont Audemer et de là en la champaigne de
Neufbourg^ et envoya mondit seigneur de Bourbon
devant Louviers-. Et, le mercredi ensuivant, premier
jour de janvier, ladicte ville de Louviers fut rendue à
au comte d'Harcourt fut porté au nouveau duc, qui en prit con-
naissance et le rendit le même jour aux échevins de Rouen
(28 décembre 1465). Ce manuscrit existe encore; de la biblio-
thèque des échevins il a passé, au xvu* siècle, dans celle de
Golbert, et il porte actuellement le n° 2623 des mss. français
à la Bibliothèque nationale. C'est un superbe volume in-folio,
sur vélin, de 115 feuillets, exécuté au xv° siècle et décoré de
belles miniatures et d'arabesques (voy. Notice sur l'ancienne
bibliothèque des échevins de Rouen, par Ch. Richard, dans Mémoires
de l'Académie de RoueJi, 1845). Cette chronique normande s'ar-
rête à la fin du xi« siècle. Les faits rapportés fort inexactement
par la Chronique Scandaleuse sont relatés aux folios 19 à 27.
Charles le Simple eut un fils, Louis IV d'Outremer, qui monta
sur le trône de France après lui (936), et une fille, Gisèle,
qui fut donnée en mariage au pirate RoUon, devenu chrétien
et duc de Normandie (911). En 943, après la mort du duc
Guillaume Longue-Épée, Louis d'Outremer tenta de reprendre
le duché ; mais la résistance patriotique des Rouennais le con-
traignit à en investir le jeune Richard, fils de Guillaume. D'autres
tentatives de conquête échouèrent également, et en 945 le roi
Louis demeura quelque temps prisonnier à Rouen. Un traité
intervint, dans lequel il fut stipulé que le duc de Normandie
demeurerait paisible possesseur de son héritage et jouirait aussi
de la seigneurie de Bretagne, « à tenir franchement et quitte-
ment. » (Nous devons ces indications à l'obUgeance de M. F. Bou-
quet, vice-président de la Société d'histoire de Normandie.)
1. 26 décembre 1465. Voy. Canel, art. cité p. 124. — Pont-Aude-
mer est auj. un chef-lieu d'arr. du dép. de l'Eure; le Neubourg
un chef-lieu de cant. du même dép., dans le petit pays qu'on
nomme encore la campagne du Neubourg, à quelques kilomètres
au nord d'Évreux.
2. Louviers, auj. chef-lieu d'arr. du dép. de l'Eure.
1465-1466] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 149
mondit seigneur de Bourbon pour le roy, et ce mesmes
jour le roy y entra après disner*. Et, en ce mesme
jour aussi, fut mené par lesdittes gens du grant maistre
d'ostel ledit seigneur d'Esternay, qui aussi en cellui
jour fut noyé en la rivière d'Ure^ et ledit augustin
avecques lui par les gens du prevost des mareschaulx.
Et puis fut le corps dudit d'Esternay retiré hors de
ladicte rivière et mis en terre en l'église Notre-Dame
de Louviers, où ilec fut fait son service^.
Oudit temps furent plusieurs personnes, officiers et
autres, dudit pays de Normendie exécutez et noiez par
le prevost des mareschaulx pour les questions du roy
et mondit seigneur Charles^. Et après le roy se party
dudit Louviers et vint mettre le siège devant la ville
du Pont des Arches^, qui est à quatre lieues de ladicte
ville de Rouen.
Et, le jeudi ^ vi® jour du moys de janvier, fut cryé
1. Le texte de la convention passée entre le lieutenant général
du roi et Jean de Daillon, chevalier, seigneur de Fontaines, capi-
taine de Louviers pour le duc de Normandie, est rapporté avec
la date du l^'" janvier 1465, v. st., dans Collection des Ordonnances,
XVI, 457 et suiv.
2. D'Eure.
3. Le 3 janvier, le roi lit inhumer le corps de messire Jehan
Le Boursier et paya le service et luminaire (Bibl. nat., Titres,
685, fol. 260. Communication de M. Spont).
4. Cf. Basin, U, 158 et suiv., et Mélanges historiques, II, 437.
5. Auj. Pont-de-l'Arche, Eure, arr. de Louviers. — Après avoir
rapporté la reddition de Louviers, Maupoint ajoute (Journal, p. 97)
que Jean de Lorraine et ceux qui gouvernaient le duc de Nor-
mandie envoyèrent une compagnie de gens d'armes au-devant de
l'armée royale. A quelque distance de Rouen, ils rencontrèrent
Salazar et Malortie, auxquels ils tuèrent une soixantaine d'hommes,
et réussirent à se jeter dans Pont-de-l'Arche.
6. Lisez lundi, ou mardi d'après Maupoint (Journal, p. 98).
150 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1466
en la ville de Paris que tous marchans, acoustumez de
porter vivres en l'ost, portassent vivres en l'ost du
roy qui estoit devant ladicte ville du Pont des Arches,
et aussi que tous pionniers feussent tous prestz à
partir le lendemain pour aler audit lieu, soubz sire
Denis Gibert, l'un des quatre eschevins de ladicte
ville, à la conduicte d'iceulx ordonné.
Et, le mercredi ensuivant' [8 janvier], les gens du
roy, qui estoient alez à leur avantage sur les champs,
prindrent quatre hommes d'armes de la compaignie
et estans soubz ledit mons. Charles, et qui autretbiz
avoient esté en l'ordonnance du roy, et l'un d'iceulx
estoit nommé le Petit Bailly, qui autrefoiz avoit esté
de la compaignie de Joachin Rouault, mareschal de
France, et qui avoit esté cause de la prinse de Pon-
toise contre le roy^ ; [ilz] furent menez devers le roy,
et incontinent fut ordonné qu'on leur coppast les
testes. Et lors ilz requirent au roy que il leur saul-
vast la vie, et ilz lui feroient rendre ledit Pont des
Arches; ce que le roy leur accorda, à la requeste de
mondit seigneur de Bourbon^. Et, ce mesmes jour, le
roy et sa compaignie entrèrent dedens ledit Pont des
Arches, et ceulx qui estoient dedens ladicte ville se
rctrairent au chasteau^, entre lesquelz y estoit maistre
1. M. Quicherat, qui cite la Chronique Scandaleuse en note de
Basin (t. Il, 159), a identifié à tort ce Petit Bailly avec Louis
Sorbier, dont il n'était que le subordonné à Pontoise. La même
note du savant éditeur appelle d'autres rectifications. Ainsi on
li66, ce mercredi-là tomba le 8 et non le 9 janvier, et notre
texte est d'accord avec Basin en indiquant que la ville même de
Punt-de-l'Arche, et non pas le château seul, comme le veut
M. Quicherat, fut assiégée par l'armée royale.
2. Interpolations et variantes, § XXXVI.
3. Interpolations et variantes, ^ XXXVII.
1466] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 151
Jehan Hébert, gênerai des finances du royaume de
France*. Et, trois jours après, fut rendu au roy le
chasteau dudit Pont de l'Arche 2.
Et, après que ladicte ville et chasteau orent ainsi
esté rendus au roy, ceulx de Rouen envoierent par-
devers lui pour parler d'appoinctement , lequel en
charga hault et bas les ducs de Bourbon et de Bre-
taigne^. Et, pour ledit appoinctement avoir, vindrent
de ladicte ville de Rouen aucuns commissaires ordon-
nez de par icelle pour lui faire plusieurs requestes et
remonstrances , et entre autres que, quelque chose
qu'ilz eussent fait, le roy voulsist estre content d'eulx
et qu'il lui pleust declairer qu'ilz n'avoient point failly
1. Jean Hébert, Georges de Vouet et autres avaient reçu mis-
sion du duc de Normandie de se rendre auprès du roi pour le
supplier de laisser le duché à son frère (Instruction originale
datée de Rouen, 7 janvier. Bibl. nat., ms. lat. 54143, fol. 124.
M. Quicherat l'a imprimée dans les Mélanges historiques, II, 410,
mais d'après une copie de Dupuy).
2. Interpolations et variantes, § XXXVIII. — Après la prise du
château, qui se rendit après un assez rude assaut, Louis XI se
porta sur Rouen, et il se livra aux environs de cette ville plu-
sieurs engagements, où les Normands perdirent du monde.
3. Interpolations et variantes, § XXXIX. — A Gaen, Louis XI
avait fait proposer aux mandataires de son frère 60,000 livres et
le comté de Roussillon, à condition qu'il fixât sa résidence
dans cette province lointaine. Mais le duc de Normandie préten-
dait n'abandonner son duché que pour le Berry, le Poitou et
la Saintonge, ou le Berry, la Champagne et le Vermandois. Plus
tard, le roi consentit à s'en rapporter à la décision des ducs de
Bretagne et de Bourbon pour fixer l'apanage de son frère, mais il
réclama avant tout la reddition de Pont-de-l'Arche , promet-
tant en ce cas une trêve de dix jours. Il exigeait aussi que Charles
se retirât à Honfleur jusqu'au règlement du litige. Le duc de
Normandie hésita, tergiversa et pendant ce temps Louis XI
s'empara de Pont-de-l'Arche {Mélanges historiques, II, 409, 417,
423, 437).
152 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1466
ne fait chose contre lui dont il leur voulsist donner
pardon, grâce ou remission, et que le roy de là en
avant les afranchist en la manière qu'il avoit fait ceulx
de sa ville de Paris, et plusieurs autres requestes
firent au roy, qui leur rendi response que sur tout il
y aroit son advis ^ .
Et, durant ces choses, plusieurs des gens du roy
aloient et venoient en ladicte ville et les ungs avecques
les autres. Et, cependant, mondit seigneur Charles,
lui et plusieurs autres de sa compaignie, vindrent
dehors de ladicte ville et s'en tirèrent à Honnefleu et
à Gaen, où il fut depuis certaine espace de temps ~. —
En ces entrefaictes, ledit Jehan Monseigneur de Lor-
raine s'en cuida eschapper pour aler en Flandres,
mais il fut rencontré par les gens du roy, qui le prin-
drent et menèrent vers le roy. Et donna le roy la
pluspart des offices de ladicte duchié et y fist tous
nouveaulx officiers. Et, après ledit parlement dudit
mons. Charles de ladicte ville de Rouen ^, elle fut
remise et reduicte au roy*. Et, ce fait, le roy ren-
voya tous ses frans archers et leur donna congié
1. Interpolations et variantes, § XL. — Si on en croit Maupoint,
le comte d'Harcourt, le patriarche, le sire de Chaumont et son
fils et Jean de Daillon, qui, avec le clergé et la haute bourgeoisie
rouennaise, dirigeaient le parti hostile au roi, furent expulsés
par un soulèvement des petits bourgeois et des gens de métiers.
La comtesse de Maulevrier fut arrêtée au château, puis une dépu-
tation fut envoyée à Pont-de-l'Arche avec les clefs de la ville
et des forteresses. Le roi accueillit les Rouennais avec bonté
(13 janvier) et les confirma dans leurs privilèges et libertés {Jour-
nal, p. 99. Cf. Mélanges historiques, II, 419).
2. Interpolations et variantes, § XLI.
3. Interpolations et variantes, § XLII. Cf. Basin, II, 160 et suiv.
4. 16 janvier 1466, n. st.
1466] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 153
jusques au premier jour de mars ensuivant, et ren-
voya aussi son artillerie à Paris, et puis print son
chemin pour aler au bas pays de Normendie et vers le
Mont Saint-MicheP.
En ce temps, Anthoine de Chabannes, conte de
Dampmartin, dont dessus est faicte mencion, se tint
avecques le roy et y ot gouvernement et charge de
gens d'armes de cent lances, dont avoit la conduicte
messire Charles de Meleun, grant maistre d'ostel du
roy, et si lui osta l'office de grant maistre et la bailla
à monseigneur de Craon^, jasoit ce que moult de gens
estoient assez d'opinion que ledit de Melun eust bien
servy le roy et fait de moult grans services, mesme-
ment à la grant diligence qu'il print en la garde de la
ville de Paris, en l'absence du roy, et lui estant en
Bourbonnois, où tant et si bien se gouverna et main-
tint que plusieurs estoient d'opinion que, se n'eust
esté sa grant diligence et bonne conduite, que ladicte
ville eust eu beaucop à souffrir ou grant dommage du
roy et du royaume^.
1. Le roi poussa-t-il jusqu'au Mont -Saint -Michel? D'après
Maupoint, il se rendit directement de Pont-de-l'Arche à Pont-
Audemer, où il trouva les ducs de Bretagne et de Bourbon qui
l'attendaient pour ordonner des offices de Normandie. De Pont-
Audemer il s'en fut à Rouen.
2. Lisez Dammartin.
3. La défaveur de Charles de Melun fut la conséquence immé-
diate de la rentrée en grâce de son ennemi le comte de Dam-
martin. Maupoint dit que plusieurs autres personnages furent
« désappointés » et que les ducs de Bretagne, de Bourbon et de
Galabre, les comtes de Dunois et de Dammartin se partagèrent
30,000 francs de pensions au moins. Le bâtard de Bourbon fut
institué amiral « à grant pension d'argent, dont plusieurs mur-
muroyent » {Journal, p. 100 et suiv.).
154 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1466
Et, en ces choses faisant, le roy fist eschange avec
ledit conte de Dampmartin d'un sien chastel qu'il avoit
en Gascongne, nommé Blancaffort^ et, à l'encontre,
le roy lui bailla tout le demaine et souveraineté qu'il
avoit es villes de Gonnesse, Gournay sur Marne et
Grecy en Brye^. Et de ce lui bailla lettres adreçans à
sa court de Parlement, pour icelles estre par eulx
expédiées et pour les joindre avecques sadicte conté
de Dampmartin.
Oudit temps, le roy ordonna que la place de Ghau-
mont sur Loire, qui appartenoit à messire Pierre
d'Amboise, seigneur dudit Ghaumont, feust mise en
feu et en flambe et arrasée; ce qui fut fait^.
Et, le lundi tiers jour de février, ung nommé Gau-
vain Mauviel, qui estoit lieutenant gênerai du bailli de
Rouen, fut prins en ladicte ville et mené prisonnier
au Pont de l'Arche, et là, par le prevost des mares-
chaulx, dessus le pont dudit lieu fut drecié ung eschaf-
1. Interpolations et variantes, § XLIII. — Il s'agit ici de la ville
de Blanquefort ea Médoc (auj. dép. de la Gironde, arr. de Bor-
deaux), prise sur les Anglais en 1453 et donnée par Charles VII
à Antoine de Chabannes. L'échange en question fut fait à Pont-
de-l'Arche quelques jours avant le 8 janvier 1466, n. st. (Ordon-
nances, XVI, 454, note. Cf. Sauvai, Antiquités de Paris, III, 369).
La seigneurie de Blanquefort, mise en la main du roi peu de
temps après son avènement, avait été donnée par lui à Du Lau,
alors sénéchal de Guyenne (Bibl. nat., ms. fr. 2921, fol. 83 v^).
2. Gonesse et Gournay-sur-Marne (Seine-et-Oise, arr. de Pon-
tuise). Crécy-en-Brie (Seine-et-Marne, arr. de Meaux).
3. Interpolations et variantes, § XLIV. — Louis XI avait con-
fisqué le château de Ghaumont dès le commencement du Bien-
Public, car, le 31 mai 1465, il en avait fait don à la duchesse
d'Orléans (Favre et Leceslre, Z,e Jouvencel, éd. cit., p. cclvi, n. 6,
Cf. Mélanges historiques, II, 283).
1466] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 155
fault, dessus lequel ledit Gauvain fut décapité pour
aucuns cas de crime à lui imposez, et dessus ledit
pont fut sa teste mise au bout d'une lance et son corps
gecté en la rivière de Seine ^.
Et, en ce temps, le hault doien de l'église de Rouen
et autres chanoines de ladicte église, jusques au
nombre de six, furent envoiez hors icelle et leur fut
ladicte ville interdicte, et furent envoiez demourer
hors la duchié de Normendie^.
Après ce, le roy se parti de Rouen et s'en ala à
Orléans, où la royne estoit, et y demoura par long-
temps, et puis s'en ala à Jargueau et ilec environ^.
Et, pendant qu'il y fut, arrivèrent devers lui plusieurs
ambaxadeurs de diverses contrées et pour divers cas.
Et, durant ce, le roy dehbera envoier ambaxade ou
royaume d'Angleterre pour aucunes causes, et, pour
1. Gauvain Mauviel, écuyer, lieutenant général, dès le mois de
novembre 1462, de Jean de Montespedon, bailli de Rouen (Bibl.
nat., Pièces orig., vol. 1902, dossier Mauviel). En janvier 1463,
n. st., sire Gauvain avait reçu pour services rendus à la ville de
Rouen un don gratuit de 20 lions d'or (Arcli. munie, de Rouen,
Reg. des délibér. de l'hôtel de ville A^, fol. 207 v»). Son exécu-
tion fut la conséquence de sa conduite antiroyaliste pendant le
règne éphémère du duc de Normandie.
2. Le haut clergé rouennais avait témoigné de sentiments très
particularistes. Les registres capitulaires de Notre-Dame de
Rouen (Plumitif du chapitre, t. XXI, fol. 44 v») mentionnent un
prêt de 500 1. t. fait au duc de Normandie « des deniers des
églises » (9 août 1466). Le doyen, Nicolas Dubosc, s'était parti-
culièrement distingué par son zèle séparatiste (Basin, III, 267 ;
IV, 247).
3. La présence de Louis XI est signalée à Orléans le 25 février
1466. Il séjourna dans cette ville tout le mois suivant et arriva à
Jargeau (Loiret) au commencement d'avril (Itin. cité).
156 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1466
ce faire, eslut le conte de Roussillon, bastard de
Bourbon et admirai de France, le sire de la Barde,
l'evesque et duc de Lengres^ maistre Jehan de Pou-
paincourt, seigneur de Cercelles, Olivier Le Roux, con-
seiller et maistre des comptes^, et autres, et partirent
pour y aler ou mois d'avril GGCCLXVP. — Et oudit
temps, par la justice ordinaire de Paris, furent prins
plusieurs povres créatures, larrons, crocheteurs et
autres malfaicteurs, qui pour lesdiz cas furent les
aucuns pendus et estranglez , et les autres batus
au cul de la charette par les carrefours de ladicte
ville.
En ce temps, damoiselle Ysabeau de Gambray,
femme de sire Guillaume Golombel, puissant et riche
homme, fut mise et constituée prisonnière en la con-
ciergerie du palais royal à Paris, à la requeste et
pourchas de sondit mary, qui principalement la char-
goit de trois choses : la première qu'elle s'estoit for-
faicte et habandonnée à autre qu'à luy; la seconde
qu'elle l'avoit desrobé de ses biens en grans sommes
de deniers, et aussi qu'elle avoit fait et compilé plu-
sieurs poisons pour l'empoisonner et faire mourir.
Et, sur ces choses, avoit sondit mary fait faire ses
1. Guy Bernard occupa le siège de Langres de 1453 au
28 avril 1481.
2. Olivier Le Roux, d'abord notaire et secrétaire du roi (l^"" août
1461), fut reçu conseiller et maître des comptes le 24 novembre
1464 (voy. Vaesen, Lettres de Louis XI, III, 158 n.).
3. Les ambassadeurs du roi de France et ceux du roi d'Angle-
terre se rencontrèrent à Calais. Le résultat de leurs conférences
fut la conclusion d'une trêve de vingt -deux mois (Maupoint,
Journal, p. 101).
1466] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 157
informacions ; après lesquelles veues et pour lesdiz cas,
demoura longuement prisonnière et fut sur ce geheyn-
née. Et finablement, veu par la court de Parlement
lesdictes charges et informacions sur ce faictes et sa
confession prinse, par arrest et jugement diffînitif
d'icelle fut dit et prononcé que lesdictes charges, par
ledit Golombel imposées à sadicte femme, estoient
souffisamment prouvées ; pour quoy fut declairé par
ledit arrest privée de toute communaulté de biens et
douaire avec sondit mary. Et, au regard des poisons,
furent appoinctez contraires, de quoy elle proposa
erreur et consigna vi^^ livres parisis^.
Le dixiesme jour de may, oudit an LXVI, messire
Anthoine de Chasteauneuf, seigneur du Lau, qui avoit
eu congié du roy longtemps par avant, fut trouvé par
cas d'aventure par le seigneur de Chabesnays et autres
es pleines de Glery près Orléans. Et, pour ce que lui
et ses gens furent de lui apperceuz en habis mes-
congneuz, fut prins prisonnier et mené au roy, qui
1. Ysabeau de Cambray, probablement l'un des seize enfants
d'Adam de Cambray, premier président au Parlement de Paris,
et de Charlotte Alixandre, avait épousé sire Guillaume Colombel,
élu de Paris dès 1454 et commis au payement des gages de la
cour de Parlement {Ordonnances, XVI, 439), puis conseiller du
roi. L'arrêt de séparation prononcé en Parlement le 15 juillet
1466 relate minutieusement les faits reprochés par Colombel à
sa femme, les répliques d'Ysabeau et les nombreuses vicissitudes
du procès, qui n'en demeura pas à ce point. (Voy. Arch. nat.,
X2a 34, fol. 145 et suiv., et X2a 35, à la date du 21 octobre 1469.
L'arrêt est cité par Longnon, Villon, Index, p. 295.) Cf. ce pas-
sage d'une lettre du premier président Jean Dauvet à Louis XI,
en date de Paris, 13 mars (1466) : « Nous besoingnons au procès
de la Colombelle, auquel il y a beaucoup de folies » (Mélanges his~
toriques, II, 446).
158 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1466
l'envoya avecques ses gens prisonnier en ung chastel
près Meun^.
Et, le mercredi [14 mai], veille d'Ascension Nostre
Seigneur, par l'ordonnance du roy, maistre Jehan Le
Prévost, notaire et secrétaire du roy, entra dedens la
Bastide Saint-Anthoine par moiens subtilz, et d'ilec en
mist et gecta hors ung nommé Marc, qui en estoit lieu-
tenant pour mons. de la Borde ^, et lequel Marc avoit
nouvellement espousée la fille naturelle dudit messire
Charles de Melun, qui estoit filz dudit seigneur de
la Borde. Et, après ce, ledit Marc et sadicte femme et
mesnage s'en retournèrent à refuge pardevers ledit
messire Charles en la ville de Melun .
Et, le samedi veille de Penthecouste , xxmi® jour
dudit moys, oudit an mil IIIPLXVI, furent leues et
publiées en ladicte ville de Paris, par les carrefours
d'icelle, à son de trompe et à cry publique, le mande-
ment du connestable de France, dedens lequel estoit
inséré le mandement du roy, qui contenoit que le roy
estoit deuement informé que les Anglois, ses anciens
ennemis, en grosse et merveilleuse armée, estoient
délibérez d'entrer et descendre ou royaume de France
pour destruire et gaster icellui, et que, pour ce faire,
avoient desjà fait grant amas de navires; et, pour ce,
le roy, voulant résister à leur mauvaise et dampnée
entreprinse, et pour les grever et nuire en tout ce que
1. Interpolations et variantes, § XLV. — Arrêté par Jean de
Vendôme, seigneur de Chabanais, Du Lau fut enfermé d'abord
au château de Sully-sur-Loirc, puis transféré, au mois d'octobre
suivant, au château d'Usson, d'où il réussit à s'échapper (voy.
plus loin).
2. Philippe de Melun.
1466] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE, 159
possible seroit, mandoit audit connestable que par
toutes villes, pays et lieux dudit royaume, es places
où l'en a acoustumé de faire cry publique, il fîst assa-
voir que tous nobles tenans du roy en fief et arrière
fief, de quelque estât ou condicion qu'ilz feussent,
feussent en armes et habillement dedans le xv® jour de
juing ensuivant, sur peine de confiscacion de corps et
de biens, et aussi à tous frans archers à estre tous
prests audit jour.
En ce temps, le roy, qui ainsi avoit desappoincté
ledit seigneur de la Borde de ladicte cappitainerie de
la Bastide Saint-Anthoine, donna ladicte cappitainerie
au seigneur de Blot, seneschal de Bourbonnois, que on
disoit estre homme de grant conduicte^
En ce temps, ledit seigneur de Montauban ^, qui avoit
esté admirai, grand maistre administrateur et gênerai
reformateur des eaues et foretz, et qui avoit esté cause
de toute la noise advenue en Bretaigne et par consé-
quent ou royaume de France, et qui avoit eu des
biens du royaume et argent inestimable, mourut à
Tours et ne fut point plouré^. Et, après sa mort, le
roy donna ses offices, c'est assavoir l'office d'admiral,
à monseigneur le bastard de Bourbon^, qui avoit
espousée une sienne fille naturelle, et l'office de grant
1. Cette mutation eut lieu vers la Saint-Barnabe (11 juin) 1466
(Maupoint, Journal, p. 101 et suiv.). — Hugues de Chauvigny,
chevalier, seigneur de Blot, sénéchal d'Auvergne, conseiller et
chambellan du roi, s'intitule capitaine de la Bastille en date du
3 septembre 1466 (Bibl. nat., ms. fr. 26090, n° 499, parch. signé).
2. Interpolations et variantes, § XLVI.
3. Sur ses concussions comme général réformateur des forêts,
voy. Basin, U, 19 et suiv. (cf. Vaesen, Lettrçs de Louis XI, II, 221).
4. Interpolations et variantes, § XL VII.
160 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1466
maistre des eaues et forestz fut donnée au seigneur de
Ghastillon, frère du mareschal de Loheac^.
Oudit temps furent prinses trêves avecques lesdiz
Anglois durant xxii moys, tant par mer que par terre,
et furent lesdictes trêves publiées-. — Et aussi, oudit
temps, monseigneur du Maine, pour aucunes causes
qui meurent le roy, fut desappoincté du gouverne-
ment de Languedoc et fut baillé à monseigneur le duc
de Bourbon^.
Et, après ledit mariage fait dudit monseigneur l'ad-
mirai, le roy lui donna le chastel et place de Usson en
Auvergne, qu'on dit estre la plus forte place du
royaume, avecques les cappitaineries de Honnefleu et
autres places de Normandie^.
Oudit moys de juing, que les fèves florissoient et
deviennent bonnes, advint que plusieurs hommes et
1. Interpolations et variantes, § XLVIII. — Sur Louis de Laval,
seigneur de Ghàtillon, gouverneur de Champagne, voy. Vaesen,
Lettres de Louis XI, U, 348, et ms. fr. 20494, fol. 64.
2. Cf. Vaesen, IH, 89.
3. Louis XI, instruit des menées du comte du Maine pendant
le Bien-Public, le fit interroger particulièrement (Jean de Reilhac,
par le comte de Reilhac, I, 218 et suiv.). Le H octobre 1467, le
comte du Maine prêta serment de servir le roi envers et contre
tous (Lenglet, II, 637 et suiv.). — Les patentes qui lui substi-
tuèrent le duc de Bourbon dans le gouvernement du Languedoc
furent délivrées le 5 juin 1460 (La Mure, Hist. des ducs de Bour-
bon, éd. Chantelauze, II, 273, note).
4. Aux termes du contrat de mariage passé le 7 novembre
1465, Louis XI avait déjà assigné, entre autres domaines, à sa
fille naturelle Jeanne les château et seigneurie d'Usson pour
assiette de 6,000 1. t. de rente (Lenglet, II, 545). Cette aliénation
fut ratifiée par le duc de Bourbon à Orléans le 18 mars 1465,
V. st. (Arch. nat., P 1362<, c. 1000).
1466] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 161
femmes perdirent leur bon entendement', et mesme-
ment à Paris qu'il y ot entre autres ung jeune homme,
nommé maistre Marcial d'Auvergne, procureur en la
court de Parlement et notaire ou Chastellet de Paris-,
lequel, après qu'il ot esté marié trois sepmaines
avecques une des filles de maistre Jaques Fournier,
conseiller du roy en sadicte court de Parlement, perdi
son entendement en telle manière que, le jour Saint-
Jehan Baptiste, environ ix heures de matin, une telle
frénésie le print qu'il se getta par la fenestre de sa
chambre en la rue, et se rompit une cuisse et froissa
tout le corps, et fut en grant danger de mourir, et
depuis persévéra longuement en ladicte frénésie, et
après se revint et fut guery.
Ou moys de juillet ensuivant vindrent et arrivèrent
à Paris plusieurs prélats, seigneurs, chevaliers, gens
d'Eglise et autres gens de conseil, que le roy ordonna
1. « Les fèves sont en fleur, les fous en vigueur » (proverbe
ancien cité par Littré, v° Fève).
2. Interpolations et variantes, § XLIX. — Gomme le porte cette
interpolation, ce Martial d'Auvergne, un confrère de Jean de
Roye, est bien le célèbre auteur des Vigiles de Charles Vil, des
Arrêts d'amour et des Heures de la vierge Marie. Né vers 1440, il
mourut le 13 mai 1508 (voy. Anat. de Montaiglon, préface de
V Amant rendu Cordelier à l'observance d'amours. Soc. des Ane.
textes, 1881). On lit précisément dans ce poème, qui est attri-
bué à Martial d'Auvergne, les vers suivants :
Doux yeux jectans feu aux oreilles
Qui font gallans nuyt et jour courre
Et entrer es fèves nouvelles... (P. 67, vers 1541 et suiv.)
Martial d'Auvergne est cité à la date de 1472 parmi les procu-
reurs au Parlement de Paris chargés des affaires du duc de
Bourbon (Huillard-BréhoUes et Lecoy de la Marche, Titres de la
Tnaison ducale de Bourbon. Paris, 1867-74, in-4'', t. Il, n» 6505.
Cf. Arch. nat., Xia 1489, fol. 83 v», 90, 209; 1491, fol. 53).
162 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1466
venir et qu'on disoit qui estoient ordonnez pour mettre
ordre et police en la justice et reformer en toutes
choses, et leur fut baillé moult grant povoir. Et par
icellui estoient nommez xxi commissaires, dont messire
Jehan, bastard d'Orléans, conte de Dunois et de Lon-
gueville, estoit l'un et le premier ; et duquel nombre
de XXI ne povoit estre riens fait qu'ilz ne feussent xiii,
ledit conte de Dunois tousjours présent et le premier ;
et les appelloit on lors les reformateurs du Bien
Publique. Et, sur ladicte commission ainsi à eulx bail-
lée, commencèrent à besongner le mardi, xvi®^ jour
dudit moys de juillet, oudit an mil IIIP LXVI. Et, pour
y bien commencer et mettre tousjours en leurs faiz
Dieu devant, fut fait par eulx chanter une belle messe
du Saint-Esperit, en la Saincte-Ghapelle du Palais royal
à Paris, laquelle fut chantée et célébrée par l'arcevesque
de Reins, JuveneP, qui estoit esleu et nommé l'un
desdiz commissaires. Et, à cedit jour de mardi, avoit
eu ung an que le roi rencontra ledit seigneur de
Charrolois à Montlehery^.
Et le lendemain, qui fut le mercredi xvi® jour dudit
mois de juillet, advint en la court dudit Palais que
plusieurs des pages des conseillers de ladicte court,
1. Lisez xv«.
2. Jean Jouvenel des Ursins.
3. La bataille fut livrée le 16 et non le 15 juillet 1465, mais
notre auteur entend sans doute que ce mardi 15 juillet 1466 cor-
respondait au mardi 16 juillet de l'année précédente. — Ce n'est
pas 21, mais 36 personnes, savoir 12 prélats et hommes d'église,
12 chevaliers et écuyers, et 12 notables hommes de conseil et de
justice que Louis XI avait nommés pour aviser sur les « répara-
tions, provisions et remèdes convenables au bien public du
royaume » (voy. la liste dans Lenglet, II, 514 et suiv.).
1466J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 463
ilec attendans leurs maistres, prindrent noise et ques-
tion [aux pages] desdiz seigneurs tenans le conseil
dudit Bien Publique. Et se meut la noise d'entre les-
diz pages du Palais contre lesdiz pages du Bien
Publique sur ce qu'ilz n'avoient point paie leurs bien-
venues à iceulx du Palais et de ce avoient esté refusans.
Et demoura à tant ladicte noise jusques au lendemain,
qui fut jeudi, que tous lesdiz pages d'un costé et
d'autre retournèrent en icelle court et remirent sus
leur dicte question. Et, en pourparlant d'icelle, lesdiz
pages du Bien Publique coururent sus ausdiz pages
du Palais, qui se revencherent, et baillèrent les ungs
aux autres de terribles et merveilleux cops, tant de
poings, de pierres, basions, cousteaulx et dagues, et
y en ot plusieurs navrez, batus et les yeulx crevez;
et falut fermer les portes et que gens de bien s'en
meslassent pour les défaire et appoincter. Et de ce
fut dit par plusieurs que ces choses signifioient le
bout de l'an de la rencontre de Montlehery.
Ladicte année fut fort moiste, et en divers lieux
en France v crut de bons blez, et en autres lieux ne
valurent gueres et estoient nuylez^; et y ot de grans
tempestes en divers lieux, tant de escler que de ton-
noirre, vent, pluies et autres tempestes, qui firent
moult de maulx et de dommages en divers lieux dudit
royaume, et par especial ou pays de Soissonnois,
où elle gasta les blez, les vins et autres fruiz et des-
truisy plusieurs belles maisons, manoirs, couvertures
d'églises et autres maulx.
1. Niellés, gâtés par la nielle. Il en fut ainsi dans tout le Nord,
mais les vins furent i très bons et si en fust plenté » (Du Glercq,
IV, 299).
I 13
164 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1466
En ce temps, s'esmeut grande guerre entre les Lie-
gois et le duc de Bourgongne, qui pour ceste cause se
mist en armes et leur ala faire guerre, et se y fist
porter en une lictiere, et y mena avecques lui son filz
ledit seigneur de Gharrolois^ avecques tous les nobles
hommes, gens de guerre et autres qu'il pot recouvrer
et tous ses harnez et artillerie, et fist mettre le siège
devant la ville de Dynan, contre laquelle y fut inconti-
nent fait grans approches, et sy y furent faictes de belles
saillies et grandes escarmouches de costé et d'autre.
Et, au commencement, lesdiz de Dynam firent de grans
maulx et dommage ausdiz Bourguignons, et y en
demoura plusieurs mors, qui gueres ne furent plains.
Mais, en la fin, ceulx de ladicte ville de Dynan, par
traison et autrement, furent surprins, et entrèrent les-
diz Bourguignons dedens icelle ville, qui d'icelle en
gecterent et boutèrent dehors hommes, femmes et
enfans, et retindrent prisonniers les plus notables gens
d'icelle ville, et puis la pillèrent tellement qu'il n'y
demoura rien. Et après boutèrent le feu parmy toutes
les eghses et maisons, et y firent meschef et dommage
irréparable-; et, après que tout fut bruslé et consumé,
1. Cf. Gommynes, éd. Dupont, I, 114 et suiv. Philippe le Bon
quitta Bruxelles le 13 août et fit son entrée à Binant le 25 du
même mois.
2. Le 29 août, après trois jours de meurtres et de pillage, le feu
prit, on ne sait comment, au logis d'Adolphe de Glèves, et les
pillards, préoccupés de sauver leur butin, laissèrent l'incendie
accomplir son œuvre. Il n'est pas prouvé que le comte de Gha-
rolais ait donné l'ordre d'incendier Dinant, mais en France on l'en
accusa formellement (voy. Du Glercq, IV, 266 et suiv.; Gachard,
Doc. inéd. concernant l'hist. de Belgique, II, 205 et suiv., et Mau-
point, Journal, p. 103).
1466J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 165
emplirent les fessez des murs d'icelle. Et, à cause
d'icelle destruction, devindrent les povres habitans
d'icelle mendians, et aucunes jeunes femmes et filles
habandonnées à tout vice et pechié pour avoir leur vie^ .
En ladicte année, es mois d'aoust et septembre, fut
grande et merveilleuse chaleur, au moien de laquelle
s'en ensuivy grande mortalité de pestilence et autres
maladies, dont et de quoy il mourut, tant en la ville,
villages voisins, prevosté et viconté de Paris, quarante
mil créatures et mieulx, entre lesquelz y mourut
maistre Arnoul, astrologien du roy, qui estoit fort
plaisant homme -, plusieurs médecins et officiers du
roy en ladicte ville de Paris. Et si grant nombre de
créatures furent portées enterrer ou cymitiere des
Sains-Innocens^, en ladicte ville de Paris, que, tant
des mors en ladicte ville que de l'Ostel Dieu, tout y
fut remply, et fut ordonné que de là en avant on por-
teroit les mors ou cymitiere de la Trinité*, qui est et
appartient à l'ostel de la ville de Paris. Et continua
ladicte mort jusques en la fin de novembre, que, pour
faire cesser et prier Dieu que ainsi il lui pleust de le faire,
furent faictes de moult belles processions générales
1. Sur les horreurs du sac de Dinant, voir le dramatique récit
de Michelet (Louis XI et Charles le Téméraire. Paris, 1857, ia-8°,
p. 200 et suiv.).
2. En 1466, Louis XI avait mandé à l'Université d'examiner
certains livres traitant d'art magique composés par maître Arnould
des Marets, astronome. L'Université ne trouva pas que ces ouvrages
fussent « consonants à la doctrine chrétienne > et les condamna
(Du Boulay, Hist. de l'Université de Paris, V, 678).
3. Près les Halles.
4. L'église de la Trinité était située rue Saint-Denis, non loin
de la porte aux Peintres.
166 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1466
à Paris, par toutes les parroisses et églises d'icelles,
où furent portées toutes les chasses et sainctes reliques,
et mesmement les chasses de Nostre-Dame, de Saincte-
Geneviefve et Saint-Marcel; et lors cessa ung petit
ladicte mort*.
En ce temps, fut grant bruit à Paris de larrons et
crocheteurs, alans de nuit crocheter huis, fenestres,
caves et celiers. Et, pour lesdiz cas, en furent aucuns
batus au cul de la charrete et les autres pendus et
estranglez au gibet de Paris.
Oudit temps, fut pendu et estranglé oudit gibet de
Paris ung gros Normant, natif de Goustantin en Nor-
mandie^, pour ce qu'il avoit longuement maintenue une
sienne fille et en avoit eu plusieurs enfans, que lui et
sadicte fille, incontinent qu'elle en estoit délivrée, mur-
drissoient ; et, pour ledit cas, fut pendu, comme dit est,
et sadicte fille fut arse à Maigny près Pontoise^, où ilz
estoient venus demourer dudit pays de Normendie.
En ce temps, furent apportées à Paris les chasses
de saint Grespin et saint Grespinien, pour trouver
remède à ladicte maladie de pestilence, et aussi pour
eulx quester, afin d'avoir de quoy recouvrir l'église
desdiz sains audit lieu de Soissons^, que ladicte fouldre
\. Cette épidémie n'épargna pas les provinces (voy. Bibl. nat.,
ms. fr. 3887, pap., xv« s., au fol. 19, 1' « Ad vis des medicins demo-
rans à Dijon rapporté à Mess»"* les mayeur et eschevins dudit
Dijon, le xuii» jour d'octobre l'an mil IIIIc LXVI, » et, au fol. 20,
un « Autre advis apporté de Paris sur la matière avant dicte »).
Le gonllement des glandes était un des signes de l'infection.
2. Du pays de Gotentin, en Basse-Normandie.
3. Magny-en-'Vexin, auj. dép. de Seine-et-Oise, arr. de Mantes.
4. Il y avait à Soissons deux églises fondées sous l'invocation
I
1466-1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 167
et tempeste avoit ainsi destruicte et abatue, que dit
est devant.
Et, durant ce temps, le roy et son conseil se tindrent
à Orléans, à Chartres, Bourges, Meun, Amboise et
autres lieux^ Et, durant qu'il y fut, vindrent plusieurs
ambassades de diverses nacions, comme d'Angleterre,
de Bourgongne, Bretaigne et autres. Et délibéra lors
le roy de faire guerre ausdiz duc de Bourgongne et
conte de Charrolois, son filz, et, pour ceste cause, fist
crier es villes de son royaume ban et arrière ban, et
ordonna et créa plusieurs frans archers oultre le
nombre ordinaire.
Après ce que dit est, le roy fist plusieurs ordon-
nances et establissemens pour la tuicion et garde de
ses pays et villes, et ordonna monseigneur le mares-
chal de Loheac son lieutenant en la ville de Paris et en
risle de France. Et, à mons. de Ghastillon fut baillé le
pays de Ghampaigne'^, et la garde du pays et duchié
de Normendie fut baillée à monseigneur le conte de
Saint-Pol, connestable de France^, qui auparavant
avoit esté ennemy du roy avecques le duc de Bour-
gongne.
des apôtres du Soissonnais. Celle de Saint-Crépin-le-Grand était
la plus considérable.
1. Louis XI séjourna à Orléans et à Meung-sur-Loire pendant
les trois derniers mois de l'année 1466. Il fut à Bourges et à
Mehun-sur-Yèvre pendant le mois de janvier et la première
moitié de février 1467 (Itin. cité).
2. M. Vaesen a imprimé la lettre par laquelle le roi notifia
cette nomination aux conseillers de Chàlons-sur-Marne (Mehun-
sur-Yèvre, 25 février 1467, n. st., Lettres de Louis XI, III, 134).
3. Le connétable prit dès lors le titre de lieutenant et gouver-
neur du roi en ses pays et duché de Normandie. C'est le 15 dé-
cembre 1466 que lecture fut donnée au conseil de ville à Rouen
168 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
En après, ou moys de février mil IIIPLXVI, arriva
une ambaxade de Bretaigne pardevers le roy ; lesquelz,
après qu'ilz orent par lui esté oyz, les receut très bien,
et puis s'en alerent en Flandres, devers ledit Bour-
guignon et le conte de Charrolois, son filz. Et lors fut
grant bruit partout qu'il y avoit appoinctement fait
entre le roy et monseigneur son frère, dont plusieurs
gens de bien furent moult joieux^. Et, avant ce, le
roy avoit envoyé son ambaxade ou pays de Liège;
entre lesquelz y estoit ledit maistre Jehan Hébert,
l'evesque de Troies et autres^.
Et, en icellui temps, advint à Paris que trois ser-
gens à verge du Chastellet, qui estoient bien mal
renommez, furent de nuit prendre ung prestre de
l'église monseigneur Saint-Pol à Paris, lequel estoit
paisiblement couché en sa chambre, en laquelle par
des patentes royales délivrées à Orléans le 13 novembre précé-
dent, par lesquelles le comte de Saint-Pol était nommé à la
capitainerie de Rouen à la place de Jacques de Brézé, comte de
MauleVrier, lequel avait pris possession de cette charge le 27 juil-
let 1465, quelques jours après la mort de son père (Arcli. mun.
de Rouen, Reg. de l'hôtel de ville, A 8, fol. 237 et 260 v).
1. La mission des ambassadeurs bretons se rattachait sans
doute aux négociations poursuivies pendant l'année 1466 entre
Louis XI, d'une part, le duc de Bretagne et Charles de France,
de l'autre, par l'intermédiaire du duc de Calabre. Louis XI
proposait à son frère le Roussillon ou le comté d'Asti avec
60,000 livres de rente s'il consentait à résider dans l'une de ces
possessions lointaines et contestées. Le duc de Normandie récla-
mait le Berry, la Champagne et la Brie. Aussi n'y avait-il aucune
chance de s'entendre. Nous n'avons pas trouvé dans Dom Moricc
la mention de l'ambassade dont il est ici question.
2. Inlcrpolations el varianles, § L. — L'ambassade envoyée à
Liège avait pour chef l'évêque de Langres, Gui Bernard (Len-
glet, II, 621 et suiv. et 631). — L'évêque de Troyes se nommait
Louis Raguier.
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 169
force et violence entrèrent dedens, et ilec le bâtirent,
et puis l'en amenèrent en la rue, et le trainerent au
long d'icelle et le navrèrent en plusieurs lieux, et puis
le laissèrent. Et après ledit prestre les en poursuy
par justice, et tellement qu'ilz en furent constituez
prisonniers oudit Chastellet, où leur procès fut fait; et
furent ilec condampnez à estre bannis du royaume de
France et leurs biens et héritages confisquez et à faire
amende honnorable, dont et de quoy ilz appellerent
en la court de Parlement ; dont aussi en appella le pro-
cureur du roy de ce qu'ilz avoient esté trop peu jugez.
Et depuis, par arrest d'icelle court, fut dit que, avecques
le jugement de sentence de prevost de Paris, qu'ilz
seroient batus par les carrefours de Paris : ce qui
fut fait.
Et, le jeudi xxiif jour d'avril mil CGGG LXVII,
Anthoine de Ghabannes, conte de Dampmartin, qui
ainsi estoit eschappé de la Bastide Saint-Anthoine et
qui depuis fist moult de maulx au roy et à ses subgets
en Auvergne et ailleurs, venu devant Paris avecques
les autres princes, fut fait et créé grant maistre d'ostel
du roy ou lieu du seigneur de Grouy, en déboutant
de ce ledit de Grouy, messire Gharles de Meleun et
tous autres ; et lui en furent baillées lettres par le roy,
qui certiffioit que ledit Ghabannes lui avoit fait sere-
ment de loyaument le servir à l'encontre de tous * .
1. Lenglet a imprimé aux Preuves de Gommynes, II, 323, d'après
le ms. fr. de la Bibl. nat. 2898, les lettres par lesquelles Louis XI
donna au comte de I>dmmartin l'office do grand maître d'hôtel de
France, « que nagueres tenoit et occupoit Charles de Melun, che-
valier, et lequel avoit par avant tenu le seigneur de Groy comme
vacant par le décès de feu le sire de Gaucourt. » Ces lettres sont
170 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
Depuis toutes ces choses, ou moys de juing, oudit
an IIIPLXVII, le roy se parti de Paris et ala en Nor-
mendie, à Rouen et ailleurs ^ Et, lui estant à Rouen, fist
venir à lui le conte de Warwik hors du royaume
d'Angleterre, pour aucunes causes qui le meurent;
et descendy à Honnefleu et à Harefleu- et ilec se mist
en bateaulx lui et sa compaignye et vindrent jusques
à la Bouylle^, assis sur la rivière de Seine à cinq lieues
près de Rouen, à ung samedi vi® jour du moys de
juing, à l'eure de disner, lequel trouva ilec son disner
tout prest et le roy qui estoit ilec aussi arrivé pour
le recevoir, et y fut moult fort festié et tous ceulx de
sadicte compaignie^. Et puis, après disner, rentra
ledit Warwik esdiz basteaulx, et s'en ala ledit Warwik
par la rivière de Seine, et le roy s'en ala par terre
lui et sa compaignie jusques audit Rouen. Et alerent
à rencontre ceulx de ladicte ville par la porte du cay
Saint-Eloy, où. le roy lui fist faire moult grand recueil
datées de s la tour des Champs, près nostre hostel de Mehun sur
Yeuvre, le viiujt troisième jour de février, l'an de grâce 1466. »
Dammartia prêta serment au château des Montilz-Iez-Tours, le
28 mars suivant (voy. V Interpolation L).
1. Louis XI quitta Paris au milieu du mois de mai 1467, passa
par Chartres et arriva à Rouen le 28 du même mois, escorté d'une
suite nombreuse (De Beaurepaire, Notes sur six voyages de Louis XI
à Rouen, art. cité, p. 305).
2. Ilonfleur et Harfleur (qui était alors un port), à l'embouchure
de la Seinç, le premier sur la rive gauche, le second sur la rive
droite.
3. La Bouille, auj. dép. de la Seine-Inférieure, cant. de Grand-
Couronne, en aval de Rouen.
4. Louis XI était arrivé à la Bouille la veille. Warwick n'y .serait
parvenu que le 7 juin, mais ses l'uurriers étaient à Rouen avant le
2U mai (De Beaurepaire, Notes citées, p. 310. Cf. Basin, II, 178).
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 171
et honnourable, car, de toutes les parroisses et églises
de ladicte ville, furent portées au devant de lui les
croix, bannières et eaue benoiste et tous prestres
revestus en chappes, et ainsi fut conduit jusques à la
grant église Nostre-Dame de Rouen, où il fist son
offrande, et après s'en retourna en son logis, qu'on
lui avoit ordonné aux Jacobins^ dudit lieu. Et après
vindrent en ladicte ville la royne et ses filles, et
demoura ilec le roy avec ledit Warwik par l'espace
de XII jours. Et après, ledit de Warwik s'en départi
et sa compaignie et retourna en Angleterre; et ren-
voya avecques lui monseigneur l'admirai, l'evesque
de Laon, maistre Jehan de Poupaincourt, son con-
seiller, maistre Olivier le Roux et autres^.
1. Sur l'emplacement du couvent des Jacobins s'élèvent actuel-
lement les bâtiments de la Préfecture. Louis XI logeait dans un
hôtel voisin de la porte Saint-Éloi, qui appartenait au conseiller
Robert Brote (De Beaurepaire, Notes, loc. cit.).
2. Warwick passa six jours à Rouen, se rembarqua le 16 juin
et reprit la mer à Honfleur le 23 {Ibid. Cf. Vaesen, Lettres de
Louis XI, m, 146 et suiv.). L'objet des négociations poursuivies
entre Louis XI et le « faiseur de rois » était la conclusion, très
redoutée des Bourguignons, d'une paix définitive entre les rois
de France et d'Angleterre et le mariage d'un frère d'Edouard IV
avec la seconde fille du roi de France. Basin, toujours mal dis-
posé à l'égard de Louis XI, parle en ces termes des caresses pro-
diguées au grand comte : « Tantum autem honoris reverentiœque
ei detulit quantum nec ipsi Anglorum régi sibi fœderato, sibi
reconciliato et pacato, rationabiliter déferre debuisset » (II, 178.
Cf. Rawdon-Brown, Calendar of State papers, etc., t. I, p. 117).
M. de Beaurepaire fait observer que ce fut non pas l'évoque de
Laon, Jean de Jaucourt, mais l'archevêque de Narbonne, Antoine
du Bec-Crespin, qui accompagna en Angleterre l'amiral, Popin-
court, Guillaume de Menypenny, Olivier Le Roux et Alexandre
Sextre. La mission française, qui ne comprenait pas moins de
300 personnes, avait charge de mener à bonne fin la négociation
172 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
Et est assavoir que, durant le temps que ledit de
Warwik et ceulx de sadicte compaignie furent et
séjournèrent à Rouen, que le roy leur fist de moult
grans dons, comme de belles pièces d'or, que le roy
fist forger, qui pesoient dix escuz d'or la pièce, une
coupe d'or toute garnye de pierreries Et monseigneur
de Bourbon aussi lui donna ung moult beau riche
dyamant et d'autres choses, et si fut du tout défrayé
de toute la despense que lui et tous ses gens avoient
faicte depuis qu'ilz descendirent de la mer à terre
jusques à ce qu'ilz remontassent en mer. — Et, après
ledit partement de Rouen, le roy s'en retourna à
Chartres, où ilec il demoura par aucun temps-.
Oudit moys de juing dudit an, le duc de Bour-
gongne mourut en la ville de Bruges, et fut son corps
porté aux Chartreux de Dijon ^.
Et aussi fist et ordonna le roy, audit lieu de Chartres,
que toutes personnes estanset residens à Paris feroient
des bannières, et que en chacune desdictes bannières
entamée à Rouen. On verra plus loin qu'elle échoua complète-
ment (cf. Vaesen, Lettres de Louis XI, III, 143, 154 et suiv.).
1. Voy., aux Pièces justif. de l'art, cité de M. de Beaurepaire
(n» VIII), un rôle des sommes payées d'ordre de Louis XI par Noël
Le Barge, alors receveur général des finances en Normandie, pour
portion de la dépense de Warwick et de sa suite, ainsi que pour
dons à eux faits. A l'article « Deniers paiez par l'ordonnance du
roy » est mentionné l'achat d'une coupe d'or fabriquée à Rouen
par ordre du roi pour le prix de 2,009 I. 13 s. 9 d. t.
2. Interpolations et variantes, § LI.
3. Lundi l.ô juin 14G7, entre neuf ot dix heures du soir. Phi-
lippe le Bon avait soixante-onze ans. Son corps tut enterre à
Saint-Donat de Bruges le dimanche suivant (Leuglet, II, 007 et
suiv., 620. Cf. du Clercq, IV, 302 et suiv.), puis transporté en
l'église des Chartreux, à Dijon (Lenglet, II, 609).
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. Î73
auroit des gouverneurs qui seroient nommez princi-
paulx et soubz principaulx, qui auroient la conduicte
et gouvernement desdictes bannières, et que tous les
subgetz estans soubz icelle seroient armez de jaques,
de brigandines, sallades et harnoys blanc, voulges,
haches et autres choses qui y appartiennent, pour
estre bien armez, tant gens de mestier, officiers,
nobles, marchans, gens d'église que autres : laquelle
chose fut faicte^
Et, en ce mesmes an, ou moys de juing, le roy manda
aler pardevers lui au Mellay près de Chartres plusieurs
gens notables de Paris, entre lesquelz y fut maistre
Jehan Le Boulenger président en Parlement, maistre
Henry de Livres conseiller de ladicte court, sire Jehan
Clerbout gênerai maistre des monnoyes. Jaques Re-
bours procureur de ladicte ville de Paris, maistre
Eustace Milet aussi conseiller en ladicte court ^, Nicolas
Laurens, Guillaume Roger, Jehan de Hacqueville^ et
plusieurs autres bons marchans que le roy envoya
à Chartres devers le conseil, qui depuis y furent par
aucun temps, durant lequel ung nommé Robert de la
1. Interpolations et variantes, § LU. — L'ordonnance en ques-
tion a été imprimée en dernier lieu dans l'Histoire générale de
Paris, Métiers et corporations de la ville de Paris, par René de Les-
pinasse, 1886, in-4o, 1. 1, p. 53. — Le 18 juillet 1467, les suppôts de
l'Université se réunirent pour protester contre l'injonction que
les gens du roi leur avaient transmise de sa part d'avoir à prendre
les armes et à souffrir que des armes fussent déposées dans les
collèges (Du Boulay, Hist. de l'Université, V, 682).
2. Eustacho était fils de Jean Milet, maître en la Chambre des
comptes (Bibl. nat., ms. fr. 20494, fol. 58).
3. Jean de Hacqueville avait épousé Marie Viole. Sa famille,
établie depuis longtemps à Paris, a fourni nombre de magistrats
au Parlement de Paris.
174 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
Mote et Jehan Raoul, qui avoient longuement esté
tenus prisonniers, par l'accusacion d'un religieux de
Saint-Lo de Rouen, nommé maistre Pierre Le Mares-
chal, qui les avoit accusez d'estre ennemis du roy et
[d'avoir] conspiré contre lui. Et avecques eulx en avoit
accusé plusieurs autres, ce qu'il ne peut monstrer ne
enseigner, mais fut trouvé qu'il avoit menti de tout
ce qu'il avoit dit, et comme feulx accusateur fut jugié
à mort et fut noyé le xiiii'^ jour du moys de juillet
oudit an. Et, après ce, furent dépêchez lesdiz de la
Mote, Jehan Raoul et autres et renvoiez en leurs
maisons.
Et, après ce, le roy envoya à Paris ung mandement
pour y estre scellé, et fut signé M. de Villechartre^
par lequel le roy vouloit que, pour bien repeupler sa
ville de Paris, qu'il disoit avoir esté fort depopulée,
tant pour les guerres, mortalitez et autrement, que
toutes gens de quelque nacion qu'ilz feussent peussent
de là en avant venir demourer en ladicte ville, et en
icelle et es faulxbourgs et banlieue ilz peussent joyr
de toutes franchises de tous cas par eulx commis,
comme de murdre, furt, larrecins, piperies et tous
autres cas, réservé crime de lèse majesté; et aussi
pour résider ilec en armes pour servir le roy contre
toutes personnes. Lesquelles lettres furent leues et
publiées par les carrefours de Paris à son de trompe,
et tout selon le privilège donné à tous bannis residens
et demourans es villes de Saint-Malo et Valenciennes^.
\. Michel de Villechartre, notaire et secrétaire du roi.
2. Au tome XVI de la Collcclion des Ordonnances des rois est
imprimée, d'après les registres des bannières du Chàtelet, de la
p. 581 à la p. 685, sous la date de Chartres, au mois de juin 1467,
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 175
Et, ce mesme moys aussi, le roy fist crier et publier
que tous nobles tenans fiefz et arrière fiefz feussent
tous prests et en armes, et mesmement ceulx de l'Isle
de France, tant en la ville de Paris que ailleurs, au
XV® jour d'aoust , pour le servir et estre tous prestz
quant mestier en aiiroit^
Et, le lundi tiers jour d'aoust oudit an, advint à
Paris que l'un des religieux du Temple nommé frère
Thomas Louette, qui estoit receveur dudit Temple,
eust la gorge coppée audit lieu du Temple par ung de
ses frères et compaignons nommé frère Henry, pour
aucunes noises qu'il avoit conceu contre ledit frère
Thomas. Et, pour raison dudit cas, ledit frère Henry
se absenta, et ne peut estre trouvé qu'il ne feust le
X® jour dudit moys, que, environ dix heures de nuit,
ung examinateur du Ghastellet à Paris, nommé maistre
Jehan Potin-, accompaigné de trois sergens, en fist telle
diligence qu'il le trouva mucié en l'ostel de Saint-Pol à
toute une série d'ordonnances (il y en a 26) qui confirment les
statuts anciens des métiers de Paris ou en approuvent d'autres
nouvellement établis : « En ce temps aussy, » dit un passage d'une
chronique anonyme (Bibl. nat., ms. fr. 20354, fol. 183), « le roy
de France rendit au commun de Paris leurs bannières, qui long-
temps par avant leur avoient esté toUues pour les grans et énormes
maulz qu'ilz avoient fais au temps de lors, et se rendy le pays à
tous les banys de son royaume qui le vouldrent aler servir et tenir
son party, et sy fist publyer par tout son royaume qu'il donnoit
franchise à la ville de Paris, tele que ceulz qui y vouldroient
retraire et demeurer ne pourroient estre poursieuvys pour debtes
qu'ilz deussent depuis qu'ilz auroient prinse la franchise de la
ville. »
1. Cf. Maupoint, Journal, p. 103.
2. Jean Potin fit partie, au mois de mai 1469 (voy. plus loin),
de la commission chargée de rechercher et de faire vendre les
biens meubles du cardinal Balue (Bibl. nat., ms. fr. 4487, fol. 13).
176 JOURNAL DE JEAN DE ROYE fl46T
Paris dedens unes aumoires, en habillement d'un roquet*
blanc de toile et ung chapeau noir, et en cest estât fut
mené prisonnier oudit Chastellet et puis rendu en la
court de Parlement pour ce qu'il estoit appellant de
sa prinse et disoit que le lieu où il avoit esté prins
estoit lieu de franchise et que on l'y devoit remettre.
Et puis fut requis par les religieux du Temple leur
estre rendu, ce qui fut fait, -et fut mené es prisons
dudit lieu du Temple le mercredi xii® jour d'aoust,
oudit an mil 1111° LXVII. Et, le jeudi ensuivant, le
grant prieur de France, pour ledit cas, acompaigné
de plusieurs autres seigneurs de leurdit ordre, [vint]
pour faire le procès dudit frère Henry, qui depuis fut
par eulx condempné à demeurer prisonnier en lieu
ténébreux et d'avoir ilec pour pitance, tant qu'il y
pourroit vivre, le pain de douleur et eaue de tristesse.
En ce temps, retournèrent du royaume d'Angle-
terre lesdiz monseigneur l'admirai et autres dessus-
nommez, qui ainsi s'en estoient alez avec ledit de
Warwik oudit pays d'Angleterre, lesquelz y demeu-
rèrent longuement et n'y firent riens-. Et par eulx
ledit roy d'Angleterre envoya au roy des trompes de
1. Sorte de blouse.
2. L'influence du comte de Warwick sur le roi Edouard IV avait
fait place depuis deux ans à celle de la reine Elisabeth Woodville et
de ses parents. Cette défaveur s'accentua pendant le voyage que
Warwick fit en Normandie. En conséquence, les ambassadeurs
français furent très froidement reçus par le roi d'Angleterre, qui
s'occupait alors d'arranger le mariage de sa sœur, Marguerite
d'York, avec le nouveau duc de Bourgogne, Charles (Basin, II,
182 et suiv.). Cet échec causa une vive irritation au roi de France
(voy. la Lettre de J.-P. Panicharola au duc de Milan, en date de
Paris, 12 septembre 1467, dans R. Brown, Calcndar of State
papers, etc., t. I, p. 119).
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 177
chace et des bouteilles de cuir, à l'encontre des belles
pièces d'or, coupes d'or, vaisselle, pierrerie et autres
belles besongnes que le roy et autres seigneurs avoient
donnez audit de Warwik à son partement de Rouen.
Et, le vendredi xxviii" jour du moys d'aoust, le roy
arriva à Paris environ huit heures du soir; et estoit
avecques lui mons. le duc de Bourbon et plusieurs
autres seigneurs.
Et, le mardi premier jour de septembre, la royne
aussi arriva à Paris en bateaulx par la rivière de Seine,
et vint arriver au terrain de Nostre-Dame ^ . Et ilec, à
l'arriver qu'elle fist, trouva tous les presidens et con-
seillers de ladicte court de Parlement, l'evesque de
Paris et plusieurs autres gens de façon, tous honnes-
tement vestus et habillez. Et, à l'entrée dudit terrain,
y avoit faiz de moult beaux personnages ilec riche-
ment mis et ordonnez de par la ville de Paris. Et si
est à savoir que, avant que ladicte royne se meist
esdiz basteaux pour venir à Paris, furent au devant
d'elle et pour la recevoir les conseillers et bourgois
de ladicte ville en grant et notable nombre, aussi tous
en bateaulx, qui estoient tous richement couvers de
belle tapisserie et draps de soye, et dedens iceulx
estoient les petis enfans de cuer de la Saincte-Chap-
pelle, qui ilec disoient de beaux virelais-, chançons et
autres bergeretes moult mélodieusement. Et si y avoit
autre grant nombre de clairons, trompetes, chantres,
haulz et bas instrumens de diverses sortes, qui tous
ensemble jouoient chacun en droit soy moult melo-
1. A la pointe sud-est de la Cité.
2. Rondeau composé de vers très courts.
178 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
dieusement à l'eure que ladicte royne, ses dames et
damoiselles entrèrent en leur basteau, dedens lequel,
par lesdiz bourgois de ladicte ville, lui fut présenté
ung beau cerf fait de confiture, qui avoit les armes
d'icelle royne pendues au col. Et si y avoit plusieurs
autres beaux dragouers tous pleins d'espices de cham-
bre et belles confitures ; grant quantité aussi y avoit
de fruiz nouveaulx de moult de sortes, violetes fort
odorans gettées et semées tout parmy le basteau, et
vin à tous venans y fut baillé et distribué tant qu'on
en vouloit avoir et prendre. Et, après qu'elle ot faicte
son oroison à Nostre-Dame de Paris, elle se rebouta en
son bateau et s'en vint descendre à la porte devant
l'église des Gelestins * , où aussi elle trouva dessus
ladicte porte de moult beaulx personnages. Et elle,
descendue à terre, monta et ses dames et damoiselles
sur chevaulx, belles haquenées et palefrois qui ilec
l'atendoient, et puis s'en ala jusques en l'ostel du roy,
aux Tournelles. Et devant la porte dudit hostel trouva
autre moult beau personnage. Et celle nuit furent
faiz à Paris les feuz par les rues d'icelles, et ilec mises
aussi tables rondes et donné à boire à tous venans.
Et, le jeudi ensuivant, iiii^^ jour dudit moys de
septembre ensuivant, maistre Nicole Balue, frère de
monseigneur l'evesque d'Evreux, fut marié à la fille
de messire Jehan Bureau, chevalier, seigneur de Mont-
glat^, et fut la feste desdictes nopces faicte en l'ostel
1. Sur la rive droite de la Seine, en face l'ile Louviers.
2. Lisez ///«.
3. Nicole Balue, seigneur de Villepreux, partageait la faveur
de son frère, l'évèque d'Évreux, que Louis XI allait faire nom-
mer cardinal-prêtre au titre de Sainte-Suzanne (18 sept. 1467). —
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 179
de Bourbon, laquelle fut moult belle et honneste. Et
lui fut ilec fait grant honneur ce jour, car le roy et
la royne, monseigneur de Bourbon et madame sa
femme, monseigneur de Nevers, madame de Bueil^
et toute leur noblesse qui les suivoient y furent et se
y trouvèrent. Et y fut fait moult grant chère, et si
leur fist on de moult grans, beaulx et riches dons.
Et, depuis ce, le roy et la royne firent de grans
chères en plusieurs des hostelz de leurs serviteurs et
officiers en ladicte vijle. Et, entre les autres, le jeudi
x^ jour dudit moys de septembre, oudit an IIIP LXVII,
la royne, acompaignée de madicte dame de Bourbon
et madamoiselle Bonne de Savoye, seur de la royne ^,
et plusieurs autres dames de sa compaignie, soup-
perent en l'ostel de maistre Jehan Dauvet, premier
président en Parlement, et ilec furent receues et fes-
tiées moult notablement et à grant largesse. Et y ot
faiz quatre moult beaulx baings et richement aornez,
cuidant que la royne se y deust baigner, dont elle ne
fist riens pour ce qu'elle se senty ung peu mal dispo-
sée et aussi que le temps estoit dangereux. Mais en
l'un desdiz baings se y baignèrent madicte dame de
Bourbon, madamoiselle Bonne de Savoye ; et en l'autre
La fille de Jean Bureau et de Germaine Hesselin qui épousa
Nicole Balue se nommait Philippe.
1. Il s'agit ici de la troisième des filles de Charles VU et d'Agnès
Sorel, Jeanne, née vers 1445, laquelle épousa, par contrat du
23 décembre 1461, Antoine de Bueil, fils de Jean V et de Jeanne
de Montejean {Le Jouvencel. éd. citée, t. I, Introd., p. ccxii).
2. Bonne, fille de Louis I*"", duc de Savoie et d'Anne de Lusi-
gnan, et sœur cadette de la reine Charlotte, épousa en 1468 Galéas-
Marie Sforza, duc de Milan.
1 14
180 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
baing au joignant se baignèrent madame de Monglat
et Perrete de Ghalon, bourgoise de Paris.
Et, le lundi ensuivant, xiiif jour dudit moys de
septembre, le roy, qui avoit ordonné mettre sus les
bannières de Paris, comme dit est devant, fist publier
que audit jour ilz (sic) feussent toutes prestes pour
estre aux champs dehors Paris, en faisant savoir à
tous, de quelque estât ou condicion qu'ilz feussent,
depuis l'aage de seize ans jusques à lx ans, yssissent
dehors ladicte ville en armes et habillemens de guerre,
et, s'il y en avoit aucuns qui n'eussent harnoys, que
neantmoins ilz eussent en leurs mains ung baston
defensable, et sur peine de la hart : ce qui fu fait. Et
yssy hors de ladicte ville la pluspart du populaire
d'icellui, chacun soubz son estendart ou bannière, qui
faisoit moult beau veoir, car chacun y estoit en moult
belle ordonnance et sans noise ne bruit, et estoient
bien de lx à iiii^'' mille testes armées, dont il y en
avoit bien xxx"^ tous habillez de harnois blans, jaques
ou brigandines^ Et, tous estans en belle bataille, le
roy et la royne et leur compaignie qui les suivoient
les vindrent veoir; laquelle chose leur pleut moult,
car onques n'avoient veu ystre de ville du monde à
beaucop près telle ne si grant armée. Et se trouvèrent
Lxvii bannières^ des mestiers, sans les estendars et
guidons de la court de Parlement, de la Chambre des
comptes, du Trésor, des generaulx des Aides, des
1. C'est-à-dire d'armures de fer ou d'acier poli, de pourpoints
rembourrés et piqués (jaques) ou couverts de plaquettes de métal
(brigandinos).
2. L'ordonnance de Chartres mentionnée plus haut ne compte
que soixante et une bannières.
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 181
Monnoyes, du Ghastellet et Hostel de la ville, soubz
lesquelz il se trouva autant et plus de gens de guerre
que soubz toutes lesdictes bannières. Et hors Paris,
en aucuns lieux ordonnez, le roy fist porter et con-
duire plusieurs tonneaulx de vin, qui ilec furent défon-
cez, pour faire boire et rafreschir tous ceulx de ladicte
monstre, qui tenoient moult grant pais, car ilz estoient
tous en bataille, à commencer au bout de la voierie
d'entre la porte Saint-Anthoine et celle du Temple,
depuis les fossez de Paris en montant contremont
jusques à ung pressouer devant ladicte voyerie, et de
là en bataille au long des vignes jusques à Saint-
Anthoine des Champs, et puis après jusques au long
des murs dudit Saint-Anthoine des Champs jusques à
la granche de Rully, et d'icelle granche jusques à
Conflans, et dudit Conflans en revenant par la granche
aux Merciers tout au long de la rivière de Seine, jus-
ques au boulevert du roy de la tour de Billy, et
d'icellui bolevert tout au long des fossez de ladicte
ville par dehors jusques à la Bastille et à la porte
Saint-Anthoine. Et brief, c'estoit merveilleuse chose à
veoir du monde qui estoit en armes dehors Paris, et
si maintenoient plusieurs qu'il en estoit à peu près
demouré autant dedens Paris qu'il en y avoit dehors ^
1. Interpolations et variantes, § LUI. — Maupoint, qui fournit
aussi des détails sur cette grande revue de la garde civique pari-
sienne, estime à 28,000 ou 30,000 hommes le nombre des gens
armés, cavaliers et piétons. Ils « feirent leurs premières monstres »
entre la porte Saint-Antoine et le village de Conflans. L'évêque
Balue, « sans révérence de l'habit episcopal, » y joua au capitaine,
ce dont plusieurs furent « très mal édifiez de luy et disoient que
il usurpoit et entreprenoit l'exécution de l'office et sur Testât des
mareschaux de France! » {Journal, p. 104).
182 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [U67
Et, le mardi ensuivant, xxii® jour de septembre,
oudit an IIIIc LXVII, le roy party de Paris après dis-
ner pour aler à pié jusques à Saint-Denis en France.
Et^avoit avecques lui, aussi à pié, mondit seigneur
d'Evreux, monseigneur de GrussoH, Philippe Luiller^
et autres. Et, entre Paris et Saint-Denis, le roy, alant
à son pèlerinage, trouva trois ribaulx qui lui vindrent
requérir grâce et remission de ce que tout leur temps
ilz a voient esté larrons, murdriers et espieurs de che-
mins^, laquelle chose le roy leur accorda benigne-
ment. Et tout ce jour demeura audit lieu de Saint-
Denis jusques au lendemain après vespres, qu'il s'en
retourna en son hostel des Tournelles, et d'ilec s'en
ala souper en l'ostel de sire Denis Hesselin, son pen-
netier et esleu de Paris, qui nouvellement estoit devenu
compère du roy à cause d'une sienne fille dont sa
femme estoit accouchée^, que le roy fist tenir pour
lui par maistre Jehan Balue, evesque d'Evreux ; et pour
commères y furent madame de Bueil et madame de
Montglat. Et, oudit hostel, le roy y fist grant chère et
1. Louis, seigneur de Crussol et de Beaudiner, grand panetier
de France, sénéchal de Poitou, puis de Dauphiné, avait épousé
Jeanne de Lévis et mourut en 1473 (Anselme, III, 766).
2. l'iiilippe Luillier, écuyer, seigneur de Gailly, de Manicamp,
etc., capitaine de la Bastille, était fils de Jean Luillier et de Jeanne
de Vitry. Il épousa : i° Anne de Morvilliers (morte vers 1481),
fille du chancelier; 2° Gabrielle de Villiers, fille de Jacques, sei-
gneur do risle-Adam. Philippe Luillier était mort au mois de
mai 1505 (Bibl. nat., Pièces orig., vol. 1772, doss. Luillier. Cf.
Arch. nat., KK 59, fol. 121, 128).
3. Voleurs de grands chemins.
4. Cette fille, Louise Hesselin, épousa son cousin Etienne Bou-
cher, qui fut élu de Paris (Vitu, la Chronique de Louis XI, etc.,
p. 89).
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 183
y trouva trois beaulx baings honnestement et riche-
ment atintelez^, cuidant que le roy deust ilec prendre
son plaisir de se baigner, ce qu'il ne fist point, pour
aucunes causes qui en raison le murent, c'est assavoir
tant pour ce qu'il estoit enrumé que aussi pour ce que
le temps estoit dangereux ^
En ce temps s'esmeut grande guerre entre les Lie-
gois et mons. de Bourgongne et leur evesque, cousin
de mondit seigneur de Bourgongne et frère de mons.
le duc de Bourbon^. Lequel evesque lesdiz Liegois
alerent assiéger dedans une ville nommée Huye ; et,
après que iceulx Liegois orent bien longuement esté
devant icelle, ilz la prindrent et gaignerent, et en ce
faisant eschapa leurdit evesque estant en icelle. Et,
durant ce que dit est, le roy ordonna aler au secours
et aide desdiz Liegois iiif lances de son ordonnance,
dont avoient la charge le conte de Dampmartin, Sale-
zart, Robert de Conynghan et Stevenot de Vignoles*,
avecques six mil frans archers prins et esleuz en Cham-
paigne, Soissonnois et autres lieux en l'Isle de France.
Et, après ce que ledit de Bourgongne ot bien sceu
1. C'est-à-dire décorés.
2. « Oudit an LXVII fut la mortalité d'epedemie en plusieurs
bonnes villes parmy le royaume de France, et morurent grant
nombre de gens es bonnes villes et villages d'environ » (Chro-
nique anonyme citée, ms. fr. 20354, fol. 183).
3. Louis, évèque de Liège, était fils de Charles I", duc de Bour-
bonnais, et d'Agnès de Bourgogne, elle-même fille de Jean Sans-
Peur et sœur de Philippe le Bon. L'évêque et le duc de Bourgogne
Charles étaient par conséquent cousins germains.
4. Estcvenot de Tallauresse, dit de Vignolles, écuyer, seigneur
de Hautmont, conseiller et chambellan du roi et son sénéchal de
Carcassonne et de Béziers (Bibl. nat., ms. fr. 26093, n° 953 et
suiv., ad ann. 1470).
184 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
la gaigne que lesdiz Liegois avoient fait de ladicte ville
de Huye, et qu'ilz y avoient tué plusieurs Bourgui-
gnons, il assembla tout son ost, en soy délibérant
d'aler en armes sur les champs, en intencion de tout
destruire et mettre à feu et à sang lesdiz Liegois. Et
ainsi le fist crier et publier par lous ses pays ; et ceulx
qui faisoient lesdictes publicacions, en icelles publiant,
tenoient en une main une espée toute nue et en l'autre
une torche alumée, qui signifioit guerre de feu et
de sang*.
Oudit temps, ou moys de septembre, le roy bailla
ses lettres à ung légat ^ venu de Romme de par le pape
pour la ronpture de la Pragmatique Sanxion ; lesquelles
1. La ville de Huy « se tenoit et s'estoit toujours tenue pour
l'evesque contre la cité. » Averti du péril que Louis de Bourbon
courait si Huy était pris par les Liégeois, le duc de Bourgogne
envoya Pierre de Hénin, sire de Boussut, et d'autres seigneurs
pour dégager la ville. Mais, un accord s'étant établi entre le menu
peuple et les assaillants, l'évêque épouvanté exigea du sire de
Boussut qu'il l'aidât à s'enfuir à Bruxelles. L'évêque parti, Iluy
ouvrit ses portes aux Liégeois, qui s'y répandirent « comme enra-
gés et visans à tout mettre à mort » (sept. 1467). Le duc Charles
en fit « matte chère » et jura de se venger. Il publia son man-
dement par tous ses pays pour le 8 octobre ( Chastellain , V,
315-337). Louis XI parut disposé un moment à assister les Lié-
geois et chargea d'une mission en ce sens l'évêque de Langres
et le comte de Dammartin (Gn juillet. Bibl. nat,, ms. fr. 5040,
fol. 21, orig.), mais il est fort improbable qu'il ait jamais nourri
sérieusement le projet d'entrer en ligne (Ibid., fol. 19, et Lenglet,
II, p. 621). Dans une lettre que les Liégeois lui adressèrent le
19 août, ilsse plaignent de ce que leur évéque « poursuyt et por-
chace la destruction, dommaige, vitupère et désolation de ces cité
et pays » (Ms. fr. 5040, fol. 18, orig.).
2. Ce légat se nommait Etienne Nardino, archevêque de Milan.
Louis XI demanda pour lui le chapeau de cardinal (Lettre au duc
de Milan, en date du Mans, 7 jaiiv. (1468), dans Vaesen, III, 193),
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 185
lettres furent leues et publiées ou Chastellet de Paris
sans y faire aucun contredit ou opposition.
Et, le premier jour d'octobre ensuivant, maistre
Jehan Balue fut et ala en la sale du Palais royal à
Paris, la court de Parlement vacant, pour ilec aussi
faire publier lesdictes lettres, où il trouva maistre
Jehan de Saint-Rommain, procureur gênerai du roy
nostre sire^ qui formellement s'opposa à l'effect et
exécution desdictes lettres, dont ledit Balue fut fort
desplaisant, et pour ceste cause fîst audit de Saint-
Rommain plusieurs menaces, en lui disant que le roy
n'en seroit point content et qu'il le desappoincteroit
de son office. De quoy ledit de Saint-Rommain ne tint
pas grant compte, mais lui dist et respondi que le roy
lui avoit donné et baillé ledit office, laquelle il ten-
droit et exerceroit jusques au bon plaisir du roy, et
que, quant son plaisir seroit de la lui oster, que faire
le pourroit, mais qu'il estoit du tout délibéré et bien
résolu de tout perdre avant que de faire chose qui feust
contre son ame, ne dommage au royaume de France
ne à la chose publique ; et dist audit Balue qu'il devoit
mais il changea d'avis relativement à ses mérites, car, le 13 mai
suivant, il écrit derechef au duc de Milan que le légat « s'est mon-
tré parcial » en faveur des ennemis du royaume (Ibid., 215).
1. Jean de Saint-Romain, licencié es lois, conseiller et procu-
reur général du roi en sa cour de Parlement, prêta serment en
cette qualité le 11 septembre 1461 (Vaesen, Lettres de Louis XI, II,
121. Cf. Bibl. nat., Pièces orig , vol. 2776, doss. Saint'Romain,
et ms. fr. 20692, n* 914, parch.). Saint-Romain tomba en défaveur
et, au mépris des droits que lui donnaient ses longs services, fut
remplacé dans son office de procureur du roi par Michel de Pons
(Arch. nat., Xi» 1489, fol. 308 v», à la date du 3 août 1481). Il
avait épousé Thierrye Bureau (Vitu, ta Chronique de Louis XI, etc.,
p. 54).
186 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
avoir grant honte de poursuivre ladicte expedicion.
En après, le recteur de l'Université de Paris et les
suppos d'icelle alerent pardevers ledit légat, qui de lui
appellerent, et de l'effet desdictes lettres au saint
concile et partout ailleurs où ilz verroient estre à
faire; et puis vindrent oudit Ghastellet, où pareille-
ment autant en firent et dirent, et firent ilec enregis-
trer leur opposition.
Oudit temps, le roy envoya pardevers ledit de
Gharrolois lesdits légat et evesque d'Evreux, qui
nouvellement avoit esté cardinal à Romme^ maistre
Jehan de la Driesche, trésorier de France, et autres,
pour faire de par lui aucunes choses dont il leur avoit
donné charge.
Et, le jeudi viif jour d'octobre, oudit an mil
IIII<= LXVII, ung nommé Sevestre Le Moyne, natif de
la ville d'Aucerre, pour aucuns cas et delitz par lui
commis et imposez, et qui par aucun temps avoit esté
constitué et tenu prisonnier es prisons de Thiron, fut
ledit jour tiré hors desdictes prisons et fut mené noyer
en la rivière de Seine, près de la Granche aux Mer-
ciers, par la sentence et jugement de messire Tristan
L'Ermite, prevost des mareschaulx de l'ostel du Roy 2.
Et, le dimenche xi® jour dudit moys d'octobre, fut
ung grant et merveilleux escler et tonnoirre, environ
1. 18 sept. 1467.
2. Tristan l'Ermite, chevalier, seigneur de Beauvois, de Mon-
dion, etc., prévôt des maréchaux de France peu après 1436, est
qualiUé par l'Anglais Robert Nevil « le plus diligent et le plus vif
esprit et le plus tin du royaulme... C'est le chastie fol du roy »
(Lettre du 17 nov. (1464), imprimée aux Preuves de Commynes,
éd. Dupont, III, 215. Cf. Vaeseu, Leltres de Louis XL III, 86).
1467J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 187
huit heures du soir. Et par avant et depuis, durant
ledit moys, furent faictes grandes et merveilleuses
chaleurs et les plus extrêmes que homme eust veu en
sa vie, qui sembloit chose moult estrange et desna-
turée.
Et, le lundi xn® jour dudit mois d'octobre, oudit
an LVII, le roy party de son hostel des Tournelles à
Paris pour aler en l'église Nostre-Dame, où il oyt les
vespres. Et, après icelles dictes, fut faicte procession
par l'evesque et chanoines dudit lieu, et puis s'en ala
reposer en l'ostel de son premier président, maistre
Jehan Dauvet, oii il y fut certaine espace de temps,
et puis s'en party pour s'en retourner en sondit hostel
des Tournelles. Et, à l'eure de son partement, qui
estoit heure de noire nuit, il vit et apparceut ou ciel
une estoile tout au dessus de l'ostel dudit président,
laquelle, incontinent que le roy commença à marcher
pour s'en retourner, ladicte estoile le suivoit et fut
tousjours après lui, jusques à ce qu'il fut entré en
sondit hostel. Et, incontinent qu'il y fut entré, elle se
disparu et depuis ne fut veue.
Et, le jeudi ensuivant, xv® jour dudit moys, vint
nouvelles au roy que certain grant nombre de Bretons
estoient venus eulx bouter dedens le chastel et en la
ville de Caen, et puis s'en alerent d'ilec à Bayeux^ et
1. Cf. Vaesen, ouvr. cité, III, 178. Les Bretons attaquèrent
Louis XI de trois côtés à la fois : au sud, en Poitou, où ils péné-
trèrent jusqu'à Saint-Gilles, en saccageant le pays; à l'ouest, où,
le 11 octobre, la trahison leur ouvrit les portes d'Alençon; en
Basse-Normandie, où ils surprirent Caen et Bayeux et occupèrent
toutes les places du pays, à l'exception de Saint-Lô. C'est le 15 oc-
tobre, à Paris, que le roi apprit la brusque agression du duc de Bre-
tagne. Il prit aussitôt les mesures que comportait la situation et se
188 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
tindrent lesdictes villes contre le roy, dont de ce il fut
courroucié, et en renvoya pour ceste cause le mares-
chal de Loheac, qui lors estoit avecques le roy et qui
avoit cent lances de Bretaigne soubz sa charge, es dictes
villes de par le roy pour y pourveoir et mettre provi-
sion. Et ausquels Bretons... le duc d'Alençon, qui,
comme crimineux de crime de leze majesté, du temps
du roy Charles derrenier tresp'assé avoit esté constitué
prisonnier, pour aucuns crimes qu'il avoit machinez
contre lui et à la faveur des Anglois, anciens ennemis
du royaume, en la ville de Vendosme, le lit de justice
ilec séant; auquel lieu, après ses confessions prinses
et procès fait, fut condempné à mourir, sauf sur ce le
bon plaisir du roy^. Et lequel d'Alençon, depuis le
temps de lors jusques au trespas dudit feu roy Charles,
fut tenu prisonnier ou chasteau de Loches ; et, après
icellui trespas que le roy vint à sa couronne, le bouta
hors desdictes prisons et lui pardonna tout, en vou-
lant que dudit procès ne feust jamais nouvelles. Et
puis advint que ung boiteux^, qui avoit accusé ledit
dirigea de sa personne sur le Mans (Dupuy, Hist. de la réunion de
la Bretagne à la France. Paris, 1881, in-8% t. I, p. 191).
1. Il manque un ou plusieurs mots à cette phrase incorrecte et
tronquée, mais dont le sens n'est pas douteux. — C'est le 31 mai
1456 que Jean, duc d'Alençon, fut arrêté à Paris, sous l'accusa-
tion d'avoir appelé les Anglais en France. Le lit de justice fixé
au le^'juin 1458, et qui devait se tenir à Montargis, fut tenu à
Vendôme dès le 26 août de la même année. Charles VII y siégea
entouré de ses pairs laïques et ecclésiasti(iues. Condamné à mort,
Alençon vit sa peine différée en considération de ses services pas-
sés et en fait commuée en un emprisonnement qui cessa pou après
l'avènement de Louis XI (11 oct. 1461. Voy. de Beaucourt, Uist.
de Charles Vil, VI, passim).
2. Pierre Fortin, surnommé le Tors-Filcux, parce qu'il boitait.
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 189
d'Alençon audit defunct roy, craignoit fort que ledit
d'Alençon ne lui feist quelque grant desplaisir, se tira
par devers le roy en lui suppliant qu'il lui feist avoir
asseurance dudit d'Alençon, laquelle chose il fîst, et
ordonna et commanda le roy de sa bouche audit duc
d'Alençon que, sur sa vie, il ne lui meffist ne feist
meffaire, en lui disant qu'il le mettoit en sa main,
protection et sauvegarde, ensemble sa famille et biens.
Laquelle chose ledit d'Alençon lui promist et enconve-
nança. Mais, tantost après, ledit d'Alençon, en alant
contre sondit serement, fist prendre ledit boiteux et
amener devant lui, et, nonobstant les défenses ainsi à
lui faictes de par le roy, fist incontinent icellui boiteux
murdrir et mettre à mort. Pour laquelle mort la femme
dudit boiteux se tira devers le roy lui faire savoir ces
choses et pour estre son injure reparée. Dont et de
quoy le roy depuis empescha les villes et terres dudit
d'Alençon; mais, bientost après, tout lui fut délivré et
par lui tout pardonné comme devant. Et puis après,
le duc d'Alençon, pour bien le rémunérer de toutes ses
grâces et biensfaiz, bailla ou offrit bailler toutes ses
villes et pays ausdiz Bretons et à monseigneur Charles,
contre la voulenté du roy et à sa grant desplaisance^.
En ce temps aussi, messire Anthoine de Chasteau-
neuf, chevalier, seigneur du Lau, grant bouteiller de
France et seneschal de Guienne, qui estoit grant cham-
bellan du roy et de lui plus aymé que onques n'avoit
esté autre, et à qui le roy fist de moult grans biens
tant qu'il fut autour de lui et en son service, car en
1. C'est le 11 octobre 1467 que le duc ouvrit aux Bretons sa
ville d'Alfincon.
190 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
moins de cinq ans il amenda des biens du roy de trois
à mi<= mil escuz d'or, qui avoit esté fait prisonnier du
roy et mis ou chasteau de Sully sur Loire*, de l'ordon-
nance du roy fut envoie audit lieu oudit mois d'octobre
messire Tristan l'Ermite, prevost des mareschaulx de
l'ostel du roy, et maistre Guillaume Cerisay, nouvel-
lement greffier civil de Parlement^, pour ilec tirer
hors ledit seigneur du Lau et le mener prisonnier au
chasteau d'Usson en Auvergne. Mais, lorsqu'il fut
amené au dehors dudit lieu, il fut grant bruit que ledit
seigneur du Lau avoit esté noyé, et fut ce que dit est
longuement depuis continué^.
Et, le mardi xx® jour dudit moys d'octobre, le roy
se parti de sa bonne ville de Paris pour aler au pays
de Normendie, et ala ce jour au giste à Villepereux^,
et le lendemain à Mante. Et, avant son parlement,
1. Auj. dép. du Loiret, arr. de Gien, sur la Loire. On trouvera
dans Y\o[\et-le-T)\ic (Dictionnaire d'architecture, t. III, p. 162-165)
la description, accompagnée d'un plan et d'une vue cavalière, de
ce château fort, qui est un des types achevés de la construction
militaire du xi\' siècle. La baronnie de Sully appartenait alors à
Louis de la Trémoille.
2. Sur Guillaume de Cerisay, écuyer, baron du Hommet, sei-
gneur de Cerisay, etc., en Normandie, prolonotaire et secrétaire
du roi, voy. la notice de M. Vaesen, Lettres de Louis XI, IV, 222.
Louis XI avait été peu satisfait de la manière dont le chancelier
avait mené l'interrogatoire de Du Lau [Ihid., III, 84), et il prit le
parti de remettre le prisonnier en des mains plus fermes.
3. Il est exact que le bruit en courut. Vers la mi-carême 1468,
frère Guillaume Romain rencontra dans une des rues de Tours
Poncet de Rivière, qui lui annonça que Du Lau avait fait sa paix
avec le roi. Fri-re Guillaume en fut tout surpris, car il croyait
bien que du Lau était mort (Ms. fr. 2921 cité, fol. 37).
4. Auj. dép. de Seine-et-Oise, cant. de Marly-le-Roi.
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 191
en envoya plusieurs cappitaines, qu'il avoit avecques
lui, quérir toutes les gens de guerre qui estoient soubz
leurs charges, pour venir après lui oudit pais de Nor-
mendie ou autre part, quelque lieu qu'il feust. Et, le
jour de sondit partement, il fist et ordonna certaines
lettres et ordonnances, par lesquelles il voult et ordonna
que de là en avant son plaisir estoit que tous les offi-
ciers de son royaume demourassent paisibles en leurs
offices, et que nulle office ne feust dicte vacant, sinon
par mort, resignacion ou confiscacion. Et, s'il donnoit
nulles autres lettres au contraire par importunité
de requerans ou autrement, vouloit qu'il n'y feust
aucunement obtempéré, et que, de là en avant, toute
justice feust faicte et ordonnée à ung chacun. Et puis
s'en party dudit lieu de Mante et s'en ala à Vernon
sur Seine ^ , où il demoura ilec depuis par certain temps,
durant lequel vint et arriva devers lui monseigneur le
connestable, lequel trouva moien que le roy bailla et
donna trefve entre lui et monseigneur de Charrolois
jusques à six moys lors après ensuivans, sans en ce
y comprendre les villes et pays de Liège, qui desjà
estoient mis sus et en armes à l'encontre dudit sei-
gneur de Charrolois, en espérance d'avoir l'aide et
secours du roy, ainsi que promis leur avoit esté : et à
ceste cause demourerent du touthabandonnez. Et puis,
après ce que dit est ainsi fait, ledit monseigneur le
connestable s'en retourna pardevers mondit seigneur
de Bourgongne lui porter les nouvelles desdictes
trêves^.
1. Sa présence y est signalée le 26 octobre (Vaesen, Lettres de
Louis XI, m, 179 et suiv.).
2. Ce fut en réalité Charles, duc de Bourgogne (et non plus
192 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
Et, ce faict, maistre Jehan Balue, cardinal d'Evreux,
maistre Jehan de la Driesche et maistre Jehan Prévost
retournèrent devers le roy audit lieu de Vernon, qui
estoient alez en Flandres de l'ordonnance du roy par-
devers ledit de Bourgongne^. Et, tantost après ledit
retour fait, le roy se parti dudit lieu de Vernon et s'en
ala à Chartres-, où il fist ilec venir et arriver la plus
grant partie de son artillerie, qui lors estoient à Orléans,
pour envoier à Alençon et autres villes du pays, pour
les avoir et mettre en ses mains. Et, après, le roy
envoia ledit maistre Jehan Prévost audit lieu de
Flandres, par devers ledit de Bourgongne, pour lui
porter et bailler les lettres desdictes trêves.
comte de Charolais), qui accorda au roi une trêve de six mois
(Ifi"" nov. UôT-ler mai 1468. "Voy. D. Plancher, Hist. de Bourgogne,
t. IV, pr. ccLYi). Le connétable, envoyé par Louis XI à Bruxelles,
avait signifié « roidement » au duc qu'il eût à laisser en repos les
Liégeois. Il témoigna aussi à Charles le Hardi le mécontentement
que sa récente alliance avec le roi d'Angleterre avait causé en
France. Le Bourguignon le prit de très haut, déclara qu'il était
résolu de savoir cette fois si, à Liège, « il seroit maître ou valet, »
et accusa nettement Louis XI de l'avoir, par ses « menaces et
legieres paroles, » fait devenir Anglais malgré lui. Tous les efiforts
du comte de Saint-Pol pour obtenir une trêve d'une année
échouèrent devant l'obstination du duc. Il ne fut pas plus heureux
à Louvain quand le roi le renvoya une seconde fois auprès de
Charles. Menacé d'une intervention française en faveur des Lié-
geois, le duc, qui se sentait appuyé par les Anglais, alla jusqu'à
menacer le connétable de sa colère, si bien que Saint-Pol « ébahi »
finit par prendre l'engagement que, pendant les douze jours sui-
vants, le roi demeurerait neutre. Lui-même employa ce délai à
obtenir de Louis XI qu'il acceptât une trêve de six mois en aban-
donnant Liège à son malheureux sort (Chastellain, V, 338-348).
1. Balue arriva à Bruxelles pendant l'automne de l'année 1467,
à l'époque du premier voyage qu'y lit le connétable (Ibid,, 349).
2. 30 octobre (Itin. cité).
1467J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 193
Et, après, vint et arriva à Paris, le vi® jour du mois
de novembre, ledit mons. le cardinal, ledit trésorier
de la Driesche, maistre Jehan Berart et maistre Geof-
froy Alnequin pour faire faire les monstres des ban-
nières de Paris pardevant eulx et pour faire autres
charges qui leur estoient données de par le roy. Et,
après, s'en parti dudit lieu de Chartres pour aler à
Orléans, Glery et autres villes près d'ilec et puis à Ven-
dosme, et de là jusques au Mont Saint-Michel', et
avecques lui fist mener grande quantité de sadicte
artillerie, et si aloient avecques lui grant nombre de
ses gens de guerre.
En ces entrefaictes, les Bretons yssirent tous en
armes hors de leur pays, et vindrent en Normendie
jusques à la cité d'Avrenches et autres villes dudit pays.
Et, après, iceulx Bretons s'espandirent par ledit pays
de Normendie, comme jusques à Caen, à Baieux, Cons-
tances et autres lieux-.
Oudit temps, ledit seigneur de Bourgongne, au
moien desdictes trêves à lui baillées par le roy, esquelles
n'estoient aucunement comprins lesdiz Liegois, entra
oudit pays du Liège avecques toute son armée, en
persécutant lesdiz Liegois. Tous lesquelz, pour ce que
le roy leur failli de secours et qu'ilz veoient clerement
leur destruction advenue, se rendirent audit de Char-
rolois, ensemble toutes leurs villes, avecques lequel ilz
prindrent composition, et, pour ce faire et avoir, lui
donnèrent et baillèrent grant somme d'or, et si orent
1. L'Itinéraire indique Orléans (16 nov.), puis le Mans, du 19 no-
vembre à la fin de janvier, mais il est fort possible que Louis XI
ait fait pendant ce temps un pèlerinage au Mont-Saint-Michel.
2. Voy. ci-dessus, p. 187.
194 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
une partie de leurs portes et murailles abatues^.
En après, ledit cardinal Balue et commissaires devant
nommez procédèrent à faire les monstres des ban-
nières desdiz mestiers pardevant iceuÎ!t commissaires
en plusieurs et divers lieux de ladicte ville, tant dessus
les murs d'icelle d'entre les portes du Temple et Saint-
Martin, en la cousture du Temple, sur les murs d'entre
la tour de Bois et la porte Saint-Honoré, devant le
Louvre, au Marché aux Brebis, et sur les murs jusques
à ladicte porte Saint-Honoré^.
Et, le samedi ensuivant, xxi'' jour dudit mois de
novembre, le roy fist crier par les carrefours de Paris
que toutes gens qui avoient acoustumé de suivre la
guerre, et qui avoient esté cassez de gaiges, se tirassent
pardevers certains commissaires qu'il avoit ordonnez
pour les recevoir et mettre à ses gaiges et souldées
pour le servir en ses guerres^.
1. Le 28 octobre 1467, le duc battit les Liégeois, qui étaient
venus l'attaquer devant Saint-Trond, qu'il assiégeait. Saint-Trond
se rendit le le"" novembre, et Tongres le 6. Charles le Hardi
arriva devant Liège le M novembre, et, dès le lendemain, malgré
les efforts de l'envoyé de Louis XI, François Royer, bailli de
Lyon, la ville se rendit à discrétion (Gommynes, éd. Dupont, I,
126 et suiv.). Le 17, le duc fit son entrée « en grant triumphe, et
luy fut abbatu vingt brasses de mur et uny le fossé au long de la
grant bresche. » Cinq ou six des plus compromis furent mis à
mort, et une lourde contribution fut levée sur la cité, dont les
tours et les murailles furent rasées (Ibid., 1, 140 et suiv. Cf. Miche-
let, ouvr. cité, p. 238 et suiv.).
2. La cousture ou culture du Temple était comprise entre la
tour du Temple et l'enceinte de Paris. La tour de Bois terminait
cotte enceinte à l'ouest, sur la rive droite de la Seine. Quant à la
porte Saint-Honoré, elle était située dans la rue du même nom, à
la hauteur du Louvre.
3. Ghastellain, parlant des préparatifs faits de part et d'autre en
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 195
Et, le lundi ensuivant, xxiii^ jour de novembre,
maistre Jehan Prévost retourna de devers ledit sei-
gneur de Gharrolois, où le roy l'avoit envoie porter
les lettres des trefves qu'il avoit faictes avec lui et pour
rapporter au roy la response que ledit seigneur de
Gharrolois avoit faicte audit Prévost touchant le fait
desdictes trêves^.
Et, le jeudi ensuivant, xxvi^ jour dudit moys de
novembre, partie desdictes monstres furent faictes
dehors Paris, devant l'église et abbaye de Saint-Ger-
main des Prez, jusques sur la rivière de Seine. Esquelles
monstres y avoit grant nombre de gens à pié et à
cheval, tous bien en point et armez, où estoient les tré-
soriers de France, les conseillers et clers des Gomptes,
les generaulx des Monnoyes et des Aides, le Trésor,
les esleuz et toute la court de Parlement, tout ensemble.
Après y estoient tous les praticiens et officiers du Ghas-
tellet de Paris en bien belle et grosse compaignie. Et,
avec les compaignies dessusdictes, estoient aussi tous
ceulx estans soubz l'estandart et guidon de la ville de
Paris , qui estoient moult grant nombre de gens à pié
vue de l'expiration des trêves, dit que le roi « jà de longue main
avoit pratiqué en tous endroits tout l'effort qu'il pouvoit mettre
sus, tant de nobles gens que de communes. Et, en effet, par tous
les lieux de son royaume, là où on soloit lever francs archers, il
y assist de les lever au double nombre plus que par avant. Sy on
trouva un bien grant nombre, bien jusques à cinquante mille, bien
embastonnés et bien en point, avecques ses deux mille lances ordi-
naires, sans les autres qu'il pouvoit avoir par mandement de ban »
(V, 386).
1, Colard de Moy et Jean Le Prévost, « qui venoient pour faire
semblables requestes et commendemens que avoit faict le connes-
table peu de jours auparavant, » assistèrent impuissants à la prise
de Liège (Gommynes, éd. Dupont, I, 134).
I 15
196 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
et à cheval. Et si y vindrent pour l'evesque, Univer-
sité, abbez, prieurs et autres gens d'église de ladicte
ville, certaine quantité de gens en armes. Et, en icelles
monstres, y avoit grant nombre de gens bien armez ^.
Et, après lesdictes monstres ainsi faictes, ledit car-
dinal et commissaires dessus nommez, maistre Jehan
de la Driesche, trésorier de France, maistre Pierre
rOrfevre, seigneur d'Ermenonville, et autres officiers
du roy, partirent de la ville de Paris pour aler devers
le roy, qui estoit lors entre le Mans et Alençon, atout
moult grant armée, car il avoit qui le suivoit plus de
G'" chevaulx et plus de xx™ hommes à pié-, pour résis-
ter à l'armée desdiz Bretons. Et fist mener le roy à lui
de son artillerie grant quantité pour mettre le siège à
Alençon. Et, en ces entrefaictes , fut pourparlé de
trefves qui tindrent le roi et sadicte armée longuement
sans riens faire ; et, en ce faisant, mengerent et des-
truisirent tout le plat pays bien à xx ou trente heues
dudit lieu du Mans et d'Alençon^.
Et, durant ce que dit est, ledit seigneur de Gharro-
lois, qui ainsi avoit destruit lesdiz Liegois et leur pays,
s'en retourna devers Saint-Quentin et fist crier par
tous ses pays (jue toutes gens de guerre de sesdiz
pays s'en tirassent devers Saint-Quentin, pour ilec
faire leurs monstres au xv^ jour du mois de décembre,
sur bien grosses peines. Et si fist aussi crier par tout
1. Interpolations et variantes, § LIV.
2. Ces chiffres sont manifestement fort exagérés.
3. Celte masse d'hommes, logée autour du Mans, ravagea la
contrée à vingt lieues à la ronde, si bien que la pénurie des vivres
et des fourrages finit par contraindre, non seulement le roi et son
armée, mais nombre de gens du pays, à se transporter ailleurs
(Basin, II, 185 et suiv.).
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 197
le pays de Bourgongne que tous nobles et autres gens
suivans les armes feussent tous prestz à Montsaujon \
pour ilee prendre les gaiges et souldécs dudit seigneur
de Charrolois par les mains de ses commissaires que
pour ce il y avoit ordonnez, et ce dedens le xx^ jour
de décembre lors prouchain ensuivant, et pour partir
dudit Monsaujon et aler audit Saint-Quentin pardevers
lui, pour l'acompaigner et lui aider à secourir son très
cher et amé frère monseigneur Charles de France et le
duc de Bretaigne estant avecques lui, à l'encontre
d'aucuns leurs malvueillans ; et telle substance portoit
ledit cry. Pour occasion duquel cry, les marchans et
facteurs des marchans de Paris, qui estoient alez oudit
pays de Bourgongne pour faire leurs emplettes, s'en
retournèrent à Paris bien hastivement sans riens faire.
Et, derechef, après toutes ces choses, ledit de Char-
rolois fist mander à lui venir toutes ses gens de
guerre audit Saint-Quentin, au iiif jour de janvier
ensuivant.
Et, le lundi, feste des Sains Innocens, xxviiP jour
de décembre, vint et arriva à Paris monseigneur le
duc de Bourbon de par le roy, pour mettre garnison
en plusieurs villes et garder les Bourguignons d'entrer
es pays du roy. Et vint et arriva avecques lui mon-
seigneur le mareschal de Loheac, qui venoit à Paris,
comme on disoit, pour estre lieutenant de ladicte
ville. Lequel de Loheac s'en party deux jours après
pour aler à Bouen et autres villes de Normandie, pour
y mettre gardes et ordre de par le roy ; et ilec y
demoura par certain temps. Et mondit seigneur de
1. Montsaugeon, auj. dép. de la Haute-Marne, arr. de Langres.
198 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
Bourbon depuis demoura à Paris par certain autre
temps, pendant lequel fut festié de plusieurs notables
gens de ladicte ville.
Endementiers * la ville d'Alençon, qui estoit tenue
par les Bretons, comme dit est devant, fut rendue et
mise es mains du roy par le conte du Perche, filz du
duc d'Alençon, qui tenoit le chasteau dudit Alençon,
et lesdiz Bretons tenoient la' ville. Mais, durant ce, le
roy ne parti point de ladicte ville du Mans. Et, durant
qu'il y fut, envoya devers mondit seigneur Charles,
oudit pays de Bretaigne, le légat du pape, dont parlé
est devant^, et Anthoine de Ghabannes, conte de
Dampmartin, le trésorier de la Driesche et autres,
pour cuider trouver aucun bon expédient^. Et enfin
le roy se condescendi que les trois estas se tendroient
et assembleroient ; et, pour ce faire, leur fut lieu assi-
gné en la ville de Tours, pour ilec eulx y trouver au
premier jour d'avril IIIP LXVII. Et s'en revint le roy
dudit pays du Mans et ala aux Montiz lez Tours, à
Amboise et ilec environ^. Et puis fut l'assemblée des-
1. C'est-à-dire ])endani ce temps (Godefroy, Dictionnaire de l'an-
cienne langue française). — Malmené par les Bretons, René,
comte du Perche, entra en négociations avec le roi et s'entendit
secrètement avec les bourgeois d'Alençon, qui se soulevèrent et
chassèrent la garnison bretonne (2 janv. 1468).
2. Interpolations et variantes, § LV.
3. Lenglet donne aux Preuves de Gommynes (III, 1) le texte de
la trêve conclue avec le duc de Bretagne au Mans, 13 janv. 1467,
V. st. Cf. la pièce suivante, qui développe les conditions de cette
trêve, négociée par l'archevêque de Milan, légat du pape (Mon-
tils-!ès-Tours, 20 février 1467, v. st.).
4. Louis XI quitta lo Mans à la fin de janvier 1468 (n. st.) et
arriva aux Montils le 31 du même mois. — La prochaine expira-
tion de la trêve bourguignonne, qui devait prendre lin le l»"" mai,
1467] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 199
diz trois estas tenue audit lieu de Tours, qui pour ceste
cause y estoient alez. Et ilec, le roy présent, fut pour-
parlé et conclud sur la question pour laquelle ilz
estoient assemblez audit lieu de Tours, jusques au
jour de Pasques, qui fut mil IIIP LXVIIP, que chacun
d'eulx ilec venus s'en retournèrent en leurs maisons,
après la conclusion par eulx prinse sur le fait de ladicte
assemblée. Et pour ceste cause y estoient venus le roy
premièrement, le roy de Cécile, monseigneur le duc
de Bourbon, le conte du Perche, le cardinal d'Angers,
le patriarche de Jherusalem et plusieurs autres sei-
gneurs, barons, arcevesques, evesques, abbez et autres
notables personnes et gens de grant façon, ensemble
aussi les ambassadeurs venus audit lieu pour ceste
cause de la pluspart de tout le royaume de France.
Et par tous iceulx assembléement et à grant et meure
deliberacion fut dit et conclud que, au regard de la
question d'entre le roy et mondit seigneur Charles
touchant son appanage, qu'il auroit et recevroit pour
icellui appanage et de ce se tendroit pour bien content
de xn" livres tournois en assiete de terre par an, et
tiltre de conté ou duchié ; et, en oultre, que le roy luy
fourniroit en pension, par chascun an, jusques à
LX™ livres tournois, et tout sans préjudice aux autres
enfans, qui pour le temps à venir pourroient venir à
fit avancer la réunion des états généraux. On trouvera dans les
Lettres de Louis XI (III, 198 et suiv.) le texte de la circulaire
envoyée de parle roi aux bonnes villes. Chacune d'elles dut expé-
dier à Tours, le l^' avril suivant, quatre députés, dont un d'Église,
pour y délibérer sur ce qu'il y avait à faire dans le but de mettre
fin aux troubles et aux divisions qui tendaient « à la foule et
oppression du peuple » (Cf. Chastellain, V, 387),
1. 17 avril 1468.
280 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1467
la couronne, de povoir demander tel et semblable
appanage, pour ce que le roy, pour avoir paix et bonne
amour avecques sondit frère, se eslargissoit à lui bail-
ler si grant somme que de LX"" livres tournois par an.
Et, en tant que touchoit la duchié et pays de Normen-
die, monseigneur Charles ne l'auroit point, disans
qu'il n'estoit pas au roy de la bailler ne desmembrer
de sa couronne. Et que au, regard du duc de Bre-
taigne, qui detenoit mondit seigneur Charles et qui
avoit prinses les villes du roy en Normandie, lequel
on disoit avoir intelligence avecques les Anglois,
anciens ennemis de la couronne de France, fut dit et
délibéré par lesdiz trois estaz qu'il seroit sommé de
rendre au roy lesdictes villes, et que où il en feroit
refus et que le roy seroit deuement adverti de ladicte
aliance aux Anglois, que incontinent le roy recouvrast
sesdictes villes à main armée et de lui courir sus ; et
que, pour ce faire, lesdiz trois estas promisdrent de
secourir et aider au roy, c'est assavoir les gens d'église
de prières et oroisons et biens de leur temporel,
et les nobles et populaire de corps et de biens, et
jusques à la mort inclusivement. Et que, en tant que
touchoit la justice de tout le royaume, le roy avoit
singulier désir de la faire courir par tout sondit
royaume, et fut content que on esleust nobles per-
sonnes de tous estas pour y mettre remède et bon
ordre. Et oultre, furent d'opinion lesdiz des trois estas
que à ce faire ledit seigneur de Charrolois se devoit
fort emploicr, tant à cause de la proximité de lignage
qu'il a au roy comme aussi de per de France^.
1. Lcnglct donne aux Preuves de Cominynes (III, 5) un extrait
1468] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 201
Et, après ladicte deliberacion , le roy se party de
Tours et s'en ala à Amboise^ Et puis après envoya son
ambaxade par devers l'assemblée estant à Cambray,
afin de savoir leur vouloir et response sur la delibe-
racion prinse par lesdiz trois estas ainsi assemblez
comme dit est^.
Après ces choses, le jeudi, v® jour de may mil
GCGG LXVIII, dame Ambroise de Loré, en son vivant
femme de messire Robert d'Estouteville , chevalier,
prevost de Paris, ala de vie à trespas ce jour, environ
une heure après myenuit, et fut fort plainte, pour ce
qu'elle estoit noble dame, bonne et honneste, et en
l'ostel de laquelle toutes nobles et honnestes personnes
estoient honorablement receuz^.
Et, ce mesme jour, environ entre ix et x heures de
nuit, se bouta le feu en l'un des moulins aux Mus-
niers, de Paris, qui appartenoit au prieur de Saint-
Ladre, et fut tout le comble d'icellui bruslé par ung
du procès-verbal signé par Jean Le Prévost, notaire et secrétaire
du roi, commis à tenir le greffe de l'assemblée. Ghastellain nomme
encore, parmi les princes présents à Tours, le comte du Maine,
le prince de Navarre et le comte d'Angoulême.
1. Réunis le 6 avril, les états siégèrent huit jours. Le roi arriva
à Amboise vers le 24 du même mois et y séjourna jusqu'à la
mi-juin.
2. Interpolations et variantes, § LVI. — La conférence de Cam-
brai s'assembla le 8 avril, mais se sépara sans rien conclure (Len-
glet, III, 6). — L' « abstinence de guerre » entre le roi et le duc
de Bourgogne fut prorogée d'abord d'un mois jusqu'au l^"" juin,
puis jusqu'au 15 juillet. Le pouvoir donné par Louis XI au comte
de Saint-Pol pour le représenter à Cambrai est daté d'Amboise,
27 avril 1468 (Ibid., p. 7).
3: Voy. ci-dessus, p. 12.
202 - JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1468
paillart varlet musnier, qui avoit ataché une chandelle
contre le mur de son lit, qui chey dedens icellui lit et
y brusla tout, réservé ledit paillart, qui se saulva et
enfouy comme ung renart^ .
Le xv^ jour d'icellui mois de may, furent faictes
joustes à Paris devant l'ostel du roy, aux Tournelles,
par quatre gentilzhommes de guerre de la compaignie
du grant seneschal de Normjendie, qui avoient ordonné
les lisses et préparé le champ, en faisant assavoir à tous
qu'ilz se trouveroient ilec audit xv^ jour de may, pour
attendre tous venans, rompans chascun trois lances à
rencontre d'eulx. Auquel jour y vindrent et compa-
rurent cinq enfans de Paris, desquelz et tout le pre-
mier y vint et arriva Jehan Raguier, grenetier de Sois-
sons et trésorier des guerres ou duchié de Normendie,
filz de maistre Anthoine Raguier, conseiller et tréso-
rier des guerres du roy-. Lequel Jehan Raguier vint et
arriva à bien grant haste de la ville de Rouen, où il
estoit, pour estre et comparoir es dictes joustes. Et
1. C'est-à-dire comme un renard enfumé dans sa tanière. —
L'église Saint-Ladre était située en dehors de la porte Saint-Denis,
et il y avait des moulins entre cette église et la porte Montmartre
(pian dit de la Tapisserie).
2. Jean Raguier, écuyer, seigneur de la Mothe et de l'Hay, con-
seiller du roi, trésorier des guerres en Normandie, fut investi
aussi, de 1468 à 1480, de l'office de receveur général des finances
de Normandie, où il succéda à Noël Le Barge. Maître des comptes
sous Charles YIII (li85|, il était mort au commencement de 1504.
Il avait épousé Marie Beauvarlet, était neveu de Louis Raguier,
évoque de Troycs, et frère de Louis, évêque de Lisieux. Son aïeul,
Hémon Raguier, avait été trésorier des guerres sous Charles VI
et Charles VU (Bibl. nat.. Pièces orig., vol. 2425, doss. Raguier.
Cf. Vaesen, Lettres de Louis XI, IV, 244, et ms. fr. 25715, fol. 262,
et Villon, éd. Longnon, p. 339).
1468] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 203
arriva le soir de devant à Saint-Ladre lez Paris, acom-
paigné de plusieurs nobles hommes de la charge et
compaignie de messire Joachin Rouault, mareschal de
France, et autres gens, jusques au nombre de xx che-
vaulx. Auquel lieu de Saint-Ladre ilz se tinrent secrè-
tement et sans faire bruit jusques au lendemain, qu'ilz
y menèrent et compaignerent ledit Raguier, bien et
honorablement garny de trompetes et clarons qui
faisoient de grans mélodies, jusques au lieu desdictes
lices. Et lequel Raguier, acompaigné comme dit est,
avoit autour de lui quatre piétons vestus de livrée et
tousjours estans près de lui et du coursier sur quoy il
estoit monté, lesquelz estoient prestz de le servir et
recueillir son bois ^ . Et estoient tous ceulx de sadicte
compaignie habillez de hoquetons brodez à grans
lettres d'or, et^ son courcier couvert de drap de damas
ouvré de broderie aussi à grans lettres d'or. Et oudit
champ et dedens les hces se pourmena plusieurs tours,
attendant lesdiz quatre champions ou l'un d'eulx,
contre lesquelz il se porta vaillamment, car il rompy
cinq lances bien et nettement, et plus eust fait s'il eust
pieu aux commissaires ordonnez pour lesdictes joustes.
Et, après lesdictes lances ainsi rompues, s'en parti
moulthonnorablement, en soy pourmenant par lesdictes
lices et prenant congié des juges desdictes joustes et
merciant les dames, damoiselles et bourgoises qui ilec
estoient venus, desquelz il acquist moult grant los.
Et, après lui y vint et comparut ung esleu de Paris
1. C'est-à-dire prêt à ramasser sa lance s'il la brisait ou si elle
échappait de sa main pendant la joute.
2. Toute la fin de cette phrase fait défaut dans les éditions impri-
mées de la Chronique.
204 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1468
nommé Marc SenameS et deux des filz messire Jehan
Sanguin^, qui aussi vindrent en ladicte jouxte hono-
rablement et y firent tout le mieulx qu'ilz porent,
mais ilz n'en emportèrent gueres de bruit. Et, en
après, y vint aussi et arriva Charles de Louviers^,
eschançon du roy, qui moult bien et vaillamment s'y
porta, en portant honnestement son bois et sans aide,
et rompy nettement plusieurs lances, et tellement se
porta la journée que en la fin le pris lui fut donné. Et
demourerent lesdiz quatre gentilzhommes de dedens
moult soûlez^, desquelz les deux portèrent les bras en
l'escharpe et le tiers ot la main blecée dessoubz le
gantellet. Et par ainsi l'onneur fut et demoura ausdiz
enfans de Paris.
Et, le dimenche précèdent, qui fut le viii® jour dudit
moys de may, se firent aussi à Bruges en Flandres
autres joustes devant monseigneur le duc de Bour-
gongne, qui furent aussi moult triumpheuses, esquelles
1. Au ms. fr. 5062, fol. 64, le nom de Senamy a été corrigé
anciennement en Senamc, mais la première forme a été conser-
vée plus loin. On écrivait aussi Cename. Nous ne connaissons
pas autrement ce personnage, qui appartenait à une famille de
marchands d'origine lombarde, que des liens de parenté ratta-
chaient au financier Jean Arnoulfin (Bibl. nat., ms. fr. 20428,
fol. 81).
2. Jean Sanguin, chevalier, avait épousé Yonne de Feure. Son
fils Antoine, seigneur de Meudon, panetier du roi, avait alors
environ vingt-six ans. Un autre des fils de Jean Sanguin portait
le nom de Louis (Bibl. nat., ms. fr. 2921 cité, fol. 55).
3. Charles de Louviers, seigneur de Ghâtcl et de Nangis, était
fils do Nicolas, conseiller aux Comptes, qui mourut en 1483, et de
Michelle Brice (Longnon, Villon, Index, p. 321. Cf. Arch. nat.,
LL 437, et Bibl. nat., ms. fr. 21448, copie).
4. C'est-à-dire frappés, meurtris (Godefroy, Dictionnaire de fan-
cienne lanijue française).
1468] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 205
aussi ung enfant de Paris, nommé Jerosme de Gam-
bray, serviteur dudit mons. le duc, jouxta, et ilec se
porta si vaillamment qu'il en emporta l'onneur de
ladicte jouste '• .
Après lesdictes joustes, le roy, qui estoit à Amboise,
s'en party pour venir à Paris, et en amena avecques
lui mons. de Bourbon, monseigneur de Lyon^ et de
Beaujeu et autres seigneurs, et se tint par aucun temps
à Laigny, à Meaulx et autres villes ilec environ^. Et,
avant son partement dudit Amboise, advint que, le jour
veille d'Ascension Nostre Seigneur*, la terre trembla à
1. Jérôme de Cambrai, écuyer, échanson ordinaire du roi, reçut
de Louis XI, par lettres datées du Piessis, 8 décembre 1473,
800 1. p. de pension à prendre sur les émoluments des greffes
civil et criminel et auditoires du Châtelet de Paris (Sauvai, A7iti-
quitês de Paris, UI, 409). Peut-être était-il l'un des seize enfants
du président au Parlement Adam de Cambrai. Jérôme de Cam-
brai est cité par Olivier de la Marche comme ayant pris part
aussi à des joutes célébrées à Bruges au commencement du mois
de juillet 1468 (III, 192).
2. Charles, fils du duc de Bourbon Charles 1" et frère du duc
Jean II, naquit à Moulins vers 1434, fut élu archevêque de Lyon
à l'âge de dix ans, mais ne fut consacré qu'en 1466. Prieur com-
mendataire de Souvigny (1457), légat à Avignon (1465), ce prélat
guerrier et diplomate, grand protecteur des arts et des lettres, sut,
malgré la part qu'il prit au Bien-Public, gagner la faveur de
Louis XI et la conserver longtemps. Ses mœurs peu austères ne
l'empêchèrent pas d'être nommé cardinal au litre de Saint-Sil-
vestre et de Saint-Martin-des-Monts (18 déc. 1476). Il mourut à
Lyon le 13 septembre 1488. Sur ce personnage, fréquemment
mentionné dans la Chronique Scandaleuse, on trouvera des notices
biographiques dans la Revue du Lyonnais (nouv. série), t. X et XI,
et dans La Mure, Hisl. des ducs de Bourbon, II, 376 et suiv.
3. Louis XI fut à Lagny-sur-Marne le 18 juin et les jours sui-
vants (Itin. cité).
4. Mercredi 25 mai 1468.
206 JOURN.U. DE JEAN DE ROYE [1468
Tours, audit lieu d'Amboise et autres lieux en Touraine.
Et, quant le roy se partit de Laigny, où il s'estoit
tenu par aucunes journées, pour aler à Meaulx, il
envoya à Paris son mandement, pour faire publier par
les carrefours d'icelle ville que tous nobles et gens
suivans la guerre feussent tous prestz et en armes le
viii^ juillet, pour aler et eulx trouver où il leur seroit
ordonné de par le roy, et sur peine de confiscacion
de corps et de biens ^.
Et puis, ces choses ainsi faictes, le roy s'en ala à
Meaulx. Et, durant ce qu'il y fut^, y ot ung homme
natif de Bourbonnois, qui, pour aucuns cas par lui
commis et pour avoir révélé les faiz du roy aux anciens
ennemis les Anglois, fut décapité audit lieu de Meaulx
le lundi xxvii® jour de juing, oudit an LXVIII. Et,
auparavant, le roy envoya à Paris le prince de Pymont,
filz du duc de Savoye, pour bouter le feu en Grève ^ ;
et si mist en ladicte ville de Paris les prisonniers à
délivrance qui estoient en Parlement, en Ghastellet et
autres prisons.
1 . La trêve entre la France et la Bourgogne, prorogée par accord
signé à Bruges, le 26 mai précédent, par le comte de Saint-Pol,
au nom du roi, devait prendre fin le 15 juillet (voy. Vaesen,
Lettres de Louis XI, UI, 229, 234). Guyot Pot, seigneur de la
Prugne-au-Pot, chargé par Louis XI de négocier une nouvelle
prorogation de la trêve, réussit à l'obtenir jusqu'à la fin de juillet
[Ibid., 239).
2. Louis XI y séjourna du 24 juin au milieu du mois de juillet
(Itin. cité).
3. Charles, prince de Piémont, iils d'Amédée, duc de Savoie, et
de Yolande de France, naquit le 15 septembre 1456, et on trou-
vera plus loin la mention de sa mort au mois de juin 1471. —
C'était un privilège royal que de mettre le feu au bûcher élevé
sur la place de Grève, à Paris, le jour de la Saint-Jean (24 juin).
1468] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 207
Environ ce temps, y ot ung nommé Charles de
Meleun, homme d'armes de la compaignie de mon-
seigneur l'admirai, lequel de Meleun est oit cappitaine
de llsson en Auvergne, qui avoit la garde de par le
roy du seigneur du Lau sur sa vie audit lieu de Hus-
son, dont il eschappa. De quoy le roy fut fort desplai-
sant et pour ledit cas fist constituer prisonnier ledit
de Meleun au chasteau de Loches, auquel lieu et pour
icellui cas fut décapité. Et, après lui, fut aussi déca-
pité pour icellui cas ung jeune fîlz nommé Remonnet,
qui estoit filz de la femme dudit Charles de Meleun, en
la ville de Tours. Et si fut aussi pour icellui cas déca-
pité en ladicte ville de Meaulx le procureur du roy
audit Heu de Husson^. Et puis le roy s'en ala dudit
lieu de Meaulx à Senlis et à CreiP.
i. Il y a ici une erreur déjà signalée par M. Vaesen (Lettres de
Louis XI, III, 281, n. 4), d'après l'interrogatoire que Tristan l'Ermite
fit subir à René des Nobles, homme d'armes dans la compagnie du
bâtard de Bourbon, auquel le seigneur d'Arcinges, capitaine d'Us-
son, avait confié, en son absence, la garde du seigneur du Lau.
Pour rétablir les faits, il faut donc remplacer dans ce paragraphe
le nom de Charles de Melun par celui de René des Nobles. — Le
Remonnet dont il est aussi question ici est un certain Remonnet
de la Salle, qui avait préparé l'évasion, de concert avec Poncet
de Rivière et la dame d'Arcinges. Mis à la torture, Des Nobles
avoua que Remonnet lui avait promis 1,000 écus pour qu'il s'ab-
sentât d'Usson au jour fixé pour l'évasion. Il est probable que
notre chroniqueur, ayant à parler quelques lignes plus loin de
Charles de Melun, a commis une confusion de noms. — Mau-
point ne nomme pas le lieutenant du capitaine d'Usson, mais dit
qu'il fut décapité à Meaux avec d'autres pendant le séjour du roi
dans cette ville (Journal, p. 106). C'est au mois de mai ou au
mois de juin 1468 que l'évasion de Du Lau prit place.
2. Interpolations et variantes, § LVII. — Louis XI se rendit à
Senlis et à Creil du 16 au 19 juillet 1468 pour s'opposer à une
agression prévue du duc de Bourgogne, qui avait réuni à Péronne
208 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1468
Oudit temps, les Bourguignons ou Bretons estans
en Normandie prindrent le seigneur de Merreville,
séant entre Saint- Sa ulveur de Dyve et Gaen, et lui
firent rendre et mettre en leurs mains sadicte place,
dedens laquelle y avoit plusieurs frans archiers; et,
incontinent qu'ilz furent dedens, tuèrent et murdrirent
tout ce qu'ilz y trouvèrent, et puis pendirent ledit sei-
gneur de Merreville et pillèrent tout ce qu'ilz trou-
vèrent et puis boutèrent le feu en ladicte place ^.
Et après, le roy se desloga de Greil et s'en ala à Com-
piengne, où il fut depuis par aucun temps, et puis
s'en retourna à Senlis^. Et d'ilec s'en vint à Paris
mons. le duc de Bourbon, le jour feste d'Assumpcion
Nostre-Dame^. Et par avant le roy avoit envoyé par
devers le duc de Bourgongne monseigneur de Lion,
monseigneur le connestable et autres seigneurs pour
tousjours se mettre en devoir et trouver partout bon
moien de paix sans figure de guerre. Et, ce non obs-
environ 15,000 hommes et un nombreux charroi. Et, dit Chastel-
lain, « là où le roi autre part pouvoit guerroyer contre son frère
par commission de capitaines tels et tels, ici il vouloit quérir et
prendre son adventure en sa propre personne » (V, 424).
1. Merville, auj. dép. du Calvados, arr. de Gaen. Les assaillants
pouvaient bien être bourguignons, car, à la fin de juin, Pierre de
Miraumont, chevalier, et le bailli de Saint-Omer, Rabodanges,
avaient quitté le port de l'Écluse avec une quarantaine d'hommes
d'armes et 500 archers, faisant voile sur Gaen, pour y prêter main-
forte aux Bretons {Anchiennes Croniques d'Engleterre, par Jean
de Wavrin, publiées par M"o Dupont pour la Société d'histoire
de France, t. III, Appendice, p. 267 et suiv. Cf. Maupoint, Joicr-
nul, p. 106).
2. L'Itinéraire signale la présence de Louis XI à Compiègne
du 20 juillet au 14 août, puis à Senlis et aux environs jusqu'au
25 août.
3. Interpolations et variantes, § LVIII.
1468] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 209
tant, le roy envoya son armée ou pays de Normendie,
dont avoit la charge et condiiicte monseigneur son
admirai, qui bien y besongna, car, en moins d'un
moys, il chassa les Bretons estans dedens Baieux.
Et puis après, le samedi xx® jour d'aoust, oudit an
mil IIIP LXVIII, messire Charles de Meleun, seigneur
de Normanville, qui avoit esté grant maistre d'ostel du
roy^ et lequel nouvellement avoit esté constitué pri-
sonnier ou chasteau de Gaillart^, en la garde du conte
de Dampmartin, cappitaine dudit lieu, fut par le pre-
vost des mareschaulx fait son procès sur les cas à lui
imposez, et ledit jour fut tiré hors de sa prison et
mené au marchié d'Andely, où ilec publiquement
devant tous fut décapité et mis à mort^.
1. Interpolations et variantes, § LIX.
2. C'est la célèbre forteresse construite par Richard Gœur-de-
Lion et dont les ruines imposantes dominent encore le cours de
la Seine et le Petit- Andely.
3. L'exécution de Charles de Melun fut avant tout une revanche
du comte de Dammartin et une vengeance du cardinal Balue. Son
interrogatoire et les dépositions apportées à son procès (Bibl. nat.,
ms. fr. 2921, copie de la fin du xv» siècle) ne permettent aucune-
ment d'affirmer que l'ex-favori ait trahi la cause royale en 1465.
Au reste, la manière dont Tristan l'Ermite brusqua le dénouement,
en profitant de l'absence de quelques-uns des commissaires envoyés
à Senlis pour recueillir le témoignage de Louis XI lui-même sur
certaines allégations de l'accusé, est une preuve suffisante de la
monstrueuse iniquité qui présida à toute cette affaire. Mis à la
question le 20 août, Melun paraît n'avoir rien avoué, mais n'en fut
pas moins déclaré par Tristan convaincu de lèse-majesté, confessé
à la hâte et entraîné jusqu'au Petit-Andely, où on lui trancha
la tête « sans charge et sans quelque figure de procès ne con-
derapnacion aucune. » Ses biens confisqués furent remis à Dam-
martin et plus tard restitués en partie à ses enfants. La Chronique
anonyme déjà citée (ms. fr. 20354, fol. 189 v»), dont M''^ Dupont
a imprimé de nombreux extraits en appendice de son édition de
210 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1468
Et, depuis ce, le roy se tint par certain long temps
à Noyom, Compiengne, Ghauny et autres places envi-
ron, jusques au xv® jour de septembre, que nouvelles
lui furent ilec apportées que mons. Charles, son frère,
et le duc de Bretaigne s'estoient reunys et devenus
bons amis et bienvueillans au roy, et prest ledit mon-
seigneur Charles de prendre la pension de lx" 1. t.
par an, jusques à ce que sop appanage lui eust esté
assigné selon le dit de plusieurs princes et seigneurs
que ledit monseigneur Charles esliroit pour ce faire,
et ausquelz il se vouloit rapporter : c'est assavoir
messeigneurs les duc de Calabre et connestable de
France. Et ledit duc de Bretaigne offrit bailler au roy
les villes que lui et ses gens tenoient en Normendie,
en lui rendant et restituant les autres villes et places
que les gens du roy tenoient en Bretaigne ; laquelle
chose le roy lui accorda^.
Et puis le roy fist savoir ces choses au duc de Bour-
gongne, qui estoit atout son ost aux champs près de
Peronne, entre Esclusiers et Cappy, sur la rivière de
Somme^. Desquelles nouvelles il ne voulu riens croire
Jean de Wavrin, s'exprime comme suit sur l'exécution du seigneur
de Nantouillet : « La cause pourquoy, je ne le say, sinon que telle
fut la voulenté du roy, qui n'avoit mercy d'homme sur lequel il
eust aucune mauvaise souspechon. Et dist on que, du premier
cop que le boureil lui donna, il ne luy coppa la teste que au moic-
tié et que le chevalier se releva et dit tout hault qu'il n'avoit
coulpe en ce que le roy luy admettoit et qu'il n'avoit la mort des-
servie, mais, puisque c'estoit le plaisir du roy, il prennoit la mort
en gré. Et, quand il eut ce dit, il fut pardecapitez » (Anchienncs
Croniques d'Englelerre, t. III, p. 274 et suiv.).
1. Le traité d'Ancenis porte la date du 10 septembre (Texte dans
D. Morice, lU, 188).
2. Eclusier-Vaux et Cappy sont auj. dans le dép. de la Somme,
arr. de Péronne.
1468] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 211
jusques à ce qu'il en fut autrement acertené par lesdiz
monseigneur Charles et duc de Bretaigne; laquelle
chose lui fut depuis dicte et certifiée par le herault
dudit duc de Bretaigne*. Mais, ce non obstant, il ne
s'en voulut aler ne desemparer son ost, mais s'en ala
avecques sondit ost tenir et édifier ung parc audit lieu
d'entre Esclusiers et Gappy, le dos au long de ladicte
rivière de Somme ^. Et, pendant certain temps qu'ilz
y furent, furent envoiez par diverses foiz audit duc
de Bourgongne de par le roy plusieurs ambasseurs
comme monseigneur le connestable, monseigneur le
cardinal d'Angers,- maistre Pierre d'Oriole^ et autres,
pour tousjours cuider trouver moien de bonne amour
et pacificacion de paix du costé du roy, qui tousjours
la vouloit avoir, ja soit ce que les cappitaines et gens
de guerre du roy n'en estoient point d'opinion, mais
requeroient au roy qu'il les laissast faire et qu'ilz ren-
1 . « Bien fort esbahy fut le duc de Bourgongne de ces nouvelles,
veu qu'il ne s'estoit mis aux champs que pour secourir lesdiz
ducz, et fut en grant dangier ledit herault... » (Commynes, éd.
Dupont, I, 150. Cf. Ghastellain, V, 430).
2. « Durant le temps que le duc se tenoit en son parc, il fesoit si
pluvieux que merveille seroit à conter comment ne luy ne ses gens
s'y povoient tenir..., et tellement que le duc se trouva constraint
par la clameur qu'il en oyt de se lever et de changer lieu plus au
couvert... Sy se conclut enfin de desloger et crut conseil et s'alla
loger à Lihons en Santers atout sa bataille... » (Ghastellain, V,
435 et suiv.).
3. Interpolations et variantes, § LX. — « Vint de par le roy le
cardinal Ballue, ambassadeur, qui peu y arresta, etc. » (Com-
mynes, éd. Dupont, I, 149). Et Ghastellain : « Moult se donnoit
de peine le conte de Saint-Pol, connestable, en cestuy parlement,
afin de les unir, et jour et nuit alloit et venoit entre deux, puis
devers l'un, puis devers l'autre. . Là avoit fort à faire... » (t. V,
p. 437).
I 16
212 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1468
droient ledit duc de Bourgongne et ceulx de sadicte
compaignie tout à son bon plaisir et voulenté. Laquelle
chose il ne voulut souffrir, ne tolérer qu'on leur cou-
rust sus, mais leur défendit de le faire et sur la hart^.
Et, durant ce temps et jusques au xii" jour d'oc-
tobre ensuivant mil IIIPLXVIII, furent grans nouvelles
que le roy et ledit duc de Bourgongne avoient fait
une trefve jusques au moys. d'avril prouchain ensui-
vant. Et, sur l'espérance d'icelle trefve, le roy délibéra
soy en retourner de Gompiengne, où il estoit^, pour
s'en venir à Greil et à Pontoise. Et, pour ceste cause,
envoya ses fourriers audit lieu de Pontoise, qui y
prindrent son logis; mais depuis il changa propos et
retourna hastivement dudit lieu de Gompiengne à
Noyom^, où peu de temps par avant y avoit esté. Pen-
dant lequel temps Philippe de Savoye , Poucet de
Rivière, le seigneur d'Ulfé, le seigneur du Lau et
autres, qui s'estoient mis et meslez ensemble, firent
moult de maulx'*.
1. « Gestuy orgueilleux rebelle Charles, faux, maudit Anglois
qu'il est, sera rué aussy pour ses péchés... Que l'on fiere dedans!
De par tous les mille grans deables, que l'on y fiere! Que dissi-
mule tant le roy, qui cy pend à l'escout et se fait brebis et bar-
gaigne l'on de sa peau ou de sa laine?... Telles et si faites estoient
les paroles des François, fait à penser entre les gens d'armes et
qui desiroient la guerre pour le gagnage et aucuns aussy par
haine formée de vieil temps contre la maison de Bourgongne...,
mais entre les gens du Conseil estoit l'avis tout autre » (Ibid.,
439-442).
2. Louis XI demeura à Compiègne du 17 septembre à la lin du
mois tout au moins (Itin. cité).
3. Interpolations et variantes, § LXI,
4. Philippe, seigneur de Bresse, etc., fils puîné de Louis, duc
de Savoie, et d'Anne de Chypre, né en 1438, duc de Savoie en
1400, mort l'année suivante, avait passé deux ans au château do
1468] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 213
Et cependant, le samedi viii^ jour du moys d'oc-
tobre, fut cryé à son de trompe par les carrefours de
Paris que tous les nobles tenans en fief ou arrière fief
de la prevosté et viconté de Paris feussent tous prestz
et en armes à Gonnesse^ pour d'ilecques partir le
lundi ensuivant [10 octobre] et aler où mandé leur
seroit. Lequel cry esbahy beaucop plusieurs de Paris,
qui cuidoient bien que veu ledit cry il n'y avoit point
de trefve ne abstinence. Et puis le roy, qui estoit à
Noiom, s'en party, et ledit duc de Bourgongne s'en
party pour aler a Peronne ; auquel lieu le roy s'en ala
bien hastivement pardevers ledit de Bourgongne audit
Peronne, et y ala à bien privée mesgnée, car il n'avoit
avecques lui que ledit cardinal et ung peu de gens de
son hostel, monseigneur le duc de Bourbon et autres.
Et, ainsi privéement que dit est, s'en ala jusques audit
lieu de Peronne pardevers ledit Gharrolois,lexnif jour
dudit moys d'octobre 2. Lequel Gharrolois lui fist grande
Loches (1464-1466) en expiation de ropposition très vive qu'il avait
laite à la politique de Louis XI, son beau-frère, en Savoie. — On
sait à la suite de quelles circonstances Poncet de Rivière et le
seigneur du Lau avaient déserté la cause du roi. Quant à Pierre,
seigneur d'Urfé, de la Bastie, etc., il avait embrassé le parti de
Charles de France en 1465 et demeura toujours hostile à Louis XI.
Grand écuyer de Bretagne sous le duc François II, il exerça la
même charge en France auprès de Charles VIU (4 nov. 1483 ; voy.
Vaesen, Lettres de Louis XI, IV, 257 et suiv.). Tous ces seigneurs
faisaient partie du contingent que le maréchal de Bourgogne ame-
nait au duc Charles (Commynes, éd. Dupont, 1, 153 et suiv.).
1. Gonesse, auj. dép. de Seine-et-Oise, arr. de Pontoise.
2. Louis XI arriva à Peronne le dimanche 9 octobre. On notera
l'inexactitude, sans doute voulue, des premières relations de l'en-
trevue de Peronne qui circulèrent à Paris. Notre chroniqueur se
montrera mieux informé dans la suite (voy. plus loin, à la date
du mois d'avril 1469). La paix fut jurée entre le roi et le duc de
214 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1468
révérence comme bien tenu y estoit ; et puis parlèrent
ensemble longuement et devindrent bien contens l'un
de l'autre, quelque rumeur qu'il y eust eue aupara-
vant, et tellement pacifièrent ensemble qu'ilz firent
entr'eulx paix, et jura ledit monseigneur de Bourgongne
que jamais ne feroit riens contre le roy et qu'il vou-
loit du tout vivre et mourir pour lui. En faisant laquelle
paix le roy lui conferma 1er traictié d'Arras et autres
choses, ainsi que depuis il le manda et fist assavoir
aux nobles, gens d'église, à sa court de Parlement et
autre populaire de sa ville de Paris, qui, pour cause
de ce et par son ordonnance, firent processions géné-
rales, chantans aux églises Te Deum laudamus et autres
belles louenges à Dieu, les feux fais parmy les rues et j
tables drecées, donnans à boire à tous venans ; et plu- i
sieurs autres grans joyes en furent faictes en ladicte
ville de Paris ^ .
Et, en ces entrefaictes, vint nouvelles que les Lie-
gois avoient prins et tué leur evesque et tous ses offi-
ciers-; dont et de quoy le roy, ledit monseigneur de
Bourgogne le 14 octobre, vers dix heures du matin, après une
nuit orageuse, pendant laquelle Charles le Hardi parut à plusieurs
reprises sur le point de se défaire de son ennemi (voy. le célèbre
récit de Commynes, éd. Dupont, I, 158-176. Cf. ibid., III, 237;
Lenglet, III, 22, et Vacsen, Lettres de Louis XI, III, 289).
1. A Amiens, comme à Paris, on chanta un Te Deum et on fit
des réjouissances lorsqu'on apprit la conclusion de la paix, sans
en connaître les circonstances, bien entendu. Maupoint, qui entre
dans beaucoup plus de détails que Jean de Roye, ne dit pas que
Louis XI ait été la victime d'une trahison [Journal, p. 107 et s.).
2. Les réfugiés liégeois certifiaient même qu'ils avaient vu dos
ambassadeurs du roi de France exciter les Liégeois rebelles. Le
duc se mit en une grande colère, « disant que le roy estoit venu
là pour le tromper... et le menassoit fort » (Commynes, éd. Dupont,
I, 162). Michelet soutient, avec le chroniqueur liégeois Adrien de
1468] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 215
Bourgongne, monseigneur le duc de Bourbon et mes-
seigneurs ses frères et autres furent moult desplaisans
et marris ; et fut grans nouvelles que le roy et ledit
seigneur de Bourgongne yroient en personnes pour
punir et destruire lesdiz Liegois. Et après, vindrent
autres nouvelles que ledit evesque n'estoit point mort
ne prins, mais l'avoient iceulx Liegois contraint de
chanter messe. Et depuis se tindrent iceulx Liegois
bien contens de lui et se rendirent tous à lui comme à
leur vray seigneur naturel, et eulx offrant à lui à tout
son bon plaisir faire, cuidans à ceste cause appaiser
tout le maltalent de auparavant.
En ce temps, le roy s'en ala à Nostre-Dame de Haulx
en Alemaigne, où il ne séjourna gueres^. Aussi Phi-
lippe de Savoie et autres estans avecques lui firent
leur paix au roy par le moien dudit seigneur de Bour-
gongne. Et, après que le roy ot fait son voyage et
pèlerinage audit lieu de Nostre-Dame de Haulx, il s'en
ala à Namur pardevers ledit seigneur de Bourgongne,
où on lui fist délibérer d'aler avec ledit de Bourgongne
devant la cité du Liège-, où ilz furent et demourerent
Vieux-Bois, que la nouvelle du soulèvement des Liégeois ne fut
pas une surprise pour le duc de Bourgogne.
1. Ghastellain nomme plusieurs fois Notre-Dame de Haulx. C'est
aujourd'hui Hal, petite ville du Hainaut, sur la Senne, à 17 kilo-
mètres environ au sud de Bruxelles, avec une célèbre église
dédiée à la Vierge. Il y a une soixantaine de kilomètres de Namur
à Hal. L'itinéraire de Charles le Hardi veut que les deux princes
aient séjourné à Namur du 11 au 24 octobre 1468 (Lenglet, H,
192); c'est sans doute pendant ce temps que Louis XI fit son
pèlerinage à Hal.
2. Ce n'est pas à Namur, mais, dès le 14 octobre, à Péronne,
alors que l'évéque de Liège passait pour mort, que le roi fit la
proposition d'accompagner le duc à Liège ; plus tard Charles ne
lui permit pas de se dédire (Basin, II, 200).
216 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1468
depuis par aucun temps logez aux faulxbourgs d'icelle,
y tenant le siège ^. Et avecques le roy y estoient mon-
seigneur de Bourbon, monseigneur de Lyon, mon-
seigneur de Beaujeu et monseigneur l'evesque dudit
Liège, tous frères. Lequel monseigneur du Liège esloit
yssu hors d'icelle ville pour aler devers mondit sei-
gneur le duc de Bourgongne, pour savoir s'il pourroit
trouver aucun bon appoinctement pour les habitans
dudit Liège, en lui offrant pour eulx lui bailler et
délivrer ladicte ville et tous les biens de dedens, pour-
veu que les habitans d'icelle ville, hommes, femmes
et enfans, eussent leur vie saulve seulement, dont il
ne voult riens faire, mais, au contraire, tîst serement
que lui et tous ses satellites mourroient en la pour-
suite, ou il auroit ladicte ville et tous les habitans
d'icelle pour en faire du tout à son plaisir et voulenté ;
et retint pardevers lui ledit evesque du Liège, sans
vouloir souffrir qu'il s'en retournast en ladicte ville,
non obstant que ledit evesque avoit promis et juré
ausdiz de Liège de retourner pardevers eulx et de
vivre et mourir avecques eulx. Et tantost après le
parlement dudit evesque de ladicte ville et cité du
Liège, et que lesdiz Liegois furent advertis que leur-
dit evesque estoit détenu par ledit de Bourgongne et
ne s'en povoit retourner en ladicte ville, iceulx Lie-
gois firent plusieurs saillies sur lesdiz Bourguignons et
gens du roy et sur leurs compaignies ; lesquelz Liegois,
quant aucuns en povoient prendre, les mettoient à
1. Louis XI et Charles le Hardi arrivèrent dcvuut Liùge le
27 octobre, alors que l'avant-garde bourguignoaae venait d'y
subir un échec assez rude (Commynes, éd. Dupont, I, 170 et
suiv. Cf. Lenglet, II, 193, et Vaesen, LcUres de Louis XI. III, 300).
1468] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 217
mort et gens et chevaulx^. Mais, non obstant toutes
ces choses, le dimenche xxx^ et penultime jour d'oc-
tobre, oudit an IIIF LXVIII, entre ix et x heures de
matin, ledit duc de Bourgongne fist ordonner de bail-
ler et livrer assault en icelle ville; ce qui fut fait-. Et
y entrèrent iceulx Bourguignons sans aucune resis-
tence ; et y entra aussi le roy et les ducs de Bourgongne,
monseigneur de Bourbon, messeigneurs de Lion, du
Liège et Beaujeu, frères. Et, à l'eure dudit assault, la
plus grande et saine partie des habitans d'icelle cité
s'enfouirent et retrahirent et laissèrent ung peu de
populaire comme femmes, enfans, prestres, rehgieuses
et vielz et anciens hommes, qui tous y furent tuez et
murdris^. Et moult d'autres merveilleuses cruaultez et
inhumanitez y furent faictes, comme jeunes filles et
femmes efforcées et violées, et, après le desordonné
plaisir prins d'elles, les tuer et murdrir, les religieuses
aussi efforcer, petis enfans tuer et prestres consacrans
1. Voir dans Commynes (éd. Dupont, I, 187 et suiv.) le récit
de l'héroïque sortie des 600 montagnards du Franchimont, qui,
dans la nuit du 29 octobre, faillirent enlever le duc de Bour-
gogne et le roi lui-même (cf. ibid., Preuves, III, 239).
2. L'assaut fut donné de trois cotés à la fois par les gens du
duc, par ceux de Philippe de Savoie, par ceux du maréchal de
Bourgogne (Commynes, éd. Dupont, III, 246 et suiv.).
3. « Cives... modicam resistentiam objecerunt, sed aurum et
argentum, seu quod facile exportari posse putabatur qui potue-
runt rapientes, per turmas transmisso flumine aufugerunt »
(Basin, II, 204) ; et Commynes : « Je ne veiz par là où nous
estions que trois hommes mors et une femme, et croy qu'il n'y
mourut point 200 personnes en tout, que tout le reste ne fuyst
ou se cachast aux églises ou aux maisons » (éd. Dupont, I, 195,
197, et III, 240 et suiv.). Ceci ne s'applique qu'à l'assaut; les
jours suivants, on noya et pendit tous ceux qui ne purent payer
une rançon {Ibid., I, 196 et suiv.). La ville fut incendiée le
3 novembre par ordre du duc {Ibid., III, 252).
918 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1468
corpus domini aussi tuez et murdris dedens les églises.
Et, après toutes ces choses faictes, roberent et pillèrent
toute ladicte ville et cité et en après la bruslerent et
ardirent et gecterent la muraille dedens les fossez^
Et, après toutes ces choses ainsi faictes que dit est,
le roy s'en retourna à Senlis et Compiengne, où il
manda aler pardevers lui toute sa court de Parlement,
sa Chambre des Comptes, generaulx [des] finances et
autres ses officiers : ce qu'ilz firent. Et, eulx venus et
arrivez pardevers lui, fist et ordonna plusieurs choses;
et aussi, pour ce qu'il n'avoit pas intencion de séjour-
ner audit lieu, il tist proposer par la bouche dudit car-
dinal d'Angers à tous les dessusdiz officiers tout ce
qui par lui avoit esté accordé audit seigneur de Bour-
gongne, qui plus à plain estoit contenu et spécifié en
XLii articles qui par ledit cardinal furent declairez lors
ausdiz officiers, en leur disant de par le roy que son
plaisir estoit que, par sadicte court de Parlement et
tous autres ses officiers, feust fait et acomply tout ce
qu'il avoit conclud et acordé avecques ledit de Bour-
gongne et que tout lui feust du tout entériné et acom-
ply sans aucun contredit ou difficulté, sur certaines
grans peines que lors il exprima de bouche^. Et puis
1. De la muraille il restait peu de chose depuis la précédente
rébellion. « Leurs murs estoient tous rasez..., et y avoit seuUe-
ment ung peu de douve, ne jamais ne y eut fossez, car le fons
est de roc très aspre et très dur » (Gommynes, éd. Dupont, I,
184). « Toutes les esglises, au nombre de plus de une, ont été
pillées, desrobées, désolées, et ce dit l'on quelles seront brullées
et toute lad. cité aussi » (Rapport d'un témoin, ibid., i*reuves,
m, 247).
2. « Le roy se départit mercredy, second jour du présent mois
de novembre, de ceste dicte cité et s'en tira contre Huy; mond.
seigneur le duc le convoya et plusieurs autres seigneurs... »
1468] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 219
le roy s'en ala en aucuns lieux près de Paris, sans vou-
loir entrer en ladicte ville ^ ; mais aucuns grans sei-
gneurs estans autour de lui y vindrent et y séjour-
nèrent, comme messeigneurs les duc de Bourbon, de
Lyon et Beaujeu frères, le marquis du Pont^ et autres.
Et, le samedi xix® jour de novembre, oudit an
I1II<^ LXVIII, fut crié et publié à son de trompe et cry
publique par les carrefours de Paris ledit accord et
union fait, comme dit est, entre le roy et mondit sei-
gneur de Bourgongne, et que, pour raison du temps
passé, personne vivant ne feust si ozé ou hardi d'en
riens dire à l'opprobre dudit seigneur, feust de bouche,
par escript, signes, paintures, rondeaux, balades,
virelais, libelles diffamatoires, chançons de geste ne
autrement, en quelque manière que ce peust estre, et
que ceulx qui seroient trouvez avoir fait ou aie au con-
traire feussent griefment punis, ainsi que plus à plain
ledit cry le contenoit^.
(Lettre d'Ant. de Loisey, aux Preuves de Commynes, éd. Dupont,
III, 240. Cf. I, 198 et suiv.). Louis XI, accompagné de Phil. de
Grèvecœur, seigneur d'Esquerdes, et d'autres seigneurs bourgui-
gnons, s'en fut à Notre-Dame de Liesse (auj. Aisne, arr. de Laon).
Là, quand il eut fait ses dévotions devant l'image de la Vierge,
il prêta serment, en présence des princes de Bourbon et des sei-
gneurs de Bourgogne d'entretenir la paix, « disant que mesvenir
i\ luy peust s'il ne luy tenoit tout ce qu'il luy avoit promis et
juré » (Chronique anonyme citée, ms. fr. 20354, fol. 194).
1. « Seu verecundia et rubore suffusus... seu quod suorum offi-
ciariorum ejusdem urbis querelas verebatur » (Basin, II, 208).
2. Nicolas, marquis de Pont-à-Mousson, lils de Jean II, duc de
Galabre, et de Marie de Lorraine. Duc de Galabre et de Lorraine,
Nicolas mourut au mois de juillet 1473. En 1468, il n'avait pas
encore rompu la promesse qu'il avait faite d'épouser Anne, fille
de Louis XL
3. Gf. Chronique anonyme citée, ms. fr. 20354, fol. 194. Sur la
220 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1468
Et, ce mesmes jour, furent prinses pour le roy, et
par vertu de sa commission adreçant à ung jeune fîlz
de Paris nommé Henry Perdriel\ en ladicte ville de
Paris, toutes les pyes, jays, chouetes estans en cage
ou autrement et estant privées, pour toutes les porter
devers le roy. Et estoit escript et enregistré le lieu où
avoient esté prins lesdiz oiseaulx et aussi tout ce qu'ilz
savoient dire, comme : Larron! Paillartf Filz de
putamf Va hors, va! Perrete, donne moy à boire! et
plusieurs autres beaux motz que iceulx oiseaux savoient
bien dire et qu'on leur avoit aprins. Et, depuis encores,
par autre commission du roy adreçant à Merlin de
Gordebeuf, fut venu quérir et prendre audit lieu de
Paris tous les cerfz, biches et grues qu'on y peust
trouver et tout fait mener à Amboise-.
manière dont les nouvelles politiques étaient portées de lieu en
lieu par les « chanteurs et recordeurs de chançons, » on peut
consulter de curieuses lettres de Louis XI rapportées dans un
formulaire du xv^ siècle (Bibl. nat., ms. fr. 5909, fol. 29).
« L'umble supplication de... avons receue, contenant que comme,
pour gaigner sa povre vie, il se soit mis à aller par uostre
royaume pour chanter et recorder chançons, dictez et records
touchant les bonnes nouvelles et advantures qui nous sont sur-
venues et surviennent chascun jour au bien de nous et nostre
seigneurie... » Injonction est faite en consé(juence aux oilicicrs du
roi de ne donner aucun empêchement au chanteur et de le « lais-
ser assembler gens pour recorder lesd. dictez et chançons... » au
son de la vielle, à condition que ses chants ne soient pas sédi-
tieux ni « touchant division, d
i. Henri Perdriel fut nommé garde du parc de Saint- Jamme
le 13 mai 1405 et clerc civil du greffe du Ghàtelct le 17 juillet sui-
vant (Sauvai, Anliqiiitcs de Paris, lU, 386. Voy. plus haut, p. 74).
2. On sait à quel point Louis XI. était amateur d'animaux de
toutes races. Il en faisait collection. Peut-être l'abbé Legrand
et Michelet se sont-ils montrés trop ingénieux en inférant
de ce passage de la Scandaleuse que le roi avait pris ombrage de
1468] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 221
En après, le conte de Foix, qui nouvellement estoit
venu à Paris ^ ou mois de décembre ensuivant devint
merveilleusement amoureux d'une moult belle et hon-
neste bourgoise de Paris, nommé Estiennette de Besan-
ce que les Parisiens faisaient répéter malicieusement à leurs
oiseaux savants le nom de Perrette de Clialon et celui de Péronne.
— Merlin de Gordebeuf, seigneur de Beauvergier, écuyer d'écurie
de Louis XI (mai 1465, Ordonnances, XVI, 329), était pensionné
vers la même époque à 41 1. 5 s. t. par mois (Bibl. nat., ms.
fr. 20491, fol. 77), et à la tête de 25 hommes de pied fut commis
pendant la campagne de Bourbonnais (juin 1465) à la garde des
places de Montpensier et de Rochefort (ms. fr. 20496, fol. 30).
Au mois d'août 1470, ce capitaine fut chargé de conduire en
Roussillon et en Catalogne les gens d'armes et de trait du sire de
Lescun (Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 92). Un Merlin de Gorde-
beuf, écuyer d'écurie de Gharles VII, arrivé au déclin de la vie,
terminait, au Ghastellet-sur-Oise, le 4 janvier 1458 (v. st.), pour
Jacques de Luxembourg, seigneur de Richebourg, un curieux
Traité des tournois, actuellement conservé à la Bibl. nat., ms.
fr. 1997. Cf. de Beaucourt, Histoire de Gharles Vil, V, 80 et suiv.
1. Gaston arriva à Paris, pour y attendre le roi, le mercredi
26 octobre 1468, en compagnie des cardinaux d'Avignon et d'Albi,
du comte de Penthièvre, du marquis de Pont et d'autres seigneurs.
Balue fit son entrée le 3 novembre au soir, et c'est le 27 du même
mois, à Notre-Dame, que les deux cardinaux lui remirent le cha-
peau avec grande pompe et en présence des princes de la maison
de Bourbon, des évêques de Paris et de Meaux et des corps cons-
titués. Le cardinal d'Albi prononça un discours dont le texte est
conservé aums. lat. 14117 de la Bibl. nat., fol. 78 voà84 v (xv^ s.).
Maupoint, qui fournit ces détails, décrit tout au long le merveilleux
banquet que le nouveau cardinal présida en l'hôtel Piquet, près les
Blancs-Manteaux. Il énumère les vins, les viandes exquises, « les
jolie/, dames, damoiselles et jeunes bourgoises, b les chanteurs,
trompettes, ménétriers, danseurs et joueurs de farces. Parmi ces
derniers, détail piquant, un personnage comique contrefit Baluc
lui-même, et, « entre beaulz ditz de son personnaige, » parodiant
l'exubérante activité de son modèle, allait répétant ces mots :
« Je fay raige, je fay bruit, je fay tout, il ne est nouvelle que do.
moy ! » [Journal, p. 109, 112 et suiv.).
222 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1468
çon, femme d'un notable marchant de ladicte ville
nommé Henry de Paris, qui estoit bon marchant et
puissant homme ^ Et estoit ladicte bourgoise moult
honnourée entre toutes les femmes de bien de ladicte
ville, et fort priée et requise de estre et soy trouver en
tous banquetz, festes et honnestes assemblées qui se
faisoient en icelle ville. [Si] communiqua avecques
ledit seigneur de Foix de questions joieuses et amou-
reuses, et, sur plusieurs requestes, offres et autres
plaisans bourdes que lui fîst et promist ledit conte de
Foix, convindrent tellement ensemble que, le dimenche
xif jour 2 dudit moys de décembre, oudit an IIII" LXVIII ,
icelle Estiennete se departy de son hostel de Paris
qu'elle laissa et habandonna, ensemble sondit mary,
ses enfans, père, mère, frères et seurs et tous ses parens
et amis, et s'en ala après ledit seigneur de Foix, avec-
ques aucuns de ses gens et serviteurs, qui pour ce faire
estoient demourez audit lieu de Paris et l'en ame-
nèrent à Blois, où estoit demouré à séjour ledit sei-
gneur, attendant ilec la venue d'icelle Estiennette :
avecques lequel seigneur icelle Estiennete demoura
par l'espace de trois jours, et puis s'en party ledit sei-
gneur de Foix et s'en ala à Tours pardevers h roy, et
1. Étiennette paraît avoir été la fille d'un conseiller au Parle-
mont. Elle épousa en secondes noces Jean Le Camus, secrétaire
du roi, et vivait encore en 1501 (Bibl. nat., Pièces orig., vol. 321,
doss. Besançon). — Henri de Paris, qui fut échevin de Paris
en 1461, était fils de Guillaume de Paris et de Marguerite Clutin
(Bibl. nat., Pièces orig., vol. 2198, doss. Paris).
2. Lisez le xi« jour. — Gaston IV avait alors (juarante-cinq ans
environ et passait pour un prince des plus galants et des plus
magnifiques. Voyez Histoire de Gaston IV, cotnte de Foix, par
G. Leseur, publiée par M. Courteault pour la Société de l'histoire
de France, t. I, Introduction.
1468-1469] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 223
en fist mener avecques lui icelle Estiennete, qui fut
ilec bien recueillie par Martin Ponchier, marchant et
bourgois de Tours, oncle d'icelle Estiennete*. Et, peu
de temps après, fut ladicte Estiennete envoiée à Fron-
tevaux pardevers la prieuze dudit lieu, tante de ladicte
Estiennete, où depuis elle demoura par certain temps
après ^.
En après, le roy se tint et séjourna à Tours, à
Amboise et ilec environ^, tousjours attendant que la
royne deust acoucher, qu'on disoit estre fort grosse,
mais elle ne eut point d'enfant.
Et, après ces choses, le roy ordonna certaine quan-
tité des lances de son ordonnance pour aler servir le
duc de Galabre pour recouvrer son royaume d'Arra-
gon. Et avecques lesdictes lances ordonna aussi y aler
huit mil frans archers, avec grant quantité de son
artillerie, où ilz ne furent point non obstant ladicte
ordonnance*.
1. Martin Poncher, grènetier de Tours en 1451, était, en 1472,
commis à payer les gages de certains ofïiciers et gens de l'hôtel
du roi (Vaesen, Lettres de Louis XI, IV, 229).
2. M. Longnon a bien voulu nous signaler l'existence de deux
factums curieux composés en cette occasion, l'un par Robertet,
secrétaire du duc de Bourbon, l'autre par messire Guillaume
Cousinot, pour la défense d'Étiennette de Besançon. Ces plai-
doyers attestent le scandale provoqué par cette aventure, les
remords de la coupable et les efforts de ses amis pour excuser sa
faute (Bibl. nat., ms. fr. 12788, fol. 119 et suiv., xv« s.). — La
prieure de Fontevrault devait se nommer Marguerite Hodry.
Elle mourut le 22 juillet 1484, à l'âge de quatre-vingts ans (Gallia
christiana, t. II, col. 1330).
3. A Tours et aux environs, depuis le 20 décembre 1468 jus-
qu'à la mi-février 1469; ensuite à Amboise (Itin. cité).
4. Cf. Vaesen, Lettres de Louis II, III, 321-324, et le travail cité
sur Jacques d'Armagnac, extrait de la Revue historique, p. 11.
224 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1469
Et, le mois de février ensuivant, vindrent à Paris
les ambasseurs de mondit seigneur de Bourgongne
pour l'expedicion des articles à lui accordez de par le
roy, et pour lesquelz le roy escripvy et charga bien
expressément aux prevost des marchans et esche vins
et tous autres officiers et gens notables de ladicte ville
que, de tout leur povoir, ilz festiassent fort et honora-
blement lesdiz ambasseurs ; jaquelle chose fut faicte,
et furent moult honnorablement et habondamment
festiez, et premièrement par ledit monseigneur le car-
dinal d'Angers, secondement par le premier président
de la court de Parlement', tiercement par maistre
Jehan de la Driesche, président en la Chambre des
comptes et trésorier de France-, quartement par mon-
seigneur de Mery, et quintement, et pour derreniere
foiz, par les prevost des marchans, eschevins et bour-
gois de ladicte ville; lequel festoy fut moult honno-
rable. Et, durans lesdictes choses, furent leurs lettres
expédiées par toutes les cours de Paris, tous lesdiz
articles ainsi à eulx accordez par le roy que dit est^.
Et, le jeudy xvp jour de février, oudit an mil
IIIF LXVIII, advint ou Ghastellet de Paris que ung
nommé Chariot le Tonnelier, dit La Hôte, varlet chaus-
sctier'^, demourant à Paris, qui avoit esté constitué
prisonnier ou Ghastellet de Paris pour raison de plu-
1. Jean Dauvet.
2. Charles d'Orgemont, conseiller et maître des comptes (voy.
plus haut, p. 35).
3. Los actes passés à Péronne furent enregistrés au Parlement
et à la Chambre des comptes le 2 mars 1469. Le 14 mars, le rui
donna à Amboise une confirmation générale du traité, qui revint
à l'enregistrement le 18 du même mois (Lenglet, III, 45 et suiv.).
4. C'est-à-dire tailleur de chausses.
1469] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 225
sieurs larrecins dont on le chargoit, qu'il denyoit, fut
ordonné par le prevost de Paris et les officiers du roy
oudit Chastellet que son procès seroit fait sur les
charges à lui imposées, et conclud de ainsi le faire;
dont il appella, et par arrest fut renvoyé audit pre-
vost pour estre fait sondit procès^. Et, en l'amenant
de sa prison en la chambre de la question dudit Chas-
tellet, saisy ung couteau qu'il apperceut sur son che-
min et d'icellui se coppa la langue, et puis fut remené
en sa prison, sans autre chose faire pour ledit jour.
Oudit temps, advint que, ou pays de Rolande et
Zelande, qui sont des pays de monseigneur de Bour-
gongne, y vindrent et habonderent si grans eaues que
l'eaue noya et emporta plusieurs villes et places des-
diz pays, pour raison de plusieurs escluses qui tenoient
la mer qui se rompirent. Et à ceste cause y ot de grant
dommage fait et plus grant destruction, comme on
disoit, que ledit seigneur n'avoit fait par fureur en la
cité et habitans de Liège.
Et, après que ledit Chariot Tonnelier, dont est parlé
devant, qui ainsi s'estoit incisée la langue, en fut guery,
fut derechef amené en la question près d'estre estendu
en la gehyne, pour ce qu'il ne vouloit congnoistre les
cas à lui imposez. Lequel, après qu'il ot longuement
esté assis sur la sellete, dist qu'il diroit vérité, et lors
declaira tout au long sa vie et de moult grandes et mer-
veilleuses larrecins, et si accusa moult de gens coul-
pables à faire icelles, comme ung sien frere^ surnommé
le Gendarme, ung serrurier, ung orfèvre, ung sergent
1. Cf. Arch. nat., X^a 31, fol. 1, à la date du 14 février 1468
(v. st.).
2. Pierre le Tonnelier.
226 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1469
fieffé nommé Pierre Moynel, et plusieurs autres, qui
pour lesdiz cas furent constituez prisonniers et sur ce
point interroguez, qui depuis confessèrent avoit fait
plusieurs larrecins. Et, après toutes ces choses, le
mardi de la sepmaine peneuse\ ledit La Hôte et son
frère, ledit sergent fieffé, le serrurier, ung tondeur de
grans forces^ et ung freppier nommé Martin de Cou-
longne, par la sentence du-prevost de Paris furent
condempnez à estre penduz et estranglez au gibet de
Paris; dont ilz appellerent en Parlement. Et, par arrest
de la court, ladicte sentence fut confermée au regard
de quatre d'iceulx, c'est assavoir desdiz de La Hôte,
son frère, dudit tondeur de grans forces et dudit ser-
rurier ^ Et le lendemain, qui fut mercredi, furent menez
pendre au gibet. Et, au regard desdiz freppier et ser-
gent fieffé, ilz demourerent encores en la prison jusques
après les festes de Pasques.
Et, le vendredi saint et aouré, vint et yssy du ciel
plusieurs grans esclas de tonnoirre, espartissemens et
merveilleuse pluye, qui esbahit beaucop de gens, pour
ce que les anciens dient tousjours que « nul ne doit
dire hélas ! s'il n'a oy tonner en mars » .
Et, après ce que dit est, ledit freppier, nommé Mar-
tin de Goulongne, fut rendu par ladicte court de Parle-
ment audit prevost de Paris et fut envoyé audit gibet
le samedi de Quasimodo mil 1IIP= LXIX [15 avril].
Ou moys d'avril ensuivant, maistre Jehan Balue,
1. Mardi de la semaine sainte (28 mars 1469, n. st.).
2. C'est-à-dire un tondeur à grands ciseaux, un tondeur do
draps sans doute.
3. Cf. Arch. nat., registre cité, fol. 1, à la date du 29 mars 1168
(V. st.).
1469] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 227
cardinal d'Angers, qui en peu de temps avoit eu de
moult grans biens du roy et du pape par le moyen du
roy, qui, pour l'avancer et faire si grant personnage
comme de cardinal, et ouquel cardinal le roy se fioit
moult fort, et faisoit plus pour lui que pour prince
de son sang et lignage, et non aiant Dieu ne l'onneur
et prouffît du roy ne du royaume devant ses yeulx,
amena le roy jusques à Peronne, auquel lieu il le fîst
joindre avec icellui de Bourgongne et leur fîst faire
ensemble une telle quelle paix, laquelle paix fut jurée
et promise entre les mains dudit cardinal, et puis voult,
conseilla et ordonna que le roy yroit et acompagneroit
ledit de Bourgongne jusques en la cité du Liège, qui
par avant s'estoient eslevez et mis sus pour le roy
contre ledit de Bourgongne et pour lui porter dom-
mage. Et, au moien d'icelle alée du roy devant icelle
cité, lesdiz Liegois et icelle cité furent ainsi murdris et
destruis, tuez et fugitifz, que dit est devant; mais, qui
pis est, le roy, messeigneurs de Bourbon, de Lion,
Beaujeu et evesque dudit Liège, frères, et toute la sei-
gneurie estant devant ladicte cité furent en moult
grant danger d'estre mors et tous péris, qui eust esté
la plus grant esclandre qui onques feust advenu ou
royaume de France depuis la creacion d'icellui. Et,
après que le roy s'en fut retourné devers Paris pour
s'en retourner à Tours et autres lieux environ, il le
garda de venir et entrer en sadicte bonne ville et cité
de Paris et le fist passer à deux lieues près d'icelle, en
cuidant par lui à ceste cause mettre ladicte bonne ville
et cité, ensemble les subgetz d'icelle, en l'indignation
du roy. Et, en faisant ledit voyage audit lieu de Tours
et Angers par le roy, il fist content monseigneur son
I 17
228 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1469
frère de son appanage et lui bailla pour icellui la duchié
de Guienne et autres choses^, dont il se tint à bien
content du roy. Et, voyant par icellui cardinal la paix
et bonne union estre entre le roy et sondit frère, cuida
derechef faire son effort de rebouter trouble et mal-
vueillance entre le roy et autres seigneurs de son
royaume comme devant avoit fait, car il envoya et mist
sus message especial avecques lettres et instructions
qu'il envoyoit audit de Bourgongne, en lui faisant assa-
voir que ledit accord ainsi fait estoit du tout fait à sa
confusion et destruction et n'estoit fait à autre tîn que
pour l'aler destruire incontinent que le roy et sondit
frère seroient assemblez, et que, pour soy garder contre
eulx, lui estoit besoing et neccessité qu'il se meist en
armes, comme devant avoit fait, et qu'il assemblast
plus grant armée que onques n'avoit fait, et mouvoir
guerre au roy plus que jamais, et autres grandes et
merveilleuses dyableries qu'il escripvoit audit de Bour-
gongne par ung sien serviteur, qui de sesdictes lettres
et instructions qu'il portoit fu trouvé saisy^; et promp-
tement furent portées au roy, lequel, tout incontinent
ces choses par lui sceues, fut icellui cardinal prins et
saisy et mené prisonnier à Montbason, où il y fut laissé
1. Le duché de Guyenne, tel qu'il s'étendait au sud de la Cha-
rente, les pays de Quercy, d'Agenais, de Saintonge, la -ville et
gouvernement de la Rochelle, TAunis (Lettres données à Amboise
au mois d'avril 1469 après Pâques, enregistrées au parlement de
Paris le 27 juillet suivant. Lenglet, III, 93 et suiv.).
2. Furieux de sa disgrâce et poussé par l'évêque de Verdun,
Guillaume de Ilaraucourt, Balue prit en eilct une part active au
vaste complot qui faillit ressusciter le Bien Public au printemps
de l'année 1469 (voy. Précis de l'Hist. de Bourgogne, t. IV, p. 258
et 342).
1469] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 229
en la garde de monseigneur de Torcy et autres^.
Et après furent prins et saisis en la main du roy tous
ses biens et serviteurs, et furent tous sesdiz biens prins
par inventaire^, et lui furent baillez commissaires pour
l'interroguer sur les cas et charges à lui imposez, c'est
assavoir messire Tanguy du Ghastel, gouverneur de
Roussillon, messire Guillaume Cousinot, mondit sei-
gneur de Torcy et maistre Pierre d'Oriole, gênerai
des finances, tous lesquelz besongnerent à l'interroguer
et examiner sur lesdiz cas et charges^. Et, en après, le
roy donna et distribua des biens dudit cardinal à son
plaisir ; c'est assavoir sa vaisselle d'argent fut vendue ^
1. Montbazon, sur l'Indre, clép. d'Indre-et-Loire, arr. de Tours.
— Jean d'EstouteviUe, seigneur de Torcy et de Blainville, con-
seiller et chambellan du roi, grand maître des arbalétriers, était
frère du prévôt de Paris (Anselme, VIII, 97 et suiv. Cf. Rondeaux
et autres poésies du J7« siècle, publiés par Raynaud, Société des
Anciens textes, Introd., p. xxxi et suiv.).
2. L'inventaire des biens meubles du cardinal Balue est con-
servé au ms. fr. 4487 de la Bibl. nat., parch. Par lettres datées
des Montils-Iès-Tours, le 8 mai 1469, Louis XI commit Barth.
Claustre, conseiller au Parlement, Henri Mariete, lieutenant cri-
minel de la prévôté de Paris, et Jean Potin, examinateur au Chà-
telet, à saisir les meubles du cardinal. Les commissaires s'adjoi-
gnirent deux notaires au Ghàtelet, dont l'un fut précisément Jean
de Roye (voy. Introd., p. xxm) et l'autre Henri Le Wast. C'est eux
qui rédigèrent l'inventaire des biens appartenant au cardinal et
aussi les dépositions de diverses personnes appelées à témoigner
devant la commission.
3. La commission, nommée le 8 mai 1469, comprenait encore
le chaiacelier Jouvenel, le président Le Boulanger, Jean de la
Driesche, Tristan l'Ermite et Guillaume AUegrin, conseiller au
Parlement. Par contre, les patentes royales ne font pas mention
du gouverneur de Roussillon (Copie d'un vidimus du prévôt de
Paris au ms. fr. 4487, fol. 16 v°).
4. L'argenterie de buffet et de cuisine, mise aux enchères
publiques, fut adjugée à Jean Maciot, changeur, à Jean Le Fia-
230 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1469
et l'argent baillé au trésorier des guerres pour les
affaires du roy, la tapicerie baillée audit gouverneur
de Roussillon et la librarie audit maistre Pierre
d'Oriole ; et ung beau drap d'or tout entier contenant
xxiiii aulnes et ung quart, qui bien valoit xii'= escuz,
et certaine quantité de martres sebelines et une pièce
d'escarlate de Fleurence furent baillez et délivrez à
monseigneur de Grussol, et ses robes et ung peu de
mesnage fut vendu pour paier les frais des officiers et
commissaires, qui a voient vacqué à faire ledit inven-
taire * .
Et, durans ces choses, le roy de Cécile et la royne sa
femme vindrent pardevers le roy à Tours età Amboise,
où ilec furent moult honorablement receuz de par le
roy^. Et, après tout ce que dit est, le roy, monsei-
ment, orfèvre, et à leurs compagnons, en présence de Jean Potin,
de Noël Le Barge, conseiller et trésorier des guerres, et des
notaires Le Wast et de Roye, pour une somme totale de 5,070 1.
12 s. 7 d. t. {Ibid., fol. 27).
1. Interpolations et variantes, § LXII. — La tapisserie, le linge,
etc., estimés 538 1. 6 s. 6 d. p., furent donnés c?i garde à Tanne-
guy du Ghastel. D'Oriole reçut du roi (également en garde) les
quatre-vingt-cinq volumes, latins ou français, qui composaient la
librairie du cardinal. M. Delisle en a publié la liste dans le Cabinet
des mss. de la Bibl. impériale, 1, 79-83. A Louis, seigneur de Grussol,
chevalier, sénéchal de Poitou et gouverneur général de l'artillerie,
fut attribuée, en récompense de ses services militaires et autres,
une pièce de drap d'or prisée 533 1. 10 s. p., une pièce d'écarlate
d'Angleterre prisée 35 1. p., 32 martres zibelines « en timbre, »>
estimées 16 1. 10 s. p. Les vêtements furent vendus 233 1. 4 s. p.
et les meubles meublants 61 1. H s. 4 d. p. (Ms. fr. 4487, fol. 48-50).
2. Louis XI séjourna à Amboise pendant les mois de juillet et
d'août 1469. Le 10 juin de la même année, il enjoignait au Parle-
ment d'entériner enfin les lettres par lesquelles le roi de Sicile
était autorisé à sceller sur cire jaune (Vaesen, Lettres de Louis XI,
III, 348).
1469] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 231
gneur de Bourbon et autres seigneurs* s'en tirèrent
devers Nyort, la Rochelle et autres lieux environ, où
ilz trouvèrent monseigneur le duc de Guienne, frère
du roy ; et, en icellui voyage, moiennant la grâce de
Dieu et de la benoiste vierge Marie, le roy et mondit
seigneur de Guienne furent reiinis et mis en bonne
paix et amour l'un avec l'autre^, dont moult grant joye
fut incontinent espandue par tout le royaume, et pour
ceste cause dit et chanté en saincte eghse Te Deum
laudamus, fait les feux par toutes les bonnes villes,
tables rondes dressées et de moult grans soûlas, esba-
temens et joye prins. Et puis après, le roy s'en retourna
à Amboise, pardevers la royne, qui, comme bonne,
honneste et très noble dame, avoit fort tra veillé à
traicter ladicte bonne paix et unyon, que Nostre Sei-
gneur par sa saincte grâce et bonté vueille tousjours
de bien en mieulx entretenir ^ !
Et puis fut délibéré par le roy et son grant conseil
d'aler conquérir, prendre et avoir la conté d'Armai-
gnac et la mettre en la main du roy, et promis de
icelle bailler à mondit seigneur de Guienne. Et, pour
ce mettre à execucion, y envoya le roy grant quantité
de son artillerie, de ses gens de guerre et frans
archers^. Et, pour ledit voyage faire et préparer
1. Interpolations et variantes, § LXIII.
2. Le roi était à Niort le 1" septembre. L'entrevue qui scella
la réconciliation avec son frère eut lieu au Port-Braud, sur la rive
gauche de la Sèvre Niortaise, les 7 et 8 septembre 1469 (Preuves
de Goramynes, éd. Dupont, III, 260-268 ; Vaesen, ouvr. cité, IV,
31, 34).
3. Ce vœu indique que ce passage a été rédigé à une époque
peu éloignée de l'événement.
4. Les bonnes dispositions dont le comte d'Armagnac avait
232 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1469
ladicte armée, le roy se party dudit lieu d'Amboise
pour aler jusques à Orléans, où il séjourna cinq ou
six jours, et puis s'en retourna audit lieu d'Amboise ^
Et, peu de temps après, vint et arriva à Paris mon-
seigneur de Ghastillon, grant maistre enquesleur et
gênerai reformateur des eaues et forestz, pour prendre,
recevoir et veoir les monstres de bannières des offi-
ciers, gens d'estat et populaire de la ville de Paris ^.
Et, le samedi mi® jour de novembre mil IIIP LXIX,
fut leue et publiée par les carrefours de Paris, es lieux
ordinaires en icelle ville, l'aliance et bonne union
faicte entre le roy et le roy d'Espaigne^, laquelle lec-
ture et publicacion fut faicte par maistre Jehan Le
donné quelques preuves n'avaient pas tardé à se modifier. Aussi,
dès le commencement de 1469, Louis XI délivra-t-il au comte de
Dammartin, son lieutenant général dans le Midi, des lettres de
commission pour rétablir la tranquillité publique que troublaient
depuis trop longtemps les bandes armées des comtes de Foix et
d'Armagnac, du duc de Nemours et du sire d'Albret. Le 13 mai,
le roi enjoignait à son lieutenant de chasser du Rouergue les
pillards qui infestaient cette province. Le 3 juin, dans la crainte
qu'une action immédiate entamée contre le comte d'Armagnac
ne nuisît au succès des négociations entamée? avec son frère,
Louis XI contenait encore l'impatience du comte de Dammartin.
Mais, quelques semaines plus tard, Jean V d'Armagnac était
ajourné à comparaître devant le Conseil du roi, et, sur son défaut,
la confiscation de ses biens était prononcée. — On trouvera aux
Interpolations et variantes, § LXIV, de nombreux détails sur l'ex-
pédition du comte de Dammartin.
1. Orléans, 20-23 octobre 1469. Le 29 du même mois, Louis XI
était de retour à Amboise (Itin. cité).
2. Interpolations et variantes, § LXIV.
3. Il s'agit sans doute d'un traité passé ontro Louis XI ot
Henri IV, roi do Castille, pour assurer le mariage de Gliarles de
France avec la fille de ce roi, Jeanne la Beltrancja (Vaesen,
Lettres de Louis XI, IV, 53 et 64).
Î469] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 233
Cornu, clerc de la prevosté de Paris^, es présences
des lieuxtenans criminel et civil de ladicte prevosté et
de la pluspart des examinateurs ordinaires et extraor-
dinaires dudit Chastellet.
Et, depuis ce, le roy, monseigneur de Bourbon et
autres seigneurs d'autour de lui se tindrent à Amboise
et ilec environ et jusques au samedi xxiii® jour de
décembre, oudit an mil IIIP LXIX, que monseigneur
de Guienne, acompaigné des nobles de sa duchié en
moult grant, belle et noble compaignie, arriva parde-
vers le roy en son chasteau des Motifz lez Tours ^, qui
de sa venue ot moult grant joye, et aussi orent la
royne, madame de Bourbon et autres dames et damoi-
selles de leur compaignie, qui, incontinent qu'ilz
sçorent ladicte venue, se partirent dudit lieu d' Am-
boise pour aler audit lieu des Motifz, pour aler veoir
et festier ledit monseigneur de Guienne.
Et, en ces entrefaictes, fut tout le pays d'Armaignac
mis et rendu es mains du roy et sans effusion de sang,
et tout délivré à monseigneur l'admirai et conte de
1. A l'avènement de Louis XI, Jean Le Cornu obtint « la cler-
gie » de la prévôté de Paris. Protégé par Jean Bourré, malgré de
« hauts et outrageux » compétiteurs, il se maintint dans cette
charge jusque vers 1472, époque à laquelle il aspirait au greffe
du Chàtelet et faisait appuyer sa demande par Jean Le Prévost,
qui écrivait à Bourré : « Il est bon homme, et croy que on faul-
dra bien à y pourvoir mieulx... » (voy. un autographe de J. Le
Cornu, Bibl. nat., ms. fr. 20488, fol. 6; cf. ms. fr. 20487, fol. 25,
et Longnon, Villofi, Index, p. 296).
2. Cf. Vaesen, Lettres de Louis XI, IV, 67 et suiv. — La forme
Motifz pour Montils n'est pas rare au xv' siècle. Au mois de
novembre 1469, Louis XI séjourna à « Rougny », près Amboise,
et à Tours, en l'hôtel de la Bezarde (Bibl. nat., ms. fr. 6758,
toi. 83; comptes sur parch.).
234 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1469-1470
Dampmartin, comme gouverneur de ladicte armée
pour le roy*. Et demourerent depuis ce le roy, mon-
seigneur de Guienne, la royne, madicte dame de Bour-
bon et autres de ladicte compaignie oudit chasteau des
Motifz, faisans ilec de moult grans chères, et jusques
après Noël, que mondit seigneur de Guienne s'en parti
et print congié du roy et de toute sa compaignie et
s'en ala et retourna à la Rochelle, à Saint-Jehan d'An-
gely et autres ses pays voisins, pour ilec tenir ses estas
et appoincter de ses offices et autres affaires de sondit
pays et duchié de Guienne.
Et après le roy s'en revint et retourna audit lieu
d'Amboise où il se tint depuis par aucun temps',
durant lequel il envoya ses ambassadeurs pardevers
le duc de Bretaigne ; par lesquelz ses ambassadeurs il
envoioit audit duc de Bretaigne son ordre nouvelle-
ment mise et créé sus, afin que icelle il portast et jurast
tout ainsi et selon que l'avoient prinse et jurée plu-
sieurs autres princes et seigneurs de ce royaume^. Et
ja soit ce que le roy lui eust fait cest honneur, neant-
moins de prime face il la refusa et ne la voulut prendre
ne accepter ; et disoit on que c'estoit pour ce que aupa-
ravant ledit duc de Bretaigne avoit prinse la Toison
d'or, en soy declairant amy, frère et alié du duc de
Bourgongne ; pour quoy le roy se tint pour mal con-
tent et non sans cause. Et, bientost après, le roy
ordonna certaine quantité de gens d'armes de son
1 . Le comte d'Armagnac no tenta pas de résister et s'enfuit à
Fontarabie (fin décembre 1469), puis à Saint-Sébastien.
2. Du 30 décembre 1469 à la mi-janvier 1470 (Itin. cité).
3. Inlerpolaiions et variantes, § LXV. — L'ordre de Saint-Michel
fut institué à Amboise le l" août 1469 {Ordonnances, XVII, 236).
1470] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 235
ordonnance et frans archers avecques partie de son
artillerie, pour aler faire guerre audit duc de Bretaigne
et à ses pays. Mais, avant le partement desdictes gens
de guerre d'aler oudit pays de Bretaigne, fut donné
delay audit dudit duc de Bretaigne de dix jours entiers,
qui faillirent le xv® jour de février, pour donner au
roy sa response de tout ce qu'il avoit intencion de faire
et comment il se vouloit avecques lui gouverner^.
Et, le mercredi xmi^ jour d'icellui mois de février,
furent leues et publiées es carrefours de Paris le man-
dement patent du roy signé : G. de Cerisaij, par lequel
le roy mandoit au prevost de Paris qu'il estoit deue-
ment acertené que le roy Edouart d'Angleterre et les
princes, seigneurs et populaire dudit royaume, qui
par long temps avoient esté en grant guerre et divi-
sion entre eulx, avoient fait leur paix et pacificacion
entr'eulx, et que tous iceulx, estans assemblez en
conseil, avoient conclud, promis et juré de venir des-
cendre en plusieurs et divers lieux de ce royaume, en
entencion de y prendre, saisir et gaster villes, places,
pays et forteresses et destruire ledit royaume et les
habitans d'icellui, tout ainsi que autrefoiz ilz avoient
fait. Pour lesquelles causes, et voulant par le roy de
tout son povoir et puissance obvier aux dampnées et
faulses entreprinses desdiz Anglois, ordonna son ban
et arrière ban estre fait, et que par ledit prevost de
Paris, toutes excusacions cessans, il contraignist vigue-
reusement et sans aucun déport tous les nobles et non
nobles tenans en fief et arrière fief, privilégiez et non
1. Sur ces négociations avec la Bretagne et les conférences
d'Angers, voir Dupuy, Hist. de la réunion de la Bretagne à la
France, I, 242 et suiv.
236 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1470
privilégiez, à estre tous en armes et habillement souf-
fisant et en personne, sans y prendre ne recevoir
aucun ou lieu d'eulx, dedens le premier jour de mars
ensuivant, et sur peine de confiscacion de corps et de
biens, en défendant de par le roy par lesdictes lettres
audit prevost et tous autres de bailler ne recevoir
aucune excusacion ou certifficacion pour iceulx tenans
en fief ou arrière fief, sur |>eine de perdicion de leurs
offices et de confiscacions de corps et de biens, et
non obstant oppositions ou appellacions, et aussi en
declairant les defaillans ou refusans estre ennemis du
roy et avoir confisqué envers lui corps et biens, sans
jamais le leur remettre ne pardonner.
Et, ce mesme jour de mercredi, vint nouvelles à
Paris que monseigneur de Bourgongne avoit esté veu
en la ville de Gand, portant à l'une de ses jambes l'ordre
de la Jarretière et sur lui la croix rouge, qui est
l'ordre et enseigne dudit roy Edouart d'Angleterre ;
et à ceste cause se demonstroit et declairoit ennemi
capital du roy et du royaume et comme Anglois tenu
et réputé^.
En après, ledit seigneur de Bourgongne envoya à
Tours ses ambasseurs pardevers le roy, lesquelz
depuis y demourerent par certain temps, ilec atten-
dans leur expedicion. Durant ces choses, le viconte et
\. L'acte d'Edouard, roi d'Angleterre, constatant l'élection du
duc de Bourgogne comme chevalier de la Jarretière, porte la date
de Windsor, 13 mai 1469, mais le seigneur de Duras n'apporta
l'ordre à Charles le Hardi que le 31 janvier 1470 (u. st.), à Gand
(Lenglet, III, 99-101). Louis XI considéra l'acceptation du tUtc
do Bourgogne comme une infraction au traité de Péronno, qui lui
interdisait de conclure une alliance avec les Anglais sans le con-
sentement du roi de France (Ibid., 77).
I
1470] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 237
seigneur de Thouars en Polctou ala de vie à trespas,
et lequel en son vivant avoit donnée et laissée sa suc-
cession au roy, pour en joyr par lui incontinent après
son trespas. Et pour icelle succession avoir et recueil-
lir, le roy s'en parti pour aler oudit pays de Poictou,
pour prendre, saisir et avoir ladicte succession d'icel-
lui seigneur de Thouars ; à quoy faire le roy y demoura
par tout le moys d'avriP.
Oudit moys d'avril, ung nommé maistre Pierre
Durant, qui estoit nepveu dudit cardinal d'Angers,
lequel par long temps avoit esté détenu prisonnier ou
chasteau de Mailly, eschappa des prisons dudit lieu et
s'en vint jusques à Paris, où il y fut congneu par ung
apoticaire nommé Chambetin, et fut derechef prins et
saisy et mené prisonnier es prisons de la Concier-
gerie du Palais royal, à Paris, où il y fut détenu
jusques au xxvi* jour d'avril mil IIIP LXX après
1. Les deux manuscrits de notre chronique portaient primitive-
ment Villars au lieu de Thouars, mais la correction est ancienne.
L'édition gothique et les suivantes donnent Villars. — Louis d'Am-
boise étant mort le 28 février 1470, Louis XI s'empara aussitôt de
sa succession en vertu d'un acte de donation en date du 25 janvier
1462, déguisé sous les apparences d'une vente avec réserve d'usu-
fruit au profit du vicomte de Thouars (Vaesen, Lettres de Louis XI,
IV, 274). Au mois de mai 1470, le roi fit don à sa fille Anne de
la vicomte de Thouars, en considération de son prochain mariage
avec Nicolas, marquis de Pont (Arch. nat., P 1373', c. 2141, orig.
parch.). Mais, cette union ayant été rompue, la donation fut annu-
lée, et, considérant que ce fief était le plus important du Poitou
— il contenait plus de 1,700 vassaux, s'étendait jusqu'à l'Océan et
comptait en outre plusieurs îles — Louis XI le réunit au domaine
(aux Forges, 27 octobre 1476; Ordonnances, XVIII, 208). La
vicomte n'en fut pas moins restituée plus tard par Charles VIII
aux La Trémoille, héritiers légitimes des d'Amboise.
238 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1470
Pasques, qu'il fut tiré et mis hors desdictes prisons
de la Conciergerie et baillé et délivré es mains des
sergens et serviteurs du prevost des mareschaulx,
pour mener où ordonné leur seroit.
Ou mois de may ensuivant mil IIIPLXX, le conte
de Warwik et le duc de Glairance avec leurs femmes,
qui dechacez avoient esté par le roy Edouart d'An-
gleterre, au moien de certains grans debas et ques-
tions qui s'estoient meuz entre eulx, se mirent, eulx,
leurs serviteurs et autres gens qu'ilz avoient peu
recueillir, en plusieurs navires sur mer, jusques au
nombre de iiii^^ navires, et s'en vindrent prendre terre
en Normendie jusques à Konnefleu et Harfleu*. Et ilec
ilz trouvèrent monseigneur l'admirai qui les recueilli,
et bouta lesdiz de Waruic, de Clairence, le conle de
Watsonford- et leurs dames et damoiselles, avecques
ung peu de leur privée mesgnée. Et, au regard des
navires, ilz se retrairent depuis, et ceulx estans
dedens es hables de Honnefleu [et] à Barfleu^. Et, en
après, aussi se deslogerent les dames et damoiselles
1. Georges d'York, duc de Glarence, frère d'Edouard IV, avait
épousé le 11 juillet 1469 Isabelle, fille du comte de Warwick et
d'Anne Beauchamp. Warwick, voyant baisser de plus en plus le
crédit dont il avait joui auprès du roi Edouard, entraîna Gla-
rence à la rébellion; après un succès éphémère et une réconci-
liation apparente avec le roi, ils soulevèrent une nouvelle révolte.
A la fin du mois de mars 1470, ils étaient décrétés de prise de
corps et s'embarquaient pour Calais, dont le comte de Warwick
était capitaine. Mal accueillis par lord Weulok, lieutenant de
Warwick, les fugitifs durent chercher un refuge en Normandie,
non sans avoir saisi en route plusieurs navires bourguignons.
2. Le comte de Waterford (?).
3. Le havre de Barfleur est auj. dans le dép. de la Manche,
à i'extrémit(^ du Gotentin.
1470J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 239
et leur train, et s'en alerent à Valongnes\ où leur
logis leur fut ordonné.
Et, bientost après ces choses, le duc de Bourgongne,
sachant ce que dit est, escripvy lettres missives à la
court de Parlement, par lesquelles il leur mandoit
qu'il avoit sceu que le roy avoit recueilly ledit de
Waruik en aucunes villes de son royaume es marches
de Normandie, qui estoit aie contre l'appoinctement
fait à Peronne entre le roy et lui, en priant et exhor-
tant ausdiz de Parlement qu'ilz voulsissent remonstrer
ces choses au roy, à ce qu'il ne favorisast ledit de
Waruyk et ceulx de sadicte compaignie, qu'il disoit
estre son ennemy capital et dudit royaume, ou autre-
ment il le yroit quérir quelque part qu'il le peust
savoir en France, pour en faire à son bon plaisir-.
Et, nonobstant ce, ledit de Waruik séjourna etdemoura
depuis certain temps, durant le mois de juing, audit
Honnefleu^. Et, durant ce temps, plusieurs gens de
1. Valognes, auj. dép. de la Manche, aune douzaine de kilom.
de la mer. — ; « Vous me faictes enrager de mettre et laisser les
dames si près de Seyne et de ces marches. Et, pour ce, je vous
prie, faictes qu'elles aillent plus bas, et me deust il couster le
double des despens, car je les paierai voulentiers » (Louis XI à
Goncressault et à Bourré, d'Amboise, le 19 mai, dans Vaesen,
IV, 112. Cf. l'Instruction aux mêmes, imprimée par Lenglet,
m, 124 et suiv.).
2. Voy. le texte des lettres du duc de Bourgogne aux gens du
Parlement de Paris et au roi de France en date des 25 et 29 mai
1470 (Lenglet, lU, 120).
3. Louis XI fut peu ravi de voir Warwick amener en Norman-
die tout un convoi de navires enlevés à des sujets du duc de
Bourgogne. « Jamais, » écrit-il au seigneur de Goncressault et à
Bourré, « je ne seray à mon ayse tant que je sache au certain
que tous leurs navires soient partiz et qu'il n'en soient demouré
ung tout seul, » etc. (Vaesen, IV, 111).
240 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1470
guerre de l'ordonnance du roy deslogerent de leurs
garnisons et s'en vindrent, gastant tout le plat pays,
loger et eulx mettre en plusieurs villes et places sur
les marches de Normandie et Picardie ^ .
Oudit moys de juing advint que deux hommes de
guerre de ladicte ordonnance, soubz la charge de
monseigneur le connestable, tuèrent et murdrirent
deux jeunes clers du trésorier des guerres en pleine
Beausse, pour avoir l'argent qu'ilz port oient pour le
paiement des gens d'armes. Et, peu de temps après,
furent prins et saisis à Honnefleu et d'ilec menez par-
devers mondit seigneur le connestable en la ville de
Meaulx, où ilz, à deux arbres et sur deux divers che-
mins, furent pendus et estranglez.
En ces entrefaictes, le roy se tint et séjourna à
Tours, à Amboise, Vendosme et autres lieux près
d'ilec^, pardevers lequel lesdiz Anglois alerent; et
aussi y fut et ala la royne d'Angleterre et le prince de
Galles son filz^. Et, ilec tous arrivez, fut pourparlé
entre eulx de la matière pour quoy ilz estoient ilec
tous venus et arrivez. Et depuis s'en retournèrent
1. Précisément à la date du 29 mai 1470, Louis XI notifia aux
Lyonnais et aussi aux habitants d'Honfleur une ordonnance qu'il
venait de rendre dans le but de réprimer les excès des gens de
guerre (Vaesen, Lettres de Louis XI, IV, 119 et suiv.).
2. Mai et juin 1470.
3. Il s'agit de la reine Marguerite d'Anjou, femme d'Henri VI
de Lancastre, dont Warwick avait abandonné la cause. Louis XI
réussit à réconcilier l'altière princesse et le a faiseur de rois » et Qt
le mariage d'Edouard, prince de Galles, avec la seconde iille du
comte (25 juillet 1470; Vaesen, Lettres de Louis XI, IV, 131). Le
23 juin, le roi de France écrit à Henri, roi de Gastille, que, la reine
d'Angleterre ayant sollicité son assistance contre Edouard de la
Marche (Edouard IV), il s'est déclaré contre ce dernier (Ibid., 123),
1470] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 241
lesdiz Anglois à Honnefleu, à Valongnes, Saint-Lo et
autres lieux en Normendie.
Durant ce que dit est, le duc de Bourgongne fist
prendre et mettre en sa main toute la marchandise
qu'il avoit en ses pays appartenant aux marchans de
France, jusques à ce que les marchans de ses pays
eussent eu restitution d'aucuns biens prins sur mer
par lesdiz Anglois^.
Oudit temps, et le samedi derrenier jour de juing
mil JIIPLXX, environ entre deux et trois heures de
matin, la royne acoucha ou chasteau d'Amboise d'un
beau fîlz, qui ilec fut baptisé- et nommé Charles par
monseigneur l'arcevesque de Lyon, avecques le prince
de Galles, fiiz de Henry jadiz roy d'Angleterre et pri-
sonnier détenu par Edouard, roy dudit pays d'Angle-
terre. Et la commère fut madame Jehanne de France,
duchesse de Bourbon. Et de ladicte nativité fut grant
joye faicte et espandue par tout le royaume de France,
et en furent chantez en divers lieux Te Deum lauda-
1. Dès le 19 mai, Louis XI écrivait à Bourré : « Je vous baille
charge d'envoler incontinent devers les gens de Mgr de Bour-
gongne, et leur mandez que je vous ay envoyé pardellà (à Hon-
fleur) pour recouvrer tout ce que vous pourrez trouver des biens des
subgectz de mond. seigneur de Bourgongne » fVaesen, IV, 112).
Charles le Hardi ne voulut rien entendre, et, le 12 juin 1470,
il édicta à Middelbourg la mesure inique dont il est question
ici (IbicL, 126. Cf. Chastellain, Y, 454 et suiv.). Le 1" juillet,
Louis XI interdisait aux gens de Troyes d'user de représailles en
arrêtant les marchands bourguignons (Vaesen, IV, 125 et suiv.).
Enfin, le 28 septembre, une circulaire adressée aux villes du
royaume et particulièrement aux Lyonnais faisait défense aux
marchands du royaume de se rendre en Flandres ou d'envoyer
des marchandises en aucun des pays du duc de Bourgogne (Ibid.,
IV, 146 et suiv.).
2. Dans l'église Saint-Florentin.
242 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1470
7nus et autres belles louenges à Dieu, les feux faiz
parmy les rues, tables rondes et autres grans joies et
esbatemens.
Et, tantost après ladicte nativité, le roy de Cécile,
monseigneur de Guienne, monseigneur de Bourbon,
de Lion, Beaujeu et autres s'en alerent à Angers, à
Saumur, le Pont de Sée et autres lieux ilec environ,
pour trouver pacificacion et accord avecques le duc
de Bretaigne sur aucune question qui estoit entre le
roy et ledit duc de Bretaigne ^ Et ilec demourerent
par certain temps et jusques à ce que appoinctement
s'i trouva et fut fait entr'eulx; et puis le roy s'en
retourna pardevers la roy ne à Amboise-. Après ledit
accord ainsi fait, furent envoiez ambaxadeurs dudit
duc de Bretaigne pardevers ledit de Bourgongne, et
lui furent rendus le seel et aliance qui estoit entre
eulx ; de quoy ledit de Bourgongne se courrouça fort,
quant il apparceut l'accord du roy et dudit de Bre-
taigne^.
■1 . Il s'agissait de réclamations élevées par le duc de Bretagne
contre certaines prises faites sur mer au détriment de ses sujets,
prises amplement compensées par des actes de piraterie com-
mis par des Bretons contre des marchands rouennais (voy.
Lenglet, III, 125-139). — « Le roy, dit Ghastellain, laboroit jour
et nuit pour séparer le duc breton de l'amistié du duc de Bour-
gongne et pour l'avoir devers luy : de quoy toutefois il ne povoit
flner à son gré. Mais enfin tant pratiqua devers luy que le duc de
Bretagne luy promit amour, service, assistance et alliance envers
tous et contre tous, réservé le duc de Bourgongne » (V, 461).
2. Il avait quitté Amboise pour l'Anjou le 4 juillet. Il y rentra
le 13 août (Itin. cité).
3. Louis XI, qui ne désirait pas la guerre, finit par se conten-
ter des excuses que les ambassadeurs bretons firent valoir en
faveur du duc François II, dont les intrigues avec l'Angleterre et
la Bourgogne avaient été aggravées par son refus d'accepter le
1470] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 243
Durant ce que dit est, le conte de Waruik, dont
devant est parlé, qui estoit oudit pays de Normendie,
cuidant soy en retourner en son pays d'Angleterre, fut
ordonné et estably sur mer de par ledit de Bour-
gongne plusieurs beaulx et grans navires de guerre
comme hurques, galées* et autres navires en grant
quantité, tous fort avitaillez et garnis d'artillerie et
gens de guerre, d'Anglois, Bourguignons, Picars et
autres^, et singlerent en mer tellement qu'ilz s'en vin-
drent arriver et entrer sur la coste de Normendie
environ la fosse de l'Eure^, cuidans trouver et ren-
contrer ledit de Waruik et sa compaignie pour les
desconfire. Et ilec demourerent à l'anchre par certain
long temps, pendant lequel le roy, qui estoit à Am-
boise, s'en parti et ala au Mont Saint-Michel en pèle-
rinage. Et, après icellui fait et acomply, s'en revint et
retourna à Avranches, Tombelaine, Constances, Gaen,
Honnefleu et autres places de Normandie^, et ilec, sur
la coste de la mer, fist aussi arriver et avitailler sa nef,
collier de l'ordre de Saint-Michel, récemment créé par le roi de
France (D. Taillandier, Histoire de Bretagne, II, 112).
1. Les hurques ou hourques étaient des navires de transport à
fond plat, à poupe et à proue arrondies ; les galées, des vaisseaux
longs, étroits, marchant surtout à rames. (Godefroy, Dictionn. de
l'anc. langue française.)
2. « De celle flotte du duc de Bourgongne furent chiefz le sei-
gneur de la Vere, Zellandois, le seigneur de la Gruthuse, le sei-
gneur de Halluin et aucuns autres, et estoient bien xxxvi navires »
(Bibi. nat., Chronique citée, ms. fr. 20354, fol. 200).
3. A l'embouchure de la Seine, rive droite. La baie de l'Eure,
devenue une plaine marécageuse, plus tard desséchée, est occu-
pée maintenant par un quartier de la ville du Havre.
4. Tombelaine est une petite île voisine du Mont-Saint-Michel.
Louis XI quitta Amboise le 21 août 1470 et arriva au Mont le 28.
Il regagna Avranches le 31 août et parvint à Caen le 10 septembre.
I 18
244 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1470
la nef monseigneur l'admirai, la nef de Colon ^ et autres
plusieurs beaulx navires, dedens lesquelz se mirent et
boutèrent lesdiz de Glairence, de Waruic et ceulx de
leur compaignie, avecques aucuns frans archers et
autres gens de guerre que le roy lui avoit baillez pour
leur seureté et conduite^. Et, incontinent qu'ilz furent
ainsi montez que dit est, près de partir et singler en
mer, lesdiz Bourguignons, Anglois, Picars et autres,
voians qu'ilz avoient longuement esté à l'encre sans
avoir riens fait et mengié tous leurs vivres, retirèrent
leursdiz anchres et s'en retournèrent à leur duc sur
1 . « Noble homme Guillaune de Gasenove, dit Goullomb, ecuyer ,
vice amiral de France, maître enquêteur et reformateur des eaux
et forests du roi en Normandie et Picardie (Bibl. nat., ms.
fr. 20492, n° 904, et ms. fr. 20493, n» 935, parch.). Sur ce grand
homme de mer, voir la notice que lui a consacrée M. Harrisse
{Les Colombo de France et d'Italie, fameux marins du XV' siècle. Paris,
1874, in-4o). Guillaume de Gasenove avait épousé Guillemette Le
Sec et mourut vers 1482. Au mois de décembre 1470, le capitaine
des navires du roi se nommait Raoul Payan (Bibl. nat., ms.
fr. 6759, fol. 74; compte sur parch. Cf. ms. fr. 20490, fol. 98).
2. Interpolations et variantes, § LXVI. — Louis XI eut mille
peines à se débarrasser de ses hôtes. Il avait beau leur faire
remettre de l'argent, payer les arcs, trousses et brigandines que
Warwick avait commandés à Rouen et à Paris, « afin qu'il ne
prengne son excuse sur ce, » les Anglais ne partaient pas. Le
21 août, Tanneguy du Ghàtel écrit de Valognes à Jean Bourré
que les gens du comte refusent de regagner Bartleur, et disent en
pleine rue qu'ils ne se battront pas si on ne leur donne de l'argent.
Warwick lui-même avait engagé partie de ses biens meubles
(Bibl. nat., ms. fr. 20486, fol. 6, orig. Gf. ms. fr. 20489, fol. 17), et
d'autre part, il n'osait prendre la mer par crainte des vaisseaux
bourguignons. « Si luy tarda fort et annuya; aussy fit il au roy
Loys, qui volentiers en eut esté quite, car en avoit grans frais
sur ses bras et grandes constances » (Ghastellain, V, 468). Pour
accompagner Warwick, l'amiral fut mis à la tête de soixante
navires français.
1470] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 245
trayne boyau et sans avoir riens fait; de quoy il eut
bientost ris son saoul, pour ce qu'ilz avoient perdu
grant temps et si avoit beaucop fraie et despendu à
ravitaillement desdiz navires et au soudoy desdiz gens
de guerre*.
Et, ce fait, ledit de Waruic acompaigné comme
dessus, entrèrent en mer et orent vent propre et à
gré, tel que en peu de temps ilz vindrent arriver oudit
royaume d'Angleterre, et descendirent et arrivèrent
iceulx navires à Plemue et Dertemue à heure de nuit^.
Et, tout incontinent qu'il ot mis le pié à terre, il
envoy[a] à dix mil dedens ledit pays d'Angleterre par
aucuns de ses gens prendre et saisir ung baron d'An-
gleterre qui estoit en son lit couchié et qui ne pensoit
point à ladicte descendue, et l'amenèrent au matin
pardevers ledit Waruik ; auquel baron, incontinent lui
arrivé, fut mise la teste hors de dessus les espaules. Et
après s'en ala hors dudit lieu [de] Dertemue à Bristo^,
où il fut bien recueilly ; et ilec avoit laissé son artil-
lerie et de ses bagues, quand il s'en ala en Normandie.
Et, après qu'il ot recouvré ces choses et avant qu'il
feust trois jours, il vint et arriva pardevers lui plus
1. Interpolations et variantes, § LXVII.
2. « Dieu voulut ainsi disposer des choses que ceste nuict
sourdit une grande tourmente et telle qu'il fallut que l'armée dud.
de Bourgongne fuyst, et coururent les ungs des navires en
Escosse, les aultres en Hollande, et en peu d'heures après se
trouva le vent bon pour led. conte, lequel passa sans péril en
Angleterre » (Gommynes, éd. Dupont, I, 242). Il débarqua à Ply-
mouth et à Dartmouth (comté de Devon) le 13 septembre 1470.
Le convoi rendu à bon port, l'amiral français retourna en Nor-
mandie (Ghastellain, V, 469).
3. Bristol, au fond du golfe du même nom, sur la côte occiden-
tale d'Angleterre.
246 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1470
de LX"* hommes en armes, pour le servir et vivre et
mourir pour lui. Il se mist dessur les champs, tous-
jours cerchant à trouver ledit Edouart, et fut plus de
quinze jours après sadicte descendue avant qu'en
France on peust avoir autres de ses nouvelles*.
Après les choses dessusdictes, le seigneur d'Ar-
gueil, filz du prince d'Orenge, qui estoit domestique
et le plus prouchain dudit Bourguignon, et qui estoit
marié à la seur de monseigneur de Bourbon , s'en
party et embla d'autour dudit de Bourgongne et s'en
vint et retray pardevers le roy, qui bien le recueilly^.
Et, quant ledit duc sçot ledit partement, il cuida enra-
ger et crever de dueil, et, en la présence de ladicte
ambaxade de Bretaigne, ledit duc de Bourgongne
declaira ledit seigneur d'Argueil avoir confisqué envers
lui corps et biens, et puis fîst arraser et abatre toutes
les places et chasteaulx qu'il avoit en ses pays.
En après, le xiiii^ jour d'octobre, oudit an mil
IIIP LXX, le roy envoya ses lettres patentes à Paris,
qui y furent leues et publiées par les carrefours
d'icelle, presens les lieuxtenant criminel de la prevosté
de Paris et plusieurs des examinateurs d'icellui Chas-
1. Dès le 26 septembre, treize jours après le débarquement de
Warwick sur la côte d'Angleterre, Louis XI annonçait aux gens
d'Harfleur la nouvelle de ce succès (Vaesen, Lettres de Louis XI,
IV, 143). Trahi par le marquis de Montagu, frère du comte de
"Warwick, auquel il avait confié la défense de sa cause, le roi
Edouard IV faillit se laisser surprendre à Doncaster. Il n'eut que
le temps de s'enfuir à Lynn, où il s'embarqua pour la Hollande
le 29 septembre.
2. Jean II de Ghalon, seigneur d'Arguel, prince d'Orange à la
mort de son père Guillaume VIII (28 septembre 1475), mourut le
25 avril 1502. Il épousa Jeanne, tille du duc Charles de Bourbon
et sœur du duc Jean U.
1470J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 247
tellet. Et, par lesdictes lettres, estoit contenu l'aliance
faicte du roy et du roy Henry d'Angleterre, en man-
dant par lesdictes lettres tous Anglois laisser venir et
descendre en ce royaume pour leurs afaires et mar-
chandises, sans saufconduis ne autre seureté, comme
les subgetz de France, sauf en ce non comprins Edouart
de la Marche, nagueres roy dudit royaume d'Angle-
terre, ses aliez et complices.
Et à ce jour et depuis vindrent certaines nouvelles
en France que lesdiz de Clairence, Warwyk, qui ainsi
estoient sur les champs et en armes oudit royaume
d'Angleterre, cuidans trouver ledit Edouart, prospé-
rèrent ilec tellement que tous les princes, seigneurs,
nobles, prelas, bourgois et commune dudit pays d'An-
gleterre, et singulièrement tout le populaire de Lon-
dres, vindrent au devant dudit Warwyk, et tournèrent
le dos audit Edouart et vindrent mettre à pleine déli-
vrance ledit roy Henry, qui par long temps avoit esté
détenu en captivité de prison par ledit Edouart, et
lui rebaillerent derechef la possession et joyssance
dudit royaume ; et fut fait ledit de Waruik gouvernant
dudit royaume •. Et puis s'en vindrent tous en la cité
de Londres, faisans grans chères ; et ilec et aussi
oudit royaume furent mis à pleine délivrance tous
François, qui ilec estoient prisonniers, et renvoiez en
France quittement. Et si fist ledit Waruic prendre et
saisir tous les biens appartenans aux subgetz dudit
1. Henri de Lancastre, à demi insensé, était depuis plus de cinq
années enfermé dans la Tour de Londres. Restauré le 9 oc-
tobre 1470, il fut, comme le dit Ghastellain, « une ombre en une
paroi et un seigneur comme que l'on buCfette as yeux bandés »
(V, 490).
248 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1470
de Bourgongne et mettre en arrest et en ses mains.
Et puis ledit Edouart, voyant qu'il estoit seul demouré
et du tout habandonné, s'enfouy et wida hors ledit
royaume et s'en vint à recours audit duc de Bour-
gongne son beau frère ; et audit royaume d'Angleterre
demoura sa femme et mesnage.
En après, le roy, qui par long temps n'estoit bou-
gie de Tours et Amboise, -meu de bonne devocion,
s'en party et ala à Nostre-Dame de Celles en Poictou,
où il séjourna ung peu^, et retourna audit lieu d'Am-
boise.
Oudit moys de novembre, le roy envoya à Paris ses
lettres patentes, par lesquelles il mandoit aux nobles,
clers et laiz de la ville de Paris qu'ilz feissent proces-
sions et loenges à Dieu et à la Vierge Marie, et toutes
œuvres cessans, par l'espace de trois jours, en louant
et merciant Dieu nostre créateur, la benoiste Vierge
Marie, et tous sains et sainctes de paradis de la bonne
victoire que avoit eue Henry de Lencastre, roy d'An-
gleterre, de sondit royaume, à l'encontre de Edouart
de la Marche, qui longuement sur lui Tavoit usurpé à
la faveur dudit duc de Bourgongne, et aussi de la
bonne paix et union qui faicte estoit entre le roy et
ledit roy Henry d'Angleterre. Laquelle procession fut
faicte et acomplie ainsi que le roy l'ot mandé ; et tout
ainsi en fut fait par toutes les bonnes villes de ce
royaume^.
1. Louis XI se rendit à Notre-Dame de Celles (auj. Deux-
Sèvres, arr. de Melle) vers le 20 octobre, pour accom})lir un va-u
qu'il avait fait afin d'obtenir le rétablissement de Henri VI (lettre
aux Kémois du 19 octobre, dans Vaesen, IV, 153 et suiv.).
2. n Et se baignoit le roy Loys en roses, ce luy sembloit.
1470] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 249
En après, le roy escripvy autres lettres par lesquelles
il mandoit à Paris qu'il y envoioit la royne d'Angle-
terre, femme dudit roy Henry, avecques son filz le
prince de Galles et sa femme, fille dudit conte de War-
uyk, avecques la femme dudit de Waruic, mère de la
femme dudit prince de Galles, la dame de Willechere
et autres dames et damoiselles de la compaignie d'icelle
royne d'Angleterre. Laquelle royne d'Angleterre y vint
et arriva audit lieu de Paris, acompaignée comme dit
est^ Et estoient à l'acompaigner, de par le roy, les
contes d'Eu, de Vendosme et de Dunoys, monseigneur
de Chastillon et autres plusieurs nobles hommes. Et
furent et yssirent hors de ladicte ville de Paris, pour
aler et estre au devant de ladicte royne, et du com-
mandement exprès du roy, le prélat et evesque de
ladicte ville, l'Université, la court de Parlement, le pre-
d'oyr ceste bonne aventure, car estimoit bien par ce moyen le
royaume d'Angleterre estre pour Warwyc et par conséquent for-
trait de la main du duc de Bourgongne, qui en menaçoit toute
France. Sy en fit le roy grand joie et grand feste... » (Gbastel-
lain, V, 487). M. Vaesen a imprimé, dans ses Lettres de Louis XI,
t. IV, p. 152, la lettre-circulaire dont il est question ici. On y
retrouve les expressions mêmes dont se sert notre chroniqueur.
1. Marguerite d'Anjou était la cousine germaine de Louis XI,
et comme fille du roi René et comme femme de Henri VI, fils de
Catherine de France, sœur de Charles VII. Edouard, fils de
Henri VI, avait, on l'a vu, épousé récemment Anne Neville, née
en 1451 du mariage du comte de Warwick avec Anne Beau-
champ. — Éléonore, lady Wiltshire, était la sœur d'Edmond
Beaufort, duc de Somerset, et la seconde femme de James Bute-
ler, comte de Wiltshire, exécuté après la bataille de Tow-
ton (1461) (Dugdale, the Baronage of England, 1675, in-fol., II,
235). Le 13 novembre, Louis XI écrivait d'Amboise au grand
maître : « La royne d'Angleterre et madame de Warvic s'en
yront demain » (Vaesen, IV, 171). Leur entrée à Paris eut donc
lieu vers le miheu du même mois.
250 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1470
vost de Paris et suppostz du Chastellet, le prevost
des marchans, les eschevins, marchans, bourgois,
manans et officiers d'icelle ville, tous moult honnora-
blement et en habitz honnestes, et en moult grant et
merveilleux nombre. Et entra en icelle ville par la
porte Saint-Jaques ; et par toutes les rues par où elle
passa avoit de moult belles tapisseries et tentes au
long desdictes rues, depuis ladicte porte par où elle
passa jusques au Palais, où son logis lui fut moult
honnorablement apresté.
En ce temps, fut amenée à Paris ^ toute la belle
artillerie de Tours, que le roy y avoit, laquelle fut mise
et descendue au chasteau du Louvre.
Oudit temps aussi, le roy escripvy aux prevost des
marchans et eschevins de ladicte ville de Paris que
son plaisir, voulenté et intencion estoit de faire et tenir
la feste de son ordre en ladicte ville de Paris, et que,
pour ceste cause et pour estre à icelle feste, y amene-
roit tous les seigneurs de son sang, qui y vendroient
et seroient à grant compaignie de gens, et que, pour
ceste cause, les manans et habitans de ladicte ville
feussent contens qu'ilz y feussent logez et hébergez par
fourriers, ce qui leur fut accordé.
En ce temps aussi, qui estoit le mois de décembre,
messire Artus de Longueval, chevalier-, et autres
1. En provision de l'ouverture des hostilités contre la Bour-
gogne (cf. Vaesen, Lettres de Louis XI, IV, 182 et suiv.).
2. Artus de Longueval, seigneur de Thenelles, etc., conseiller
et chambellan du roi et son bailli d'Amiens, Uls de Renaud de
Longueval et de Jeanne de Montmorency, mort en 1490, épousa
successivement Jeanne de Contay et Françoise du Breuil (J. de
Wavrin, III, 53. Bibl. nat.. Pièces orig., vol. 1743, doss. Longue-
val, en Picardie, et vol. 758, doss. GhoHct de la Choletière).
1471] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 251
gentilzhommes entrèrent pour le roy en la ville de
Saint-Quentin en Vermendoys, du bon vouloir des
habitans dudit lieu. Et puis, le x® jour dudit moys,
monseigneur le connestable vint et entra pour le roy
en ladite ville, à tout ip lances et les archers ^ Et,
d'icelle entrée, le xiiii^ jour dudit moys ensuivant,
maistre Jehan de la Driesche, trésorier de France,
maistre Robert Fessier^, maistre Pierre de Boienval
et autres officiers de mondit seigneur le connestable
firent faire ung cry publique à son de trompe à la table
de marbre, au palais royal, à Paris, en faisant savoir
la prinse et entrée ainsi faicte oudit Saint-Quentin par
mondit seigneur le connestable, et que de ce on mer-
ciast Dieu, en lui priant de donner bonne prospérité
au roy et audit connestable, stipulant pour lui au recou-
vrement de ses autres villes et pays engaigez, qu'il
1. Interpolations et variantes, § LXVIIL — Wavrin dit (III,
53 ss.) que les seigneurs de Petit-Moy, de Sains, de Thienelles et
autres gens du comte de Saint-Pol, qui se tenait alors à Ham,
à 4 lieues de Saint-Quentin, vinrent sommer cette dernière ville
le 6 janvier 1471 (n. st.). Ils y pénétrèrent du gré des habitants,
surtout de ceux du commun, qui « cryerent Noël à leur venue et
en firent grant feste. » Jean de la Viesville, bailli bourguignon de
Saint-Quentin, dut se retirer devant cette manifestation popu-
laire. Le connétable consulté conseilla aux gens de Saint-Quentin
de tenir le parti du roi de France et s'engagea à les faire affran-
chir d'impôts pendant seize années. Ils consentirent donc à rece-
voir dans leurs murs une grosse compagnie de Français, que le
connétable rejoignit peu après. — Wavrin fournit la date véri-
table de la reddition de Saint-Quentin ; si elle avait eu lieu en
décembre, comme le veut la Scandaleuse, le roi n'eût pas attendu
le l'J janvier pour en remercier les habitants (Vaesen, Lettres de
Louis XI, IV, 185).
2. Robert Fessier, Ucencié es lois, était lieutenant de Jean de
la Driesche, président-clerc de la Chambre des comptes.
252 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1471
avoit intencion de recouvrer et mettre hors des mains
de Charles, soy disant duc en Bourgongne ; et ainsi le
contenoit ledit cry.
Ou moys de janvier ensuivant, le roy, qui se estoit
party d'Amboise pour venir à Glery et Orléans, s'en
party pour venir ou pays de Beausse et vint coucher
au Puiset. Et, le lendemain, s'en ala au giste à Paloi-
seau, près de Montlehery, et le lendemain vint à dis-
ner à Seaulx le Grant, en ung hostel qui appartient à
maistre Jehan Baillet, maistre des requestes ordinaire
de l'ostel du roy, et d'ilec s'en vint au giste à Paris, en
son hostel des Tournelles^. Et, avecques ce aussi, y
vindrent la royne, madame de Bourbon et autres plu-
sieurs dames et damoiselles en leur compaignie. Et
demoura le roy à Paris jusques au samedi xxvf jour
dudit moys, qu'il s'en party pour s'en aler à Senlis, à
Gompiengne et autres lieux voisins, où estoit la plus-
part de toute son armée contre ledit duc de Bour-
gongne. Et, après lui, fut menée par eaue et par terre
grant quantité de son artillerie et menée à Gompiengne,
Noyon et ailleurs ou pays de Picardie et Flandres^.
1. Louis XI quitta Amboise vers le 10 janvier 1471, passa le 12
à Gléry et séjourna à Orli'ans du 13 au 16. Le 18, il coucha au
Puiset (Eure-et-Loir, cant. de Janville) et le 19 à Chastres (auj.
Arpajon), et non à Chartres, comme le voudrait M. Vaesen, Lettres
de Louis XI, IV, 187. II dut arriver le 21 à Sceaux, chez Jean
Baillet, qui était seigneur du lieu, et auquel, en mars 1474, v. st.,
le roi, considérant ses nombreux services, fit abandon du droit
de haute justice sur cette seigneurie, avec réserve des foi et
hommage dus à la couronne à cause du Chàtelet de Paris et i au
devoir d'un chien espaignul à chascune muance de seigneur et de
vassal » (Arch. nat., reg. des bannières du Chàtelet de Paris).
2. Les comptes sur parchemin conservés au ms. fr. 6759 de la
Bibl. nat., fol. 75 et suiv., témoignent de l'activité déployée par
1471] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 253
Et puis fut crié à Paris par les carrefours de ladicte
ville, à son de trompe, que tous les francs archiers de
risle de France et aussi tous les nobles feussent tous
prestz et en leurs habillemens pour suivre et aler
avecques le roy en ladicte armée. Et durant ce temps
fut faicte à Paris moult grande quantité de pouldre à
canon et serpentines pour fournir à ladicte guerre.
En ce temps, avoient esté envolez de par le roy sire
Ghristofle Paillart, seigneur des Comptes, et sire Jaques
Hesselin, contreroleur du grenier à sel à Paris, en la
ville d'Auxerre, pour sommer les habitans d'icelle de
eulx et ladicte ville rendre au roy et de prendre ilec
garnison pour lui ; et par lesdiz commissaires leur
furent faictes de moult belles remonstrances^. Lesquelz
habitans demandèrent ausdiz ambaxadeurs terme jus-
Louis XI pour concentrer ses forces à Compiègne et aux envi-
rons comme pour pourvoir aux besoins des corps stationnés en
Gliampagne. Dès le 4 janvier, les trésoriers de France et les géné-
raux des finances étaient invités à faire prendre en manière d'em-
prunt la moitié des gages des officiers royaux, pour fournir aux
frais de l'entrée en campagne contre les Bourguignons (Lenglet,
m, 154. Cf. Vaesen, Lettres de Louis XI, IV, 180, 184, 187).
1. Jacques Hesselin, seigneur de Boisgrenier et de la Chaussée,
est déjà mentionné, avec la qualification de contrôleur du grenier
à sel de Paris, dans un accord notarié du 3 août 1456. Comme
son frère cadet Denis, il comptait dès cette époque parmi les
principaux paroissiens de Saint-Germain-l'Auxerrois (Arch. nat.,
LL 729, fol. 163). Il avait épousé Marie Boucher, laquelle était
veuve en 1492 (Bibl. nat.. Pièces orig., 431-435, doss. Boucher.
Cf. Vitu, la Chronique de Louis XI citée, p. 34). — Louis XI fut
peu satisfait des commissaires qu'il avait envoyés à Auxerre.
Le 13 décembre 1470, il écrit à Dammartin, chargé de mettre
cette ville à la raison : o II me desplaist des commissaires qui y
ont esté... Si vous povez trouver fasson d'avoir lad. ville d'Au-
cerre, je vous prie que le faciez, mais ne faictes nulle guerre... »
(Vaesen, IV, 170 et suiv.).
254 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1471
ques au jeudi ensuivant, pour avoir advis entre eulx
et de ce leur rendre response. Pour laquelle response
attendre, s'en alerent lesdiz ambaxadeurs à Joigny,
distant d'ilec de vi lieues, et y séjournèrent jusques
audit jeudi, que iceulx habitans leur envoierent res-
ponse par ung homme de ladicte ville que l'en disoit
estre savetier, lequel leur dist et rendi response que
lesdiz habitans d'Aucerre mandoient ausdiz commis-
saires qu'ilz avoient mis et bouté avecques eulx dedens
ladicte ville grande garnison de gens de guerre pour
ledit duc^, et que au regard d'eulx ilz estoient fermez
et délibérez de vivre et mourir pour ledit duc et gar-
der ladicte ville pour lui. Et, le jour que ladicte gar-
nison y fut boutée, y fut tué et murdry ung des bour-
goys d'icelle ville, nommé Guillaume Gontier, qui fu
dommage, car il mourut pour la querelle du roy
soustenir.
Et, après le parlement du roy de sa ville de Paris
pour aler à Gompiengne et Senlis, se réduisirent pour
le roy la ville d'Amiens-, de Roye et Montdidier^. Et
1. De Bourgogne.
2. Le grand maître entra à Amiens le 2 février, après que les
habitants en eurent éloigné le seigneur de Crèvecœur, le capi-
taine bourguignon. Le lendemain, tout le peuple se porta à
Notre-Dame, où l'on chanta Te Deum; là fut prêté serment au roi
et on cria Noël o en grant joye » (Preuves de Gommynes, éd.
Dupont, III, 272 et suiv.). A Amiens encore, ce fut le populaire
qui ouvrit les portes de la ville aux Français. Les bourgeois gar-
dèrent la neutralité; ils avaient pressé le duc de Bourgogne,
alors à DouUens, d'occuper Amiens, mais Charles, n'ayant avec
lui que 4 à 500 chevaux, n'osa pas se jeter dans la ville et se
retira à Arras (Basin, U, 248 et suiv.; Commynes, éd. Dupont,
loc. cit.).
3. Dammartin occupa Roye « à pou de contredit. » Jean de
1471] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 255
puis, le mardi un" jour de février ^ furent faictes à
Paris processions générales moult honnorables et y fut
la royne, madame de Bourbon et toute leur noble
compaignie, et alerent en la grant église de Noslre-
Dame et de là à Nostre-Dame de Recouvrance aux
Carmes^, et là fut prié pour le roy, la royne, et leur
bonne prospérité, et fut dit et declairé comment les-
dictes villes estoient rendues au roy^, et entre autres
la ville d'Abbeville, dont il n'estoit riens ^.
Oudit temps, furent pris à Paris et contrains tous
manouvriers de bras, comme maçons, charpentiers de
la grant coignée, et autres plusieurs, de aler esdictes
villes ainsi nouvellement reduictes au roy, dont on
bailla la charge au regard desdiz pionniers à maistre
Henry de la Cloche, procureur du roy au Ghastellet de
Soissons , seigneur de Poix , fils de Waleran , seigneur de
Moreuil, bien que chambellan du duc de Bourgogne, rendit la
ville et, qui plus est, » se tourna du party royal. » Les Fran-
çais se présentèrent ensuite devant les murs de Montdidier,
où commandait le Bon de Rely, chevalier. Ce capitaine envoya
aussitôt demander du secours au duc de Bourgogne, ajoutant qu'il
tiendrait bien sept ou huit jours. « Aquoyil respondyqu'ilz feissent
le mieulx qu'ilz pourroient et qu'il n'avoit pas ses besongnes prestes
pour les secourir si tost. » Ceux de Montdidier, « meismemcnt
les femmes, » ne voulaient pas se rendre, mais leur ville avait été
incendiée l'année précédente, et ils n'espéraient aucun secours.
Us ouvrirent donc leurs portes, « et s'en retrayerent les gens
d'armes devers le duc » (Wavrin, III, 60 s.).
1 . Lisez : V" jour de février.
2. Près de la place Maubert.
3. Interpolations et variantes, § LXIX.
4. « Geulx d'Abbeville cuyderent faire le semblable, mais
Mgr des Cordes y entra pour led. duc et y pourveut » (Commynes,
éd. Dupont, I, 215. Cf. Basin, II, 251, et Wavrin, l. c). — Ce
fut par ruse que les gens du duc s'installèrent à Abbeville.
256 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1471
Paris, qui estoit bon françois^ qui les mena et con-
duisy jusques audit lieu de Roye, où ilec fut fait de
grans boulevers, fossez, trenchées et autres fortifîca-
cions ; et aussi en furent faictes d'autres en autres et
divers lieux 2. Et ilec demourerent lesdiz pyonniers
certain grant temps, et jusques environ le jour de
Pasques, que le roy donna et bailla trefve pour cer-
tain temps avecquesle duc de Bourgongne, qui estoit
assegé par les gens du roy en son parc qu'il tenoit
entre Bapaumes et la ville d'Amiens^, et là où il fut
en telle misère et povreté qu'il estoit du tout et sondit
ost à la disposicion du roy pour en avoir du tout fait
à son bon plaisir, n'eust esté ladicte trefve^. Et, depuis
la guerre encommencée jusques à la dicte trefve, y
ot de grandes desconfitures faictes par les gens du roy
sur les Flamens et Picars, tant sur ceulx qui avitail-
1. Un Jean de la Cloche était receveur de Paris en 1399 et tré-
sorier de France en 1402 (Bibl, nat., Pièces orig., vol. 789, doss.
La Cloche, et Moranvillé, le Songe véritable. Paris, 1891, in-8°,
p. 152 et suiv.). Henri de la Cloche, probablement un de ses des-
cendants, était procureur du roi au Ghàtelet à la date du 19 sep-
tembre 1461 (Arch. nat., reg. du Chàtelet Y3, fol. 143 v°. Cf. Bibl.
nat., ms. fr. 20499, fol. 96). Il mourut avant le 1*' septembre 1472
(Arch. nat., X-'a 38, fol. 207).
2. A Amiens, par exemple, où l'on voit le roi envoyer des
messagers en mai et en juin 1471 touchant les pionniers t qui
besongnoient es fossez, » et de là à Paris « hasler l'argent desdits
pionniers » (Bibl. nat., ms. fr. 6759, fol. 109 v°. Compte sur par-
chemin). Louis XI fit également « quérir des bessons » (des ter-
rassiers) en Bretagne (Vaesen, Lettres de Louis II, IV, 195).
3. Interpolations et variantes, § LXX.
4. La trêve fut arrêtée le 4 avril et promulguée le 10 pour trois
mois. Elle fut ensuite prolongée pour un an [Eisl. de Bourgogne,
IV, Pr., n. 302).
1471J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 257
loient le parc desdiz Bourguignons que à cause de plu-
sieurs belles saillyes que les gens du roy faisoient sur
ceulx tenans le party desdiz Bourguignons ^ Et mes-
mement se fîst de moult belles destrousses en la duchié
de Bourgongne et contez de Gharrolois et Masconnois,
où les gens du roy y gaignerent de moult beaux butins
et y prindrent de moult bons prisonniers^, et moult
grant nombre y en ot de tuez, et avoient tout gaigné
messeigneurs les conte daulphin d'Auvergne, de Gom-
minge, le sire de Combronde, de Gharentez, messire
Guillaume Gousinot et moult d'autres nobles hommes,
n'eust esté que le roy leur manda qu'ilz cessassent
tout pour raison desdictes trêves, qui moult en furent
desplaisans, et moult de gens de façon aymans le roy
et son honneur^. Et à ceste cause s'en firent à Paris
des épitaphes qui furent mis et assis à Saint-Innocent*,
à rOstel de la Ville et autres lieux, en vitupérant et
1. Jean de Wavria, III, 61-85, et la Chronique anonyme (ms,
fr. 20354, fol. 206 et suiv.) contiennent un récit très circonstan-
cié des nombreuses escarmouches qui furent hvrées entre ia gar-
nison d'Amiens et les Bourguignons, du milieu de février au
commencement d'avril 1471. Le 2 avril, après des pourparlers
entamés par le connétable et poursuivis par le roi lui-même avec
Simon de Quingey, envoyé du duc Charles, on cria abstinence
de guerre dans l'armée bourguignonne, et une trêve de quatre
mois fut publiée (cf. Commynes, éd. Dupont, I, 222 et suiv., et
m, 278; Basin, II, 274, et Vaesen, Lettres de Louis XI, IV, 212).
2. Interpolations et variantes, § LXXI.
3. Cette « détrousse » des Bourguignons eut lieu à Bussy, à
sept lieues de Màcon. Les Français étaient commandés par Ber-
trand de la Tour, dauphin d'Auvergne, Jean, bâtard d'Armagnac,
Béraud Dauphin, sire de Combronde, et autres (Basin, II, 275 ;
Commynes, éd. Dupont, I, 225; III, 279; Vaesen, Lettres de
Louis XI, IV, 167 et 315).
4. Près les Halles.
258 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1471
en donnant grant charge à plusieurs seigneurs estans
près du roy. Et, durant ladicte tresve, le roy, monsei-
gneur de Guienneet autres seigneurs et nobles hommes
d'autour d'eulx, se tindrent à Han avecques monsei-
gneur le connestable^; auquel lieu, durant ledit temps,
se firent de grandes alées et venues des ambassadeurs
du roy et de ceulx de mondit seigneur de Bourgongne,
et ilec demourerent par long temps sans riens con-
clurre, mais en la fin fut fait tresve entre le roy et ledit
de Bourgongne durant ung an. Et, pour appoincter des
differens du roy et ledit de Bourgongne, y ot ambas-
seurs ordonnez, et pour appoincter des débats et ques-
tions des gens de guerre de chacun des deux costez.
Et puis se départirent dudit lieu de Han, et s'en ala
chascun en sa maison; et demourerent les gens de
guerre du roy en garnison es villes qui auparavant
ladicte trefve avoient esté gaignées pour le roy.
En ce temps se murent de grandes questions, noises
et debatz ou royaume d'Angleterre entre le roy Henry
de Lencastre, roy dudit royaume, le prince de Galles
son filz, le conte de Waruik et autres seigneurs dudit
royaume tenans le parti dudit Henry contre le roy
Edouart de la Marche, qui usurpoit ledit royaume contre
ledit Henry-, et y ot à cause de leurdit débat de moult
grant murdre fait de costé et d'autre. Et dura ladicte
guerre jusques ou moys de juing IHI'^ LXXI, que nou-
velles furent apportées au roy audit lieu de Han que
ledit Edouart, acompaigné de grant quantité de gens
de guerre, tant Anglois, Austrelins, Flamens, Picars
1. Le roi séjourna à Ham de la fin d'avril au H juin 1471.
2. Interpolations et variantes, § LXXII.
1471] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 259
et autres nacions, que ledit de Bourgongne lui avoit
envoiez, se mist sur les champs à l'encontre de l'armée
et puissance desdiz roy Henry, prince de Gales, la
royne, ledit de Waruik et autres princes et seigneurs
tenans ledit parti de Henry. Et y et les ungs contre les
autres de grans armes faictes et grant nombre de gens
mors de chascun costé ; mais en la fin ledit Edouard
demoura victorien, tant par trayson, qui estoit du
costé d'aucuns estans en l'armée dudit Henry, que
autrement^. Et y mourut et fut tué ledit prince de
Gales, qui fut moult grant pitié, car il estoit beau jeune
prince ; et aussi y mourut ledit de Waruik, qui aussi
fut grant dommage, car il avoit singulier désir de bien
servir le roy et le royaume, et pour lequel le roy avoit
frayé et despendu moult grant finance pour l'entrete-
nement dudit de Waruik. Et de ladicte desconfiture fut
le roy moult desplaisant ^.
1. Interpolations et variantes, § LXXIU.
2. Edouard quitta la Zélande le 10 mars et arriva à York le 18.
Warwick, enfermé dans Goventry, refusa le combat que lui offrait
son adversaire, dont les forces avaient rapidement grossi, et qui
ne tarda pas à être rejoint par son frère le duc de Clarence.
Celui-ci abandonna le parti de Lancastre comme il avait aupara-
vant trahi celui de York. Edouard IV arriva à Londres le 11 avril,
y fut introduit par les plus notables citoyens, saisit la Tour et
s'empara de la personne du roi Henri. Cependant Warwick se
décidait à marcher sur Londres. Edouard le rencontra à Barnet,
le battit et le tua, lui et bien d'autres seigneurs de la Rose rouge,
le 14 avril 1471. Il se porta ensuite contre la reine Marguerite et
son fils, les atteignit le 4 mai à Tewkesbury et fit un massacre de
leurs partisans. Edouard, prince de Galles, fait prisonnier, fut
mis à mort après la bataille. Son père Henri VI fut assassiné à
la Tour de Londres le 21 mai suivant par Richard, duc de Glou-
cester (Chron. impr. en appendice de Wavrin, t. III, p. 287-
292).
I 19
260 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1471
Et puis se parti le roy dudit Han, et en amena
avecques lui monseigneur de Guyenne, le conte de
Dampmartin, le président des Comptes* et autres, et
vint à Paris, où il ne séjourna gueres^. Et, durant
qu'il y fut, il fîst grande et joieuse [chère] et fist cest
honneur à sadicte bonne ville et cité de Paris de lui
mesmes [bouter] le feu ou feu fait en la place de Grève
d'icelle ville la veille SaintrJehan-Baptiste, et puis s'en
parti et s'en ala à Orléans, où le prince de Savoye y
devint malade de maladie, dont il ala de vie à très-
pas audit lieu d'Orléans^. En après s'en ala le roy à
Tours et à Amboise veoir la royne et monseigneur le
daulphin.
En ce temps dudit moys de juing mil 1111= LXXI, le
roy fut mal content des epytaphes et libelles diffama-
toires qui ainsi avoient esté mis et atachez à Paris à l'es-
clande dudit monseigneur le connestable et d'autres.
Et, pour savoir la vérité de ceulx qui ce avoient fait,
fîst crier à son de trompe et cry publique par les car-
refours d'icelle ville que quelque personne qui sauroit
aucune chose desdiz epitaphes ou de ceulx qui les
avoient faiz, qu'ilz le vensissent incontinent dire et
1. Jean de la Driesche.
2. Louis XI arriva à Paris le 23 et y resta les 24 et 25 juin
(Itin. cité).
3. Le 8 juillet, Louis XI écrit au duc de Milan : « Je croy que
devant la réception de ces présentes vous aurez oyes nouvelles
de la mort de mon feu neveu et le vostre, Charles, prince de Pye-
mont, de laquelle j'ay esté et suis très dolent... » (Vaesen, IV,
246). Le prince, depuis longtemps malade, succomba dans les tout
premiers jours du mois, au moment où son royal oncle allait
l'envoyer au secours de sa mère, la duchesse Yolande, que ses
beaux-frères Philippe de Savoie, seigneur de Bresse, et Jacques
de Savoie, comte de Romont, tenaient assiégée dans Montmélian.
1471] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 261
dénoncer aux commissaires sur ce ordonnez, et on
donneroit trois cens escuz d'or au dénonciateur, et qui
le sauroit et ne le venroit declairer auroit le col couppé.
Et pour souspeçon de ce fut mis et constitué prisonnier
ung jeune escolier de Paris, nommé maistre Pierre Le
Mercier, fîlz d'un lunetier du Palais, qui peu de temps
après fut délivré non chargé du cas. Aussi y fut mis et
constitué prisonnier maistre Henry Mariete, qui avoit
esté lieutenant criminel de la prevosté de Paris, tant
pour raison desdiz epitaphes que aussi pour aucunes
injures ou paroles par lui dictes, comme on disoit, de
maistre Jehan de la Driesche, trésorier de France; et
puis fut délivré icellui Mariete par la court de Parle-
ment et mis hors des prisons de la Conciergerie, où il
estoit détenu pour ceste cause*.
Ou moys de juillet oudit an LXXI, mourut monsei-
gneur le conte d'Eu^, qui fut moult grant dommage,
car c'estoit ung moult noble, sage et bon seigneur, et
qui de tout son povoir avoit bien et loyaument servy le
roy et fort aymé le bien et utilité du roy et de son
royaume. Et fut mise ladicte conté d'Eu en la main du
roy et mise et baillée es mains dudit monseigneur le
connestable, à la grant desplaisance de monseigneur
1 . Sur les menées du connétable qui avait poussé à la guerre
pour occuper le roi, puis empêcha les Français de presser les
Bourguignons , tandis qu'il machinait d'autre part le mariage
de la fille du duc de Bourgogne avec le duc de Guyenne, voyez
Commynes, éd. Dupont, I, 217 et suiv. Saint-Pol était très impo-
pulaire à Paris.
2. Charles d'Artois mourut le 25 juillet à l'âge de soixante-dix-
huit ans. Anselme (I, 390) et Moréri le font mourir en 1472. Fait
prisonnier à Azincourt en 1415, il avait passé vingt-trois années
en Angleterre.
262 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1471
le conte de Nevers, frère dudit seigneur d'Eu^, et qui
après ladicte mort cuidoit bien joyr de ladicte conté
d'Eu et des autres terres dudit defunct comme son
vray héritier^.
Depuis ledit moys de juillet jusques au jour de Noël
ensuivant, ne fut riens fait oudit royaume de France,
sinon que les ambasseurs du roy et de mondit sei-
gneur de Bourgongne firent plusieurs alées et venues
les ungs avecques les autres pour pacifier et trouver
moien de paix et accord entre eulx.
En ladicte année fut mortalité commune et univer-
selle par la pluspart dudit royaume de maladie de flux
de ventre et autres maladies, à cause de quoy plusieurs
gens de façon moururent en ladicte ville de Paris et
ailleurs^.
Oudit an, monseigneur de Guienne, qui s'en estoit
retourné audit pays de Guienne après le retour
d'Amiens, devint mal content du roy et manda venir
à lui le conte d'Armaignac, qui avoit esté fugitif hors
du royaume et duquel le roy avoit mis sadicte conté
en sa main, qui y vint. Et puis mondit seigneur lui
rendi la pluspart de sadicte conté contre le gré et
voulenté du roy*. En après, lesdiz de Guienne et
1. Jean de Bourgogne, comte de Nevers, né le 25 octobre 1415,
mort le 25 septembre 1491, était fils de Philippe de Bourgogne,
comte de Nevers, et de Bonne d'Artois. Il avait abandonné la
cause bourguignonne pour servir Louis XI. Il était non pas le
frère, mais le neveu du comte d'Eu, dont sa mère était la sœur.
2. Interpolations et variantes, § LXXIV.
3. Interpolations et variantes, § LXXV. I
4. Interpolations et variantes, § LXXVI. — Dès le 11 octobre
1471, Louis XI écrit au seigneur de Bressuire .- « Je suis esté
adverty que les forces qu'a mon beau frère de Guyenne s'ap- i
1472] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 263
Armaignac et aussi le conte de Foix et autres assem-
blèrent en leur pays gens de guerre, feignans de vou-
loir faire guerre au roy, lequel, pour ce leur empes-
cher, y envoya sur la marche dudit pays de Guienne
cinq cens lances et certain nombre de frans archers,
avecques grant nombre de son artillerie, qui depuis
ce y fut et séjourna par long temps, pendant lequel
vint et fut nouvelles que mondit seigneur de Guienne
estoit mort à Bordeaulx, dont il n'estoit riens^.
Oudit temps aussi furent envoiez par diverses foiz,
de par le roy, ambasseurs pardevers le duc de Bour-
gongne pour le fait de la tresve d'entre eulx, qui fail-
loit le iiii® jour de may IIIP LXXIF. Et y estoient
encores, audit premier jour de may, le sire de Craon,
maistre Pierre d'Oriole et autres.
prestent pour entrer en noz pays, que Dieu ne veuille! » Le
22 décembre suivant, il annonçait encore au grand maître que
son frère avait rendu ses terres au comte d'Armagnac (Vaesen,
Lettres de Louis XI, IV, 281, 294).
1. Interpolations et variantes, § LXXVII. — Cette prise d'armes
fut la conséquence d'une entente générale des ennemis du roi
(voy. l'Instruction pour Poucet de Rivière, Guill. de Soupplainville
et autres envoyés en Bourgogne par le duc de Bretagne, 17 avril
1472, dans Histoire de Bourgogne, t. IV, p. cccxvi). Louis XI expé-
dia sur la Garonne Ruffet de Balsac, Gaston du Lyon et les autres
sénéchaux du Midi, qui occupèrent aussitôt le Quercy et l'Age-
nais, passèrent le fleuve et saisirent en quelques jours presque
toutes les places de l'Armagnac. Jean V se jeta dans Lectoure,
où il ne tarda pas à être assiégé. Il capitula après la mort du duc
de Guyenne devant les renforts amenés à Ruffet de Balsac et à
du Lyon par Pierre de Bourbon, sire de Beaujeu, nommé lieute-
nant général du roi en Guyenne (17 juin 1472) (voy. Louis XI,
Jean d'Armagnac, etc., cité, p. 21-24).
2. Les instructions des ambassadeurs de Louis XI, datées de
Montils-lès-Tours, le 10 mars 1471 (v. st.), sont imprimées aux
Preuves de Y Histoire de Bourgogne, IV, p. cccxui. Cf. Commynes,
éd. Dupont, I, 277 et suiv.
264 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1472
Et, ledit premier jour de may CGGCLXXII, fut faicte
à Paris une moult belle et notable procession en l'église
de Paris et fait ung preschement bien solennel par ung
docteur en théologie nommé maistre Jehan Brete,
natif de ToursS lequel dist et declaira entre autres
choses que le roy, aiant singulière confidence en la
benoiste, glorieuse vierge Marie, prioit et exhortoit
son bon populaire, manans et habitans de sa cité de
Paris, que d'ores en avant, à l'eure de midi que son-
neroit à l'église dudit Paris la grosse cloche, chascun
feust fléchi ung genoil en terre en disant Ave Maria,
pour donner bonne paix et union ou royaume de
France^. Et, après ladicte procession faite. Révérend
Père en Dieu monseigneur l'evesque de Paris cheut
malade d'une maladie, de laquelle ce mesme jour il
ala de vie à trespas, dont fut grant dommage et fut
fort pleuré, car il estoit saincte et bonne personne et
grant clerc. Et ce jour furent en son hostel episcopal
grant populaire de la ville de Paris, tant hommes,
femmes que enfans, le veoir mort en sa chappelle haulte
estant au bout de la grant sale dudit hostel, et ilec par
ledit peuple fut moult piteusement pleuré et pour son
ame dévotement prié, et au partir lui baisoient les
piez et les mains ; et disoient la pluspart d'iceulx qu'ilz
creoient fermement que ledit evesque feust sainct et
1. Jean Brette, chanoine de l'église de Tours, professeur a in
sacra pagina » au collège du Plessis, à Paris (Folibien, Histoire
de Paris, III, 378^*).
2. Au mois de mars 1472 (n. st.), Louis XI fit don aux tilles et
femmes du tiers ordre de Saint - François du monastère des
Béguines, sis près les Célestins, à Paris, et ordonna que cette
maison fut désormais appelée VAvc Maria. Cette fondation parait
due surtout à la piété de la reine Charlotte (Lenglet, III, 178
et 180).
1472] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 265
bien aymé de Dieu. Et, le xv® jour dudit moys de
may, le roy envoya lettres aux prevost des marchans
et eschevins et bourgoys dudit lieu, par lesquelles il
leur faisoit savoir que ledit evesque, en son vivant,
lui avoit esté mauvais et non aymé son prouflfit, et
qu'il avoit eu intelligence avecques le duc de Bour-
gongne et autres princes et seigneurs qui avoient esté
devant la ville de Paris durant le Bien Publique, et
que, pour leur donner faveur, en icelle ville avoit
suborné plusieurs desdiz habitans ; et que, pour ces
causes et afin qu'il en feust mémoire, ordonna estre
faicte et mise sur son corps ung tableau ou epytaphe
contenant les choses dessusdictes ; lequel epitaphe fut
fait faire par les dessusdiz jusques à l'asseoir*.
En ce temps, oudit moys de may, la trefve d'entre
le roy et le duc de Bourgongne, qui failloit au nif jour
dudit moys, fut de rechef continuée jusques au xv" jour
de juing ensuivant.
Oudit moys de may, le duc de Galabre, nepveu du
roi de Secile et de Jherusalem, à qui le roy avoit fait
tant de honneur de lui donner sa fille ainsnée en femme
et espouse, s'en ala hors de sa duchié de Lorraine,
pardevers ledit duc de Bourgongne, pour traicter
d'avoir et espouser sa fille, en délaissant, en ce faisant,
ladicte fille du roy, sa femme, qui fut chose moult
estrange à lui de ainsi faulser sa foy et soy ainsi abais-
ser de délaisser la propre fille ainsnée du roy, son
1. Sur les motifs de la rancune de Louis XI contre l'évêque
Chartier, voyez plus haut, p. 71. Le Gallia chrisliana (t. VII,
p. 150 et suiv.) donne le texte d'une epitaphe consacrée à la
louange de ce prélat, qui fut rétablie après la mort de Louis XI
dans le chœur de Notre-Dame.
266 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1472
souverain seigneur, pour cuider avoir et prendre la
fille dudit de Bourgongne, subject et vassal du roy^.
Et, par avant ces choses, ledit de Bourgongne avoit
fait et fait faire moult de guerre ou royaume de France
à la faveur de mondit seigneur de Guienne, feignant
à ceste cause de lui donner et bailler sadicte fille, dont
il ne fist riens, mais fist tout le contraire, en abusant
iceulx seigneurs et plusieurs autres soubz umbre dudit
mariage 2.
Et, le jeudi xim® jour dudit moys de may IIIPLXXII,
advint par maie fortune que tout le comble et fcste de
l'église Nostre-Dame de Glery près Orléans, que le roy
avoit fait faire ^ et édifier de nouvel, et où il y avoit
moult noble et belle couverture, tant de charpenterie
de bois que d'ardoise et de plomb, fut toute arse et
bruye et tout tumbé en bas et par terre, parceque
ujig plombeur, besongnant en icelle couverture, s'en
dévala en bas et laissa le feu où il chaufoit les fers à
soulder en icelle couverture sans aucune garde ; et
lequel feu le vent acueilli tellement qu'il s'envola et
dispersa au long d'icelle charpenterie et couverture,
1. Nicolas, duc de Calabre et de Lorraine depuis la mort de son
père (décembre 1470), conclut le 25 mai 1472, à Arras, un traité
d'amitié et d'alliance avec le duc de Bourgogne, et le 13 juin sui-
vant fut fiancé à sa fille. Cet accord fut annulé du consentement
des deux parties le 5 novembre de la même année (Lenglet, III,
189-195). Nicolas était le petit-fils et non le neveu du roi René.
2. Interpolations et variantes, § LXXVIII. — Dès le commence-
ment du mois d'août 1471, Louis XI était informé que son frère
avait envoyé à Rome l'évêque de Montauban afin d'obtenir du
pape une dispense de parenté qui lui permît d'épouser Marie
de Bourgogne (Lenglet, III, 160 et suiv. Cf. Vaesen, Lettres de
Louis XI, IV, Pièces justif., p. 352-360).
3. Interpolations et variantes, § LXXIX.
1472] OU CHRONIQXJE SCANDALEUSE. 267
en telle façon que, sans y povoir remédier, tout fut
bruslé et ars*.
Et, ce mesmes jour, le roy ot certaines nouvelles
que lui fist asavoir monseigneur de Malicorne, servi-
teur et bien fort aymé de mondit seigneur de Guienne,
que sondit seigneur et maistre estoit aie de vie à très-
pas en la ville de Bordeaulx^.
En icellui moys, monseigneur de Craon, maistre
Pierre d'Oriole, gênerai des finances, maistre Olivier
Le Roux, conseiller et maistre des comptes, et autres
ambasseurs du roy, par lui envoiez pardevers ledit
duc de Bourgongne, retournèrent devers le roy lui
relater ce que fait avoient avec lui et de la tresve qu'ilz
avoient ainsi faicte, qui devoit durer jusques audit
XV® jour de juing ensuivant. Durant laquelle trêve et
nonobstant icelle, ledit de Bourgongne fist mettre ses
1. Interpolations et variantes, § LXXX. — C'est Antoine de
Beaune qui paraît avoir dirigé et qui fut ciiargé de payer les cons-
tructions nouvelles élevées à Cléry (voy. la lettre de Louis XI à
Bourré en date de Cléry, 7 octobre (1473), au ms. fr. 20493 de
la Bibl. nat., fol. 9). Au mois d'août 1471, le roi commanda à un
orfèvre parisien un tabernacle destiné à Notre-Dame de Cléry et
le fit dorer à Tours (Bibl. nat., ms. fr. 6759, fol. 121 \°. Comptes
sur parch.).
2. Interpolations et variantes, § LXXXI. — Jean Aubin, seigneur
de Malicorne, fils de Gaucher Aubin, chevalier, maître d'hôtel du
roi Charles VII, était au service de Charles de France dès 1465.
Il devint son premier chambellan et fut l'un de ses exécuteurs
testamentaires. Si Louis XI reçut effectivement le 14 la nouvelle
de la mort de son frère (il l'annonça le 18 aux habitants de
Bayonne), cette nouvelle était prématurée, car, ainsi que l'a
démontré M. Vaesen, le duc de Guyenne, depuis longtemps fort
malade, ne succomba que le 25 mai 1472 [Lettres de Louis XI, IV,
325, n. 1). Le testament du duc est précisément daté du li mai
(voy. V Interpolation indiquée ci-dessus).
268 JOURN.VL DE JEAN DE ROYE [1472
gens de guerre sur les champs et mener et asseoir son
parc et artillerie entre Arras et Bapaumes, en ung lieu
qu'on nomme Hebuterne en Artois'.
Et, pendant ledit temps, le roy, après les nouvelles
de la mort de mondit seigneur de Guienne, son frère,
se party du Plessis du Parc lez Tours et s'en tira oudit
pays de Guyenne, la Rochelle, Saint-Jehan d'Angely,
Bordeaulx et autres lieux voisins^, et y mist et créa
officiers nouveaulx de par lui, et d'icelle duchié de
Guienne fîst et establit gouverneur monseigneur de
Beaujeu, frère de mondit seigneur de Bourbon^.
Après ces choses, ledit de Bourgongne, en persévé-
rant toujours en ses dyableries, foies obstinacions et
mauvaistiez, comme devant avoit fait, le jeudi, xi® jour
de juing oudit an LXXlI, envoya devant la ville de
Neesie, dedens laquelle y avoit de par le roy ung nommé
4. Hebuterne, aujourd'hui dans le département du Pas-de-
Calais, arrondissement d'Arras. — Dans une lettre datée du 7 juin,
d'Amboise, et que M. Vaesen a attribuée à l'année 1472, Louis XI,
écrivant au duc de Milan, fait mention d'une trêve dernièrement
conclue avec le duc de Bourgogne n jusques au premier jour
d'avril prochain venant, qui sera l'an GCCG soixante et treize »
{Lettres île Louis XI, IV, 331). Notre chroniqueur s'est-il donc
trompé? Nous croyons plutôt à une inadvertance de l'éditeur des
Lettres de Louis XI, car le jour de Pâques eu 1473 tomba le 18 avril,
et, si le roi avait voulu, écrivant en juin 1472, parler du 1«"" avril
1473 (n. st.), il aurait écrit 1472. Son 1473 (v. st.) doit être lu en
style nouveau 1474, et sa lettre doit être attribuée à l'année 1473.
Cette année-là, comme en 1472, Louis XI passa le mois de juin
à Amboise.
2. Louis XI ne paraît pas avoir été plus loin que Saint-Jean-
d'Angely, où l'Itinér-aire cité note sa présence le l^^juin; mais un
passage d'une lettre du Milanais Sforza de Bettini, cité par
M. Vaesen (Lettres de Louis XI, IV, 325, n. 1), témoigne que sou
intention avait été de t tirare verso Bordeos. »
3. Interpolations et variantes, § LXXXII.
1472] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 269
le Petit Picart, qui estoit capitaine de cinq cens frans
archers de l'Isle de France^, qui estoient dedens
ladicte ville. Et par grant force et violence voulurent
avoir ladicte ville et chasteau, et pour l'avoir y bail-
lèrent et livrèrent de grans et divers assaulx ; ausquelz
Bourguignons fut moult vaillamment résisté par ledit
Picart et ceulx de sadicte compaignie, et jusques au
lendemain, qui estoit vendredi, xii^ jour dudit moys
de juing, que, environ cinq heures de matin, ledit
Picart, en la compaignie de la contesse dudit lieu de
Neesle, yssirent hors de ladicte place pour aler parde-
vers le bastard de Bourgongne et autres ayans ilecques
leur armée pour ledit de Bourgongne, pour cuider trou-
ver pacificacion et accord entre les gens du roy et ledit
Bourguignon, qui traicta avecques eulx en telle manière
que lesdiz Picard et ceulx de sadicte compaignie s'en
vroient leurs vies saulves, en rendant ladicte place, en
laissant leurs biens et harnoys ; à quoy faire ilz furent
contens, et à tant se départirent et s'en retournèrent
en ladicte ville de Neelle et dirent ausdiz frans archers
leur composicion et comment ilz dévoient laisser leurs
biens, chevaulx et harnoys et eulx en aler leurs vies
saulves. Pour laquelle chose, incontinent après, plu-
sieurs d'iceulx par l'ordonnance dudit Picard, leur
capitaine, se despoullerent et habandonnerent leurdit
harnois. Et, en ce faisant, et avant qu'ilz feussent bien
asseurez d'avoir lettres de leur promesse et traictié,
furent par aucuns dudit lieu de Neelle mis et boutez
1. Pierre de Sonneville, dit le Petit Picard, fit la campa!,'ne de
Bourbonnais en 1465, en qualité de capitaine des francs archers
des élections de Paris, Mantes, Melun et Étampes (Bibl. nat.,
ms. fr. 20496, fol. 20, orig.).
270 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1472
en icelle place lesdiz Bourguignons, qui, incontinent et
nonobstant ladicte promesse, vindrent charger sur les-
diz francs archers, ainsi desabillez soubz umbre d'icelle
promesse, et plusieurs en tuèrent et murdrirent. Et
partie d'iceulx, cuidans eulx saulver, s'en alerent et
retrairent dedens l'église dudit lieu de Neelle , où
depuis lesdiz Bourguignons alerent les tuer tous et
murdrir. Et, après qu'ilz furent tous ainsi tuez et
murdris, y survint et se y trouva ledit de Bourgongne,
qui, tout à cheval, entra dedens ladicte egUse, en
laquelle y avoit bien demy pié de hault du sang
espandu des povres créatures ilec estans, qui à ceste
heure estoient tout nuz gisans ilec mors. Et, quant
ledit Bourguignon les vit ainsi abatus, se commença
à seigner et dire qu'il veoit moult belle chose et qu'il
avoit avecques lui de moult bons bouchers. Et, le len-
demain ensuivant, qui fut le samedi xiii® jour dudit
moys, ledit Petit Picart, qui estoit prisonnier, avecques
autres de ceulx de sa dicte compaignie, furent pendus
et estranglez de l'ordonnance dudit de Bourgongne;
et puis fîst arraser ladicte place et mectre le feu
dedens^.
\. Gommynes (éd. Dupont, I, 275), Basin (II, 291) et la chron.
anon. du ms. fr. 20354 de la Bibl. nat., impr. dans Jean de Wa-
vrin, m, 293, témoignent de la barbarie avec laquelle les défen-
seurs de Nesle furent traités par les Bourguignons, mais ils
prétendent que « ceux de dedans » tuèrent un héraut qui les allait
sommer. Ils ajoutent que le capitaine de Nesle sortit à la faveur
d'une suspension d'hostilités pour tâcher d'obtenir des conditions
acceptables pour la capitulation, mais il échoua complètement,
et à son retour, malgré la trêve, les gens de Nesle tuèrent encore
deux Bourguignons. Une enquête faite en 1521 et 1522, et
dont les procès-verbaux ont paru dans le Bulletin de la Société
d'histoire de France, Documents, t. I, p. H, semble confirmer les
1472] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 271
Et, le dimenche xim^ d'icellui moys, s'en partirent
dudit lieu de Neelle et alerent devant Roye, où estoient
environ XTiiP frans archers de la compaignie et charge
Pierre Aubert, bailly de Meleun^, et de Mignon. Et aussi
y estoient pour gentilzhommes et cappitaines Louyset
de Baligny, cappitaine de Beauvais^, monseigneur de
Mouy^ et le seigneur de Rubempré^ et autres, qui
bien avoient deux cens lances bien en point. Et jasoit
ce qu'ilz feussent dedens ladicte ville, que le roy avoit
fait bien reparer, bien avitailler et garnir de moult
belles serpentines, ilz se rendirent le mardi ensuivant,
xyf d'icellui moys, à l'eure de midi, et laissèrent ilec
ladicte artillerie, leurs chevaulx et harnoys et toutes
leurs bagues, où le roy et eulx eurent dommage de
cent mil escus d'or et plus, et s'en revindrent tous
assertions de la Chronique scandaleuse (voy. Basin, II, 292, note
de M. Quicherat. Cf. Bibl. nat., ms. fr. 2913, fol. 9).
1. Sur Pierre Aubert, écuyer, conseiller et maître d'hôtel du
roi, capitaine général des 4,000 francs archers de Champagne
(Bibl. nat., ms. fr. 6758, fol. 32; 18442, fol. 161, et Montres, 1413,
fol. 28 et 47), voy. la notice de M. Vaesen {Lettres de Louis XI, III,
81 et suiv.). Le 8 mai 1471, il reçut 200 livres tournois pour avoir
fait réparer et fortifier Roye et Saint-Quentin (Bibl. nat., Pièces
orig., vol. 120, dossier Aubert, n» 265). Fils de Jean Aubert, sei-
gneur d'Ingrande en Berri, et d'Isabelle de Beaujeu, Pierre avait
servi avec distinction contre les Anglais sous Charles VII (Arch.
nat., X2a 41, à la date du 9 juillet 1476).
2. Louis Gommel, seigneur de Balagny, écuyer, était conseiller
et chambellan du roi (Commynes, éd. Dupont, I, 284, n. 3).
3. Sur Colart, seigneur de Moy, chevalier, bailli de Verman-
dois et plus tard de Cotentin, mort en 1499, voy. la notice de
M. Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 252.
4. Antoine, fils dAntoine, seigneur de Rubempré, et de Jac-
queline de Croy, avait passé au service de Louis XI dès 1467. Il
épousa Jeanne de Mouchy (Kervyn de Lettenhove, Chastellain,
V, 76, n.).
272 JOURN.AX DE JEAN DE ROYE [1472
nuz et en pourpoins, ung baston en leur poing*. Et
demoura ilec ledit de Bourgongne depuis par certain
temps, et d'ilec s'en ala à Beauvais mettre le siège, où
il y arriva le samedi XXMI' jour de juing oudit an
IIIP LXXII, où de pleine venue y donnèrent ung fort
assault, à quoy fut fort résisté par les bourgois et
habitans d'icelle ville ^. Et celle mesme nuit y arriva
Guillaume de Valée^, lieutenant du seneschal de Nor-
mendie, à tout ii*^ lances, qui moult bien secoururent
ceulx dudit lieu, car ilz y arrivèrent à l'eure du fort
1. « Sire, plaise vous savoir que Roye c'est rendue au bout de
deux jours, au moyen que les francs archiers... n'ont voullu
tenir... » (Saint-Pol au roi, de Ham, 17 juin. Bibl. nat.,ms. fr. 2913,
fol. 86, cop. du xv» siècle). Louis XI ne considérait pas Roye
comme bien tenable (Ibid., fol. 84, cop. contemp.).
2. Les Bourguignons arrivèrent sous les murs de Beauvais le
matin. Les défenseurs de la place, ayant refusé d'écouter leur som-
mation, eurent à supporter deux attaques simultanées, l'une à la
porte de Bresles, l'autre contre celle de Limaçon. Déjà, vers la porte
de Limaçon, les assaillants, qui s'étaient emparés du faubourg,
criaient Ville gagnée et couvraient la muraille de leurs traits ; mais
les habitants de Beauvais, assistés de leurs femmes et de leurs
filles, qui apportent sur le mur des flèches et des pierres, réus-
sissent à intimider l'ennemi, qui n'ose se lancer à l'assaut. Les
défenseurs de la porte de Breslea, secondés, eux aussi, par leurs
femmes, ne se montrèrent pas moins vaillants. Enfin, vers le
soir, les seigneurs de la Roche-Tesson et de Fontenailles (ce der-
nier lieutenant du seigneur de Bueil) arrivèrent de Noyon avec
200 lances pour secourir Beauvais. Laissant leurs chevaux aux
soins des femmes, ils coururent à la porte de Bresles, qui, percée
de boulets, avait été incendiée par les défenseurs de la place. Le
feu fut entretenu pendant huit jours pour en éloigner les Bour-
guignons (Lenglet, Preuves de Gommynes, III, 202 et suiv. Dis-
cours ... véritable du siège de Beauvais. Cf. Gommynes, éd. Dupont,
I, 283 et s.).
3. Guillaume de Valée, écuyer, seigneur de la Roche-Tesson
(Gommynes, éd. Dupont, I, 287, n.).
1472] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 273
de leur assault, et tout incontinent montèrent dessur
la muraille et firent reculer lesdiz Bourguignons. Et le
lendemain ensuivant y vint monseigneur de Crussol,
Joachin Rouault, la compaignie de monseigneur de
Bueil, Guerin Le Grain, monseigneur de Torcy et
autres, à tout m" lances, et autres nobles de Normen-
die, qui très vaillamment s'y contindrent^. Et pendant
ce temps furent bien secourus de ceulx de Paris, tant
de pionniers, pics, pelles, farines, vins, pouldres à
canon et autres advitaillemens^. Et en ces entrefaictes
y et de grandes escarmouches, où plusieurs Bourgui-
gnons furent mors et tuez.
1. Gommyaes, qui était encore au service du duc de Bourgogne
à l'époque du siège de Beauvais, cite aussi parmi les capitaines qui
vinrent défendre Beauvais le connétable (?), Méri de Goué, seigneur
de Fontenailles, Salazart, Estevenot de Talauresse. Sans ce secours
Beauvais, défendu seulement par « quelque peu de gens de l'ar-
riere-ban, » eût assurément succombé, malgré la vaillance de ses
citoyens. — Guérin le Groing, chevalier, seigneur de la Mothe, bailli
de Saint-Pierre-le-Moutier, conseiller et chambellan du roi, capi-
taine de 100 lances, avait épousé Isabeau Taveau (Anselme, YIII,
142. Cf. Bibl. nat., ms. fr. 20495, fol. 36). Le Discours véritable
porte que le maréchal Rouault arriva avec 100 lances le dimanche
après midi et fit aussitôt réparer et fortifier les points menacés de
la muraille. Les jours suivants, il fut rejoint par les sénéchaux
de Poitou et de Garcassonne, chacun avec 100 lances, parla com-
pagnie du sénéchal de Toulouse, par le sire de Torcy, qui condui-
sait les nobles de Normandie, tandis que Robert d'Estouteville,
prévôt de Paris, amenait les nobles de Paris, le bailli de Senlis et
le comte de Dammartin 100 lances, et Salazart 120 hommes
d'armes. Ils étaient si nombreux à la fin que, suivant l'expression
de Commynes, ils eussent pu défendre une haie.
2. Les Parisiens envoyèrent « grand nombre de grosse artillerie,
coulevrines, arbalestiers, canonniers et pionniers et des vivres à
si grande habondance » que, durant ce temps, on voyait à Beau-
vais « plus grand marché beaucoup que l'on avoit eu longtemps
auparavant ledit siège » {Discours véritable, p. 215).
274 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1472
En ce temps, advint que aucuns des habitans d'Au-
cerre saillirent hors de leur ville pour aler courir es
pays du roy, pour prendre et amener oudit lieu d'Au-
cerre beufz, vaches et tout ce qu'ilz pourroient trou-
ver pour eulx avitailler, et vindrent près de Joigny,
de Seignelay^ et ilec environ : contre lesquelz y ale-
rent le bastard dudit Seignelay, le seigneur de Plancy
et autres jusques au nombre de iif , qui vindrent ren-
contrer lesdiz d'Aucerre, qui se mirent en bataille
contre eulx. Et, quant les dessusdiz seigneurs les
eurent ainsi veuz, ilz se fraperent dedens moult vigo-
reusement et y en ot viii^'^ de mors, iiii" de prins, et
le demourant se mist en fuite ou fut noyé^.
Oudit temps, pour raison de l'aprouchement desdiz
Bourguignons ainsi venus à Beauvais, furent faictes à
Paris de moult belles ordonnances par sire Denis Hes-
selin, pennetier du roy nostre sire, esleu de Paris et
prevost des marchans de ladicte ville 3, comme de faire
reedifier la muraille et gardes de dessus les murs,
faire faire belles et grans tranchées, mettre en point
les chaynes, reedifier les fossez, boulevers et barrières
des portes, en faire murer d'aucunes, faire faire de
moult belles serpentines toutes neufves; et d'autres
belles ordonnances y furent faictes.
Et, le jeudi second jour de juillet, vint et arriva à
Paris le seigneur de Rupembré, qui venoit de ladicte
ville de Beauvais, et apporta lettres des cappitaines de
1. Joigny, auj. chef-lieu d'arr. du dép. de l'Yonne. — Seignelay,
mémo dép,, arr. d'Auxerre.
2. Interpolations et variantes, § LXXXIII.
3. Denis Hesselin exerça cette charge de 1470 à 1474 (Vitu, la
Chronique de Louis XI, etc., p. 58).
I
1472] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 275
ladicte ville adreçans au seigneur de Gaucourt, lieute-
nant du roy^, aux prevost des marchans et eschevins
de ladicte ville de Paris, par lesquelles leur estoit fait
savoir que le duc de Bourgongne et ceulx de son ost
estoient en telle orphanie-' de vivres que ung pain de
deux deniers à Beauvais valoit audit ost m sols pari-
sis, et que icellui Bourguignon avoit intencion déjouer
au desespoir et avoir ladicte ville pour y perdre la
pluspart de tous ses gens^. Et pour ce prioient ausdiz
de Paris que on leur envoiast de la menue artillerie,
des arbalestres, du traict et des vivres ; laquelle chose
fut faicte et envoyée à eulx par le bastard de Roche-
chouart, seigneur de Meru, qui y mena et conduisy
les soixante arbalesft'iers de Paris, avecques traict,
arbalestres, artillerie et vivres.
Et, le jeudi ix^ jour dudit moys de juillet, environ
l'eure de sept heures au matin, après que ledit de
Bourgongne ot fait gecter grant nombre et quantité
de bombardes et autres artilleries contre les murs de
ladicte ville à l'endroit de la porte de l'Ostel Dieu*,
vindrent et acoururent dedens les fossez de ladicte
ville grant quantité desdiz Bourguignons, qui y appor-
tèrent grans bourrées, cloyes et autre merrien ^ dedens
1. C'est le 21 juin 1472 que Louis XI, alors à Angers, commit
au gouvernement de Paris, avec le titre de lieutenant général,
Charles de Gaucourt, conseiller et chambellan du roi, précédem-
ment gouverneur d'Amiens (Arch, nat., reg. des Bannières, Y",
fol. 132 vo).
2. C'est-à-dire disette.
3. « Toutesfois délibéra ledit duc donner l'assault, mais ce fut
tout seul, car nul ne se trouva de ceste oppinion que luy » (Gom-
myaes, éd. Dupont, I, 288).
4. Et de la porte de Bresles (Discours véritable... Lenglet,III,213).
5. Bois de construction. On dit aujourd'hui merrain.
1 20
276 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1472
les fossez d'icelle, et puis y dressèrent escheles et
moult vigoreusement assaillirent ladicte ville à l'en-
droit de la muraille et portail dudit Hostel Dieu'^, dont
avoit la charge et garde monseigneur Robert d'Estou-
teville, chevalier, seigneur de Beyne et prevost de
Paris, qui moult honnorablement et vaillamment s'y
contint et ceulx de sadicte compaignie. Et dura ledit
assault depuis ladicte heur£ de sept heures jusques
après XI heures, durant lequel temps y ot grant quan-
tité desdiz Bourguignons ruez et abatus mors de des-
sus lesdiz murs dedens les fossez d'icelle ville, et de
navrez grant quantité et bien jusques au nombre de
XV à xvi" hommes^; et plus largement y en eust eu de
mors s'il y eust eu saillie à ystte hors d'icelle ville,
mais toutes les portes d'icelle estoient murées du costé
de l'ost desdiz Bourguignons^. Par quoy ne se peut
faire ladicte saillie, dont furent moult dolens les nobles
seigneurs, cappitaines, gens d'armes et de trait qui
estoient dedens icelle ville en bien grant nombre et
bon habillement, comme de xim à xv" combatans,
dont avoient la charge et conduicte le conte de Damp-
martin, Joachin Rouault, mareschal de France, Sale-
zart, Guillaume de Valée, Mery de Goué, Guerin Le
1. Interpolations et variantes, § LXXXIV.
2. Interpolât io7is et variantes, § LXXXV. — t Lequel assaut
dura trois heures ou environ, où ils (les Bourguignons) furent
bien vaillamment recueillis par lesdiz gens de guerre et habitans
de la ville, qui ne leur donnèrent pas loisir de jetter leurs fagots
es fossez. » Cette fois encore, les femmes portèrent sur la muraille
toutes sortes de projectiles (Discours véritable, p. 213). Commynes
évalue les pertes des Bourguignons à environ 120 hommes
(éd. Dupont, I, 289).
3. La porte de Paris seule avait été laissée ouverte (Discours
véritable, p. 215).
1472] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 277
Groin, les sires de Beyne et de Torcy, frères, et plu-
sieurs autres gentilzhommes de conduicte et grant
façon. Et, durant ledit assault, moiennant la grâce de
Dieu, ne fut point tué des gens du roy plus que de
trois ou quatre personnes, et encores disoit on que ce
avoit esté par leur oultrage^ Et, au regard de toute
l'artillerie qui fut tirée par lesdiz de Bourgongne
durant ledit temps en icelle ville jusques au ix® jour
de juillet, n'en fut tué plus de quatre personnes.
Et, le lendemain dudit assault, environ le point du
jour, fut derechef envoyé par ledit sire Denis Hesselin,
prevost des marchans, audit lieu de Beauvais grant
quantité de traict à arbalestre et des cordes pour y
servir, des pouldres à canon et coulevrine, et des cirur-
giens pour penser et guérir les navrez.
Et, le samedi xf jour dudit moys de juillet, au
matin, fut tiré hors des prisons du Ghastellet de Paris
ung messager de l'ostel du roy, qui avoit esté constitué
prisonnier esdictes prisons, pour ce qu'il avoit dit et
publié au Palais et autres plusieurs lieux de ladicte
ville de Paris que monseigneur le connestable avoit
tiré dudit lieu de Beauvais aux champs les cappitaines
estans dedens icelle, feignant d'avoir conseil avecques
eulx à savoir qu'il estoit de faire pour la seureté et
défense d'icelle ville, et que, cependant qu'il tenoit
ledit conseil, lesdiz Bourguignons furent avitaillez en
leur ost de grant quantité de vivres ; à quoy eust esté
fait faire resistence par lesdiz cappitaines, se n'eust
esté ledit conseil. Desquelles paroles ainsi dictes par
ledit messager, qui sonnoient mal à la charge de mon-
1. Par leur témérité.
278 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1472
dit seigneur le connestable, et qui de ce se tint fort à
mal content, fut ledit messager baillé et délivré par
l'ordonnance du roy à maistre Milles, huissier d'armes
de son liostel, qui le mena et conduisy pardevers ledit
connestable et si lui porta les charges et informacions
qui faictes a voient esté desdictes paroles.
Et, le vendredi x^ jour dudit moys, qui fut le len-
demain dudit assault, par une trenchée qui fut faicte
pour ystre hors dudit lieu de Beauvais, Salezart et
autres de sa compaignie entrèrent dedens le parc
d'icellui de Bourgongne environ le point du jour, où
il y fut tué tous les Bourguignons qu'ilz rencontrèrent' .
Et en icellui parc y furent bruslez trois tentes et tout
ce qui estoit dedens, et en une d'icelles y furent tuez
deux hommes^ de grant façon, ja soit ce qu'ilz pro-
mettoient de paier moult grant finance. Et, pour ce
que en icellui ost fut fait grant cry et noise en criant
Vive Salezart, lesdiz de l'ost s'assemblèrent en bien
grant nombre, par quoy il convint audit Salezart se
retraire audit lieu de Beauvais. Et, en soy retraiant et
ceulx de sa compaignie, en amenèrent avecques eulx
de bien belle artillerie, comme deux des chambres
des bombardes qui avoient batu et getté en bas la
muraille de ladicte ville; lesquelles chambres, pour
cause de briefté, ilz getterent dedens les fossez, et si
boutèrent en ladicte ville deux bien belles serpentines
avecques ung gros canon de cuivre nommé l'un des
Douze Pei'S, que le roy, à la journée ou rencontre de
Montlehery, y perdi. Et fut ledit Salezart suivy de bien
près et fort batu et navré, et son cheval aussi navré
1. Interpolations et variantes, § LXXXVI.
2. Interpolations et variantes, § LXXXVII.
1472J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 279
de plusieurs cops de picques de Flandres et autres^,
nonobstant qu'il le reporta jusques audit lieu de Beau-
vais, où ledit cheval mourut incontinent qu'il y fut
arrivé^.
Et depuis ladicte saillie n'avint oudit ost gueres de
chose jusques au xxi® jour dudit moys de juillet que
les bons bourgois, manans et habitans de la ville d'Or-
léans envoierent et firent passer parmy la ville de Paris
la quantité de cent tonneaulx du vin du cru dudit lieu
d'Orléans qu'ilz envoierent et donnoient ausdiz sei-
gneurs et gens de guerre estans audit Beauvais, pour
les rafreschir et aider à bien besongner à l'encontre
1. Les piquiers flamands étaient redoutés des hommes d'armes
français, car « ilz scavoient l'usage des picques plus que nulz
autres... Ce sont bastons moult convenables pour mettre une picque
entre deux archiers contre le fouldroieux effort des chevaulz qui
Youldroient effondrer dedens eulx, car il n'est cheval, s'il est attaint
d'une picque en la poitrine, qu'il ne doie morir sans remède, et si
scevent ces picquenaires desmarchier et attaindre les chevaulz de
costé et yceulx perchier tout oultre : mesmement n'est si bon
harnoys de guerre qu'ilz ne perchassent ou faulsassent ; ainsy les
scevent ilz bransler et empraindre... » (J. de Wavrin, lU, 74).
2. Interpolations et variantes, § LXXXVIII. — Suivant le
récit du Discours véritable, Salazart, à la tête d'une quinzaine
d'hommes d'armes, sortit de Beauvais vers trois heures du matin,
suivi de Guérin le Groing, grènetier de Fécamp, avec 3 ou
4,000 piétons. Ils se jetèrent au nombre de 60 ou 80 hommes sur le
camp bourguignon et tuèrent quelque 200 ennemis. Mais pendant
la retraite il y eut un peu de désordre, l'infanterie étant rentrée tout
droit dans la ville en abandonnant les cavaliers, obligés de faire
le tour des murs jusqu'à la porte de Paris. Une poignée de bour-
geois assistés de huit hommes d'armes réussirent à jeter dans les
fossés « deux gros canons, l'un de fer et l'autre de mestail, et sur
celuy de mestail esloit cscrit Montlliery, et coupèrent les gorges
aux canoniers qui les gardoient, ot puis furent tirez de nuit par
engins dedans la ville, sans ce qu'en ce faisant aucun fust mor-
tellement navré ou blessé » (Lenglet, III, 214).
280 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1472
desdiz Bour^ignons. Et si leur envoierent encores
grant quantité de trousses de flèches à arc, artillerie,
arbalestres et des pouldres à canon. Et, pour conduire
les choses dessusdictes, y estoient en personne aucuns
bourgoys dudit lieu d'Orléans, pour faire le présent
ausdiz seigneurs et gens de guerre estans audit Beau-
vais, de par icelle ville d'Orléans^.
En ce temps furent faictes les monstres en la ville
de Paris par les habitans d'icelle par chascune dixaine
et quartiers de ladicte ville, tous lesquelz y furent en
armes et par ordre. Lesquelles monstres furent veues
et receues par le sire de Gaucourt, lieutenant du roy
en ladicte ville, maistre Jehan de la Driesche, prési-
dent des comptes, et sire Denis Hessehn, pennetier
du roy, esleu sur le fait des aides et prevost des mar-
chans de ladicte ville. Lesquelles monstres il faisoit
moult beau veoir, et plus eust fait si les arbalestriers,
coulevriniers, gens prins es bannières et autres gens
de guerre en grant nombre, envoiez en ladicte ville
audit lieu de Beauvais, y eussent esté.
En ce temps fut mis en termes que encores seroit
prins parmy ladicte ville jusques au nombre de
III™ combatans, qui seroient armez et souldoiez de
par ladicte ville, ceulx de Parlement, Chastellet, la
Chambre des comptes, la Chambre des monnoyes, la
Chancellerie , maistres des requestes , les esleuz et
autres, qui sembla estre moult grant charge aux habi-
tans d'icelle, veu le grant nombre de gens que desjà
on avoit envoyé audit Beauvais, et que aussi ladicte
ville en demorroit moult fort aiîeblye. Et furent ces
1. Cf. Discours véritable... (Lenglet, III, 215).
'
1472] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 281
choses moult honnorablement remonstrées par ledit
sire Denis Hesselin aux cappitaines estans oudit Beau-
vais, qui desdictes remonstrances se tindrent à bien
contens et se contentèrent de ce qui leur avoit esté
envoyé, sauf qu'ilz prièrent que encores on leur
menast cent arbalestriers et coulevriniers ; ce que fist
ladicte ville.
Et depuis, le mercredi, feste de la Magdaleine*,
environ l'eure de trois heures de matin, ledit duc de
Bourgongne honteusement se desloga de son ost et
s'en parti et s'en ala sans autre chose faire^, sinon que,
durant l'espace de xxvi jours entiers qu'il fu devant
ladicte ville, il ne cessa de faire getter son artillerie
contre ladicte ville nuit et jour, qui peu ou néant gre-
vèrent icelle ville ne les habitans d'icelle, et y donna
et fist donner deux grans et merveilleux assaulx, aux-
quelz y furent tuez et murdris bien grant nombre de
ses gens de guerre, des plus grans qu'il eust en sa
compaignie. Et si perdi durant icellui temps grant
quantité de son artillerie, que ceulx de la garnison
d'Amiens pour le roy gaignerent dessus lesdiz Bour-
guignons.
Et, depuis ledit partement desdiz Bourguignons, ilz
s'en alerent boutans les feux es blez et es villages par-
tout où ilz passoient^ ; et vindrent devant Saint-Walery
1. 22 juillet. « En un mercredy matin..., en belle nuit, sans
trompette, honteusement et villainement s'enfuit et deslogea avec
son ost... » {Discours véritable, loc. cit., 214).
2. Interpolations et variantes, § LXXXIX.
3. Pour venger son échec, le duc brûla tous les villages des
environs de Beauvais à quatre ou cinq lieues à la ronde, « du
costé où il tenoit son parc, car d'autre part il n'y eust osé pas-
ser » [Ibid.]. Commynes veut que le duc se soit retiré « en bel
-282 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1472
lez le Crotoy*, qui leur fut rendu par cealx de dedens,
pour ce qu'ilz n'estoient pas assez gens et que la place
n'estoit point de tenir contre sa puissance. Et après
s'en ala à Eu, qui pareillement lui fut rendue pour la
cause que dessus-.
Et, le mercredi xxix^ jour de juillet, monseigneur
le connestable, monseigneur le grant maistre et autres
cappitaines qui estoient dedens la ville de Beauvais,
acompaignez de vin'^ lances, se partirent dudit lieu
pour eulx tirer ou pays de Caulx, vers Arques et
Moustierviller^, pour estre au devant desdiz Bourgui-
gnons, qu'ilz supposoient qu'ilz y dévoient aler; ce
que firent lesdiz Bourguignons et alerent mettre et
asseoir leur parc entre ladicte place d'Eu et Dieppe,
en ung village nommé Ferrieres^. Et ilec depuis y
séjourna bien grant pièce sans rien conquérir, sinon
le Neuf Ghastel de Nycourt, où ilz se boutèrent pour
ce que dedens n'y trouvèrent aucun qui leur contre-
deist; et y furent par l'espace de trois jours, puis s'en
alerent ; et au partir y boutèrent le feu et brûlèrent la
ordre, » espérant être attaqué (édit. Dupont, I, 289 et suivantes).
1. Auj. Saint- Valery-sur-Somme , dép. do la Somme, arr.
d'Abbeville.
2. Le 28 juillet, Charles campa « outre l'eau, sous la ville d'Eu,
vers Dieppe, où il resta jusqu'au 9 août » (Lenglet, II, 202). Cf.
Commynes, éd. Dupont, I, 290 : « Il print... son chemin en Nor-
mandie pour ce qu'il avoit promis au duc de Bretaigne aller
jusques devant Rouen, lequel avoit promis de s'y trouver... »
3. Arques, auj. Seine-Inférieure, près Dieppe. Montivilliers,
même dép., arr. du Havre.
4. Ferrières, auj. dép. de la Seine-Inférieure. L'Itinéraire de
Charles le Hardi porte que le 28 juillet le duc campa « outre
l'eau, sous la ville d'Eu vers Dieppe, » et qu'il y resta jusqu'au
9 août (Lenglet, II, 202).
1472] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 283
ville et chasteP, qui fut ung moult grant et piteux
dommage, car c'estoit une moult belle ville de guerre
et grande. Et en après fist mettre et bouter ledit
Bourguignon le feu à Longueville, au Fay et autres
plusieurs lieux et villages du bailliage de Caulx, que
pour tout son vaillant ne sauroit réparer^. Et plus ne
autre vaillance ne fist que de bouter lesdiz feux, depuis
son parlement de ses pays jusques au premier jour de
décembre 1111= LXXII.
Durans ces choses, le roy, qui estoit en Bretaigne
à tout plus de cinquante mil combatans, n'y fist que
peu ou rien, pour ce qu'il fut mené de belles paroles
et par ambassades, au moien de quoy il cuidoit avoir
bonne pacificacion et accord avecques ledit duc de
Bretaigne, sans effusion de sang ne perdicion de ses
gens de guerre, que tousjours il a fort craint, plus
sans comparoison que ledit de Bourgongne^, qui est
trop cruel et plein de mauvaise obstinacion, ainsi que
par cy devant l'a monstre et monstre chascun jour^.
1. Interpolations et variantes, § XG. — Il s'agit ici de Neufchà-
tel-en-Bray (Seine-Inférieure). Cf. Basin, II, 298.
2. C'est le 26 août que le duc fit incendier le château de Lon-
gueville, auj. arr. de Dieppe (Lenglet, II, 202). Basin, qui, malgré
sa partialité habituelle, qualifie sévèrement cette dévastation bar-
bare du pays de Caux, dit que les chefs français n'osèrent pas
attaquer l'armée bourguignonne. Ils se contentaient de chevaucher
sur ses flancs, en ramassant les traînards. Tel était, disaient-ils,
l'ordre du roi, mais l'opinion générale fut que cette attitude pas-
sive était le fait du connétable, et l'évêque de Lisieux ajoute :
« quod certum verisimile est quia idem cornes ultro citroquc pro-
ditor pessiinus erat... « (II, 299 et suiv.). Cf. la chron. anon. inip.
en appendice de Wavrin, III, 295 et suiv.
3. Interpolations et variantes, § XGI.
4. Le duc Charles de Bourgogne vivait encore lorsque ce pas-
sage fut rédigé.
284 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1472
Et, après que ledit duc de Bourgongne fut retourné
dudit pays de Caulx, où ainsi avoit bouté les feux que
dit est, et que devant Arques et Dieppe* fut si vigueu-
reusement recueilli et batu, lui et ses gens, s'en party
d'icellui pays et délibéra de s'en aler devant la bonne
ville et cité de Rouen, où plus que devant fut bien
receu et tellement que, au moien des saillies et grans
vaillances que firent sur lui ceulx de dedens, lui con-
vint soy en retourner bien honteusement et à sa grant
perte vers Abbeville^, et fist courir lors grant bruit de
mettre le siège devant la ville de Noyom et icelle avoir
par force. A quoy lui fut bien résisté par le sire de
Grussol et autres vaillans cappitaines pour le roy, qui
se vindrent loger dedens et qui la fortifièrent d'engins,
de vivres et autres choses pour repuiser sa dampnée
fureur. Mais ung grant mal fut fait par son moien, car
lesdiz cappitaines, pour estre et demourer plus seurs
en ladicte ville, firent brûler et abatre les faulxbourgs
d'icelle ville pour garder d'y loger lesdiz Bourgui-
gnons, qui n'y vindrent point.
Oudit temps, messire Robert d'Estouteville, cheva-
lier, prevost de Paris, qui estoit dedens la ville de
Beauvais avecques les nobles de la prevosté et viconté
de Paris et certain nombre de frans archers, s'en
party dudit lieu de Beauvais et s'en vint loger es
fauxbourgs de la ville d'Eu , du costé d'Abbeville.
Et, ce mesme jour aussi, arriva d'autre costé es diz
faulxbourgs du costé de Dieppe monseigneur le ma-
reschal Joachin ; lesquelz incontinent envoierent som-
mer les Bourguignons qui estoient dedens. Et lelz
1. Inlerpolatiom et variantes, § XCII.
2. Appendice de Wavrin, III, 297.
1472] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 285
effrois leur firent les gens du roy qu'ilz prindrent
composicion, qui estoit telle qu'ilz s'en alerent tous et
rendirent ladicte ville. C'est assavoir les chevaliers,
chascun sur ung petit courtault, et tous les autres
Bourguignons, qui estoient bien vnf et plus, s'en
alerent chascun ung baston en leur poing et laissèrent
tous leurs habillemens, biens et chevaulx, et si paie-
rent dix mil escuz. Et puis ne demoura gueres que
lesdiz Joachin et d'Estouteville, eulx et leurs gens, s'en
alerent devant la ville de Saint-Walery, qu'ilz eurent
par semblable condicion, et paierent \i^ escuz. Et puis
s'en alerent à Rambures^ ung bien bel et fort chas-
teau, où dedens estoient aucuns Bourguignons, qui
vindrent au devant dudit d'Estouteville et Joachin,
ausquelz ilz rendirent ledit chastel, moyennant que
lesdiz Bourguignons s'en alerent eulx et leurs bagues
saulves.
En ces entrefaictes, aucuns tenans le party dudit
de Bourgongne, comme le conte deRoussy, tîlz dudit
connestable-, et autres de leur parti tindrent les
1. Les Bourguignons étaient en possession du château de Ram-
bures (auj. dép. de la Somme, cant. de Gamaches) depuis le 26 juil-
let (Lenglet, II, 202). Cf. Appendice de Wavrin, HI, 295, 299 ss.
— Sur la réclamation de Charles le Hardi, il fut stipulé, dans la
trêve conclue le 3 novembre 1472, que les places de Saint- Valéry
et de Rambures, prises par les troupes royales, ne seraient ni
brûlées ni démolies non plus que fortifiées autrement qu'elles ne
l'étaient au jour de la capitulation (Lenglet, III, 232).
2. Antoine de Luxembourg, comte de Brienne, de Ligny et de
Roussy, fils du comte de Saint-Pol et de Jeanne de Bar, était
lieutenant général du duc Charles en Bourgogne. Lenglet donne
(III, 227), d'après le ms. fr. 3887, la liste des places prises sur les
Français dans cette région pendant la première quinzaine du mois
d'octobre 1472.
286 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1472
champs, ou pays et marche de Bourgongne, et se
vinrent espandre et loger en la conté de Tonnerre, où
ilz ne trouvèrent aucune resistence, et en gastant et
destruisant pays vindrent jusques à Joigny, qui fut fort
secouru par les gens du roy et ne le orent point. Et
puis s'en alerent vers Troyes, boutans feux es gran-
ches et villages, et autre vaillance ne firent. Et, pen-
dant qu'ilz faisoient telz maulx, semblablement le fai-
soient le conte daulphin d'Auvergne et autres nobles
hommes de sa compaignie ou pays de Bourgongne
pour le roy, où ilz mirent et boutèrent aussi le feu en
plusieurs des villes, villages et lieux dudit de Bour-
gongne, et y firent du dommaige irréparable; mais
c'estoit pour revenge de ce que ledit Bourguignon
avoit fait sur les villes, pays et subgetz du roy ^ comme
mauvais subgetz qu'ilz estoient à leur vray et souve-
rain seigneur.
Ou moys de septembre ensuivant, le roy, qui avoit
esté par certain temps ou pays de Bretaigne, fist trêve
ou abstinence de guerre avecques ledit duc de Bre-
taigne jusques au premier jour d'avril ensuivant^. En
laquelle trêve estoient comprins les amis et aliez d'icel-
lui de Bretaigne, lesquelz il declaira estre ledit duc
de Bourgongne, qui aussi print et accepta la trefve
1 . Interpolations et variantes, § XGIII.
2. Une trêve de six semaines fut conclue le 15 octobre 1472 au
nom du duc de Bretagne par Piiilippe des Essarts, seigneur de
Thieux, et par Guillaume de Soupplainville. II fut stipulé que
Louis XI évacuerait les places qu'il occupait en Bretagne, à l'ex-
c(q)tion d'Ancenis. Le duc François ratifia la trêve on date du
2(i octobre, et c'est dans ces lettres de ratilication que sont nommés
les « amis et alliés » du duc, savoir « les ducs de Bourgogne et
de Calabre, leurs pays, subjets et serviteurs, si compris y veulent
1472] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 287
ledit temps durant, aussi pour lui, ses amis et aliez,
qu'il declaira estre l'empereur d'Alemaigne, les roys
d'Angleterre, Escoce, Portugal, Espaigne, Arragon,
Secile et autres roys jusques au nombre de sept, et
plusieurs autres ducs et grans seigneurs'.
En ce temps acoucha d'un filz la bonne royne de
France, qu'on appella monseigneur de Berry, qui ne
vesqui gueres^.
Vers la fin du moys d'octobre, advint que monsei-
gneur de Beaujeu, frère de monseigneur le duc de
Bourbon, qui estoit aie par l'ordonnance du roy ou
pays d'Armaignac comme gouverneur de Guienne,
lequel estoit bien acompaigné de grans seigneurs et
nobles hommes, lui estant dedens la ville et cité de
Lestore oudit pays, fut par trahison prins et mis es
mains dudit conte d'Armaignac, lequel, au moien
d'icelle prinse, recouvra ladicte cité^. Et, puis après
estre » (Lenglet, III, 228 et suiv. Cf. Commynes, éd. Dupont, I,
291 et suiv.). Cette trêve fut prolongée pour un an à partir du
23 novembre 1472 (Lenglet, lU, 235-238).
1. C'est la trêve du roi avec la Bourgogne, conclue le 3 no-
vembre 1472 par le connétable pour Louis XI et pour le duc
Charles par les seigneurs de Croy, d'Humbercourt et d'Aymeries,
et non pas celle passée avec les Bretons, qui devait prendre fin
le 1er avril 1473. Étaient compris dans cet accord du côté bour-
guignon, outre les souverains nommés ci-dessus, les rois de Hongrie
et de Pologne, les ducs de Bretagne, de Calabre et de Lorraine, la
duchesse de Savoie et son fils, le comte de Romont et la maison
de Savoie, le duc d'Autriche, la seigneurie de Venise, le comte
Palatin, le duc de Gueldres.
2. Interpolations et variantes, § XCIV. — La nourrice de Fran-
çois, duc de Berry, Jeanne Garnière, figurait encore aux gages de
50 1. t. dans la maison de la reine Charlotte, en 1483 (Bibl. nat.,
ms. fr. 15538, fol. 63).
3. Pierre de Bourbon, sire de Beaujeu, venait d'arriver à Lec-
toure pour se mettre à la tète d'une expédition destinée à pour-
288 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1472
icelle prinse, ledit d'Armaignac délivra plusieurs des
seigneurs estans avec ledit seigneur de Beaujeu, qui
depuis furent prins de par le roy pour ce qu'il avoit
souspeçon qu'ilz eussent esté cause de la prinse dudit
seigneur de Beaujeu, et furent menez prisonniers ou
chasteau de Loches. Et de ladicte prinse dudit de
Beaujeu fut le roy moult dolent, et, pour le ravoir,
envoia devant icelle cité de ses gens de guerre et
artillerie en grant nombre \ et lui mesmes ala jusques
à Poictiers, à la Rochelle et ou pays d'environ, et y
estoit le jour saint Andry [30 novembre], oudit an
LXXII, et puis s'en retourna à Angers^.
Et, à cause de ladicte prinse, y ot ung gentilhomme,
serviteur dudit monseigneur de Beaujeu, nommé Jehan
Deymier, qui estoit prisonnier oudit lieu de Loches^,
lequel fust escartelé en la ville de Tours, pour ce
qu'il confessa avoir esté traistre au roy et à sondit
maistre ; et, à l'eure qu'il deust mourir, parla moult
honnorablement et publiquement devant tous dudit
seigneur de Beaujeu, en disant par lui qu'il estoit bon
et leal et qu'il n'avoit riens sceu de ladicte trahison,
mais d'icelle en charga fort le Gabdet d'Albret, sei-
suivre et à saisir Jean V d'Armagnac. Mais celui-ci, averti par
le Cadet d'Albret, son cousin, qui feignait un grand attactiement
à la cause royale, réussit à surprendre la ville de Lectoure, à peu
près dégarnie de troupes et toute pleine de ses partisans (19 octobre
1472). Beaujeu et ses compagnons se laissèrent prendre au lit
(voy. les détails de cet épisode dans l'extrait cité de la Revue
historique, année 1888, Louis XI, Jean V d'Armagnac, etc., p. 31
et suiv.).
1. Novembre 1472 (^Ibid., p. 43 et suiv.).
2. Louis XI est signalé à l'Hermenault (auj. dép. de la Vendée)
du 25 au 29 novembre et le 30 à la Roclielle (Itin. cité).
3. Interpolations et variantes, § XCV.
1473] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 289
gneur de Saincte- Basile ^ ouquel ledit de Beaujeu
avoit eu grant confidence pour ce qu'il avoit esté
nourry et eu moult de biens en la maison de Bourbon -.
Après ces choses, le roy séjourna longuement en
Poictou et vers les marches de Bretaigne, et tant y
demoura que appoinctement se fist entre le roy et
ledit duc de Bretaigne, dont pour ce faire se mesla
fort Oudet de Rie, seigneur de Lescum, à qui le roy,
à ceste cause, fist de grans biens, et par avant lui en
avoit aussi fait. Et, en faisant ledit appoinctement, le
roy bailla et délivra audit duc de Bretaigne la conté
de Monfort et certaine somme de deniers. Et, après
ledit accord ainsi fait, fut envoyé par ledit duc de
Bretaigne le faire notiffier et savoir par ses ambas-
seurs au duc de Bourgongne, et pour ravoir de lui les
scellez que ledit duc de Bretaigne lui avoit baillez en
faisant l'aliance d'entre eulx^.
1. Charles, dit le Cadet d'Albret, fils de Charles II, seigneur
d'AIbret, et d'Anne d'Armagnac, avait reçu de son père, dès le
17 novembre 1456, les seigneuries de Sainte-Bazeille(auj. dép. de
Lot-et-Garonne), de Gensac, de Langoiran, etc. (art. cité, p. 26).
2. Interpolations et variantes, § XCVI.
3. Interpolations et variatites,^ XGVII. — Louis XI séjourna en
Poitou pendant toute la seconde partie du mois de novembre 1472
et jusqu'au milieu de janvier 1473. — Sur les marchandages qui
finirent par assurer au roi le concours d'Odet d'Aidie, le grand
directeur de la politique bretonne, voy. Commynes, éd. Dupont,
I, 291-295. Ce chroniqueur qualifie aussi l'appointement conclu
entre le roi de France et François II de « paix finalle. » Louis XI
s'engagea à ne traiter avec la Bourgogne que par l'entremise du
duc de Bretagne (Montaigu en Vendée, !«■• janvier 1473, n. st.).
En conséquence, le 29 janvier, à Nantes, François U donnait com-
mission à Vincent, évêque de Léon, de se rendre auprès du duc
Charles afin d'obtenir la prorogation de la trêve qui devait prendre
fin le l^"" avril et qui fut en effet prolongée pour une année (Len-
glet, m, 246-255. Cf. p. 184-186, avec la date erronée de 1472).
290 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1473
Ou moys de février, oudit an IIIPLXXII, le tiers
jour dudit moys, advint, sur le point de six heures au
soir, que le temps estoit fort doulx et chault, qu'il
descendit du ciel deux grans clartez comme deux
chandelles passans devant les yeulx des regardans,
qui sembloit estre fort espoventable, et en yssoit moult
grant clarté, mais ce ne dura gueres.
Le septiesme jour dudit moys de février, monsei-
gneur l'evesque de Paris, filz de monseigneur de la
Forest, fîst son entrée comme evesque de ladicte ville,
et y ot grant solennité gardée à son entrée'. Et, après
le service fait en la grant église, donna à disner aux
gens d'eghse, Université, Parlement, Chambre des
comptes, generaulx, maistres des requestes, secré-
taires, prevost des marchans, eschevins et bourgois
de ladicte ville bien et honnorablement.
En ce temps fut tirée de la ville de Lestaure une
grosse serpentine en l'ost des gens du roy estaus
devant, laquelle d'un seul cop tua le maistre de l'artil-
lerie du roy et quatre autres canonniers.
Oudit temps fut prins prisonnier le duc d'Alençon
par messire Tristan l'Ermite, prevost des mares-
chaulx, et mené devers le roy pour occasion de ce
que on disoit qu'il s'en estoit party de ses pays, cui-
dant s'en aler pardevers ledit de Bourgongne pour lui
vendre et délivrer toutes ses terres et seigneuries qu'il
avoit ou pays du Perche et Normendie avecques ladicte
duchié d'Alençon^.
1. Louis de Beaumont, évêque de Paris, qui mourut le 5 juil-
let 1492, était Gis de Louis, seigneur de la Forêt, chevalier de
l'ordre, et l'ua des serviteurs les plus employés de Louis XL
2. Jean V fut arrêté à BrezoUes, dans le Perche, enfermé d'abord
1473] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 291
Ou mois de mars ensuivant mil IIIP LXXII, le ven-
dredi cinquiesme jour, le conte d'Armaignac, estant
dedens ladicte ville de Lestaure et qui audit jour
avoit composicion faicte avecques le roy ^ par le moien
de messire Yves du Fau^, que le roy avoit envoyé
pardevers ledit d'Armaignac pour ceste cause, afin de
soy en wider dudit lieu de Lestaure, lui, sa femme et
serviteurs, leurs vies saulves, fut ledit d'Armaignac
tué et murdry par les gens du roy^, qui entrèrent
en icelle ville, pour ce que ledit d'Armaignac,
nonobstant sondit appoinctement et en alant à ren-
contre, voulut tuer et murdrir aucuns des gens
du roy qui entrèrent en icelle ville soubz umbre et
couleur dudit traictié, lesquelz, quant ilz virent que
ledit d'Armaignac les vouloit ainsi traicter, crièrent
aux gens du roy tenans ilec le siège qu'ilz les voul-
sissent secourir; ce qu'ilz firent, et vindrent assaillir
ladicte ville à l'endroit où elle avoit esté batue. Et par
là entrèrent dedens le seneschal de Lymosin et autres
en grant nombre et tel qu'ilz tuèrent ledit d'Armai-
gnac, toutes ses gens et tous les habitans de ladicte
ville de Lestaure, tellement que de tous n'en demoura
que la contesse d'Armaignac et trois femmes et trois
ou quatre hommes, que tout ne feust tué, murdry et
au château de Rochecorboa, près de Tours, puis transféré à Paris,
au Louvre (voy. plus loin).
1. Interpolations et variantes, § XGVIII.
2. Yves du Fou, chevalier, seigneur du Vigean et de la Ramen-
teresse en Poitou, conseiller et chambellan du roi, sénéchal de
Poitou, gouverneur d'Angoumois, grand veneur de France, etc.,
épousa Jeanne Mourraut et mourut en 1488 (Anselme, VIII, 704,
et Bibl. nat., ms. fr. 20432, fol. 5).
3. Interpolations et variantes, § XCIX.
I 21
292 JOURNAJL DE JEAN DE ROYE [1473
tout pillié^ Et, partant, monseigneur de Beaujeu et
les autres seigneurs et gentilzhommes que ledit d'Ar-
mignac tenoit prisonniers audit lieu de Lestaure
furent délivrez et s'en vindrent devers le roy. Et des
1. Lectoure, la clef de la Gascogne, construit sur une sorte de
promontoire élevé et vulnérable d'un seul côté, était une très forte
place. C'est au commencement de janvier que les Balsac com-
mencèrent à en canonner les défenses, et c'est le 4 mars, après de
nombreux pourparlers, que les mandataires du comte d'Armagnac,
Jean de Villiers la Groslaye, évêque de Lombez, et le chancelier d'Ar-
magnac, réussirent à s'entendre avec du Lude et avec le cardinal
d'Albi, Jean Jouffroy, sur les conditions de la capitulation. Jean V
reçut la promesse du pardon royal et un sauf-conduit en règle
pour se rendre auprès de Louis XI. Tous ses partisans devaient
être réintégrés dans leurs biens, et la cité de Lectoure conservait
ses privilèges. Par contre, Armagnac s'engageait à rendre immé-
diatement ses prisonniers et les clefs de la ville aux chefs de l'ar-
mée royale. Le 5 mars, il exécutait cet engagement. On a donné
ailleurs, dans un travail plusieurs fois cité au cours de cette édi-
tion, les raisons qui rendent peu vraisemblable le récit que la
Chronique scandaleuse donne du meurtre de Jean V. C'est la
version royaliste, celle que le procureur du roi défendit sous
Charles "VIU lors des débats qui furent engagés au Parlement de
Paris pour la succession du comte d'Armagnac ; mais les chances
sont pour que Jean V ait été tué sans provocation, à la faveur
d'une rixe qui s'engagea entre ses gardes et les francs archers des
sénéchaux du roi, avec ou sans l'approbation de ces derniers.
Après le meurtre, la soldatesque fit main basse sur tout ce qu'elle
rencontra, mais notre chroniqueur a exagéré le nombre des vic-
times, et les actes de réparation ordonnés par Louis XI lui-même
en faveur des « pauvres habitants » de Lectoure prouvent qu'il en
survécut un assez grand nombre. Après le sac de la ville, le feu
y fut mis, et fortifications et édihces furent méthodiquement démo-
lis. Jeanne de Foix, veuve du comte d'Armagnac, fut transportée
au château de Buzet, dans le Toulousain. Elle n'y fut nullement
empoisonnée, quoi qu'on en ait dit, et vécut plusieurs années
encore d'une pension de 6,000 1. t. que Louis XI lui avait assi-
gnée (Louis XI, Jean V d'Armagnac, etc., extrait de la Rev. hisL,
cité, p. 46-57).
1473] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 293
choses dessusdictes en apporta les nouvelles au roy
ung des chevaucheurs de son escuierie, nommé Jehan
d'Auvergne, dont le roy fut moult joyeux, et, pour
ceste cause, le fist et créa son herault et si lui donna
cent escuz d'or^. Et entra dedens ladicte ville le car-
dinal d'Arras^, qui moult vaillamment s'estoit porté
devant icelle, en y tenant le siège pour le roy. Et après
fut toute ladicte ville arse et tout getté dedens les
fossez.
Et, pour la desconfiture dudit lieu de Lestaure et
dudit d'Armaignac, en ala la nouvelle au roy d'Arra-
gon, qui estoit à Parpeignen, lequel, pour la cause
dessusdicte, et aussi qu'on lui rapporta que PheHppe
Monseigneur de Savoye s'en aloit à lui pour lui faire
guerre et recouvrer ladicte ville de Parpignen qu'il
avoit prinse sur le roy, et venoit ilec à tout grant
compaignie de gens de guerre, tant des pays de Savoie,
du Daulphiné que d'Armaignac, s'en ala et départi
dudit Parpeignen et se retrahy en autres ses pays^.
1. Nous ne savons s'il faut confondre ce Jean d'Auvergne avec
un personnage du même nom, archer de la compagnie de Gilbert
de Chabannes, gouverneur de Limousin (Bibl. nat., Titres. Montres
1414, fol. 128, cop., à la date du 18 novembre 1475). On rencontre
aussi un Guillaume d'Auvergne, chevaucheur de l'écurie du roi,
à la date du 30 octobre 1480 (Pièces orig., vol. 149, dossier d'Au-
vergne, parch.).
2. Jean Jouffroy, évêque d'Arras (1458-1462), puis d'Albi, car-
dinal, mort en 1473, joua un rôle important pendant la dernière
partie du siège de Lectoure. M. Fierville a écrit la biographie de
ce prélat guerrier et diplomate, sous ce titre : le Cardinal Jean
Jouffroy et son temps (Goutances, 1874, in-8o).
3. Les rigueurs d'Antoine du Lau, seigneur de Castelnau,
récemment rentré en grâce auprès de Louis XI et nommé gou-
verneur de Perpignan, indisposèrent les habitants de cette ville
au point que, dans la nuit du 2 février 1473, ils introduisirent
294 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1473
Et, puis le samedi matin, xiii* jour dudit moys de
mars, à l'eure de six heures de matin, le roy, qui
estoit au Plesis du Parc^, jadis nommé les Motifz lez
Tours, s'en party à privée compaignie et s'en ala à
Bordeaux et Baionne, et, afin que homme vivant, autre
que ceulx qu'il avoit ordonnez, ne le suivissent ne
alassent après lui, fist tenir toutes les portes de Tours
fermées depuis ladicte heure jusques à dix heures
sonnées, et si fist rompre ung pont près dudit lieu de
Tours par où il estoit passé, que homme n'y passast.
Et fist ilec aussi demourer monseigneur de Gaucourt,
cappitaine des gentilzhommes de sa maison, afin que
personne n'alast après lui^.
Et, le mercredi septiesme jour d'avril, avant Pas-
dans la cité une bande d'Aragonais. Les Français, contraints de
se réfugier dans la citadelle, n'eurent d'autre ressource que d'y
attendre le secours qu'ils avaient réclamé du roi. C'est aux envi-
rons du 10 avril que le comte de Bresse, lui aussi réconcilié avec
son royal beau -frère, vint mettre le siège devant Perpignan.
Encouragés par la présence du vieux roi Juan d'Aragon, les bour-
geois opposèrent une résistance acharnée aux troupes de Philippe
de Savoie renforcées par l'armée de Lectoure que Louis XI avait
dirigée sur l'Espagne après la mort du comte d'Armagnac (Basin,
II, 304 et suiv.).
1, Charles Vil possédait déjà, dans un faubourg de Tours, aux
Montils, un logis et un parc dont il termina la clôture en 1451
(De Beaucourt, Hist. de Charles VJl, t. V, p. 73). Le château du
Plessis, dont quelques parties subsistent encore à une faible dis-
tance des limites actuelles de la ville, fut probablement une adjonc-
tion faite par Louis XI au domaine des Montils.
2. Ce passage de la Chronique scandaleuse a été particulièrement
incriminé par M. Quicherat (Recherches sur le chroniqueur Jean
Castel, dans la Bibliothèque de l'École des chartes, II, 467). On a fait
ressortir, dans l'introduction de la présente édition, p. xvi-xviii,
que le récit de Jean de Roye est parfaitement exact et que, si la
chancellerie royale est demeurée au Plessis, Louis XI a bien fait
dans le Midi l'excursion indiquée.
1473] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 295
ques, oudit an LXXII, le Cabdet d'Albret, filz du conte
d'Albret^ qui avoit esté avecques mondit seigneur de
Beaujeu audit lieu de Lestaure, et qui avoit trahy et
baillé ledit seigneur au conte d'Armaignac, fut icellui
Cabdet prins prisonnier audit lieu de Lestaure après la
mort dudit d'Armaignac et amené prisonnier à Poic-
tiers, où ilec fut fait son procès et condempné à estre
décapité; laquelle [chose] il fut, ledit jour de mer-
credi VII® avril. Et, incontinent qu'il ot eu le col couppé,
fut son corps et sa teste mis en ung sarcueil couvert
d'un poile armoyé à ses armes, et fut porté ledit corps
enterrer par les quatre ordres mendians dudit Poic-
tiers, et lui fut fait ung moult beau service^.
Oudit moys d'avril fut fait derechef tresve entre le
roy et ledit duc de Bourgongne jusques à ung an
prouchain ensuivant, qui finiroit l'an LXXIIIP.
L'an mil IIII'^LXXIII, environ la fin d'avril, advint
1. Lisez Sire d'Albret. Ce Cadet d'Albret, quatrième fils de
Charles II, mort en 1471, était le frère et non le ûls du sire d'Al-
bret (Alain le Grand), alors vivant.
2. Le Cadet d'Albret, arrêté le jour de la capitulation de Lec-
toure, fut amené au château de Lusignan, en Poitou. Son procès,
instruit par des commissaires désignés par le roi, commença le
20 mars 1473. Charles d'Albret, tout en protestant qu'il était
demeuré étranger au coup de main du comte d'Armagnac sur
Lectoure, fut contraint de reconnaître qu'il y avait collaboré au
moins par ses conseils et qu'il avait pris part à la défense de la
ville contre les troupes royales. Transporté au château de Poitiers,
il fut condamné à mort le 7 avril 1473 pour crime de haute trahi-
son par un tribunal présidé par le chancelier d'Oriole et composé
de Guillaume Cousinot, chevalier, de Pierre Bragier, seigneur de
Puyjarreau et de Magesir, et de sept conseillers au Parlement de
Paris. La sentence fut exécutée le même jour à Poitiers (voy.
Louis XI, Jean d'Armagnac, etc., art. cité, p. 63 et suiv.).
3. C'est la prolongation do trêve dont il a été parlé plus haut
(voy. Lenglet, UI, 247-255).
296 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1473
que le roy d'Arragon fist entreprinse sur ]a ville de
Parpeignen et la print sur monseigneur du Lau, qui en
avoit la garde et la charge, mais le chasteau demeura
au roy et à ceulx qui dedens estoient. Et le tindrent,
depuis ladicte ville prinse, bien longuement, etjusques
après la conqueste faicte dudit lieu de Lestaure, que,
après icelle, le roy en envoya son armée pardevant
ladicte ville de Parpaignen, -devant laquelle ilz mirent
le siège et y assiégèrent ledit roy d'Arragon et son filz.
Et, avecques les nobles seigneurs, cappitaines et senes-
chaulx de ladicte armée, y estoit aussi monseigneur le
cardinal d'Albi, qui moult bien et sagement se y
gouverna. Et, devant icelle ville tindrent le siège
longuement, et jusques au mois de juing, que le roy
y envoya derechef et pour renforcer ladicte armée
1111'= lances prinses à Amiens et autres villes voisines.
Et si y envoya grant quantité d'artillerie et canon-
niers^
Ou moys de juing, oudit an mil IIIIc LXXIII, le duc
d'Alençon , que le roy avoit fait prendre et amener
prisonnier à Loches, fut amené à Paris ou chasteau du
Louvre, et y arriva le mercredi, veille du Saint-Sacre-
ment, XVI® jour dudit moys de juing, à l'eure d'entre ix
et dix heures au soir, à l'arche de Bourbon, où il
descendi ilec des basteaulx qui l'avoient amené de
GorbueiF. Et y estoient à le conduire monseigneur de
1. Ce n'est pas à la fin d'avril 1473, mais, comme on l'a vu
ci-dessus, au commencement de février, que Juan d'Aragon réus-
sit à enlever la ville de Perpignan aux Français. Assiégé à son
leur, il lit preuve d'une grande énergie, harcelant au moyeu de l'rc-
quontos sorties ses adversaires décimés par les ardeurs d'un été
torride et épuisés par le manque de vivres. Le siège de Perpi-
gnan fut levé le 24 juin suivant.
2. L'arche de Pourbon, sur la rivo droite do la Seine, en face
1473] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 297
Gaucourt, le sire de la Gholetiere, maistre d'ostel du
roy^ et avecques ce en leur compaignie y estoient
cinquante archers de la garde et xxiiii gentilzhommes
de l'ostel du roy, lesquelz, après que ledit seigneur
eut esté mis et bouté oudit chasteau du Louvre, s'en
retournèrent devers le roy et le laissèrent en la garde
dudit seigneur de la Gholetiere et des archers de
ladicte ville de Paris. Et est à savoir que, le jour qu'il
arriva, fut mené loger en la rue Saint-Honoré, à l'en-
seigne du Lion d'argent. Et, ledit jour dudit Saint-
Sacrement, après souper, aussi à ladicte heure d'entre ix
et X heures au soir, fut mené et conduit ledit seigneur
audit chasteau du Louvre.
Et, après que ledit siège eut esté longuement tenu
devant ladicte ville de Parpeignen, advint que les
gens du roy, au moien de la grande et extrême cha-
leur qu'ilz avoient et souffroient ilec, et aussi qu'ilz
avoient grant souffreté de vivres, prindrent trêves
lesdiz de Parpeignen et eulx ung peu de temps, pen-
dant lequel chascun se avitailla et appoincta de ce que
besoing leur estoit^, et, en ces entrefaictes, y furent
la rue des Poulies, donnait accès au port aux Passeurs. Ce point
d'atterrissement était donc très voisin du Louvre (Berty, Plan
archéologique de Paris du XII h au XVII^ siècle).
1. Jean Gholet, chevalier, seigneur de la Gholetiere, etc., con-
seiller et maître d'hôtel du roi, capitaine du château de Decise
(avril 1475), est qualifié maître de l'artillerie au mois de février
1478. Il épousa Perrine d'Argenson et mourut en 1479 (Bibl. nat.,
Titres. Montres 1414, fol. 2, 21; Pièces orig., vol. 758, doss. Chol-
let de la Gholetiere; ms. lat. 10133, fol. 71 v», et Vaesen, Lettres de
Louis XI, lY, 42). — Le seigneur de Gaucourt était capitaine de la
garde du roi.
2. Sur les souffrances endurées par les troupes françaises en
Roussillon, voy. Basin, II, 311. — Un arrangement provisoire
finit par intervenir entre les deux partis en présence, le 19 sop-
298 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1473
envoiez grant quantité de gens de guerre. Et, pour y
remettre le siège et fournir de vivres ledit host, le roy
y envoya monseigneur de Gaucourt, maistre Jehan
Bourré et le changeur du trésor* pour prendre vivres
et les paier partout où recouvrer en pourroient pour
mener audit Parpeignen.
Durant ce temps, et ou moys de juillet IIIPLXXIII,
mourut ung des enfans du Toy, nommé monseigneur
Françoys de France, duc de Berry^, dont le roy porta
moult grand dueil, et fut par l'espace de six heures
ou chasteau d'Amboise que homme ne parloit à luy^.
Oudit moys de juillet, le duc de Calabre mourut de
pestilence à Nancy le Duc, en la duchié de Lorraine.
Et, incontinent après son trespas, fut nouvelles que
ung Alemant, qui, avant ledit trespas, a voit la conduite
de l'armée dudit de Calabre, print à prisonnier le
conte de Vaudesmons, héritier de ladicte duchié de
Lorraine, à l'adveu et faveur du duc de Bourgongne.
Pour laquelle cause, et afin de ravoir ledict conte ^ de
Vaudesmons, fut prins pour marque^ en ladicte ville
de Paris ung jeune filz escolier, nepveu de l'empereur
d'Alemaigne^.
tcmbre 1473, qui replaça le Roussillon et la Gerdagne aux mains
du roi de France (mais sous le gouvernement d'un Catalan pré-
senté par le roi d'Aragon) jusqu'à parfait paiement des sommes
d'argent dues à Louis XI.
\ . Gilles Cornu. Sur l'envoi, à l'armée de Roussillon, de ces trois
personnages, voy. Vaesen, Notice biographique sur Jean Bourre
(Extrait do la Uibliolhèque de l'École des chartes, 1882-1885, p. 12).
2. Voyez plus haut, p. 287.
3. Interpolations et variantes, § G.
4. Le texte porte ici ladicte conté, ce qui est un lapsus évident.
5. C'est-à-dire pour otage.
6. Nicolas, duc de Calabre et de Lorraine, né en 1448, mourut
1473] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 299
Oudit moys de juillet fut ordonné ung grant conseil
estre tenu en la ville de Senlis, entre les gens du roy
et ceulx du duc de Bourgongne, pour appoincter sur
les differens d'entre eulx. Et y envoya le roy de son
costé le conte de Dampmartin\ qui y fist de grans
pompes, monseigneur le chancellier, monseigneur de
Craon, monseigneur le premier président de Parle-
ment, maistre Guillaume de Cerisay, greffier civil
d'icelle court, et maistre Nicole Bataille, advocat en
ladicte court, lesquelz y séjournèrent par long espace
de temps et jusques au jour de my aoust dudit
an LXXIII, sans avoir riens fait.
En ce mesmes temps, le duc de Bourgongne mist
sus son armée et s'en ala en la duchié de Guéries pour
la subjuguer et mettre en ses mains ^.
Oudit moys d'aoust, le dimenche viii® jour d'iceluy,
le roy estant dedens le chasteau d'Alençon, qui s'en
aloit hors d'icellui, advint que par fortune, ainsi qu'il
yssoit hors du chasteau d'icellui lieu, chey sur lui,
sans alliance le 24 juillet 1473. La nouvelle qui courut à Paris de
l'enlèvement de René, comte de Vaudémont, désigné pour recueil-
lir la succession du duché de Lorraine, n'était sans doute qu'un
faux bruit. A Nancy, on prétendit un moment que le jeune duc
avait été fait prisonnier par les Messins (voy. D. Calmet, Preuves
de l'histoire de Lorraine, IV, xlix).
1. Interpolations et variantes, § CI.
2. Interpolations et variantes, § GII. — Arnoul d'Egmont, duc
de Gueldres, jeté en prison par son fils Adolphe, avait constitué
pour héritier de son duché le duc de Bourgogne. Charles le Hardi fit
arrêter Adolphe, l'emprisonna à son tour, envahit le duché et triom-
pha assez aisément de la résistance de ses partisans. Le 15 juin,
il campait près de Montfoort sur l'Yssel, s'emparait successive-
ment de Venloo sur la Meuse, puis de Nimègue (19 juillet). Zut-
phen, Arnheim et le reste du pays se soumirent peu après (Basin,
II, 314-320. Cf. Commynes, éd. Dupont, I, 306-309).
300 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [U73
dessur l'une de ses manches, une grosse pierre de
fes^ dont et de quoy il fut en moult grant danger de
sa personne, duquel danger [par] Dieu et la benoiste
Vierge Marie, à la grâce de laquelle il est^ moult fort
enclin, en fut garendi et gecté hors.
Oudit moys d'aoust, le conseil du roy, qui estoit en
la ville de Senlis avec les ambasseurs de Bourgongne
et Bretaigne, et qui y avoient séjourné longuement,
s'en départirent et s'en ala et retourna chascun en son
lieu, sans riens faire ^ de la matière pour laquelle ilz
estoient alez.
Et, au regard du fait et disposicion du temps de
ladicte année, l'esté fut moult chault, et par especial
depuis le moys de juing jusques au premier jour de
décembre, et plus chault et ardant que onques n'avoit
esté veu d'aage d'omme lors vivant^. Et, à ceste cause,
furent les vins chaulx et ardans, et plusieurs d'iceulx
devindrent aigres et puans et en fut grant quantité de
perdus et gettez par les rues. Et ne fist point de froit
ne ne gela point qu'il ne feust la Chandeleur^.
En ce temps, pour ce qu'il estoit bruit que les Bour-
guignons tiroient vers Loraine et Barrois, le roy y
envoya cinq cens lances soubz la conduicte de mon-
seigneur de Craon, qu'il fist son lieutenant gênerai, et
y envoya les nobles de l'Isle de France, de Normendie
et les frans archers, qui furent logez en divers lieux
1. Une pierre de faix, de poids.
2. On remarquera l'emploi du temps présent. Les éditions
imprimées portent estoit.
3. Interpolations et variantes, § GUI.
4. C'est ce que dit Basin (II, 3H). Cf. Omont, la Chaleur à Paris
en 1473, dans Bull, de la Soc. de l'hist. de France, nov.-déc. 1893.
5. 2 février iàl\ (n. st.).
1473] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 301
OU pays de Champaigne et y demourerent plus de
deux moys, et puis s'en retourna chascun en sa mai-
son, sans riens faire ^.
Oudit temps, ledit Bourguignon amena l'empereur
d'Alemaigne jusques à Luxembourg, et fut ledit empe-
reur dedens la ville de Metz pour les enhorter de
bouter ledit de Bourgongne en ladicte ville, ce qu'ilz
ne vouldrent pas faire. Et s'en retourna ledit empereur
audit lieu de Luxembourg, et d'ilec s'en retourna en
Alemaigne^.
En ce temps, ledit de Bourgongne envoya à Venise
pour emprunter de l'argent aux Veniciens, et d'icellui
argent en souldoier vi"^ lances du pays pour le temps
de trois moys, et passèrent par la duchié de Milan et
s'en vindrent joindre ou hault pays de Bourgongne
avecques les subgetz dudit duc, pour ce qu'ilz n'es-
toient pas assez fors pour grever l'armée du roy qu'il
avoit fait loger sur les marches dudit duchié de Bour-
gongne^.
1. Sur les craintes causées par la présence du duc de Bourgogne
en Lorraine et en Alsace, voyez nos Relations de Charles VII et de
Louis XI avec les cantons suisses (Paris, 1881, in-8°, p. 107 etsuiv.).
2. Frédéric IV quitta Bâle le 9 septembre, entra à Metz le 18,
y séjourna jusqu'au 27 et arriva à Trêves le 29. Le duc de Bour-
gogne était à Luxembourg avec son armée. Le projet primitif des
deux princes avait été de se rencontrer à Metz pour la cérémonie
de l'investiture à Charles le Hardi du duché de Gueldres ; mais
les Messins, redoutant un guet-apens, refusèrent absolument de
livrer aux Bourguignons un des portails de leur cité (Ghmel,
Monumenta Habsburgica. Vienne, 1854, in-8°, p. li-lix). L'entre-
vue eut lieu à Trêves.
3. Antoine de Montjeu se rendit à Venise de la part du duc de
Bourgogne dès le mois de juin 1473, et il y retourna en 1475 jiour
traiter avec le célèbre condottiere Barthélémy GoUeone, de Ber-
game, que Charles le Hardi voulait attirer à son service. Montjeu
302 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1473
Oudit temps, le roy maria son ainsnée fille, que par
avant il avoit promise au feu duc de Calabre, à mon-
seigneur de Beaujeu, frère de monseigneur le duc de
Bourbon * .
Oudit temps, les Bourguignons par trahison et em-
blée entrèrent ou pays de Nivernois et y prindrent des
places de monseigneur de Nevers, comme Laroche,
Ghastillon et autres.
Oudit temps se rassemblèrent à Gompiengne les
fut à cause de cela pris à partie par Louis XI (Preuves de l'histoire
de Bourgogne, IV, p. cccxxn). Sur le passage des mercenaires ita-
liens à travers la Savoie, le pays de Vaud et les défilés du Jura,
de 1473 à 1475, voyez Gingins, Épisodes des guerres de Bourgogne,
dans Mémoires et documents publiés par la Société d'histoire de la
Suisse romande, t. VIII, passim.
1. Pierre, seigneur de Beaujeu, né le 1" décembre 1438, avait
alors près de trente-cinq ans. Son mariage avec Anne de France,
qui fut accordé le 3 novembre 1473 à Jargeau, près Orléans (Con-
trat impr. par Lenglet, III, 345-347), fut célébré deux fois, la
première au château de Montrichard, en présence de Philippe de
Savoie, du comte de Dunois et d'autres. Peu après, on reconnut
que les nouveaux époux étaient parents par le sang et de plus par
alliance, Nicolas, duc de Calabre, qui avait été fiancé jadis à Anne,
alors âgée de six ans, étant le neveu du seigneur de Beaujeu. Pour
écarter cet empêchement, on obtint du légat du pape des lettres
apostoliques adressées à l'archevêque de Lyon, Charles de Bour-
bon, qui, après un semblant de procédure, excommunia les époux
et prononça leur divorce. Ils demeurèrent séparés trois ou quatre
jours, Anne à Amboise, auprès de la reine sa mère, Beaujeu aux
Montils, d'où il écrivait à M"* Anne « de gracieuses lettres » et
l'invitait plaisamment à ne pas se pourvoir d'un nouvel époux.
Enfin, les délais écoulés, l'archevêque de Lyon remit aux parties
une dispense régulière et célébra une seconde fois leur union
aux Montils-lès-Tours (Arch. nat., P 1367 <, cote 1539, examen
de témoins du 28 août 1499). La dot d'Anne de France fut de
100,000 écus d'or, dont un tiers devait demeurer à la disposition
du mari et les deux autres tiers former le propre héritage paternel
de réponse.
1473] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 303
ambasseurs du roy, qui auparavant avoient esté assem-
blez à Senlis, cuidant y trouver l'ambaxade ^ de Bour-
gongne, qui avoit promis y venir; lesquelz y firent
longuement attendre lesdiz ambasseurs du roy, les-
quelz s'en retournèrent à Paris, pour ce que lesdiz
Bourguignons n'y venoient point. Et puis encores y
retournèrent^ le moys de janvier, et y estoient le
XV® jour dudit mois.
En ce temps fut nouvelles que ledit de Bourgongne,
voyant qu'il n'avoit pas puissance de parvenir à des-
truire le royaume de France, ainsi que grant peine y
avoit mis, conspira avecques ung nommé maistre
Ythier Marchant, qui avoit esté serviteur de monsei-
gneur de Guyenne, et avecques ung nommé Jehan
Hardi, serviteur dudit maistre Ythier, qui s'en estoient
retirez après ledit trespas devers ledit de Bourgongne,
de trouver moien de faire mourir et empoisonner le
roy. De laquelle chose faire ledit Hardi print à lui la
charge, et, pour ce faire et acomplir, lui furent bail-
lées lesdictes poisons, en lui promettant faire moult de
biens, et de lui donner l™ escuz pour distribuer à
cellui ou ceulx qui feroient ladicte execucion. Et si fut
délivré argent audit Hardi pour faire ses despens en
ladicte poursuite. Lequel Hardi, fol et enragé et non
aiant Dieu devant les yeulx, et non voulant congnoistre
que, se ladicte execucion eust esté acomplie, où Dieu
a bien pourveu, tout le bon et très noble royaume de
France estoit du tout perdu, destruit et exillé, s'en
parti et tira tout droit où le roy estoit. Et, pour mettre
sa dampnée entreprinse à execucion, et non congnois-
1. Lisez les ambassadeurs.
2. Interpolations et variantes, § CIV.
304 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1473
saut que le roy Tavoit recueilli et donné argent,
s'adreça à ung des serviteurs du roy aient charge en
sa cuisine de faire saulces, et auquel il avoit eu con-
gnoissance durant que ledit saulcier et Hardi avoient
esté en l'ostel et ou service dudit monseigneur de
Guienne, et à lui se declaira ledit Hardi de sadicte
entreprinse, en lui promettant xx"" escuz ou cas où il
vouldroit faire et acomplir . ladicte charge, qui lui
presta l'oreille et dist qu'il n'y pourroit riens faire sans
le moien de Golinet, queux du roy, et qui aussi avoit
esté et demouré avecques ledit Hardy et saulcier en
l'ostel dudit seigneur de Guienne, en disant par ledit
saulcier à icellui Hardy qu'il parleroit audit queux et
y feroit ce qu'il pourroit, en disant audit Hardi qu'il
lui delivrast lesdictes poisons pour les monstrer audit
queux. Et, bientost après, lesdiz saulcier et Golinet,
qui de ce avoient parlé ensemble, en alerent advertir
le roy, dont il fut moult esbahy et espoventé. Et dudit
advertissement furent lesdiz queux et saulcier moult
honnorablement et prouffitablement guerredonnez du
roy. Et, en toute diligence, fut ledit Jehan Hardi
suivy, qui s'en retournoit devers Paris, et fut prins
vers Estampes et remené devers le roy, qui le inter-
rogua ou fist interroguer sur les choses dessusdictes,
et icelles lui confessa estre vraies. Pour quoy, et alîn
de y donner le jugement ordonné estre fait en pareil
cas, s'en party le roy d'Amboise et s'en vint à Ghartres,
Meulenc, Greil et autres lieux es marches de Beau-
voisiz^. Et, après lui, estoit mené ledit Hardi en une
basse charrette, où il estoit moult bien enferré de
4. Louis XI quitta effoctivoment la Touraine vers le milieu de
1473] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 305
gros fers enchaynez, et le conduisoit Jehan Blosset,
escuier, cappitaine des cent archers de la garde de
monseigneur le daulphin^ et avecques lui avoit cin-
quante desdiz archers tousjours estans autour de ladicte
charrette. Et, ainsi acompaigné que dit est, fut ledit
Hardi envoyé à Paris pour estre délivré au prevost
des marchans et eschevins de ladicte ville. Et y fut
mené et y arriva le jeudi, xx® jour de janvier
IIIP LXXIII, environ l'eure de trois heures après dis-
ner, que sire Denis Hesselin, conseiller et maistre
d'ostel du roy, prevost des marchans et esleu sur le
fait des aides de ladicte ville et autres notables habi-
tans d'icelle, l'ala recueillir es faulxbourgs de la porte
Saint-Denis d'icelle ville. Et, avecques lui, estoient les
quatre eschevins, le clerc et sergens de l'Ostel de
ladicte ville et autres notables habitans d'icelle; et
acompaignoient lesdiz prevost et eschevins avecques
les archers d'icelle ville et par bel ordre. Et fut ledit
Hardi, ainsi acompaigné que dessus, mis et assis sur
une haulte chaiere mise au dedens et ou mylieu d'une
charrete, à ce qu'il feust manifesté, apperceu par le
populaire d'icelle ville. Ausquelz, et afin qu'ilz ne
feussent meuz de mal faire ou injurier ledit Hardi pour
J'enormité dudit cas, fut défendu de le mutiler, blas-
phémer ne injurier. Et, ainsi estant en ladicte char-
décembre 1473. Le 26, sa présence est signalée à Chartres, où il
demeura jusqu'à la fin du mois, le 4 janvier 1474 (n. st.) à Meu-
lan, le 7 et jours suivants à Greil, puis à Beauvais.
1. Jean Blosset, plus tard chevalier, seigneur de Saint-Pierre
et de Carouges, vicomte de Cariât, conseiller et chambellan du
roi, grand sénéchal de Normandie, avait été capitaine des archers
de la garde française du corps du roi (Bibl. nat., ms. fr. 25780,
n» 65).
306 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1473
rete que dit est, fut amené tout au long de la grant
rue Saint-Denis et dessendu oudit Hostel de la Ville,
et délivré par ledit Blosset es mains et en la garde
desdiz prevost des marchans et eschevins, ausquelz
le roy voult leur attribuer l'onneur d'en avoir la garde
et faire faire son procès et icellui mettre à execu-
cion^.
Oudit temps, le roy, estant à Greil, fist ung edict
touchant les gens d'armes de son royaume, par lequel
il declaira que chascune lance n'auroit ne tendroit que
six chevaulx, c'est assavoir la lance trois chevaulx
pour lui, son page et le coustiller, et les deux archers
deux chevaulx et ung cheval pour leur varlet, et qu'ilz
n'aroient plus de panniers à porter leurs harnois, et
avecques ce qu'ilz ne sejourneroient que ung jour en
ung village. Et, en oultre, fut crié que nul marchant
ne vendeist ausdiz gens de guerre ne prestast aucuns
draps de soye ne camelotz, sur peine de perdre l'ar-
gent que lesdictes gens de guerre leur pourroient
devoir à cause de ce, et aussi qu'on ne leur vendist
aucun drap de laine plus de xxxu sous parisis l'aulne.
Oudit temps, le roy fist ordonnance sur le fait de
ses monnoyes et ordonna ses grans blans courir pour
XI tournois, qui par avant n'en valoient que dix; les
larges xi tournois, qui en valoient xii ; l'escu xxx sous
1. L'arrêt définitif rendu le 30 mars 1473 (v. st.) par la cour de
Parlement contre Jean Hardi est rapporté par Vitu {la Chron. de
Louis XI, etc., p. 58 et suiv.). Cet arrêt contient en substance que
Hardi s'était introduit dans l'entourage du roi < soubs ombre de
venir... traicter du commandement dud. maître Ytier Marchant,
feintement par trahison, sa venue devers le roy. » On a vu plus
haut (p. 118) quel prix Louis XI attachait à s'assurer les services
d'Ylliior Marchand.
1474] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 307
iiii deniers tournois, et ainsi de toutes les autres
espèces de monnoies, tout fut changé^.
Oudit temps, environ le xx® jour de janvier IIIP
LXXIII, fut fait accord et appoinctement entre le roy
et monseigneur le connestable, qui avoit prins et mis
en sa main la ville de Saint-Quentin et en bouté hors
le sire de Creton^, qui y avoit cent lances de par le roy.
Et, par ledit accord, demoura ledit monseigneur le
connestable oudit Saint-Quentin, ainsi que avant avoit
esté fait, et lui fut rendu Meaulx et autres places dont
il avoit esté despoincté. Et si lui bailla on commis-
saires pour eulx informer de ceulx qui avoient parlé
dudit seigneur pour raison de ladicte prinse de Sainct-
Quentin, afin de les punir; et si lui fust délivré l'ar-
gent du souldoy de ses gens de guerre, qui empesché
fut incontinent après ladicte ville de Saint-Quentin
prinse^.
Oudit temps, le roy vint des parties d'Amboise, oîi
il estoit, soy tenir à Senlis et ilec environ, et ce pen-
dant les ambasseurs du roy et du duc de Bourgongne,
qui communiquèrent sur le fait de trouver entreulx
appoinctement de paix ou tresves. Et finablement fut
ladicte trefve continuée jusques à la my may, en
attendant plus ample appoinctement^.
En ce temps, le roy, qui estoit à Senlis, s'en vint
1. Recueil des Ordonnances, t. XVII, p. 597 et suiv. (Chartres,
28 décembre 1473).
2. Gilbert de Chabannes, seigneur de Gurton.
3. « Il avoit du roy 400 hommes d'armes bien payez dont luy-
mesmes estoit commissaire et en faisoit la monstre. Sur quoy il
poYoit praticquer grant argent, car il ne tenoit point le nombre... »
(Commynes, éd. Dupont, I, 297).
4. Voy. Lenglet, III, 302.
I 22
308 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1474
loger à Ermenonville en Sancters, appartenant à
maistre Pierre l'Orfèvre, conseiller des Comptes, et
ilec y séjourna environ ung moys^; pendant lequel
temps monseigneur le duc de Bourbon, que le roy
avoit diverses foiz mandé venir pardevers luy, y vint
et arriva et n'y demeura que dix ou xii jours, et puis
s'en retourna en ses pays faire ses Pasques, ainsi que
le roy lui en donna le congié, auquel il promist incon-
tinent après Quasimodo s'en retourner et revenir par-
devers lui^.
En ce temps, ou moys de mars, le jeudi xxx® et
penultime jour dudit moys, Jehan Hardi, emprisonné,
dont est parlé devant, fut condempné par arrest de la
court de Parlement à estre trayné depuis l'uis de la
conciergerie du Palais jusques à la porte dudit lieu,
et d'ilec bouté en ung tumbereau et mené devant
rOstel de la ville de Paris dessur l'eschaffault pour ce
ilec drecié pour y estre escartelé, ainsi qu'il fut fait,
et condempné la teste estre mise et demourer dessus
une lance devant l'Ostel de ladicte ville, les quatre
membres portez en quatre des bonnes villes des extre-
mitez de ce royaume, et à chascun desdiz membres
estre mis ung epitaphe pour faire savoir la cause
pour quoy lesdiz membres y estoient mis et posez ; et
1. Louis XI quitta Beau vais pour Sealis le 5 février 1474 (n. st.).
Il y resta jusqu'au 9 mars et séjourna à Ermenonville du 11 mars
aux premiers jours d'avril (Itin. cité).
2. Le duc de Bourbon, secrètement travaillé par le connétable,
s'était refusé à abandonner le parti du roi ; mais, retiré dans ses
domaines depuis 1472, il gardait une attitude expectante qui no
laissait pas que d'inquiéter Louis XI. Malgré sa promesse de revenir
après Quasimodo, il ne rejoignit son bcau-frèrc que l'année sui-
vante (voy. La Mure, Hist. des ducs de Bourbon, etc., p. 297, note).
1474] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 309
oultre condempné le corps estre brûlé et mis en cendre
devant l'Ostel de ladicte ville, toutes les maisons
dudit Jehan Hardi arrasées et mises par terre, mes-
mement le lieu de sa nativité gecté par terre, sans
jamais y estre fait édifice, et de y mettre epitaphe
pour faire savoir l'enormité du cas dudit Hardi, et
pourquoy estoit faicte ladicte demolicion^. Et fut ledit
Hardi ainsi exécuté ledit jour de jeudi es présences du
seigneur de Gaucourt, lieutenant du roy, du premier
président Boulenger, du prevost de Paris, du prevost
des marchans et eschevins de ladicte ville, du procu-
reur et le clerc d'icelle' et plusieurs autres notables
personnes. Et fut baillé audit Hardi, pour la conduicte
de son ame et conscience, ung notable docteur en
théologie, nommé maistre Jehan Hue^. Et puis, le
samedi ensuivant, environ myenuit (par quoy ce fut,
il n'a point esté sceu), la teste d'icellui Hardi, mise au
bout d'une lance, fut ostée de dessus l'eschaffault, où
elle estoit mise, et gettée en une cave près d'ilec.
Ledit jour de jeudi, xxx® et penultime jour dudit
moys, vint et arriva à Paris une moult belle ambaxade
du roy d'Arragon^, qui fut bien recueillye par mon-
1. JLie procès de Jean Hardi fut instruit par des commissaires
ordonnés par le roi qui remirent leur rapport au Parlement. Le
misérable fut torturé à plusieurs reprises, la dernière fois à la
date du 28 mars 1474 (n. st.). Notre chroniqueur a reproduit
exactement les termes de l'arrêt prononcé contre lui (Vitu, pas-
sage cité. Cf. Bibl. nat. , ms. fr. 4055, fol. 24, cop. du xvi^ siècle).
2. Le procureur de la ville de Paris était Jacques Rebours.
Jean Luillier, clerc et receveur de la ville, succéda à son père
le 20 juillet 1467 et mourut au mois de mai 1474 ou le mois sui-
vant (Vitu, la Chronique de Louis XI citée, p. 44).
3. Jean Hue était curé de Sainl-André-des-Arcs.
4. Cette ambassade avait pour chefs lo comte de Prades et le
310 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1474
seigneur le conte de Penthievre, monseigneur de
Gaucourt et autres, qui bien festierent ladicte am-
baxade en plusieurs lieux de Paris et jusques au jour
de Pasques fleuries*, qu'on cessa, pour la sepmaine
peneuse qui entra, de les festier. Et puis vint et arriva
le roy à Paris le samedi xvi® jour d'avril LXXIIII,
après Pasques.
Et, le mercredi ensuivant, xx® jour dudit moys
d'avril mil IIIP LXXIIII, le roy ordonna que les mons-
tres feussent faictes des officiers, bourgoys, manans
et habitans de ladicte ville de Paris; ce qui fut fait. Et
fut ladicte monstre faicte et monstrée au dehors de
Paris, depuis la bastide Saint-Anthoine, en alant au
long des fossez, jusques à la tour de Billy, et d'ilec en
bataille jusques à la Granche aux Merciers. Et, de
l'autre costé aussi estoient en bataille les habitans de
ladicte ville, qui estoient moult grande et belle chose
à veoir, et estimoit on le nombre des armez de iiiP'' à
C™ hommes, tout d'une livrée de hoquetons^ rouges à
belles croix blanches. Et fut tirée aux champs grant
quantité de l'artillerie de ladicte ville de Paris, qui
faisoit moult beau veoir. Et à veoir ladicte monstre y
estoit le roy et l'ambaxade du royaume d'Arragon,
qui tous faisoient grandes admiracions de la quantité
de gens de'guerre qu'ilz virent ystre hors de ladicte
castellaa d'Emposte. Le but apparent de leur mission était de
traiter le mariage du dauphin Charles avec Isabelle, tille de Fer-
dinand d'Aragon. L'objet réel était de faire valoir une série de
réclamations relatives à l'exécution du dernier traité passé entre
les rois de France et d'Aragon (Legeay, Histoire de Louis XI, II,
118 et suiv.).
1. Le jour des Rameaux tomba le 3 avril on 1474.
2. Hoqueton, sorte de casaque.
1474] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 3H
ville. Et avecques le roy estoit sa garde, ses gentilz-
hommes de sa maison, le conte de Dampmartin, qui
se y trouva moult fort pompeux. Aussi y estoient
Philippe Monseigneur de Savoye, conte de Bresse,
monseigneur du Perche et Salezard et plusieurs autres
cappitaines, notables hommes et gens de nom. Et,
après ladicte monstre faicte, le roy s'en ala au boys
de Vinciennes soupper, et y mena avecques lui ladicte
ambaxade d'Arragon. Et, peu de temps après, le roy
donna aux deux seigneurs, chefz de ladicte ambaxade,
deux hanaps couvers, à petit souage^ tout de fin or,
qui pesoient quarante mars d'or fin et cousterent
ni"" ii*^ escuz d'or.
Et puis s'en parti le roy pour s'en retourner à Sen-
tis, où il y séjourna depuis par certain temps. Pen-
dant lequel temps vint et arriva l'ambassade de Bre-
taigne, qui s'en ala devers le roy. Et des Alemaignes
aussi arriva à Paris ambassade, dont estoit chef le duc
en Bavière^. Et, avecques ladicte ambaxade de Bre-
taigne, y vint Phihppe des Essars, seigneur de Thieux,
maistre d'ostel du duc de Bretaigne, lequel avoit
auparavant esté contre le roy ; et le recueilly très bien
le roy et lui donna dix mil escus, et si le fist maistre
enquesteur et gênerai reformateur des eaues et forestz
es marches de Brie et de Ghampaigne que tenoit mon-
1. Où appelait « souage » une moulure enroulée autour du pied
d'une pièce d'orfèvrerie.
2. Christophe et Wolfgang, ducs en Bavière, qu'il ne faut pas
confondre avec Albert II le Sage, duc régnant, sollicitèrent, à
l'automne de l'année 1474, de Sigismond, duc d'Autriche, des
lettres de recommandation auprès de Louis XI, au service duquel
ils désiraient entrer. C'est peut-être l'un de ces princes allemands
qui vint à Paris au mois d'avril de la même année (Chmcl, MonU'
menta Habsburgica, I, 270 et suiv.).
312 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1474
seigneur de Ghastillon , à qui le roy le osta pour
bailler audit Philippe des Essars^.
Oudit temps que le roy estoit à Senlis^, à Ermenon-
ville et ilec environ, y vint et arriva l'ambaxade de
Bourgongne, qui y demoura assez longuement sans
riens faire. Durant lequel temps, le roy s'en ala à
Gompiengne, à Noiom et autres places environ, et là
monseigneur le connestable vint pardevers lui, sur
aucuns difFerens qui estoient entre le roy et lui, et
parlèrent aux champs ensemble en ung village nommé
[Fargniers] ^, où fut fait ung pont entre eulx deux, et
chascun d'eulx estoient garnis de gens de guerre pour
la garde de leurs personnes. Et, ilec ainsi assemblez
que dit est, parlèrent de leursdiz differens, mesme-
ment pour raison de la prinse et retenue que faisoit
mondit seigneur le connestable de la ville de Saint-
1. Interpolations et variantes, § GV. — Philippe des Essarts reçut
en outre une pension de 1,200 écus, le bailliage de Meaux, la mai-
son que Geoffroy Gœur possédait à Thieux, près Dammartin, et,
pour sa femme, la terre de Lye. Ces nombreux avantages lui
avaient été garantis par Louis XI dès le mois d'octobre 1472, en
récompense de services rendus lors de la conclusion de la trêve
avec la Bretagne (Bibl. nat., ms. fr. 20428, fol. 114, et ms. fr. 6602,
fol. 57. Gf. Commynes, éd. Dupont, I, 294).
2. Louis XI séjourna à Senlis une grande partie du mois d'avril
et les dix premiers jours de mai 1474 (Itin. cité).
3. Le nom de la localité où l'entreviie prit place est demeuré
en blanc dans les deux mss. de la Chronique, comme dans les
éditions imprimées. Gommynes veut que les deux princes se soient
rencontrés « à trois lieues de Noyon, tirant vers la Fère, sur une
petite rivière, » et Quicherat a supposé que c'était à Ognes ou à
Abbecourt (éd. de Basin, II, 365, n. 1); mais les procès-verbaux
des procès du duc de Nemours et du connétable donnent « Farnics,
près Noyon. » C'est Fargniers, auj. dans le dép. de l'Aisne, à
quatre kilomètres de la Fère, sur un aifluent de l'Oise et sur le
canal de Grozat.
147'i] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 313
Quentin qu'il avoit prinse et mise en sa main, et
d'icelie en dechassé et débouté dehors le sire de Grê-
lon, qui avoit la garde d'icelie ville de par le roy et
la retenue de cent lances, qui tous, par la force et
contraincte dudit monseigneur le connestable, widerent
dehors de ladicte ville de Saint-Quentin, dont le roy
fut bien mal content. Et, pour ceste cause, le roy fist
arrester les deniers et descharges qui avoient esté
levez pour le paiement dudit monseigneur le connes-
table, et des im'' lances de sa charge et retenue pour
le quartier d'avril, may et juing lors escheu, qu'il
print ledit Saint-Quentin. Et, après ledit pourparlé
ensuivant, le roy leva sa main dudit arrest et fist tout
ledit paiement délivrer audit monseigneur le connes-
table, et puis s'en départirent d'ensemble bons amys.
Et si fist ilec le roy la paix dudit seigneur et du conte
de Dampmartin, qui riens ne s'entredemandoient. Et,
audit parlement, le roy pardonna tout audit monsei-
gneur le connestable, qui lui promist et jura de non
jamais lui faire autres faultes, mais que bien le servi-
roit de là en avant à l'encontre de tout le monde, sans
nul en excepter ^ .
En icellui temps, le roy s'en retourna à Senlis,
Ermenonville, Pons Sainte- Maxence et autres lieux.
Et souvent et presque tous les jours aloit le roy en
l'abbaye de la Victoire prier et aourer la benoiste
Vierge Marie ilec requise, à l'onneur et loenge de
1. « Quant le roy eut bien pensé et ouy le murmure des gens,
il luy sembla follye d'avoir esté parler à son serviteur et l'avoir
ainsi trouvé, une barrière fermée au devant de luy et acompaigné
de gens d'armes, tous ses subjectz et payez à ses despens » (Gom-
mynes, éd. Dupont, I, 302).
314 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1474
laquelle il fist oudit prieuré de bien grans dons en or
content, qui bien montèrent x™ escuz d'or^.
Oudit temps, le roy, aiant en singulière recomman-
dacion son populaire et gens de guerre et pour esche-
ver effusion de sang par guerre, fist une tresve avec-
ques son ennemy et adversaire le duc de Bourgongne
pour ung an, finissant le premier jour d'avril- LXXV,
combien que plusieurs ambaxades feussent venues par-
devers lui de par l'empereur d'Alemaigne lui humble-
ment prier et requérir qu'il ne feist point ladicte trefve
avecques ledit de Bourgongne, et que par port d'armes
ilz le rendroient fugitif et en la mercy du roy, et que
toute la conqueste et prouffit qu'ilz pourroient faire
et avoir sur ledit de Bourgongne, ilz promettoient la
bailler et donner au roy, sans riens lui couster du sien.
Mais, nonobstant ce que dit est, fut ladicte tresve
faicte et accordée avec ledit de Bourgongne, à la
grant desplaisance des très bons et loyaulx subgetz
du roy^. Et, nonobstant ladicte tresve et au commen-
cement d'icelle, lesdiz Bourguignons firent de grans
oultrages et dommages aux pays et subgetz du roy
estans à l'entour desdiz Bourguignons; dont aucune
reparacion ne fut faicte par iceulx Bourguignons :
laquelle chose demoura en grant esclande de veoir le
vassal ainsi oultrager les pays et subgetz de son sou-
verain seigneur.
Au commencement du moys de juillet mil IIIP
1. L'Itinéraire indique le passage de Louis XI à Senlis du
27 mai au 2 juin, à Pont-Sainte-Maxence le 5 juin, à la Victoire
le 9, à Gompiègne le 12, puis à Noyon et à Ermenonville.
2. Lisez de mai (Lcnglet, III, 315-318).
3. Le roi promit d'observer cette trêve par lettres datées de la
Groix-Saint-Ouen, près Gompiègne, le 13 juin 1474.
1474] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 315
LXXIIII, le roy vint et arriva en sa bonne ville et cité
de Paris, où il ne séjourna que une nuit ; et, le lende-
main, s'en ala à l'église Nostre Dame, et de là en la
Saincte-Chappelle du Palais, et disna en la conciergerie
dudit Palais, ou logis et domicile de maistre Jehan de
la Driesche, président des Comptes '. Et d'ilec, environ
quatre heures après midi, s'en party et ala en ung
basteau par la rivière depuis la poincte dudit Palais
jusques à la tour de Neelle, où il monta à cheval et
s'en ala à Chartres, à Amboise et de là à Nostre-Dame
de Behuart en Poictou^.
Oudit an, le roy envoya grant nombre des gens
d'armes de son ordonnance, des frans archers et
autres et de son artillerie pour reconquérir le royaume
d'Arragon^. Dieu leur doint grâce de y bien beson-
gner et de retourner joyeusement, car on dit commu-
nément que c'est le cimitiere aux Françoys^ !
Oudit temps, le lundi xviii® jour dudit moys de
juillet IIIP LXXIIII, l'arrest fut prononcié en la court
1. II était concierge et bailli du Palais.
2. Louis XI fut à Paris le 13 juillet et rentra en Touraine vers
le 19. Sur Notre-Dame-de-Behuard (auj. Maine-et-Loire, cant.
de Saint-Georges), voy. l'article de M. Quicherat dans la Revue
d'Anjou, t. U (1853), p. 128-141. — La tour de Nesle se dressait sur
la rive gauche de la Seine, en face du Louvre, à la place où est
aujourd'hui l'Institut.
3. Louis XI élevait en effet quelques prétentions sur les royaumes
de Valence et d'Aragon en sa qualité de petit-fils de Yolande
d'Aragon et comme héritier des droits de sa mère Marie d'Anjou.
Mais, dans le cas présent, il ne visait en réalité qu'à rétablir son
autorité en Roussillon et en Cerdagne. Preuves de l'Hist. de Bour-
gogne, t. IV, p. cccxxxvn.
4. La forme de ce vœu indique que ce passage a été écrit au
moment de l'événement. Les éditions imprimées portent : « dont
on disoit que Dieu leur donnast la grâce de..., etc. »
316 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1474
de Parlement par monseigneur le chancellier, nommé
maistre Pierre Doriole, du procès fait à l'encontre du
duc d'Alençon, qui par avant avoit esté détenu pri-
sonnier au Louvre et audit lieu du Palais. Et, par
icelui arrest, fut ramené à fait le cas et crimes à lui
imposez et la condemnacion jadis contre lui prononcée
à Vendosme, durant la vie du bon roy Charles, dont
Dieu ait l'ame, et le pardon -et grâce que de ce lui
avoit depuis fait le roy de lui laisser la vie saulve, et
que depuis il avoit encores continué de mal en pis,
comme ingrat. Et, tout dit et recité publiquement en
icelle court, fut ledit duc d'Alençon declairé par arrest
estre criminel de crime de lèse majesté, et comme tel
condempné à estre décapité et souffrir mort, sauf sur
ce le bon plaisir du roy, et toutes ses terres et sei-
gneuries et tous ses biens estre acquises et confisquées
au roy. Et lui fut le dictum^ dudit arrest dit à sa
bouche par le dit monseigneur le chancelier. Et, bien-
tost après, fut ramené prisonnier à sa première prison
dudit Louvre, en la garde et conduicte de sire Denis
Hesselin, esleu de Paris ^, et de ses gens pour lui, de
sire Jaques Hesselin, son frère, escuier d'escuierie du
roy, et de sire Jehan de Herlay, chevalier du guet de
nuit de ladicte ville, et autres ordonnez de par le roy
à la garde dudit seigneur.
1. On entendait par diclum ou sumptum une sentence rendue
sur rapport.
2. Le 21 juin, Denis Hesselin, qui venait de quitter les fonctions
de prévôt des marchands, avait été élu par les échevins, conseil-
lers, bourgeois, quarteniers et marchands de la ville de Paris,
clerc et receveur tant du domaine (|ue des aides et payeur des
œuvres de la ville. Ce choix fut raliUc par le roi le 26 du môme
mois (Vitu, la Chronique de Louis XI, p. 42 et suiv.)-
i474] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 317
Après ledit arrest, le roy s'en tira à Angers et ou
pays d'environ, et tîst mettre en sa main ladicte ville
d'Angers et autres terres et seigneuries qui sont et
appartiennent au roy de Cécile, pour aucunes causes
qui à ce le meurent, et au gouvernement et adminis-
tration desdictes seigneuries et terres y fut mis et
commis maistre Guillaume de Gerisay, greffier civil de
la court de Parlement^.
En après, le roy retourna pardevers le pays de
Beausse, à Ghartres, et en Gastinois, au Bois Males-
herbes et autres lieux voisins^, où il séjourna par cer-
taine longue espace de temps, en chassant et prenant
bestes sauvaiges comme cerfz, sangliers et autres
bestes, dont il trouva largement. Et, pour raison de
la grant quantité des bestes qui y furent trouvées,
ayma fort ledit pays, combien que en autres choses il
est maigre pays, sec, inutile et de petite valeur. Et
puis s'en parti le roy et s'en ala au pont de Samois,
où aussi il demoura par certain temps et jusques au
jeudi, VI® jour d'octobre oudit an LXXIIIJ, qu'il s'en
parti et ala jusques à Monstereau ou fouit d'Yonne^.
Et, audit pont de Samois, demoura monseigneur de
Beaujeu, pardevers lequel s'en aloient par chascun
1. Louis XI, ayant découvert que son oncle, le roi de Sicile,
était entré en négociations avec le duc de Bourgogne pour lui
vendre la succession éventuelle de la Provence, des duchés de Bar
et d'Anjou, se présenta devant Angers et s'en fit livrer les portes
(fin juillet 1474. Voy. Preuves de l'Hist. de Bourgogne, t. lY, p. cccxlii
et suiv.).
2. Bois-Malesherbes (auj. Malesherbes, dép. du Loiret, arr. de
Pithiviers) 7 août 1474, Ghartres 15 août, etc. Le roi passa en
Beauce et en Gàtinais les mois de septembre et d'octobre.
3. Auj. Montereau-faut- Yonne, Seine-et-Marne, arr. de Fon-
tainebleau, au confluent de l'Yonne et de la Seine.
318 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1474
jour les gens du grant conseil tenir le conseil en
l'absence du roy.
En ce temps, le duc de Bourgongne, qui s'en estoit
parti de ses pays pour aler faire guerre aux Alemans,
ala en Alemaigne tenir et mettre le siège devant la
ville de Nux, qui est une bonne ville près de Gou-
longne sur le Rin, où il séjourna bien longuement,
tenant le siège ilec devant avecques toute son armée
et artillerie^.
Oudit temps furent envolez en Bretaigne ambasseurs
de par le roy, c'est assavoir monseigneur le chancel-
lier, Philippe des Essars^ et autres. Et, au retour de
ladicte ambaxade, revint et retourna dudit Bretaigne
messire Pierre de Morviller, jadis chancellier, qui s'en
estoit aie avecques feu monseigneur de Guienne, et
depuis son trespas s'en estoit retrait oudit pays de
Bretaigne.
En ce temps, les gens tenans le parti dudit de Bour-
1. L'archevêque de Cologne, Robert de Bavière, parent du duc
de Bourgogne, « débouté de sa chaire episcopale et cité métropo-
litaine, lui remonstra sa doleance et comment ceulx du chapitre
dudit Coulongne vouloient avoir archevesque Hermant, lantgrave
de Haesse, frère à Henri, lantgrave de Hesse, auquel favorisoit
l'empereur, etc. » (Molinet, éd. Buchon, dans Coll. des chron.
nationales françaises, Paris, 1827, in-8°, I, 27). — L'armée bour-
guignonne arriva à la fin de juillet devant Neuss, petite ville
située au sud-ouest de Dusseldorf, mais sur la rive gauche et à
une petite distance du Rhin. « Elle estoit forte à merveille, dit
Molinet, tant d'eaue comme de murailles, adossée d'un lez d'un
bras du Rhin qui battoit aux murs, et d'une autre rivière nommée
Arne, qui passe par le duché de Julers. »
2. Voy. ci-dessus, p. 312. La trêve avec le duc de Bretagne
devait expirer à la fin de novembre, et il y avait un intérêt majeur
pour Louis XI à détacher François II des alliances anglaise et
bourguignonne.
1474] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 319
gongne, nonobstant ladicte tresve, prindrent la cité de
Verdun en Lorraine, dont le roy estoit seigneur et
gardien, et, pour la ravoir, le roy envoya m*^ lances
et un'" frans archers qui estoient acompaignez du sei-
gneur de Graon et autres.
Oudit temps aussi, lesdiz Bourguignons prindrent
par emblée une ville ou pays de Nivernois nommée
Molins Engibers"^, où pareillement le roy envoya des
gens de guerre et de son artillerie. Et ne différa point
ledit de Bourgongne que par ses gens et de son party,
nonobstant icelle tresve, de tousjours faire maulx et
persécuter les gens, serviteurs, villes et subgetz du
roy^.
En icellui temps, Edouart, roy d'Angleterre, envoya
ses heraulx pardevers le roy le sommer de lui rendre
et bailler les duchez de Guienne et de Normandie,
qu'il disoit à lui appartenir, ou que en son refus il
lui feroit guerre. Ausquelz heraulx fut faicte et rendue
response, et par iceulx le roy envoya audit Edouart
le plus beau coursier qu'il eust en son escuierie. Et,
depuis ce, le roy lui envoya encores par Jehan de
Lailler, mareschal de ses logis, ung asne, ung loup et
ung sanglier. Et à tant s'en retournèrent lesdiz heraulx
en leurdit pays pardevers le roy.
Ou moys de novembre, le roy vint pardevers Paris
et fu logié à Ablon sur Seine, depuis au boys de Vin-
ciennes, à Hauberviller et autres lieux, et puis d'ilec
se desloga et ala en la France soy loger en ung hostel
appartenant à maistre Dreux Budé, audiencier, nommé
1. Auj. Moulins-Engilbert, dép. de la Nièvre, arr. de Ghâteau-
Ghinon.
2. Interpolations et variantes, § GVI.
320 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1474
le Bois le Gonte^. Et messeigneurs de Lion, de Beau-
jeu et autres seigneurs suivans le roy se logèrent à
Mitry en France. Et puis se desloga le roy et ala avec-
ques les seigneurs devantditz à Ghasteauthierry, où il
demoura certaine espace de temps et jusques environ
le xii^ jour de décembre, qu'il retourna à Paris, et y
fist son Noël , et fu le roy au service , la veille de
Noël, en l'église Nostre Dame de Paris.
Le lendemain de Noël, qui estoit le jour Saint-
Estienne, le roy ot des nouvelles que les Anglois
estoient en armes en grant nombre sur mer, et estoient
vers les parties du Mont Saint-Michel-. Et incontinent
fist monter à cheval et envoier en Normandie les
archers par lui mis sus de sa nouvelle garde, nommée
la garde de monseigneur le daulphin^.
En ce temps, le roy ot des nouvelles de son armée
qu'il avoit envoyée en Arragon, et comment ses gens
a voient prins une place près de Parpeignen, nommée
Gonne*, dedens laquelle y estoient aucuns gentilz-
hommes et habitans de ladicte ville de Parpeignen
qu'on voulut faire mourir comme traistres^; mais on
1. Ablon-sur-Seiae, auj. dép. de Seiae-et-Oise, cant. de Long-
jumeau. Louis XI y fut le 6 novembre 1474 et le 20 à Auber-
villiers (auj. dép. de la Seine, cant. de Saint- Denis). Le château
d'Auberviliiers appartenait aux Luillier. Quant au Bois-le-Gomte,
qui était à Dreux Biidé, seigneur de Boissy-Saint-Léger et de Vil-
liers-sur-Marne, le roi y séjourna au commencement du mois
de décembre et arriva à Château-Thierry vers le 8 du même mois.
2. C'était un faux bruit qui fut semé à plusieurs reprises et avec
intention par les ennemis du roi.
3. Sous le commandement de Jean Blosset, seigneur de Saint-
Pierre.
4. EIne, auj. dép. des Pyrénées-Orientales, cant. de Perpignan.
5. Louis XI avait envoyé en Roussillon le seigneur du Lude
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 321
différa, pour ce qu'ilz promirent, dedens ung temps
qu'ilz nommèrent, de faire réduire et mettre en l'obéis-
sance du roy ladicte ville de Parpeignen , laquelle
chose ilz ne firent point dedens le temps qu'ilz avoient
promis, pour quoy en furent aucuns de eulx décapi-
tez, et entre les autres y ot ung nommé Bernard de
Doms, qui ot le col coppé^. Et, bientost après, fu fait
appoinctement entre le roy et lesdiz d'Arragon, par
lequel la conté de Roussillon fut derechef remise en la
main du roy.
Ou moys de janvier LXXIIII, advint que aucuns
larrons bourguignons, sans maistre ne adveu, se
mirent sur les champs et vindrent courir es pays du
roy et jusques près de Compiengne, où ilz prindrent
et tuèrent gens, et puis voulurent édifier une place
pour eulx retraire près de Roye, nommée Arson-, où
ilz amenèrent grant quantité de pionniers. Et, quant
le roy en ot ouy les nouvelles, il manda aux garnisons
d'Amiens, Beauvais et autres lieux, avecques la com-
paignie du grant maistre et aussi des arbalestriers et
archers de Paris et autres de ladicte ville, que mes-
sire Robert d'Estouteville , prevost de ladicte ville,
conduisoit, qu'ilz alassent destruire lesdiz Bourgui-
gnons et place. Mais, incontinent qu'ilz en orent les
avec 400 lances et 3,000 archers, qui ravagèrent le pays et brû-
lèrent les récoltes. Elne se rendit le .5 décembre 1474.
1. Bernard d'Oms ou d'Orms, chevalier catalan, s'était mis à la
tête d'une conjuration des nobles et des principaux habitants de
Perpignan, qui, le 25 janvier 1473, tentèrent d'introduire les Ara-
gonais dans la ville. Le coup ayant manqué, Bernard avait pris
la fuite avec ses principaux complices (Basin, II, 306 et suiv.).
2. Ressons-sur-Matz, dép. de l'Oise, arr. de Gompiègne.
322 JOURNAL DE JEAN DE ROYE fl475
nouvelles, ilz désemparèrent tout et s'enfouirent,
comme paillars qu'ilz sont^
Oudit moys de janvier 1111= LXXlllI, advint que ung
franc archer de Meudon, près Paris, estoit prisonnier
es prisons de Chastellet, pour occasion de plusieurs
larrecins qu'il avoit faictes en divers lieux, et mesme-
ment en l'église dudit Meudon; et, pour lesdiz cas et
comme sacrilège, fut condempné à estre pendu et
estranglé au gibet de Paris, nommé Montfaucon, dont
il appella en la court de Parlement, où il fu mené pour
discuter de son appel. Par laquelle court et par son
arrest fut ledit franc archer declalré avoir mal appelle
et bien jugié par le prevost de Paris, pardevers lequel
fut renvoie pour exécuter sa sentence. Et, ce mesme
jour, fut remonstré au roy par les médecins et cirur-
giens de ladicte ville que plusieurs et diverses per-
sonnes estoient fort traveillez et molestez de la pierre,
colique, passion et maladie du costé, dont pareille-
ment avoit esté fort molesté ledit franc archer, et que
aussi desdictes maladies estoit lors fort malade mon-
seigneur du Boschage, et qu'il seroit fort requis de
veoir les lieux où lesdictes maladies sont concrées
dedens les corps humains, laquelle chose ne povoit
mieulx estre sceue que inciser le corps d'un homme
vivant, ce qui povoit bien estre fait en la personne
d'icellui franc archer, qui aussi bien estoit prest de
souffrir mort. Laquelle ouverture et incision fut faicte
ou corps dudit franc archer, et dedens icellui quis et
regardé le lieu desdictes maladies. Et, après qu'ilz
orent esté veues, fut recousu et ses entrailles remises
1. Qu'ils estoient, dans les éditions imprimées.
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 323
dedens, et fut, par rordonnance du roy, fait très bien
penser, et tellement que, dedens xv jours après, il fut
bien guery et ot remission de ses cas, et et remission
sans despens, et si lui fut donné avecques ce argent^.
En ce temps, le xxviii® jour dudit moys de janvier,
le roy, aiant singulière affection aux sains fais et grans
vertus de saint Gharlemaigne, voulut et ordonna que,
ledit XXVIII® jour de janvier, feust faicte et solemnizée
la feste dudit saint Gharlemaigne; laquelle chose fut
faicte et solemnizée en la ville de Paris, et ladicte feste
gardée comme le dimenche, et ordonné que doresen-
avant, par chascun an, ladicte feste seroit faicte ledit
xxvui® jour de janvier^.
Ou moys de février ensuivant, furent les Alemans
dedens la ville de Nux avi taillez par ceulx de la ville
de Goulongne sur le Rin et autres Almans de la partie
de l'empereur d'Alemaigne, nonobstant le duc de
Bourgongne qui, passé a long temps, estoit demeuré
tenant le siège devant ladicte ville de Nux^, et qui
1. Il est douteux qu'il faille considérer cette audacieuse opéra-
tion, ainsi que l'ont fait les auteurs de l'Art de vérifier les dates,
après l'abbé Ga.Tmer {Hist. de France, 1770, t. IX, p. 324), comme
le plus ancien exemple connu en France de l'extraction de la
pierre. En tout cas, le procédé qui consiste à extraire une pierre
de la vessie par une incision pratiquée dans la paroi abdominale
fut salué comme une nouveauté lorsque Franco l'employa vers
1561 (Mandrot, Ymbert de liatarnay, seigneur du Bouchage, cité,
p. 49 et suiv.).
2. Gharlemagne fut canonisé en 1165 par l'anti-pape Paschal III,
et depuis ce temps il a été révéré au rang des saints. Louis XI
avait pour sa mémoire une grande vénération, témoin son culte
pour « la vraye croix que sainct Gharlemaigne portoit, qui s'ap-
pelle la croix de la Victoire, » sur laquelle il fit jurer le traité de
Péronne au duc de Bourgogne (Commynes, éd. Dupont, I, 175).
3. Depuis le 30 juillet précédent.
I 23
324 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
avoit fait arriver plusieurs navires pour cuider empes-
cher que ledit avitaillement ne vînt en icelle ville;
mais, nonobstant toute sa puissance et armée, vint et
entra ledit avitaillement en ladicte ville, et furent
toutes les navires dudit duc rompues et mises en
pièces dedens la rivière du Rin, et mors plus de six
à sept mille Bourguignons estans dedens iceulx navires.
Et, auparavant, avoient euz et soul'ers lesdiz Bourgui-
gnons de grans pertes et maulx par lesdiz de Nux ^ .
Ou moys de mars ensuivant, pour ce que lesdiz
Bourguignons des parties de Flandres et Picardie, et
aussi de ceulx estans par ledit duc de Bourgongne
logez à Roye, Peronne, Montdidier et autres places
tenans son parti, estoient venus courir es pays et sur
les subgetz du roy, et en iceulx prins plusieurs pri-
sonniers, vivres et biens et menez en leurs places
contre la tresve faicte entre le roy et lui, se mirent
aux champs plusieurs des compaignies de l'ordonnance
du roy estans es garnisons d'Amiens, Beauvais, Saint-
Quentin et autres lieux , jusques au nombre de
liii'' lances et autres populaires, qui pareillement ale-
rent courir sur lesdiz Bourguignons et jusques dedens
les faulxbourgs d'Arras, où ilz couchèrent une nuit
entière. Et ilec, au moien de certaine grande quantité
de vans, fléaux et autres oultilz dont les gens du roy
avoient mené graut quantité avecques eulx en char-
retes et chariotz, fut batu tout le grain estant et trouvé
es granches dudit pays de Bourgongne et Picardie, et
icellui avec autres bestiaulx, gens, prisonniers et uten-
\. Voy. Molinet, éd. Buchon, I, 60. Cf. Gingiiis, Dépêches des
ambassadeurs milanais sur les campagnes de Charles le Hardi, de
l'ïl'i à l'jll . Genève, 1858, iii-S", passim.
1475J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 325
siles fait amener et conduire par Salezart et autres
capitaines dedens lesdictes villes d'Amiens et Beauvais.
Durant le temps, le roy ne bouga de Paris et y fist
son quaresme, faisant grant chère, et s'i trouva sain
et bien disposé, comme il disoit^.
Oudit moys de mars, advint à Paris que ung jeune
fîlz brigandinier^, qui avoit esté nourry en partie par
ung poissonnier d'eaue doulce de ladicte ville, nommé
Jehan Penssart, meu de mauvais courage et trahison,
sachant que ledit Pensart avoit grant argent, qui
estoit venu et yssu de la vente du poisson qu'il avoit
vendu durant le quaresme, et dont il devoit la plus-
part à plusieurs seigneurs et autres notables hommes
qui lui avoient vendu le poisson de la pesche de leurs
estans, et lequel argent ledit brigandinier avoit veu et
le heu où icellui Penssart le mettoit, vint et entra de
nuit en l'ostel dudit Pensart, et, après la myenuit
passée, vint ouvrir l'uys dudit Pensart à trois Escos-
sois qu'il avoit ilec fait venir pour avoir ledit argent
et desrober ledit Pensart, l'un desquelz Escossois estoit
nommé Mortemer, dit l'Escuier, et l'un des autres
Thomas Le Clerc; lesquelz Escossois, par le moien
dudit brigandinier, crochetèrent, prindrent et empor-
tèrent ledit argent, montant en somme n"" V'' livres
tournois. Et, pour lequel recouvrer, fut fait bien
grant diligence, tellement que, ledit jour dudit desro-
bement, fut ledit brigandinier trouvé tenant franchise
aux Carmes de ladicte ville, duquel lieu il fut tiré hors
et apporté ou Chastellet de Paris, pour ce que, au
1. Louis XI passa à Paris les trois premiers mois de l'année
1475 (Itin. cité).
2. C'est-à-dire un jeune ouvrier en brigandines.
326 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
moien des fers dont il estoit ferré, il ne povoit aler.
Et ilec confessa que lesdiz Escossois avoient eu tout
ledit argent; pour quoy fut fait grant diligence de le
recouvrer, et eust esté ledit Mortemer prins et fait
amener oudit Ghastellet par l'ordonnance de maistre
Phelippe du Four, n'eussent esté deux autres Escos-
sois de la garde du roy qui vouldrent tuer ledit
maistre Phelippe et ses sergens et firent eschapper
ledit Mortemer. Et depuis fut ledit Thomas Le Clerc
trouvé tenant franchise dedens l'église Saincte-Kathe-
rine du Val des Escoliers^, qui ilec fut prins à grant
port d'armes qu'il fist contre les gens dudit monsei-
gneur le prevost de Paris, dont il blessa plusieurs, et,
en la fin, après qu'il et reçues plusieurs plaies, fut
amené esdictes prisons, où il confessa ladicte (sic) lar-
recin, à cause de quoy fut rendue partie de ladicte
somme qu'il avoit mucée près de Saint-Estienne des
Grex^. Et, pour ledit cas et autres, par mondit sei-
gneur le prevost de Paris, eu sur ce opinion et delibe-
racion à sages, fut condampné à estre pendu et estran-
glé au gibet de Paris, dont il appella. Et depuis fut
ledit appel widé par la court de Parlement et renvoyé
audit monseigneur le prevost pour exécuter sa sen-
tence, laquelle fut mise à execucion le jeudi xvi® jour
dudit moys de mars l'an LXXIIIII (sic) ; pour veoir
laquelle furent jusques audit gibet sire Denis Hesselin,
maistre Jehan de RueiP, comme commis par maistre
{. Rue Saint-Antoine.
2. Saint-Étienne-des-Grés, près la porte Saint- Jacques.
3. Jean de Rueil, seigneur de Vaul.^, était cousoiller et audi-
teur aux causes du Ghàtelet. Il avait épousé Jeanne Piedefer et
mourut vers 1491 (Bibl. nat., Pièces orig., doss. de Rueil).
1
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 327
Pierre de Ladehors* à l'exercice de l'office de lieute-
nant criminel, pour occasion de la maladie dudit de
Ladehors.
Oudit temps fut la ville de Parpeignen mise et
reduicte en l'obéissance du roy, et s'en alerent ceulx
de dedens qui s'en voulurent aler, eulx et leurs biens
saufz, fors que l'artillerie, qui dedens estoit, demoura
au roy, laquelle estoit moult belle et de grant value^.
Le vii'3 joup du moys d'avril, l'an mil GGGG LXXVS
1. Pierre de la Dehors, lieutenant criminel de la prévôté de
Paris, avait épousé Jeanne Haussecul (Arch. nat., LL437, fol. 1.
Cf. Y 3, fol. 53).
2. Les commandants de l'armée royale, du Lude, du Fou et
Boffile de Juge, avaient accordé ces conditions relativement douces
aux défenseurs de Perpignan, et Louis XI ne les connaissait pas
encore lorsqu'il remit à Ymbert de Batarnay, seigneur du Bou-
chage, qui allait devenir pour un temps son lieutenant général
en Roussillon, des instructions fort sévères qui n'allaient à rien
moins qu'à dépeupler Perpignan. Du Bouchage n'exécuta de ces
instructions que ce qui lui parut utile, et, d'accord avec Boffile
de Juge, il n'expulsa de Perpignan que « les nobles et les gros
qui firent la trahison » {Ymbert de Batarnay, p. 59-65).
3. Lisez XVII^.
4. Le traité conclu à Andernach, le 31 décembre 1474 (il porte
la date de 1475 parce qu'en Allemagne l'année commençait à
Noël), entre l'empereur et les électeurs, d'une part, et les envoyés
de Louis XI, de l'autre, stipulait que l'Empire mettrait sur pied
contre le duc de Bourgogne une armée de 30,000 hommes au
moins, et que le roi de France enverrait dans le Luxembourg ou
sur tout autre point des domaines bourguignons une armée d'égale
force dès le dimanche après la Circoncision (8 janvier 1475). La levée
éventuelle du siège de Neuss ne devait pas empêcher ce traité d'avoir
son effet, et chacune des parties s'engageait à ne pas conclure la
paix avec le duc de Bourgogne sans l'assentiment de l'autre (voy.
le texte dans Lenglet, III, 459-462). Un traité d'alliance intime et
générale, confirmant et étendant toutes les alliances anciennes,
fut conclu le même jour entre l'empereur et le roi de France
(Ibid., 462 et suiv.), et ce dernier le confirma le 17 avril 1475, à
328 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
fut publiée à Paris l'aliance d'entre l'empereur et le
roy, et de l'ordonnance du roy fut envoyée publier
devant le logis de monseigneur du Mayne, duc de
Galabre*, et l'ambaxade de Bretaigne qui estoit en
ladicte ville, et après par les carrefours d'icelle ville.
Oudit moys d'avril vint pardevers le roy deux
ambassades, l'une de Fleurence et l'autre de l'empe-
reur d'Alemaigne, qui furent moult honnorablement
receuz et lestiez, tant du roy que des autres seigneurs
d'autour de luy^.
Oudit moys de may, le roy se party de Paris pour
aler à Vernon sur Seine ^, auquel lieu l'attendoient
Paris (Ibid., 465-469). Le 25 mars de la même année, à Cologne, l'em-
pereur et les électeurs prorogèrent jusqu'au 24 décembre suivant
le délai primitivement fixé au roi de France pour envahir le
Luxembourg, et consentirent à ce que le nombre prévu de
30,000 hommes fût réduit à 20,000 (Ibid., 464 et suiv.).
1. Charles II d'Anjou, comte du Maine et duc de Calabre,
neveu du roi René, était alors à Paris pour traiter avec Louis XI
la question, si menaçante pour la maison d'Anjou, des réclama-
tions que le roi élevait sur une partie des biens des feus roi et
reine de Sicile, Louis et Yolande, ses grands-parents maternels
(Lenglet, m, 385-392).
2. Interpolations et variantes, § CVII. — Cette ambassade do
Florence, envoyée par Laurent de Médicis, fit valoir avec succès
des réclamations tendant à faire restituer à des marchands de
cette nation la valeur d'environ 30,000 écus de marchandises
que Coulon avait saisies sur des galères napolitaines se rendant
d'Angleterre dans la Méditerranée (Buser, Die Bcziehungcn dcr
Mediceer zu Prankreich. Leipzig, 1879, in-8°, p. 451 et suiv.). —
Quant aux Allemands, ils venaient chercher la ratification du
traité d'Andernach. Le sceau royal fut apposé sur la lettre du
traité le 17 avril 1475 (Ghmel, Monumenta Ilabsburgica , I, 271
et suiv.).
3. L'Itinéraire veut que Louis XI se soit rendu de Paris à Ver-
non vers le G airil 1475. La suite de la phrase rectifie le lapsus
du chroniqueur.
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 329
monseigneur l'admirai et les autres cappitaines pour
conclurre de la guerre, et ce qui estoit à faire pour la
tresve qui failloit le derrenier jour dudit moys d'avril,
et puis s'en retourna à Paris, où il arriva le vendredi
xiiii^ jour dudit moys. Et, le lundi ^ xxv® jour dudit
moys d'avril, s'en parti le roy pour aler à Pons Sainte-
Maixence pour illec préparer de son armée, et en
amena pour le conduire et estre autour de lui, avec-
ques les gentilzhommes, sa garde et officiers de son
hostel, VII'' lances fournies. Et y fut menée et conduicte
grant quantité d'artillerie grosse et menue, entre les-
quelles y avoit cinq bombardes, dont les quatre avoient
nom, c'est assavoir, l'une Londres, l'autre Breban,
la tierce Bourg en Bresse et la quarte Saint-Omer. Et
oultre, et par dessus la compaignie desdiz de la garde
escossoize et françoize et autres gentilzhommes et offi-
ciers de l'ostel, y fut et y ala grande compaignie des
nobles et frans archers de France et Normandie, et,
pour ravitaillement de l'ost, y furent envoiez vivres
de toutes pars.
Et , le lundi premier jour de may, le roy se party
de l'abbaye de la Victoire^, où il estoit, pour aler
audit Pons Saincte-Maixence pour faire ses approuches
et ordonner de la guerre, en ce qui estoit à faire sur
les Bourguignons, et fut envoyé devant le Tronquoy et
Mondidier^. — Et, le mardy ii® may, vint et arriva à
Paris monseigneur de Lion de devers le roy, lequel
fut estably lieutenant du roy au conseil de Paris.
1. Le 25 avril 1475 tomba un mardi.
2. Près Seniis.
3. l*"" mai 1475. Louis XI « eût mieuix aymé ung alongement
de trefve. » Il l'avait demandé vainement au duc de Bourgogne,
par crainte des Anglais.
330 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
Et, le mercredi m® jour dudit moys, feste de Saincte-
Groix, fut faicte une moult belle procession générale,
audit lieu de Paris, de toutes les églises. En laquelle
faisant furent tous les petis enfans de Paris, chascun
tenant ung cierge, et fut aie quérir le saint Innocent^
et porté à Nostre-Dame. Et en ladicte procession
estoient mondit seigneur de Lyon et monseigneur le
chancellier de costé lui. Et après aloient monseigneur
de Gaucourt, lieutenant du roy à Paris, les prevost
des marchans et eschevins de ladicte ville, les prési-
dent et conseillers de Parlement, Ghambre des Gomptes
et autres officiers d'icelle ville. Et après, le populaire
aloient en grant et merveilleux nombre, qu'on esti-
moit à cent mil personnes et mieulx. Et fut porté ledit
saint Innocent en ladicte procession par monseigneur
le premier président et par Nanterre-, de la cour de
Parlement, et le président des Gomptes de la Driesche
et le prevost des marchans. Et, pour conduire et
mettre ordre en ladicte procession, y estoient les
archers de la ville et autres gens ordonnez pour gar-
der de faire bruit et noise en icelle procession^.
Et, le mardi second jour de may, oudit an, le roy,
qui avoit envoyé sommer les Bourguignons tenant
ledit Tronquoy, fut par lesdiz Bourguignons tuez ceulx
i. Le chef de saint Richard, enfant crucifié par les Juifs en 1179,
était conservé dans l'église des Innocents. (Lebeuf, Hist. de la ville
et du diocèse de Paris (Paris, 1883), I, 48. — Cf. Acta Sanctorum,
mars m, 593.)
2. Jean Le Boulanger et Mathieu de Nanterre.
3. Louis XI avait pour coutume de consacrer par une commé-
moration hebdomadaire le jour de la semaine où la fête des Inno-
cents avait été célébrée l'année précédente. En 1475, le 3 mai
était un mercredi, comme l'avait été la fèto, le 28 décembre 1474
(voy. Commynes, éd. Dupont, I, 365, note 2).
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 331
qui estoient alez faire ladicte sommacion. Et, pour
ceste cause, fist tirer son artillerie contre ledit lieu du
Tronquoy, tellement que ledit jour, à cinq heures
après midi, y fut livré l'assault fort et aspre, tellement
que ladicte place fut emportée d'assault et furent tuez
et pendus tous ceulx qui furent trouvez dedens, sauf
et réservé ung nommé ^ Motin de Ganlers que le roy
fist saulver, et si le fist esleu de Paris extraordinaire.
Mais, avant qu'ilz feussent prins, firent grande resis-
tence lesdiz Bourguignons contre les gens du roy, et
tuèrent oudit assault le cappitaine de Pontoise, qu'on
disoit estre vaillant homme, et autres gens de guerre
et frans archers, et puis fut ledit lieu abatu et demoly.
Et, ledit jour de Saincte-Groix, s'en ala l'armée du
roy mettre le siège devant Montdidier, pour ce qu'ilz"
furent refusans de eulx rendre au roy. Et, le vendredi
v^jourduditmoys d'avril, oudit an, fut mise et reduicte
en la main du roy ladicte ville de Montdidier, et s'en
alerent ceulx de dedens leurs vies saulves et laissèrent
tous leurs biens, et puis fut ladicte ville abatue^.
Le samedi ensuivant, Vf jour de may, fut pareille-
ment rendue la ville de Roye^ et s'en alerent les Bour-
guignons de dedens vies et bagues saulves*. Et puis
fut aussi rendu le chasteau de Moreul, pareillement
1. Interpolations et variantes, § CVIII.
2. Gommynes se borne à dire que le Tronquoy (auj. Tronchoy,
Somme, cant. d'Hornoy) était « ung meschant petit chasteau » et
qui fut « en peu d'iieures prins d'assault. o Lui-même fut envoyé
par le roi « parler à ceulx qui estoient dans Montdidier, lesquelz
s'en allèrent leurs bagues sauves. » Louis XI fit abattre les murs
de la ville et en laissa incendier les maisons, malgré les promesses
qu'il avait faites aux habitants (éd. Dupont, I, 325 et suiv.).
3. Interpolations et variantes, § CIX.
4. C'est Commynes et l'amiral, bâtard de Bourbon, qui lurent
chargés de négocier la reddition de Roye (auj. Somme, arr. do
332 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
que ceulx de Roye^ Et, en faisant telles execucions
que dit est sur le Bourguignon et son pays par l'ar-
mée du roy, qui estoit si noble, telle et si belle com-
paignie et artillerie que, où elle eust esté menée, y
avoit gens assez pour en brief temps prendre et
mettre en la main du roy toutes les villes et places
dudit de Bourgongne, tant Flandres, Picardie que
autres lieux, car tout fuioit. devant iceulx. Et, pour
rompre icelle armée, fut le roy adverti par aucuns, et
mesmement de par monseigneur le connestable, que
besoing lui estoit de garder sa duchié de Normendie
pour les Anglois, que on lui disoit qui y dévoient des-
cendre, et si lui fut dit par mondit seigneur le connes-
table, au moins fut mandé ou escript qu'il fist hardie-
ment ledit voyage en Normendie et qu'il ne se soussyast
point d'Abbeville et Peronne, et que, cependant qu'il
yroit, les feroit réduire en sa main-. Et le roy, croiant
ces choses, s'en ala oudit pays de Normandie, et là
mena avecques lui monseigneur l'admiraP et v*^ lances
Montdidier). Cette ville fut également brûlée (Gomraynes, éd.
Dupont, I, 326).
1. Interpolations et variantes, § GX. — Moreuil est auj. dans
le dép. de la Somme, arr. de Montdidier.
2. € Led. connestable envoyoit souvent en l'ost du duc de
Bourgongne [devant Neuss]. Je croy bien que la fin estoit de le
retirer de ceste foUye. Et, quant ses gens estoient revenuz, il man-
doit quelque chose au roy de quoy il pensoit moult plaire, et
aussi l'occasion pour quoy il avoit envoyé, et pensoit entre-
tenir le roy par ce moyen, car il avoit tant de paour qu'on
iuy allast courre sus... » (Gommynes, éd. Dupont, I, 332). « Il
me semble », faisait dire le duc de Bourgogne au roi d'Angle-
terre, « que devez faire vostre descente en Normendie, soit en la
rivière de Seyne ou à la Hogue... et si serez à la droicte main de
mon frère de Bretaignc et de moy » (Ibid., I, 336, note. Gf. Basiu,
II, 351).
3. Interpolations et variantes, § GXI.
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 333
avecques les nobles et francs archers de Normandie.
Et, à ceste cause, se départi l'armée et s'en ala chas-
cun en son logeis. Et puis, quant le roy fut en Nor-
mandie, trouva qu'il n'estoit nulles nouvelles desdiz
Anglois, et ala à Harfleu, Dieppe, Caudebec et autres
places. Et cependant ne se fist riens à l'aventage du
roy, mais au contraire, au moien de ladicte alée en
Normandie, firent lesdiz Bourguignons de grans pertes
aux subgetz es pays du roy. Et puis s'en vint le roy
à Nostre Dame d'Escouys, en ung hostel près d'ilec,
nommé Gaillart^, lors appartenant à Coulon, lieute-
nant de monseigneur l'admirai, où il se tint par aucun
temps, durant lequel ot nouvelles de mondit seigneur
le connestable de la venue et descendue que faisoient
lesdiz Anglois à Calais, et aussi que mondit seigneur
de Bourgongne s'estoit levé de devant Nux-, dont il
disoit qu'il avoit la possession et faict son appoincte-
ment avecques l'empereur, lequel empereur, avec-
ques ledit de Bourgongne, s'en venoient faire guerre
au roy. Desquelles choses n'estoit riens et fu trouvé
tout le contraire estre vray.
1. C'est à la fin du mois de mai 1475 que Louis XI prit le che-
min du pays de Caux. Il visita successivement l'embouchure et
la vallée de la Seine et séjourna à Ételan (auj. Saint-Maurice-
d'Ételan, Seine-Inférieure, cant. de Lillebonne), chez Guillaume
Le Picard (6 juin); à Rouen, du 10 au 16 juin; à Écouis, à Gail-
larbois (auj. Gaillarbois-Gressenville, Eure, cant. de Fleury-sur-
Andelle), du 20 au 25 du même mois. M. de Beaurepaire a observé
que le château de Gaillarbois appartenait à cette époque à Jean
Le Sec, lieutenant général de Guillaume de Casenove, dit Coulon,
et que ce dernier n'en devint propriétaire que plus tard, en suite
de son mariage avec Guillemette Le Sec {Notes sur six voyarjcs de
Louis XI à Rouen, citées, p. 314).
2. Interpolations et variantes, § GXII.
334 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
Durans ces choses fut prins uiig herault d'Angle-
terre, nommé Scales, qui avoit plusieurs lettres qu'on
escripvoit de par le roy Edouart à diverses personnes,
lesquelles lettres le roy vid, et dist et certiffia au roy
que les Anglois estoient descendus à Calais et que
ledit roy Edouart y devoit estre le xxn® jour de ce
présent moys de juing, à tout xii ou xiii™ comba-
tans*. Et si luy certiffia oultrexjue ledit de Bourgongne
avoit fait sondit accord avec ledit empereur et estoit
retourné à Brucelles, dont de tout il n'estoit rien.
Audit lieu d'Escouys fut aussi le roy adverty que
mondit seigneur le connestable avoit envoyé à mon-
seigneur le duc de Bourbon son scellé pour suborner
et tant faire que mondit seigneur de Bourbon voulsist
devenir et estre contre le roy, et de soy alier avec-
ques ledit duc de Bourgongne. De toutes lesquelles
choses le roy fut moult esmerveillié^. Et incontinent,
par plusieurs et divers messages, fut mandé par le
roy mondit seigneur de Bourbon venir à lui, et enfin
l'envoya quérir par monseigneur l'evesque de Mande ^,
1. « A Calais a iiii ou v™ Anglois, mais ilz ne bougent et n'en
est pas venu ung pour se montrer devant noz gens » (Louis XI à
Damraartin, de Groisy-sur-Andelle, 30 juin. Commynes, éd.
Dupont, Preuves, III, 301 et suiv. Cf. t. I, 326 et suiv.).
2. Sur ces intrigues qui tendaient à une prise d'armes générale
des ennemis de Louis XI, voy. Jacques d'Armagnac, etc., cité,
p. 67-70.
3. Le connétable sentait bien qu'un seul homme, le duc de
Bourbon, eût mis fin, en se déclarant contre le roi, aux hésita-
tions des anciens confédérés du Bien Public. Il fit tout pour déci-
der Jean II et alla jusqu'à lui proposer de le faire régent du
royaume. Mais, sans parler de la répugnance que Bourbon pou-
vait éprouver à marcher avec les Anglais et des doutes qu'il con-
cevait sur l'issue d'une nouvelle prise d'armes, Louis XI lui avait
créé dans le royaume une situation telle qu'il pouvait à peine en
1475J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 335
par lequel ledit seigneur de Bourbon avoit envoyé au
roy le seellé dudit monseigneur le connestable des
choses devantdictes.
Oudit temps, le roy ot nouvelles de mondit seigneur
de Bourbon comment les gentilzhommes de ses pays,
frans archers et autres que mondit seigneur avoit
envolez faire guerre pour le roy ou duchié de Bour-
gongne, par* laquelle guerre le roy avoit commis
mondit seigneur à son lieutenant gênerai, qu'ilz avoient
trouvé lesdiz Bourguignons à Guy, près de Ghasteau
Chinon, et ilec chargèrent sur iceulx, lesquelz ilz des-
confîrent, et y en ot de prins, de mors, et qui s'en-
fouirent grant quantité^. Entre lesquelz Bourguignons
y fut deffait ii"^ lances de Lombardie, dont la pluspart
y moururent. Et si y mourut le seigneur de Gouches
et autres seigneurs, et y furent prins le conte de
ambitionner une plus grande. Toutefois, il saisit le prétexte d'une
attaque de goutte pour demeurer à Moulins jusqu'au mois d'août.
— L'évêque de Mende se nommait Jean Petitdé (1474-1478).
1. Lisez pour. — Satisfait de la loyauté du duc de Bourbon,
Louis XI le nomma son lieutenant général en Lyonnais, Yiva-
rais, Gévaudan, Haute-Marche, Auvergne, Bourbonnais, Forez et
Beaujolais, et plaça ainsi sous sa direction le ban et l'arrière-ban
de ces provinces. Le duc s'occupa aussitôt d'organiser la défense
de ses domaines du côté de la Bourgogne, posta des troupes sur la
Loire vers Roanne pour couvrir le Forez et fit prendre l'offeDsive
à un autre corps commandé par le sire de Gombronde (La Mure,
ouvrage cité, p. 300 et suiv., note).
2. Tandis qu'un corps d'armée français, uni aux forces du duc
de Lorraine, envahissait le duché de Luxembourg, en exécution
des traités passés avec l'empereur, le sire de Gombronde, lieutenant
du duc de Bourbon, saisissait Bar-sur-Seine, Ghâtillon et Gham-
plitte. Le comte de Roussy, Antoine de Luxembourg, fils du con-
nétable de Saint-Pol, maréchal et gouverneur de Bourgogne pour
le duc Gharles, tenta vainement de s'opposer aux Français et se
fit prendre à Guipy (auj. Nièvre, arr. de Gosne).
336 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
Roussy, mareschal de Bourgongne, le sire de Longy,
le bailly d'Auxois, le sire de Lisle, l'enseigne du sei-
gneur de Beauchamp, le filz du conte de Saint-Martin,
messire Loys de Montmartin, messire Jehan de Di-
goigne, le seigneur de Rugny, le seigneur de Challi-
gny, les deux filz monseigneur de Viteaux*, dont l'un
est conte de Joigny, et autres; et fut ladicte destrousse
ainsi faicte le mardi xx® jour de juing mil IIIPLXXV.
Oudit moys de juing, nonobstant les lettres ainsi
envoiées par mondit seigneur le connestable au roy,
le roy ot nouvelles de l'empereur qu'il avoit fait refres-
chir ceulx de la ville de Nux, et d'icelle avoit mis
hors tous les navrez et malades et les avoit avitaillez
pour ung an entier et mis gens tous nouveaulx^, et
partant mis ledit de Bourgongne à sa croix de par
Dieu^ et que avecques ce avoit gaignée grande quan-
tité de son artillerie, sa vaisselle d'argent et autres
bagues.
1. Claude de Montagu, chevalier, seigneur de Couches, d'É-
poisses, etc., chevalier de la Toison, épousa Louise de la Tour;
Girard de Longvy, seigneur de Pagny, Givry, etc., épousa Jeanne
de Neufchàtel; Jean Damas, seigneur de Digoine, etc., chevalier
de la Toison, bailli de Maçonnais, épousa Claudine de Saint-
Amour; Guillaume d'Appelvoisin, seigneur de Chaligny, etc.,
épousa Iseut de Linières. Charles de Ghalon, chevalier, hérita
vers 1467 du comté de Joigny, qui appartenait à son oncle Guy
de la Trémoille. Son père, Jean de Chalon, frère de Louis II,
prince d'Orange, était seigneur de Vitteaux. Il épousa successive-
ment Jeanne de la Trémoille et Marie d'Enghien.
2. Interpolations et variantes, § CXIIL
3. C'est-à-dire que l'empereur ramena le duc de Bourgogne au
point où il en était lorsqu'il commença le siège. On appelait Croix
de par Dieu l'alphabet où l'on apprenait à lire aux enfants, parce
que le titre en était décoré d'une croix ainsi désignée (Littré,
v'o Croix).
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 337
Oudit moys de juing, le mardi xxvii% monseigneur
Tadmiral et ceulx de sa compaignie, qui avoient esté
ordonnez de par le roy à faire le gast en Picardie et
Flandres et de mettre à feu et à sang tout ce qu'ilz
trouveroient esdiz pays, vint ledit jour mettre ses
embusches près de la ville d'Arras^ ; et, icelles mises,
envoya environ xl lances courir devant ladicte ville
d'Arras. Lesquelz d'Arras, cuidans desconfire lesdictes
lances, firent sur eulx grans saillies, qui vindrent
asprement courir sus ausdictes lances, lesquelles se
vindrent rendre esdictes embusches et après eulx les-
diz d'Arras, tous lesquelz furent enclos par lesdictes
embusches, qui sur eulx chargèrent et les mirent en
fuite ; et, en fuiant, y en ot de tuez de xini à xv*^ hom-
mes. Et y fut tué le cheval du sire de Romont, filz de
Savoye et frère de la roy ne, mais il se saulva. Le
gouverneur d'Arras, nommé Jaques de Saint-PoP, et
plusieurs autres seigneurs et gens de nom y furent
prins^, que mondit seigneur l'admirai mena devant
1. Le 30 juin 1475, dans une lettre que M"e Dupont a imprimée
aux Preuves de son édition de Gommynes (III, 302), Louis XI
écrit à Dammartin que, les Anglais ne faisant pas mine de débar-
quer en Normandie, il a fait ravager la Picardie par ses gens afin
d'en éloigner les Anglais, et que tout est brûlé depuis la Somme
jusqu'à Hesdin et Arras.
2. Interpolations et variantes, § GXIV.
3. Voy. la lettre ci-dessus mentionnée et le récit que fait Gom-
mynes de cette rencontre (même édition, I, 326 et suiv.). Une
dame, que le chroniqueur n'a pas voulu nommer, ayant écrit à
Louis XI pour l'engager à envoyer du monde devant Arras, le roi
y expédia l'amiral. Les habitants d'Arras contraignirent les gens
de guerre qui gardaient leur ville à faire une sortie qui eut le
résultat pitoyable raconté ci-dessus. Jacques de Saint-Pol, seigneur
de Richebourg, blessé à la tête, fut pris avec les seigneurs de Gon-
tay et de Garency-Bourbon; mais il sut plaire à Louis XI, qui, peu
338 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [U75
icelle ville pour les sommer de eulx rendre es mains
du roy leur souverain seigneur, ou autrement il feroit
copper les colz ausdiz seigneurs prisonniers.
Oudit moys de juing, le roy, qui avoit à son pri-
sonnier le prince d'Orenge, seigneur d'Arlay, et qui
estoit à xxx"^ escus de finance, le délivra et donna
sadicte finance; et, en ce faisant, devint homme lige
du roy et lui fist hommage de ladicte principauté
d'Orenge. Et partant, le roy le renvoya à ses des-
pens à ses pays, et lui donna et octroya telle préémi-
nence qu'il se puist nommer par la grâce de Dieu,
puissance de faire monnoye d'or et d'argent de bon
aloy, aussi bon que la monnoye du Daulphiné, donner
aussi toutes grâces, remissions et pardons, réservé de
hérésie et de crime de lèse majesté ^ Et si donna le roy
dix mil escuz contens au seigneur qui avoit prins
ledit prince 2.
de temps après, le délivra, lui donna des gens d'armes et une
pension et l'employa jusqu'à sa mort (Ibid., I, 333 et suiv.).
Jacques de Savoie, comte de Romont, baron de Vaud, chevalier
de la Toison d'or, mort en i486, était fils du duc Louis de Savoie
et d'Anne de Chypre. Il avait épousé Marie de Luxembourg. On
le chercha parmi les morts après l'escarmouche livrée devant
Arras, mais il avait réussi à s'enfuir,
{. 9-10 juin 1475 (Bibl. nat., ms. fr. 3882, fol. 79-98, cop.).
2. Guillaume, fils de Louis, prince d'Orange, et de Jeanne de
Montbéliard, qui avait succédé à son père à la fin de 1463 et qui
mourut le 27 octobre 1475, avait été en 1473, « allant au parti de
Bourgongne sans congé, » fait prisonnier par Philibert de Groslée
(Bibl. nat., ms. cité, fol. 75, cop.). — C'est à Rouen, où le roi le fit
venir dans les derniers jours du mois de mai 1475, que le prince
d'Orange se laissa décider à servir Louis XI, et, comme il était
nécessiteux, ce dernier lui fit remettre 200 1. t. pour l'aider à payer
la dépense qu'il avait faite à Rouen et celle de son voyage de retour
(Bibl. nal., Pièces orig., vol. 650, doss. Chalon. Reçu sur parch.).
Le 28 juin, le chancelier apporta à la Chambre des comptes une
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 339
Oudit moys de juing, le roy envoya ses lettres
patentes à Paris, par lesquelles il fist publier que les
Anglois estoient descendus à Calais \ et que, pour y
résister, il mandoit au prevost de Paris de contraindre
tous les nobles et non nobles tenans fief ou arrière
fief pour estre prcstz le lundi, m® jour de juillet, entre
Paris et le bois de Vinciennes, pour d'ilec partir et
aler où ordonné leur seroit, et nonobstant leur privi-
lège et pour ceste foiz seulement. En ensuivant lequel
cry furent envoiez par ceulx de Paris plusieurs gens
en armes montez et habillez pardevers monseigneur le
prevost de Paris ou pays de Soissonnois.
Ou moys de juillet ensuivant, le roy, qui séjourna
en Normendie par aucun temps, s'en revint à Nostre
Dame d'Escouys et à Gaillartbois, près d'ilec, où
aussi il séjourna une pièce ; et puis s'en parti pour
aler à Nostre-Dame de la Victoire, où il fut aussi une
lettre signée du prince et datée du 6 du même mois, par laquelle
il confessait devoir au roi 40,000 écus d'or pour sa rançon. Au
dos de cette pièce était un certificat, en date du 10 juin, attestant
que le prince s'était acquitté envers le roi par la vente et trans-
port qu'il lui avait faits de l'hommage et dernier ressort en sou-
veraineté sur la principauté d'Orange. D'autres pièces complétaient
la précédente, notamment une lettre royale contenant plusieurs
grâces et privilèges en faveur du prince d'Orange (Lenglet, III,
396 et suiv.).
1. Vers la Saint-Jean (Molinet, I, 139). L'armée entière
d'Edouard IV comptait, suivant Gommynes, environ 1,500 hommes
d'armes bien montés et 15,000 archers à cheval, sans compter les
valets d'armée. Cette troupe mit plus de trois semaines à passer.
Le chroniqueur ajoute que, si Louis XI avait « entendu le faict
de la mer aussi bien qu'il entendoit le faict de la terre, jamais le
roy Edouard ne fust passé, au moins pour ceste saison » (éd.
Dupont, I, 338).
1 24
340 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
autre espace de temps, et puis s'en ala à Beauvais*.
Oudit moys, ledit duc de Bourgongne, qui avoit esté
devant la ville de Nux par l'espace de xii moys^, s'en
parti et s'en ala de nuit et honteusement de devant
icelle ville sans l'avoir peu conquérir, qui lui vint à moult
grant blasme et perte de gens et biens, et puis s'en
revint en ses pays, où il trouva son frère le roy
Edouart d'Angleterre qu'il y avoit fait descendre pour,
en continuant son mal et malice, faire derechef guerre
au roy et à ses pays et subgetz^.
Oudit [temps] se fist de grandes bateries et des-
truccions de pays es terres dudit duc de Bourgongne,
et ot plusieurs villes, bourgs et villages ars et destruiz.
Et, oudit temps, fut mandé par le roy venir à lui
monseigneur le duc de Bourbon, qui, avant qu'il y
vint, ot plusieurs lettres et messages, et puis vint par-
devers le roy, lui estant à Nostre-Dame de la Victoire^.
Et arriva en la ville de Paris mondit seigneur de
Bourbon ou moys d'aoust, à moult belle et honneste
compaignie de nobles hommes et bien fort triumphant,
et avoit bien avecques lui de sa compaignie v*^ che-
vaulx. Et s'en parti mondit seigneur le duc de ladicte
ville de Paris, pour aler pardevers le roy, le lundi
1. Le 15 juillet 1475 et jours suivants, Louis XI séjourna à
Gaillarbois, et, le 27, il était rendu à Beauvais (Itin. cité).
2. Du 30 juillet 1474 au 13 juin 1475.
3. Charles le Hardi arriva à Calais le 14 juillet, « à bien petite
compaignie. » Il avait envoyé ce qui restait de ses gens, après
les épreuves du siège de Neuss, piller le Barrois et la Lorraine
« pour les faire vivre et se rafreschir, » n'osant pas les montrer aux
Anglais (Commynes, éd. Dupont, I, 334, 337, 342).
4. 15 août et jours suivants {Itin. cité). — Interpolations et
variantes, § XCV.
Î475J OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 341
xm^^ jour d'aoust ; et fut ung peu d'espace de temps
avecques le roy, et puis s'en party de Senlis pour
aler à Glermont.
Oudit moys d'aoust, le roy ot ambaxade de par le
roy d'Angleterre qu'il s'estoit venu loger à Lihons en
Sancters-, qui communiquèrent avecques le roy d'au-
cunes matières. Après lequel pourparlé, le roy envoya
à Paris monseigneur le chancellier, messeigneurs les
gens des finances et autres pour avoir prest d'argent
de ceulx de ladicte ville, ausquelz fut fait promesse et
obligacion de leur restituer leur prest dedens le jour
de Toussaint. Et fut preste de ladicte ville lxxv™ escuz
d'or, qui furent baillez ausdiz Angloys, au moien de
certain traictié fait avecques eulx . Et si fut envoyé au
roy grant quantité de gens en armes, de par ladicte
ville, montez et habillez, aux gaiges et despens des
officiers et autres habitans de ladicte ville ^.
Oudit moys d'aoust, le mardi xxix® dudit moys, le
roy se parti d'Amiens^, et aussi monseigneur de Bour-
1. Lisez : XIV^ jour d'août.
2. Lihons- en -Santerre est aujourd'hui dans le dép. de la
Somme, arr. de Péronne.
3. Les Anglais, trompés par le duc de Bourgogne et reçus à
coups de canon par le connétable, qu'ils croyaient devoir « son-
ner les cloches à leur venue et porter la croix et l'eau bénite
au devant d'eux », découragés en outre par le mauvais temps et
le manque de vivres, accueillirent aisément les propositions d'ar-
rangement de Louis XI. Le 13 août, les ambassadeurs des deux
rois se rencontrèrent près d'Amiens et tombèrent d'accord sur
les termes d'un traité (Commynes, éd. Dupont, I, 345-356).
4. Louis XI était à Amiens depuis le 25 août. Dès le 19, le
duc de Bourgogne étant accouru de Luxembourg à Saint-Ghrist-
sur-Somme pour rompre les négociations qu'il savait entamées
entre les Anglais et le roi de France, Edouard IV lui répondit
qu'il venait de conclure avec les Français une trêve de sept ans
342 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
bon, monseigneur de Lion et autres nobles hommes,
cappitaines, gens d'armes et de traict, officiers et
autres gens en moult grant et merveilleux nombre,
que bien on estimoit estre c™ chevaulx^ pour tous
aler à Piquegny^. Auquel lieu le roy Edouart d'An-
gleterre vint parler au roy, et en amena avecques lui
son avant garde et arrière garde, qui demoura en
bataille près dudit Piquegny. Et, dessur le pont d'icel-
lui Piquigny, le roy avoit fait dresser deux appendis
de bois, l'un devant l'autre, dont l'un estoit fait pour
le roy et l'autre pour le roy d'Angleterre. Et entre
lesdiz deux appendis y avoit une cloison de bois, dont
la moitié par hault estoit treillissée, tellement que
chascun des deux roys povoient mettre leur bras par
dedens ledit treillis^. Et en l'un desdiz appentis vint
et arriva le roy tout le premier, et, incontinent qu'il
y fut arrivé, s'en party ung baron d'Angleterre, ilec
attendant la venue du roy, qui ala dire audit roy d'An-
gleterre que le roy estoit ainsi arrivé. Lequel roy
et lui offrit de l'y faire comprendre. — Pendant les trois jours
qui précédèrent l'entrevue de Picquigny, Louis XI fit faire grande
chère aux Anglais aux portes d'Amiens (Ibid., Preuves, III, 306,
et I, 361-363).
1 . Ce chiffre serait fort exagéré, même si l'on comptait toutes
les troupes françaises cantonnées en Picardie. Or, Gommynes,
présent à l'entrevue de Picquigny, dit que « la quarte partie de
l'armée du roi n'y estoit pas » (éd. Dupont, I, 373).
2. « A trois lieues d'Amyens, ung fort chasteau qui est au vidasme
d'Amyens, combien qu'il avoit esté bruslé par led. duc de Bour-
gongne. La ville est basse et y passe la rivière de Somme,
laquelle n'est point gueable et en ce lieu n'est point large » (Ibid.,
I, 368).
3. Un fort treillis en bois « comme l'on faict aux caiges de cea
lions » (Ibid., I, 369).
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 343
d'Angleterre, qui estoit en son parc, loing d'une
bonne lieue dudit Piquigny, acompaigné de xx"" Anglois
bien artillez dedens sondit parc, s'en vint incontinent
audit lieu de Piquigny audit apentis, qui lui estoit
appareillé, et amena seulenaent avecques lui, pour
l'atendre au joignant d'icellui appentis, vint des lances
de sadicte compaignie, qui ilec furent et demeurèrent
dedens l'eaue à costé dudit pont par tout le temps que
le roy fut et demoura en icellui appentiz^. Durant
lequel temps vint moult grande et merveilleuse pluye,
qui fist moult de mal et perte aux seigneurs et gen-
tilzhommes du roy, à cause des belles housseures et
nobles habillemens qu'ilz avoient préparez pour la
venue dudit roy Edouart d'Angleterre 2. Et lequel roy
d'Angleterre, quant il vit et apperceut le roy, il se
gecta à ung genoil à terre, et depuis par deux foiz se
y gecta avant que arriver au roy, lequel le receut bien
benignement et le fîst lever ^ ; et parlèrent bien ung
quart de heure ensemble, es présences de mesdiz sei-
gneurs de Bourbon, Lion, et autres seigneurs et gens
des finances que le roy avoit fait ilecques venir jusques
au nombre de cent^. Et puis, après ce qu'ilz orent parlé
1. Interpolations et variantes, § GXVI. — Il avait été convenu
que chacun des deux rois n'aurait avec lui que douze personnes
sur le pont.
2. Interpolations et variantes, § GXVII.
3. « II (le roi d'Angleterre) osta sa barrette et s'agenouilla
comme à demy pied de terre. Le roy luy feit aussi grant révé-
rence, lequel estoit ja appuyé contre les barrières. Et, à s'cn-
treembrasser par entre les trouz, feit le roy d'Angleterre encores
une aultre révérence » (Gommynes, éd. Dupont, I, 374).
4. Sur le rôle important que le duc de Bourbon et l'arche-
vêque de Lyon, son frère, jouèrent en cette occasion, voy. Raw-
don Brown, Calendar of State papers, etc., t. I, p. 132.
344 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
ensemble en gênerai, le roy fist tout reculer et par-
lèrent à privé ensemble, où aussi ilz furent et demou-
rerent une espace de temps^. Et, au département, fut
publié que l'appoinctement estoit fait entre eulx tel
qu'il s'ensuit : c'est assavoir que tresves estoient
accordées entr'eulx pour le temps de sept ans, qui
commencèrent ledit xxix® jour d'aoust l'an LXXV et
finiroient à pareil et semblable jour, qui sera mil
IIIP IIIP'' et deux. Laquelle trêve seroit marchande,
et pourroient aler venir lesdiz Anglois par tout le
royaume armez et non armez, pourveu qu'ilz ne
seroient en armes en une compaignie plus que de cent
hommes-. Et fut publiée ladicte trefve à Paris ^, Amiens
et autres lieux du royaume de France ; et puis fut
baillé audit roy d'Angleterre lx et xv™ escuz d'or. Et
si fist le roy d'autres dons particuliers à aucuns sei-
gneurs d'autour dudit Edouart et aux heraulx et trom-
petes de ladicte compaignie, qui en firent grant feste
et bruit, en criant à haulte voix : Largesse au très
noble et puissant roy de France! Largesse! Largesse!
Et si promist encores audit Edouart lui paier et don-
ner par chascune desdictes sept années, par chascune
d'icelle[s] cinquante mil escuz, et si festoya bien
1. Après un discours prononcé par Thomas Scot, évêque de
Lincoln et grand chancelier d'Angleterre, les lettres du traité
furent déployées et les deux rois les approuvèrent, puis, une
main sur le missel et l'autre sur la vraie croix, ils jurèrent d'en
observer le contenu. Après quoi, Louis XI, « qui se monstroit
avoir auctorité en ceste compaignie, » fit retirer tout le monde
et parla seul à seul à Edouard IV (Ibid., I, 376 et suiv.).
2. Rymer, Acla et fwdcra, t. V, part. III, p. 65 et suiv.
3. Les « trêves et abstinences do guerre » furent criées et
publiées dans les rues de Paris le h septembre 1475 (Arch. nat.,
reg. des Bannières Y 7, fol. 149 v°).
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 345
fort le duc de Clairence, frère dudit roy d'Angleterre,
et lui donna de beaux dons. Et puis le roy Edouart
retira tous ses Anglois qu'il avoit, tant de son ost que
autres qu'il avoit envoiez à Abbeville, Peronne et ail-
leurs, et fist trousser et baguer tout son bagaige et
s'en retourna à Calais pour passer la mer et s'en aler
en son royaume d'Angleterre^. Et le convoya jusques
audit Calais maistre Jehan Héberge, evesque d'Evreux.
Et si laissa ledit roy Edouart au roy deux barons d'An-
gleterre, l'un nommé le seigneur de Hauart et l'autre
le grant escuier d'Angleterre^, jusques à ce que le roy
eust eu aucunes choses que ledit Edouart lui devoit
envoier du royaume d'Angleterre ; et lesquelz seigneur
de Hauart et grant escuier estoient fort amis et en la
grâce dudit Edouart et qui avoient esté moien de
faire ladicte paix, tresve et autres traictiez entre iceulx
roys^; et furent icellui Hauart et escuier fort festoiez
à Paris. Et puis le roy, mesdiz seigneurs de Bourbon,
Lion et autres seigneurs, qui estoient à Amiens, s'en
retournèrent à Senlis, où ilz furent une espace de
temps. Et ordonna le roy gens de sa maison pour con-
duire et mener ledit seigneur de Hauart parmy ladicte
ville de Paris et autres lieux, et entre autres y ordonna
1. Interpolations et variantes, § CXVIII.
2. Cf. Gommynes, éd. Dupont, I, 360. — John Howard, pre-
mier duc de Norfolk de la maison de Howard (28 juin 1483), né
vers 1430, était fils de sir Robert Howard et de Marguerite Mow-
bray, fille de Thomas, duc de Norfolk. John Howard fut marié : lo à
Catherine Moleyns; 2° à Marguerite Chedworth, et mourut à la
bataille de Bosworth (22 août 1485) [Dictionary of national bio-
rjrapluj, in-S", 1891). — John Gheyne est qualifié également grand
écuyer du roi Edouard IV (master of the horse) par Gommynes
(éd. Dupont, I, 360, note). Il vivait encore le 10 août 1480.
3. Interpolations et variantes, § GXIX.
346 JOXJRNAL DE JEAN DE ROYE [1475
et bailla la charge à sire Denis Hesselin, son maistre
d'ostel et esleu de Paris, qui en fist bien son devoir,
à i'onneur et loenge du roy ; et demourerent en ladicte
ville par l'espace de huit jours entiers, où ilz furent
bien fort festiez et menez jouer au bois de Vincennes
et autres lieux ; et entre autres furent bien fort festiez
aux Tournelles, en l'ostel du roy, et, pour ce faire,
leur fut envoyé pour les honnestement entretenir plu-
sieurs dames, damoiselles et bourgoises ; et puis s'en
retourna ledit seigneur de Hauart pardevers le roy,
qui estoit à la Victoire près Senlis^.
Et, oudit moys de septembre, le roy, qui estoit
audit lieu de la Victoire, s'en ala vers le pays de Sois-
sonnois et à Nostre-Dame de Lience-, et en ce voyage
print et reduisy en ses mains la ville de Saint-Quentin,
que monseigneur le connestable avoit prinse et usur-
pée sur lui, et bouté hors ceulx à qui le roy en avoit
baillé la charge, ainsi que dit est devant^. Et, aupara-
vant, ledit connestable s'en estoit aie et avoit haban-
donné ses villes et places pour aler avec et en l'obéis-
sance du duc de Bourgongne. Et, qui pis estoit, avoit
cscript et mandé au roy Edouart d'Angleterre, après
le traictié par lui fait avecques le roy, et qu'il estoit
retourné à Calais pour passer mer et retourner en
Angleterre, qu'il estoit ung lasche, deshonnoré et
povre roy d'avoir fait ledit traictié avec le roy, soubz
umbre des promesses que le roy lui avoit faictes, dont
\. 3-H septembre 1475 (Itin. cité).
2. Notre-Darae-de-Liesse, auj. dép. de l'Aisne, arr. de Laon.
3. C'est le 14 septembre, au soir, que Louis XI, averti que le
connétable allait introduire le duc de Bourgogne dans Saint-
Quentin, y fit entrer en toute hâte des troupes.
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 347
il ne lui tiendroit rien, et que en fin s'en trouveroit
deceu. Lesquelles lettres ainsi audit Edouart escriptes,
il envoya dudit lieu de Calais au roy, qui bien appar-
ceut que ledit connestable n'estoit point féal comme
estre devoit*. Et puis fut donné congié par le roy
ausdiz de Hauart et grant escuier d'eulx en retourner
oudit royaume d'Angleterre, et leur fut donné de
beaulx dons, tant en or que en vaisselle d'or et d'ar-
gent. Et si fist le roy publier à Paris qu'on leur lais-
sast prendre des vins ou pays de France tant que bon
leur sembleroit, pour mener en Angleterre, en le
paiant.
Oudit moys d'octobre, le roy, qui estoit aie à Ver-
dun ^ et autres places environ la duchié de Lorraine,
retourna à Senlis et à la Victoire. Et y vindrent l'am-
baxade de Bretaigne, qui firent la paix entre le roy
et ledit duc de Bourgongne^, qui renonça à toutes
aliances et scellez qu'il avoit fait et baillez contre le
roy. Et pareillement ledit monseigneur de Bourgongne
print et accepta tresves marchandes avecques le roy,
pareillement que la tresve des Anglois^.
Et le lundi, xvi® jour dudit moys d'octobre, oudit
an mil IIIP LXXV, fut publiée solennellement au son
1. Cf. Molinet, I, 178.
2. A la fin de septembre (Ordonnances, XVIII, 137). Il était de
retour à Senlis et à la Victoire le 9 octobre, et y resta jusque vers
le 10 novembre.
3. Le traité de paix perpétuelle et d'alliance avec la Bretagne
(le chroniqueur a écrit par erreur Bourgogne) est daté de Notre-
Dame-de-la-Vicloire le 9 octobre ; il fut confirmé par Louis XI
le 16 du même mois et le 5 novembre par le duc François (Len-
glet, m, 430-441).
4. Interpolations et variantes, § GXX.
348 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
de deux trompettes et par les carrefours de la ville
de Paris ladicte tresve marchande d'entre le roy et
mondit seigneur de Bourgongne, pour le temps et
terme de neuf ans commençans le xiii® jour de sep-
tembre oudit an et finissans à semblable jour l'an mil
IIIP IIIF'' et IIII ; par laquelle toute marchandise doit
avoir cours par tout le royaume de France, et, ce
temps durant, chascun peut retourner en ses posses-
sions immeubles^. Et puis le roy s'en retourna à Saint-
Denis, et puis à Savignys près Montlehery, et de là au
Boys Malesherbes, et en après à Orléans, à Tours et
à Amboise^.
Et, le lundi xx^ jour de novembre, oudit an LXXV,
fut mené escarteler aux haies de Paris, par arrest de
la court de Parlement, ung gentilhomme, natif de
Poictou, nommé Regnault de Veloux, serviteur et fort
familier de monseigneur du Maine, pour occasion de
ce que ledit Regnault avoit fait plusieurs voyages par-
devers divers seigneurs de ce royaume et conseillé de
faire plusieurs traictiez et porté plusieurs scellez contre
et ou préjudice du roy, dudit royaume et de la chose
publique. Et fut ledit Regnault, par l'ordonnance de
ladicte court, fort secouru pour le fait de son ame et
conscience, car il lui fut baillé le curé de la Magda-
leine, penancier de Paris et moult notable clerc, doc-
i. Basin exprime la satisfaction que la trêve de neuf ans causa
dans les deux pays, particulièrement parmi les marchands, qui,
depuis cinq années, ne pouvaient exercer leur commerce (II, 367).
2. Le roi passa le 12 novembre à Savigny-sur-Orge (auj. dép.
de Soinc-et-Oise, cant. de Longjumeau), et rentra au Plessis avant
le 25 du même mois [Ordonnances, XVIII, 151) : il y demeura
du milieu de décembre à la mi-février.
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 349
leur en théologie, et deux grans elers de l'ordre des
Gordeliers, et furent pendus ses membres aux quatre
portes de Paris et le corps d'icellui au gibet ^.
Et, pour ce que par le roy nostre sire, d'une part,
et ses ambasseurs pour lui et les ambasseurs de mon-
seigneur de Bourgongne, ou moys d'octobre derre-
nier passé, en faisant par eulx la tresve de neuf ans
entre eulx deux dont est faicte mencion devant, avoit
esté promis de par ledit duc de Bourgongne de mettre
1. Interpolations et variantes, § GXXI. — Regaault de Velort
avait fait partie des cent gentilshommes de la garde du roi, dont
il quitta l'hôtel pour se rendre auprès du duc de Galabre, comte
du Maine, qui fit de lui son chambellan, puis le capitaine de ses
archers. Il fut accusé d'avoir joué un rôle dans la grande cons-
piration de 1475, dont le connétable avait été l'instigateur et qui
avait pour objet de saisir la personne du roi et de lui enlever
la direction du gouvernement. Le rôle joué auprès du duc de
Galabre par les émissaires du comte de Saint-Pol, Hector de
l'Écluse et Robert de Marburi, fut identique à celui que les
agents du connétable avaient joué auprès du duc de Nemours :
annoncer le débarquement des Anglais, l'appointement du duc
de Bourgogne avec l'empereur, inquiéter le prince sur les pro-
jets du roi à son égard... Velort fut donc accusé d'avoir poussé
son maître à écouter les propositions du connétable; de n'avoir
point ignoré qu'il y avait eu entre eux échange de scellés; de
s'être à plusieurs reprises, pendant l'été de 1475, dissimulé aux
environs du château d'Angers pour en épier les défenses et exa-
miner le moyen de l'arracher au roi ; enfin d'avoir servi d'inter-
médiaire pour la conclusion entre le duc de Bretagne et le duc
de Galabre d'une alliance défensive contre Louis XI, voire d'un
traité d'alliance offensive qui recevrait son exécution dès que les
Anglo-Bourguignons tiendraient la campagne. L'accusé fut inter-
rogé par les commissaires du roi, en présence de Philippe de
Gommynes et d'Ymbert de Batarnay, et, malgré ses réserves et
ses dénégations, il fut condamné à mort pour crime de lèse-majesté
(Bibl. nat., ms. fr. 18442, fol. 130-143 v°. Fragment d'interro-
gatoire).
I
350 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
et livrer es mains des gens et ambasseurs du roy ledit
connestable de France S nommé messire Loys de
Lucembourg, fut par ledit de Bourgongne baillé et
livré ledit connestable es mains de monseigneur l'ad-
mirai, bastard de Bourbon, de monseigneur de Sainct-
Pierre, de monseigneur du Bouschage, de maistre
Guillaume de Gerisay et autres plusieurs 2. Et par tous
les dessus nommez en fut amené, prisonnier en la ville
de Paris et mené par dehors les murs d'icelle du
costé des champs à l'entrée de la Bastide Saint-An-
thoine; laquelle entrée ne fut point trouvée ouverte,
et pour ce fut ordonné et amené ledit monseigneur
le connestable passer parmy la porte Saint-Anthoine
au dedens de ladicte ville et mis en ladicte Bastide.
Et estoit ledit monseigneur le connestable vestu et
habillé d'une cape de camelot^, doublée de veloux
1. Interpolations et variantes, § GXXII. — Sur l'arrestation du
connétable, voy. Molinet, I, 180.
2. Interpolations et variantes, § GXXIII. — Basin fait ressortir
l'odieux de la conduite du duc de Bourgogne, qui trahit le sauf-
conduit que lui-même avait fait remettre au comte de Saint-Pol
pour se réfugier à Mons. Il faut ajouter que, jusqu'au der-
nier moment, les gens du duc poursuivirent un ignoble marchan-
dage afin d'obtenir pour leur maître, entre autres avantages, les
quelques seigneuries omises au traité passé avec le roi de France
le 13 septembre précédent, traité qui transportait dès lors au
Bourguignon tous les biens meubles du connétable, ses villes,
châteaux et seigneuries de Ham, Bobain et Beaurevoir, ou bien
(l'option lui étant réservée jusqu'au 20 décembre) lui donnait la
faculté de conserver les places qu'il avait saisies en Lorraine
(Lettres de Louis XI datées de Savigny-sur-Orge, 12 novembre
1475, dans Lenglet, III, 443 et suiv.). Charles lo Hardi choisit
les places lorraines (Lettre de Louis XI datée du Plessis, le
18 décembre 1475. Ibid., III, 448 et suiv.).
3. Étoffe de poil ou de laine.
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 351
noir, dedens laquelle il estoit fort embrunché^; et
estoit monté sur ung petit cheval bayart à cours crins,
et en ses mains avoit unes moufles fort velues. Et oudit
estât, après ce qu'il fut descendu oudit lieu de la Bas-
tide, trouva ilec monseigneur le chancelier, le premier
président, et les autres presidens en la court de Par-
lement et plusieurs conseillers d'icelle court; et aussi
y estoit sire Denis Hesselin, maistre d'ostel du roy
nostre sire, qui tous ilec le receurent et après s'en
départirent et laissèrent en la garde de Philippe Luil-
1er, cappitaine dudit lieu de la Bastide. Et auquel lieu
de la Bastide ledit monseigneur l'admirai présenta ledit
connestable ausdiz chancelier, presidens et autres des-
susnommez, où il profera et dist telles ou semblables
paroles en effect et substance ; « Messeigneurs, qui
icy estes tous presens, veez cy monseigneur de Saint-
Pol, lequel le roy m'avoit chargé d'aler quérir par-
devers monseigneur le duc de Bourgongne, qui lui
avoit promis le lui faire bailler, en faisant avecques le
roy son dernier appoinctement de la tresve entre eulx.
En fournissant à laquelle promesse, le me a fait bailler
et délivrer pour et ou nom du roy. Et depuis l'ay bien
gardé jusques à présent que je le metz et baille en
vos mains pour lui faire son procès le plus diligem-
ment que faire le pourrez, car ainsi m'a chargié le roy
de le vous dire. » Et à tant s'en party ledit monsei-
gneur l'admirai dudit Heu de la Bastide. Et, après
que ledit connestable ot ainsi esté laissé es mains des
dessus nommez, monseigneur le chancelier^, premier
1. C'est-à-dire dans laquelle il avait enfoui son visage.
2. Interpolations et variantes, § GXXIV.
352 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
et second presidens de Parlement, et autres notables
et sages personnes en bien grant nombre vaquèrent et
entendirent à bien grant diligence et solicitude à faire
ledit procès, et, en faisant icellui, interroguerent ledit
seigneur de Saint-Pol sur les charges et crimes à lui
mis sus et imposez : ausquelz interrogatoires il res-
pondi de bouche sur aucuns poins. Lesquelz interro-
gatoires et confessions furent mis au net et envoiez
devers le roy ^ .
Et, le lundi im^jour de décembre, ouditan LXXV,
advint que ung herault du roy, nommé Montjoye,
natif du pays de Picardie, et qui faisoit la pluspart de
sa résidence avecques ledit seigneur de Saint-Pol, lui
estant connestable, vint et arriva, lui et ung sien filz,
en la ville de Paris, pardevers maistre Jehan de la
Driesche, président des Comptes et trésorier de France,
natif du pays de Breban, pour lui apporter lettres
de par le conte de Merle ^, sa femme et enfans, afin
de secourir et aider par lui, en ce que possible lui
seroit, audit connestable, père dudit conte de Merle.
Lesquelles lettres il ne voult pas recevoir d'icellui
herault, sinon en la présence de mondit seigneur le
chancellier et des gens du conseil du roy. Et, à ceste
cause, ledit de la Driesche mena et conduisy ledit
herault jusques au logeis dudit monseigneur le chan-
cellier, afin que par lui lesdictes lettres feussent veues
1. Interpolations et variantes, § GXXV. — Voy. ces procès-
verbaux au manuscrit français 4795 de la Bibliothèque nationale,
pap., xv« s.
2. Jean, comte de Marie et de Soissons, fils du premier mariage
du comte de Saint-Pol avec Jeanne de Bar, chevalier de la Toi-
son d'or, fut tué à la bataille de Morat, le 22 juin i476.
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 353
et ce qui dedens y estoit contenu. Mais, pour ce que
ledit maistre Jehan de la Driesche demoura lonsue-
ment au conseil avec icellui monseigneur le chancel-
lier et autres, ledit Montjoye et sondit filz s'en retour-
nèrent en leur logis, et ilec montèrent incontinent à
cheval et s'en alerent au giste au Bourgel^ combien
que à leur partement ilz dirent à leur hoste que, se
aucun les demandoit, qu'il deist qu'ilz s'en estoient
alez au giste au Bourg la Royne^. Et, quant ledit de la
Driesche cuida trouver ledit herault pour avoir les-
dictes lettres, ne le trouva point ; pourquoy fut hasti-
vement envoyé après ledit herault jusques au Bourg la
Royne, où il ne fut point trouvé ; mais fut trouvé par
deux archers de la ville de Paris audit lieu du Bour-
geel, et par eulx ramené le diraenche, tiers jour de
décembre, oudit an, qui fut mené et conduit jusques
en rOstel d'icelle ville, et ilec, devant les gens et
conseil à ce ordonnez, fut ledit Montjoye et sondit filz
chascun à part interrogué, et furent leurs deposicions
rédigées et mises par escript par ledit sire Denis
Hesselin. Et après ce, furent lesdiz Montjoye et sondit
filz mis et laissez en la garde de Denis Baudart, archer
de ladicte ville, et en son hostel ; ouquel lieu il fut et
demoura par l'espace de xxv jours, et ilec bien et
diligemment gardé avec sondit filz par trois des archers
de ladicte ville.
Oudit temps, au commencement du moys de décem-
bre, fut amené le conte de Roussy^, qui prisonnier
1. Le Bourget, auj. dép. de la Seine, cant. de Pantin.
2. Bourg-la-Reine, même dép., cant. de Sceaux.
3. Antoine de Luxembourg, fait prisonnier au combat de
Guipy (voy. plus haut, p. 335j.
354 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
estoit dedens la grosse tour de BourgesS jusques au
Plessis du Parc, autrement dit les Motiz lez Tours, où
le roy estoit, et ilec fut parler à lui et lui fist plusieurs
grandes remonstrances des grandes folies esquelles
par long temps il s'estoit entremis, et comment il
avoit du roy mal parlé durant ce qu'il avoit esté et soy
porté son ennemy, et fait plusieurs grans et énormes
maulx à ses villes, pays et subgetz, comme mareschal
de Bourgongne pour le duc dudit lieu, et comment
villainement et honteusement il avoit esté prins pri-
sonnier par les gens du roy, qui pour lui estoient en
armes oudit pays de Bourgongne, soubz la charge de
monseigneur le duc de Bourbonnoys, et par ledit de
Roussy baillée sa foy au seigneur de Combronde^, et
comment il l'avoit acheté de mondit seigneur le duc
xxii"^ escuz d'or. Et lui fist le roy de grans paours et
esfroiz, dont ledit de Roussy cuida avoir froide joye
de sa peau^. Mais, en conclusion, le roy le mist à
XL™ escuz de raençon, et lui fut par lui donné terme
de les trouver et rapporter devers le roy dedens deux
moys après ensuyvans, pour tous termes et délais, et
que autrement et où il y aroit faulte dedens ledit
terme, qu'il feust asseuré qu'il mourroit.
Et, depuis ces choses, fut procédé par toute dili-
gence à faire le procès dudit connestable par mesdiz
seigneurs le chancelier, presidens et conseillers clers
et laiz de la court de Parlement, lesdiz de Saint-Pierre,
1. Forteresse célèbre dans l'histoire du xv^ siècle et de laquelle
relevaient plusieurs fiefs.
2. Bèrault Dauphin.
3. On dit dans le même sens : avoir la chair de poule (Lacurne
de Sainte-Palaye, Dict. de l'anc. langage fYançais, éd. Favre).
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 355
Hesselin et autres à ce faire ordonnez et appeliez.
Lequel procès veu, fut par eulx conclud tellement
que, le mardi xix^ jour de décembre, oudit an mil
IIII'' LXXV, fut ordonné que ledit connestable seroit
mis et tiré hors de sa prison et amené en la court de
Parlement pour lui dire et declairer le dictum donné
et conclut à l'encontre de lui par icelle court de Par-
lement. Et fut à lui, ledit jour de mardi, en la chambre
et logis dudit connestable en icelle Bastide, ledit mon-
seigneur de Saint-Pierre, qui de lui avoit la garde et
charge; lequel, en entrant en la chambre, lui fut par
lui dit : « Monseigneur, que faictes vous? Dormez
vous? » Lequel connestable lui respondi : « Nennil,
long temps a que ne dormy, mais suis icy où vous
me voiez pensant et fantasiant^. » Auquel ledit de
Saint-Pierre dist qu'il estoit nécessité qu'il se levast
pour venir en ladicte court de Parlement, pardevant
les seigneurs d'icelle court, pour lui dire par eulx
aucunes choses qu'ilz lui avoient à dire touchant son
fait et expedicion, ce que bonnement ne povoit mieulx
faire que en ladicte court, en lui disant aussi par ledit
de Saint-Pierre qu'il avoit esté ordonné que avecques
lui et pour le acompaigner y seroit et viendroit mon-
l. B Et, quant il (Saint-Pierre) fut entré, le trouva couché au
lit, dénué de tous ses gens ; et, après qu'il l'eut salué, mons. le
connestable lui demanda de quelle main il se seigneroit pour la
journée, et led. seigneur respondit : « De telle main que vous
« avez accoustumé de faire, i Puis il se leva et habilla, et en
partant de son logis fit le signe de la croix et dist : « A Dieu je
« me recommande. » Puis monta à cheval et fut amené au Palais
jusques à la table de marbre; et le greffier de Parlement estant
illec et qui le hayoit le plus lui lut certains articles, en l'inter-
rogeant et disant : « Monseigneur, est il ainsi? » Et il respondit ':
« Oye » (Molinet, I, 182. Cf. Basin, II, 375 et suiv.).
I 25
356 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
seigneur Robert d'Estouteville, chevalier, prevost de
Paris. Dont de ce ledit connestable fut ung peu espo-
venté pour deux choses que lors il declaira : !a pre-
mière, pour ce qu'il cuidoit qu'on le voulsist mettre
hors de la possession dudit Philippe Luiller, cappitaine
d'icelle Bastide, avecques lequel il s'estoit bien trouvé
et l'avoit fort agréable, pour le mettre es mains dudit
d'Estouteville, qu'il reputoit estre son ennemy, et que,
s'il y estoit, doubtoit qu'il lui feist desplaisir, et aussi
qu'il craignoit le populaire de Paris et de passer parmy
eulx. A toutes lesquelles doubtes ainsi faictes par ledit
connestable lui fut solu et dit par ledit seigneur de
Saint-Pierre que ce n'estoit point pour lui changer son
logeis, et qu'il le meneroit seurement audit lieu du
Palais, sans lui faire aucun mal. Et à tant s'en party
dudit lieu de la Bastide, monta achevai et ala jusques
audit Palais, tousjours ou mylieu desdiz d'Estouteville
et de Saint-Pierre, qui le firent descendre aux degrez
de devant la Porte aux Merciers^ d'icelle court de
Parlement. Et, en montant lesdiz degrez, trouva ilec
ledit seigneur de Gaucourt et Hesselin qui le saluèrent
et lui firent le bien veignant, et icellui connestable leur
rendi leur salut. Et puis après, après qu'il fut monté,
le menèrent jusques en la Tour Criminelle- dudit Par-
lement, où il trouva monseigneur le chancellier, qui à
lui s'adreça, en lui disant telles paroles : a Monsei-
gneur de Saint-Pol, vous avez esté par cy devant et
1. La grande porte du Palais, rue de laBarillerie, ouvrait sur la
cour de Mai, d'où l'on accédait à la galerie des Merciers par un
perron appelé les Degrés aux Merciers (Aubert, le Parlement de
Paris..., son organisation, etc., appendice, p. 390).
2. Ou Tournelle Criminelle.
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 357
jusques à présent tenu et réputé Je plus sage et le
plus constant chevalier de ce royaume; et, puis don-
ques que tel avez esté jusques à maintenant, il est
encores mieulx requis que jamais que aiez meilleure
constance que onques vous n'eustes. » Et puis lui
dist : « Monseigneur, il fault que ostiez d'autour de
vostre col l'ordre du roy que y avez mise. » A quoy
il respondi que voulentiers il le feroit, et de fait mist
la main pour la cuider oster, mais elle tenoit par der-
rière à une espingle. Il pria audit de Saint-Pierre qu'il
lui aidast à l'avoir, ce qu'il fist, et icelle baisa et bailla
audit monseigneur le chancellier. Et puis lui demanda
mondit seigneur le chancellier où estoit son espée,
qui baillée lui avoit esté en le faisant connestable, qui
respondi qu'il ne l'avoit point, et que, quant il fut
mis en arrest, que tout lui fut osté et qu'il n'avoit
riens avecques lui autrement que ainsi qu'il estoit
quant il fut amené prisonnier en ladicte Bastide ; dont
par mondit seigneur le chancellier fut tenu pour
excusé, et à tant se départi mondit seigneur le chan-
cellier. Et, tout incontinent après, y vint et arriva
maistre Jehan de Poupaincourt, président en ladicte
court, qui lui dist autres paroles telles qui s'ensui-
vent : a Monseigneur, vous savez que par l'ordon-
nance du roy vous avez esté constitué prisonnier en la
Bastide Saint-Anthoine pour raison de plusieurs cas et
crimes à vous mis sus et imposez. Ausquelles charges
avez respondu et esté ouy en tout ce que avez voulu
dire et sur tout avez baillé voz excusacions. Et, tout
bien veu à bien grant et meure deliberacion, je vous
diz et declaire et par arrest d'icclle court que vous
estes criminelx de crime de lèse majesté et comme tel
358 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
estes condempné par icelle à souffrir mort dedens le
jour d'uy, c'est assavoir que vous serez décapité
devant l'Ostel de ceste ville de Paris, et toutes voz
seigneuries, revenues et autres héritages et biens
declairez acquis et confisquez au roy nostre sire^. »
Duquel dictum et sentence il se trouva fort perplex et
non sans cause, car il ne cuidoit point que le roy ne
sa justice le deussent faire niourir. Et dist alors et
respondi : « Ha, ha! Dieu soit loué, veez cy bien dure
sentence; je lui supplie et requier qu'il me doint grâce
de bien le recognoistre au jour d'uy. » Et si dist alors
à Mons. de Saint-Pierre : « Ha, ha ! monseigneur de
Saint-Pierre, ce n'est pas cy ce que m'avez tousjours
dit; » et à tant se retray, et fu mis et baillé es mains
de quatre notables docteurs en théologie, dont l'un
estoit cordelier, nommé maistre Jehan de Sordun,
l'autre augustin, le tiers penancier de l'église de Paris,
et le quart est nommé maistre Jehan Hue, curé de
Saint-Andry des Ars, doien de la faculté de théologie
audit lieu de Paris ; ausquelz et à mondit seigneur le chan-
cellier il requist qu'on luy baillast le corps de Nostre
Seigneur ; ce qui ne lui fut point accordé, mais lui fu
fait chanter une messe devant lui, dont il se contenta
assez. Et, icelle dicte, lui fut baillé de l'eaue benoiste
et du pain benoist dont il menga, mais il ne but ne
but point lors ne depuis. Et puis demoura avecques
lesdiz confesseurs jusques à entre une et deux heures
i. Cf. Molinet (I, 183), qui met dans la bouche du seigneur de
Gaucourt le discours attribué plus exactement sans doute par
notre chroniqueur au président Jean de Popincourt. On trou-
vera le texte de l'arrêt aux Interpolations cl variantes, § CXX.VI.
Cf. Bibl. nat., ms. fr. 1707, fol. 38-4(t v». Copie sur pap. du xv" s.,
et Lenglet, III, 454 et suiv.
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 359
après midi dudit jour, qu'il descendi dudit Palais et
remonta à cheval pour venir en l'Ostel de ladicte ville,
où estoient fais plusieurs eschafaux pour son execu-
cion*. Et avecques lui y estoient le greffier de ladicte
court et huissiers d'icelle. Et oudit Hostel de la ville
descendi et fut mené au bureau dudit Hostel, contre
lequel il y avoit ung grant eschafault drecié ; et au joi-
gnant d'icellui on venoit par une alée de bois à ung
autre petit eschafault, là où il fut exécuté^. Et en icel-
lui bureau fut ilec avec sesdiz confesseurs faisant de
grans et piteux regrés, et y fist ung testament tel quel
et soubz le bon plaisir du roy, que ledit sire Denis
Hesselin escripvy soubz lui^. En faisant lesquelles
choses il demoura oudit bureau jusques à trois heures
dudit jour, qu'il yssy hors d'icellui bureau et s'en vint
getter au bout dudit petit eschafFault et mettre la face,
les deux genolz flechiz, devant l'église Nostre-Dame
1. Quand le connétable et les personnages qui l'accompagnaient
eurent gravi les marches du grand échafaud, le greffier donna
lecture au peuple de la confession du condamné et de l'arrêt qui
le frappait de mort. Il y avait sous l'échafaud une foule immense,
car de bien longtemps les Parisiens n'avaient joui d'un pareil
spectacle. Basin, qui fournit ces détails (II, 376), ajoute que,
même après qu'il eut été dépouillé du collier de l'ordre et des
insignes de son rang, Saint-Pol croyait encore à la possibilité
d'une grâce.
2. « Erat autem illic velut tribunal magnum et altum in medio
(plateee) exstructum et erectum cum gradibus, ut ad ipsius cul-
men scanderetur, satis magnitice de ligno fabricatum. Pannis
quidem de veluto nigro ita velatum vestitumque erat ut lignea
machina minime cerneretur » (Basin, loc. cit.).
3. Ce testament, ou, pour mieux dire, ce codicille, a été imprimé
par Lenglet (III, 450-452). Il porte la mention : « Escript en
l'hostel de la ville, le dix-neuviesme jour de décembre 1475. » Ces
dispositions complètent le testament que le connétable avait
fait à Péronne le 24 novembre précédent et qu'on trouve aussi
dans Lenglet {ibid.}.
I 25*
360 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
de Paris, pour y faire son oroison, laquelle il tint assez
longue, en doloreux pleur et grande contricion, et
tousjours la croix devant ses yeulx, que lui tenoit
ledit maistre Jehan Sordun, laquelle souvent il bai-
soit en bien grant révérence et moult piteusement pleu-
rant. Et, après sadicte oroison ainsi faicte et qu'il se
fut levé debout, vint à lui Petit Jehan, fîlz de Henry
Cousin^, maistre de la haulte justice, qui lui apporta
une moienne corde dont il lya les deux mains dudit
de Saint-Pol, ce qu'il soufFry bien benignement. Et,
en après, le mena ledit Petit Jehan et fist monter
dessus ledit petit eschafault, dessus lequel il se
arresta et tourna le visaige pardevers lesdiz chancellier,
deGaucourt, prevost de Paris, seigneur de Saint-Pierre,
greffier civil de ladicte court, dudit (sic) sire Denis
Hesselin et autres officiers du roy estans ilec en bien
grant nombre, en leur criant mercy pour le roy et leur
requérant qu'ilz eussent son ame pour recommandée,
non pas, comme il leur dist, qu'il n'entendoit pas qu'il
leur coustast riens du leur; et aussi se retourna au
peuple estant du costé du Saint-Esperit ^ en leur sup-
pliant aussi de prier pour son ame. Et puis s'en ala
mettre à deux genolz dessus ung petit carreau de
layne aux armes de ladicte ville, qu'il mist à point
et remua de l'ung de ses piez, où il fut ilec dihgem-
ment bandé par les yeux par ledit Petit Jehan, tous-
jours parlant à Dieu et à sesdiz confesseurs et souvent
baisant ladicte croix. Et incontinent ledit Petit Jehan
saisy son espée, que sondit père lui bailla^, dont il lui
1. Interpolations et variantes, § GXXVII.
2. Derrière l'hôtel de ville.
3. Henri Cousin, maître exécuteur des hautes œuvres, toucha
peu de temjis après 60 1. t. pour l'acquisition d'une grande épée
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 361
fist voler la teste de dessus les espaules si tost et tran-
sitivement que son corps chey à terre avant que la
testée Laquelle teste incontinent après fut prinse par
les cheveulx par icellui Petit Jehan et mise laver en
ung seau d'-eaue estant près d'ilec, et puis mise sur les
apuyes dudit petit eschafault et monstrée aux regar-
dans ladicte execucion, qui estoient bien 11"= mil per-
sonnes et mieulx.
Et, après ladicte execucion ainsi faicte, ledit corps
mort fut despoullié et mis avecques ladicte teste tout
ensevelir dedens ung beau drap de lin, et puis bouté
dedens ung sarcueil de bois que ledit sire Denis Hes-
selin avoit fait faire. Et lequel corps, ainsi ensevely
que dit est, fut venu quérir par l'ordre des Gordeliers
de Paris et sur leurs espaules l'emportèrent inhumer
en leur eghse^; etausquelz Gordeliers ledit Hesselin fist
bailler XL torches pour faire le convoy dudit corps,
après lequel il fut et le convoya jusques audit lieu des
Gordeliers. Et le lendemain y fist aussi faire ung beau
service en ladicte église ; et aussi en fut fait service à
Saint- Jehan en Grève ^, là où estoit aussi sa fosse
à feuille avec son fourreau, et pour avoir t fait rhabiller la vieille
epée » qui avait été ébréchée lors de l'exécution du connétable
(Sauvai, Antiq. de Paris, TU., 429).
1 . Interpolations et variantes, § GXXVIII. — Au moment de l'exé-
cution, les draperies et autres ornements qui décoraient le petit
échafaud furent enlevés, afin que la foule pût jouir à son aise du
dénoùment du drame et en gardât le souvenir. On sait que le
connétable était détesté des Parisiens (Basin, II, 377).
2. Interpolations et variantes, § GXXIX. Cf. Molinet, I, 184 et
suiv. — Le couvent et l'église des Gordeliers ou frères mineurs,
établis à Paris depuis le milieu du xui« siècle, étaient situés entre
les portes Saint-Germain et Saint-Michel, dans la ville et contre
le mur d'enceinte.
3. Saint-Jean-en-Grève, derrière l'Hôtel de Ville. — Voici un
60 1. »» s. » d.
60 1.
•1 1. 10 s. 3 d.
362 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
iaicte, cuidaat qu'on l'y deust enterrer, et y eust esté
mis, n'eust esté que ledit Sordun dist à icellui de
Saint-Pol que en leurdicte église y avoit enterré une
contesse de Saint-Pol et qu'il devoit mieulx vouloir y
extrait du troisième compte de Denis Hesselin, receveur de la
ville de Paris, qui se rapporte aux dépenses occasionnées à la
ville par l'exécution du connétable :
« Aux sergens qui gardèrent de presse avec
les archers de la ville de Paris, depuis' que ledit
de Luxembourg partit du Palais, et assistèrent à
laditte exécution et convoj' du corps, et pour
grande quantité de boulayes baillez ausdits ser-
gens pour faire serrer les gens
« Au capitaine desdits archers, pour luy et
pour eux
« Pour un coffre de bois auquel a esté mis le
corps dudit deffunt, après qu'il a esté exécuté .
« Pour deux draps de Un baillés par deux
sœurs de la chapelle Auldry, dont a esté ense-
vely ledit corps, et pour les salaires desdittes
deux sœurs d'avoir lavé et ensevely icelluy. . 3 1. 2 s. 6 d.
« Pour 42 torches, chacunes de 2 1. de cire,
4 cierges de 8 1., 13 autres cierges de 13 1., et
26 pointes ^ de 6 1. et demy, dont a esté conduit
le corps dudit deffunt en laditte egUse des Gor-
deUers
« 80 messes basses et 3 haultes en laditte eghse
et pour la fosse
< Au religieu frère mineur qui a assisté à laditte
exécution
€ Pour vigilie à S*^-
« Aux Jacobins ....
« Aux Augustins . . .
« Aux Carmes ....
« Aux S^'-Innocens . .
« Pour cierges ausdittes églises
t Total. . .
(Bibl. nat., mss., Nouv. acq. fr. 3243, fol. 11; cop. mod.)
1. Chandelles de cire.
27 1. 17 s. 6 d.
23 1. 19 s. 9 d.
. . .10 1.
»» s. » d.
. . . 13 1.
16 s. 9 d.
...81.
7 s. 6 d.
...81.
5 s. » d.
...81.
5 s. 0 d.
...il.
10 s. . d.
...31.
»* s. > d.
. . . 94 1.
19 s. 6 d.»
1475] OU CHRONIQUE SCAND.\LEUSE. 363
estre enterré que en nulle autre part; dont icellui de
Saint-Pol fut bien content et pria à ses juges que son-
dit corps feust porté ausdiz Cordeliers.
Et est vray que, après ladicte sentence ainsi declai-
rée à part audit defunct de Saint-Pol, que dit est, fut
tout son procès bien au long declairé au grant parc
de ladicte court et à huis ouvers * . Ouquel procès fut
dit et declairé de moult merveilleux et énormes cas et
crimes avoir esté fais et perpétrez par ledit de Saint-
Pol et en iceulx maulx soy estre entretenu, continué
et maintenu par long temps et par diverses foiz. Et
entre autres choses fut dit et recité comment lesdiz de
Bourgongne et de Saint-Pol avoient envoyé, de la par-
tie d'icellui de Bourgongne, messire Philippe Bouton
et messire Philippe Pot, chevaliers, et, de la partie
dudit connestable, Hector de l'Escluse, pardevers
monseigneur le duc de Bourbon, afin de esmouvoir
mondit seigneur de Bourbon de soy eslever et estre
contre le roy et soy départir de sa bonne loyaulté.
Ausquelz fut dit pour ledit seigneur par la bouche du
seigneur de Fleurac, son chambellan, qu'ilz s'abu-
soient, et que ledit seigneur aymeroit mieulx mourir
que d'estre contre le roy; et n'en orent plus pour ceste
foiz^. Et que, depuis ce, ledit de l'Escluse y retourna
1. Peu de jours après l'exécution du connétable, le texte com-
plet de l'arrêt de condamnation fut « divulgué par pays. » Moli-
net l'a reproduit t. I, p. 186-190.
2. Hector de l'Escluse, seigneur du Mas en Bourbonnais,
figure au mois d'août 1469 parmi les hommes d'armes de l'or-
donnance du roi (Arch. nat., JJ 195, fol. 77). Au printemps de
l'année 1475, il faisait partie de 97 hommes d'armes dont le comte
de Saint-Pol avait la charge. Sur les missions dont il fut charg»''
par le connétable, voyez les lettres de rémission que Louis XI
lui accorda CArch. nat., JJ 204, n» 38), sa déposition au procès du
364 JOURNAL DE JEAN DE ROYE [1475
de rechef, qui dist audit monseigneur de Bourbon que
ledit connestable lui mandoit par lui que les Anglois
descendroient en France et que sans difficulté, à l'aide
dudit connestable, ilz aroient et emporteroient tout le
royaume de France ; et que, pour eschever sa perdi-
cion et de ses villes et pays, ledit seigneur de Bour-
bon voulsist estre et soy alier avecques ledit de Bour-
gongne ; et lui dist que en ce faisant lui en viendroit
de grant prouffit, et où il ne le vouldroit faire que
bien lui en convenist et que s'il lui en prenoit mal
qu'il ne seroit pas à plaindre. Lequel mondit seigneur
de Bourbon dist et respondit audit de l'Escluse (ju'il
n'en feroit riens et qu'il aimeroit mieulx estre mort et
avoir perdu son vaillant et devenir en aussi grant
captivité et povreté que fut onques Job, que de con-
sentir faire ne estre fait quelque chose que ce feust qui
fust au dommage ou préjudice du roy ; et à tant s'en
retourna ledit Hector sans autre chose faire. Et, par
avant ces choses, mondit seigneur envoya au roy les-
dictes lettres de seellé dudit connestable, par lesquelles
apparoit la grande trahison dudit connestable et plu-
sieurs autres grans cas, trahisons et mauvaistiez que
a voit confessées en sondit procès ledit connestable, bien
duc de Nemours (Bibl. Sainte-Geneviève, LF, fol. 100 v° et suiv.,
et les documents cités dans Jacques d'Armagnac..., p. 70). Au
mois d'avril 1477, Louis fit don à Hector de l'Escluse, devenu
son écuyer d'écurie, de la baronnie de la Bove enLaonnois, con-
fisquée sur Philippe de Croy (Arch. nat.,P 2300, fol. 281). - On
trouvera de même dans les documents indiqut's le récit des négo-
ciations dont Philippe Bouton, bailli de Dijon, et Philippe Pot,
seigneur de la Roche-Nolay, furent chargés par le duc de Bour-
gogne, et celui de l'entrevue du seigneur de Florac avec L'Es-
cluse. La déposition de Guillaume de la Cueille, seigneur de
Florac, est au Procès de Nemours, ms. cité, fol. 72 et suiv.
1475] OU CHRONIQUE SCANDALEUSE. 365
au long declairées en icellui procès, que je laisse icy
pour cause de briefté.
Et, si est vérité que ledit connestable, après ce qu'il
ot esté confessé et qu'il vouloit venir oudit eschafault,
dist et declaira à sesdiz confesseurs qu'il avoit dedens
son pourpoint lxx demys escuz, qu'il tira hors d' icel-
lui, en priant audit cordelier qu'il les donnast et dis-
tribuast pour Dieu et en aumosne pour son ame et en
sa conscience. Lequel cordelier lui dist qu'ilz seroient
bien emploiez aux pauvres enfans novices de leur
maison ; et autant lui en dist ledit confesseur augustin
des enfans de leur maison. Et, pour tous les appaiser,
dist et respondi icellui defunct connestable à sesdiz
confesseurs qu'il prioit à tous lesdiz quatre confesseurs
que chascun d'eulx en prensist la quarte partie et que
en leurs consciences la distribuassent là où ils ver-
roient qu'il seroit bien employé. Et en après tira ung
petit anneau d'or où avoit ung dyamant, qu'il avoit
en son doy, et pria audit penancier qu'il le donnast et
presentast de par luy à l'ymage Nostre-Dame de Paris
et le mist dedens son doy, ce que ledit penancier pro-
mist de faire. Et puis dist encores audit cordelier Sor-
dun : « Beau père, veez cy une pierre que j'ay lon-
guement portée en mon col et que j'ay moult fort
aymée, pour ce qu'elle a moult grande vertu, car elle
résiste contre tout venin et préserve aussi de toute
pestilence. Laquelle pierre je vous prye que portez
de par moy à mon petit filz^ auquel dictes que je lui
1. Il s'agit probablement ici de Louis de Luxembourg, fils de
Pierre de Luxembourg et de Marguerite de Savoie et petit-fils du
connétable, auquel, par son testament du 24 novembre 1475, il
laissa tous les meubles dont il n'aurait pas disposé le jour de son
trépas (Lenglet, III, 452). Cet enfant mourut jeune.
366 JOURNAL DE JEAN DE ROYE. [1475
prye qu'il la garde bien pour l'amour de moy; »
laquelle chose lui promist de le faire. Et après ladicte
mort mondit seigneur le chancellier interrogua lesdiz
quatre confesseurs s'il leur avoit aucune chose baillé,
qui lui dirent qu'il leur avoit baillé lesdiz demys escuz,
dyamant et pierre dessus declairée ; lequel monsei-
gneur le chancelier leur respondy que , au regard
d'iceulx demys escuz et dyamant, ilz en feissent ainsi
que ordonné l'avoit, mais que, au regard de ladicte
pierre, qu'elle seroit baillée au roy pour en faire à son
bon plaisir.
Et de ladicte execucion ainsi faicte que dit est, en
fut fait ung petit epitaphe tel qui s'ensuit :
Mil 1111=, l'année de grâce
LXXV, en la granl place,
A Paris, que l'en nomme Grève,
L'an que fut fait aux Angloys tresve,
De décembre le xix,
Sur ung escliafault fait de neuf,
Fut amené le connestable,
A compaignie grant et notable,
Gomme le veult Dieu et raison,
Pour sa très grande trahison.
Et là il fut décapité,
En ceste très noble cité\
\. Interpolations et variantes, § GXXX. — Cf., au fol. 42 du
ms. fr. 1707 de la Bibl. nat. (xv* s.), la Complainte du connestable,
commençant par ces mots : « Mirez vous cy, perturbateurs de
paix. » Cette complainte a été imprimée par Lenglet, III, 458 et
suiv. Le même recueil renferme un rondeau et dix épitaphes en
vers également à l'opprobre du comte de Saint-Pol.
Nogent-ie-Rotrou, imprimerio Daupeley-Gouverneur.
1
BINDING SECT. JUL 23 1976
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HF Roye, Jean de
R8895J Journal; ed, Mandrot
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